Le sourire de Selwyn était lumineux, espiègle et intense. Ses yeux ambrés pétillaient de malice, un sourire mutin, presque pute, tordait ses lèvres roses alors qu’il fendait la foule transie par les éclats de la fête, des corps lourds d'ivresse et de vie se pressant contre le sien sans la moindre pudeur. Un parfum de whisky pur feu flottait dans son haleine, et il avait embrassé sur la bouche deux ou trois copines sorcières des bas-fonds qui, en temps normal, arpentaient l’allée des embrumes vêtues de longues robes fendues dévoilant l’absence totale de sous-vêtements. Aujourd’hui, elles dissimulaient leurs chairs trop pétries sous de longues chemises informes de lin blanc et des bonnets de nuits assortis, et elles n’accordaient leurs faveurs qu’en vertu de leur bon plaisir.
Le 15 mars était un jour à part, un jour sens dessus dessous, imprévisible, vulgaire et poétique tout à la fois : c’était le jour du Carnaval du Chemin de Traverse. Les naïfs croyaient que la vérité des âmes et des cœurs des hommes se révélaient sur les masques qu’ils portaient, les misanthropes y voyaient une farandole de nouveaux mensonges qui venaient enrober de vieilles hypocrisies à la manière d’une barbe à papa, et tout le monde s’accordait à dire que « ce qui se passait pendant le Carnaval mourrait avec le Carnaval » , tout en comprenant avec divers degrés de lucidité toute la fausseté de cette affirmation. Le 15 mars n’était pas une bulle hors du temps, coupée des réalités ; le 15 mars était le nœud au centre de toutes les intrigues de l’année ; c’était le temps où les désirs les plus secrets étaient assouvis, celui des vengeances et des retours de bâton, celui de toutes les audaces. Et le reste de l’année se passait à vivre avec les conséquences du 15 Mars, qu’elles fussent bonnes ou néfaste, et à attendre le prochain carnaval en espérant qu’il soit aussi fou que le précédent.
Devant la boutique d’un Florian Fortarôme hilare une bande de musiciens réclamait des sorbets à la bierraubeurre avec force cris, tambours et trompettes ; sous l’enseigne de madame Guipure une troupe de gitanes vêtues de robes chamarrées, dont les couleurs changeaient avec une lenteur calculée, émerveillaient la foule avec leur grâce et leur énergie. Nul doute qu’à chaque salve d’applaudissement la couturière entendait les galions tomber au fond de sa caisse ; pour peu qu’on sache s’y prendre, le Carnaval était une fabuleuse opération de communication pour les commerçants de l’allée. Et nul ne savait être plus commerçant que George Weasley, qui haranguait la foule depuis une plate-forme flottant à un mètre du sol. George le jumeau solitaire enchaînait les mots d’esprits et les démonstrations de ses nouvelles inventions avec un sourire qui n’atteignaient pas ses yeux, quand bien même sa gouaille trompait une audience en folie. Devant ce regard bleu si décidément mort depuis plusieurs années le sourire de Selwyn s’accrut avec une sincérité qu’il n’avait pas eue de la journée.
C’était le Carnaval, et Selwyn mentait.
Il mentait sur son nom, sur ses origines, sur son visage qu’il modifiait toujours ; il avait fait semblant de boire, semblant de rire, semblant d’être heureux et nonchalant, semblant de désirer les arlequines, les gitanes et les prostituées échappées pour une journée de l'Allée des embrumes. Depuis la bataille de Poudlard, à l’issue de laquelle il avait littéralement « fait le mort » à l’aide d’une potion qui l’avait fait passer pour un cadavre pendant plusieurs heures, plus une once de vérité n’avait franchi la barrière de ses dents. Il s’était laissé traîné dans une salle de classe où il était resté pendant des heures au milieu des corps froids de ses camarades, des odeurs et des bruits étranges et grossiers des macchabées. Il pouvait entendre, loin dans la grande salle, les vainqueurs fêter leur victoire et pleurer leurs morts. Il avait attendu d’être inscrit au registre des mangemorts tués en action, presque trois jours plus tard, avant de prendre la fuite et de remplacer son corps par celui d’un moldu aux traits magiquement modifiés. Avoir joué au macchabée pendant si longtemps n’était cependant par resté sans conséquence.
Il arrivait que son cœur ralentisse, que ses doigts et ses pieds bleuissent, et alors seules de grosses décharges d’adrénaline lui permettaient de survivre ; elles ne pouvaient pas, cependant être trop fortes, sans quoi elles étaient parfaitement inutiles et le tueraient aussi. Les effets secondaires de la potion qui lui avait permit de survivre risquaient un jour d'avoir sa peau tant il en avait abusé.
Il aurait pu choisir une nouvelle vie calme et bourgeoise puisque « Selwyn » était mort, mais cet ennui aurait littéralement eu sa peau; alors quitte à être mort, autant rester du mauvais côté de la loi. Et sous divers visages et pseudonymes, il avait embrassé toutes les routes de l’illégalité qui s’offraient à lui, et dont le danger le maintenait en vie ; Luciano le faussaire qui créait de faux-papiers plus vrais que nature, James l’escroc à la petite semaine, Fernand le proxénète le plus sale de l’histoire de Londres, Louis l’assassin silencieux, Monsieur Turpin l’homme d’affaire véreux, Cagliari, l'agent d'exécution aux poings comme des boulets de canons étaient tous un seul et même homme.
Selwyn, fendant la foule, traversa un groupe de sorcier gallois qui portaient des couvre-chefs confectionnés à base de crânes de dragons ornés de couronnes de fleurs pour trouver la grande esplanade sur laquelle se trouvait le Maure.
Le Maure, tout comme les gitanes, les acteurs vêtus à la façon de personnages de la comedia del arte, les gallois avec leur danse du dragon, les écossais avec leurs batailles de saumons, les étudiants reconnaissables aux fourchettes géantes qu’ils brandissaient ( puisque les étudiants sont connus avant tout pour être affamés ) et la parade de pirates qui, à minuit sonné, transformait le Chemin de Traverse en rivière, était l’une des attractions principale du Carnaval. Le Maure était à la fois une personne et un titre : c’était celui, ou celle, ( depuis que Padma Patil, six ans plus tôt, avait pulvérisé la tradition jusque-là éminemment masculine ) qui saurait danser sans que les sorts que lui enverraient la foule ne troublent ses pas. Le Maure, bien sûr, était armé de sa baguette et pouvait se défendre comme il le souhaitait tant qu’il ne cessait pas de danser. Le combat était absolument spectaculaire, et certains des sorciers les plus connus de l’Histoire avaient été Maures dans leur jeunesse.
Depuis maintenant deux ans, le Maure était Prince Shacklebolt, le petit frère bon-à-rien du premier ministre. Prince, le cadet de presque vingt ans de Kingsley, appartenait à une génération qui n'avait aucun souvenir de la guerre, et s'il était un jeune homme indéniablement doué toute la communauté magique s'accordait à le qualifier de propre-à-rien. Le corps de Prince était fin, athlétique et gracieux ; ses traits étaient trop busqués pour être agréables, ses lèvres épaisses alourdissaient son visage vers le bas, et ses yeux un peu trop ronds regardaient le monde avec l'expression moqueuse et nonchalante des inconséquents ; mais il y avait dans son sourire une gaminerie presque innocente et une sensualité qui ne laissait personne indifférent. Il ne travaillait pas, vivant aux crochets de son frère, il buvait, fumait, séduisait. Un petit con, mais un petit con irrésistible.
Selwyn, toujours prudent, s'était toujours tenu éloigné de ce qui touchait de près ou de loin à ses ennemis d'autrefois, et avait toujours refusé les contrats ou les affaires qui s'en approchait trop. Cependant, tuer un Shacklebolt le tentait plus que de raison ; Kingsley l’avait littéralement humilié lors de la bataille finale, et de tous les héros de la dernière guerre il était celui qui le rendait le plus fou de rage ; un sang pur d’une telle envergure, se soumettre ainsi à des voleurs de magie guère plus évolués que des animaux, et devenir l’homme le plus puissant du royaume sorcier… La prudence l’avait tenu éloigné autant de possible du ministre de la magie, mais l’idée de cette attaque-ci, qui visait son imbécile de frère et le toucherait au cœur, avait harcelé Selwyn comme un essaim d’abeilles. C’était un pauvre cocu de rien du tout qui l'avait supplié d'annihiler Prince Shackelbolt. Un certain Darryl Dickens, un homme maigrichon, craintif et amer, trop lâche pour régler ses propres comptes, trop fier pour ne pas punir l’homme qui lui avait ravi son épouse. L’amant d’abord, la femme ensuite. Il avait d’abord tenté de contacter Monsieur Turpin, via l'un des nombreux intermédiaires que le paranoïaque Selwyn avait mis en place, mais bien que séduit par l’idée, il l’avait refoulé. Entêté, Darryl s’était ensuite tourné vers Cagliari, sans savoir qu’il ne faisait qu’un avec Turpin ; et Selwyn avait eu plus de difficultés à refuser le projet, observant le maigre et tremblant Darryl depuis une autre table du pub où il avait donné rendez-vous à un associé de Cagliari. Et puis, des semaines plus tard, Darryl, après plusieurs autres déconvenues auprès de sorciers tout aussi louches que Selwyn, avait à nouveau croisé son chemin, le prenant cette fois-ci pour Louis l’assassin, personnage que l'ancien mangemort incarnait de moins en moins et rendait plus difficile à trouver pour des raisons évidentes ; et il avait fini par craquer. Il méprisait ce petit homme veule et pleutre, mais la correction qu’il se proposait d’infliger au jeune Shackelbolt lui donnait presque envie de caqueter de joie.
L’épreuve du Maure était parfaite pour cela ; presque trop parfaite, c’était vrai. Le jeu du Maure était un jeu dangereux ; Darryl n’était pas le premier cocu à tenter de se venger lors d’un carnaval, et le ministère déployait par conséquent plus d’aurors sur le Chemin de Traverse le 15 Mars que pour une finale de tournoi de Quidditch. Environ tous les dix ans, quelqu’un de bien intentionné tentait de faire interdire le festival, mais chaque réforme se soldait invariablement par un cuisant échec.
Prince, accompagné d’une trentaine d’autres concurrents, saluait la foule depuis une esplanade en bois qui flottait à un mètre du sol. Le jeune homme portait le costume du Maure en titre : un pantalon à fines rayures pourpre et dorées ; une chemise blanche, ouverte sur son torse glabre, noir et brillant, et sur laquelle était accrochées de multiples décorations en l’honneur du premier Maure, un guerrier andalou légendaire qui terrifiait et fascinait tout l’Occident au douzième siècle. Une taillole de soie orange couvrait ses reins et un turban écarlate était noué sur son front ; ses lèvres brillaient de paillettes dorées qu’il avait aussi appliquées autour de ses yeux. Le frère du ministre, s’il n’avait pas l’aura calme et rassurante de ce dernier, exsudait d’un charme exubérant et irrésistible, et Selwyn admit facilement, en son for intérieur, que le pauvre Darryl avec son charisme d'inferi n’avait pas la moindre chance face à lui.
La troupe de musiciens, qui n’était composée que de cuivres et de tambours, commença à jouer en une formidable pétarade, les concurrents s'élancèrent dans leur danse endiablée, et les sorts se mirent à pleuvoir en une pluie de couleurs et de lumières qui craquelèrent contre les boucliers que les danseurs avaient invoqués dès la première mesure. Une nouvelle salve de sorts fit exploser deux défenses ; l’un des concurrents parvint à dévier trois sorts en un mouvement rapide et paniqué, l’autre se vit affublé d’un nez de cochon et d'oreilles d'elfe de maison qui le firent interrompre sa danse, et sous les hourras, les rires et les sifflets fut expulsé hors de la plate-forme.
Selwyn continua à se déplacer autour de la scène, observant Prince, qui trouvait l’énergie de rire tout en dansant et en repoussant les attaques qui fusaient de toutes parts. Les lèvres serrées, l’ancien mangemort invoqua une langue de feu qui fendit l’air, droit vers le dos tourné du jeune homme ; elle se transforma en bulles de savon qui s’envolèrent dans le ciel, entremêlées avec les pétales de cerisier qui avaient résulté d’une autre tentative de déstabilisation. Prince ne s’était visiblement pas contenté d’un bouclier repoussant bêtement les sortilèges ; il avait aussi protégé ses arrières d’une barrière invisible de métamorphose. Selwyn se décala à nouveau, lança une salve de sorts relativement inoffensifs, et ils n’approchèrent même pas de Prince, qui les évita d’une pirouette visiblement sans même les voir ; ils finirent leur course sur un concurrent qui suait a grosses gouttes et bascula dans la foule avec un cri de surprise, de grosses tentacules violettes et boursouflées poussant furieusement à l'arrière de son crâne. Le jeu du Maure était plus impardonnable qu’un rodéo sur le dos d’un dragon furieux ; la fanfare ne jouait pas depuis une minute qu’il ne restait déjà qu’une dizaine de danseurs en piste.
Selwyn enchaîna alors une dizaine de maléfices en tout genre, les dents serrées ; Prince évita la plupart d’entre eux comme s’il n’en avait même pas été la cible, et se contenta de détourner le dernier avec un rire en direction de l’un de ses adversaires. Le mangemort serra de plus en plus les mandibules à mesure que sa frustration augmentait. Il s’était juré de s’en tenir à quelque chose de simple et efficace, il était hors de question d’utiliser un avada kedrava sur une place grouillant d’aurors. Le rire bon enfant et les grimaces de Prince rendait Selwyn fou : le gamin ne donnait absolument pas l’impression de maîtriser ce qu’il faisait, il ressemblait à un idiot qui aurait avalé tout un chaudron de felix felicis et n’en revenait pas de sa chance. L’ancien mangemort, qui avait espéré attendre sa cible avec des sorts inoffensifs qui pourraient faire passer la mort de Shacklebolt pour un accident, laissa tomber sa prudence initiale.
Un serpent jailli devant les pieds de Prince ; mais eu lieu de l’attaquer, il se mit à danser avec lui ; un nuage de lames de rasoirs fila vers le danseur pour dégringoler sur ses épaules en pluie de confettis, un sectumsempra le frôla de si près que son épaule fut légèrement entaillée, comme par un coup de scalpel, maculant aussitôt la manche de sa chemise de sang. Quelques cris de protestation jaillirent dans la foule : on ne voulait pas tuer le Maure, seulement le déstabiliser enfin ! Les lèvres serrées et le poing tremblant de rage, Selwyn se déplaça rapidement pour ne pas être repéré. Sur scène, malgré son épaule ensanglantée, Prince dansait toujours, en compagnie de trois autres, son sourire insupportable et idiot fiché aux lèvres.
Un nouveau coup de baguette, et avec un gros craquement, le morceau de scène sur lequel se trouvait Prince se détacha du reste pour commencer à flotter au-dessus de la foule, mais le jeune Shacklebolt continuait à danser, aérien, léger, malgré le sang qui poissait sa chemise ; comme le sectumsempra était la seule chose qui l'avait atteinte, Selwyn, perdant tout prudence, en lança plusieurs droit sur le visage et le torse de Prince, qui surplombait tout le monde.
Pendant une fraction de seconde, l'expression de Prince perdit sa désinvolture alors qu'il se concentrait pour dévier la salve de maléfices sans qu'ils n'atteignent qui que ce soit dans la foule, et en cet instant, la ressemblance avec son frère fut frappante.
Selwyn se figea, son cœur battant la chamade.
Le gamin savait exactement ce qu'il faisait. Cette réputation de play-boy inconséquent était un masque qu'il ne laissait pas tomber lorsque le Carnaval expirait, c'était un double-jeu vieux comme le monde, à la dangerosité digne de la famille Shackelbolt. Et Prince, Darryl Dickens et avec eux tout le ministère lui avaient tendu le plus grossier des pièges, dans le quel il était tombé comme un bleu. Selwyn était si prudent, si paranoïaque, qu'il avait tissé un labyrinthe inextricable autour de lui, et le seul moyen de le saisir était de l'en faire sortir.
La panique broyant sa poitrine, Selwyn fit un tour sur lui-même. Plusieurs Aurors, certains en civils mais repérables à des lieues à la ronde à leur regard perpétuellement sur le qui-vive, bloquaient entièrement l'embouchure des quatre rues qui quittaient la placette en haut du Chemin de Traverse où se trouvait l'esplanade du jeu du Maure ; d'autres officiers étaient postés sur les toits et aux fenêtres.
La panique le fit suffoquer, de longues gouttes de sueur glissant le long de son dos. Ses pieds et ses mains étaient gelés, et il n'osait pas regarder ses doigts, de peur de les voir virer au violet ; le surplus d'adrénaline lui était aussi néfaste que le calme absolu. Depuis toutes ces années, il avait appris à vivre dans une angoisse constante tout en évitant les pics de stress, sauf lorsque son cœur ralentissait et qu'il se mettait en danger à dessin. Sa vue s'assombrissait, ses pieds glacés ne lui répondaient plus ; il fallait qu'il se calme mais s'en savait incapable. Ses jambes se dérobèrent sous lui, et il tomba à genoux dans la foule qui l'ignorait ; la langue lourde comme du plomb, il leva ses mains devant les yeux. La gauche était bleue ; la droite, crispée sur sa baguette, semblait tenir encore un peu de vie.
Une haine noire et poisseuse déferla soudain dans sa poitrine, plus forte et plus dévastatrice que l'angoisse qui lui tordait le bide : s'il devait partir, il ne partirait pas tout seul. Et il brandit sa baguette, rassemblant ses dernières forces pour provoquer un carnage propre à le faire entrer dans les annales du Chemin de Traverse. Le carnaval mourrait avec lui.
Le soleil disparut soudain, et dans un craquement formidable, Prince tomba sur Selwyn de tout son poids, le clouant au sol.
-Il a fait un malaise ! s'écria le jeune homme, qui tout en prétendant aider l'ancien mangemort à se relever lui broya la main, le faisant lâcher sa baguette. Les gens criaient, s'apprêtaient autour de Selwyn, et, lui, incapable de parler, réduit à rouler des yeux fous de rage et de peur dans ses orbites, pouvait sentir les battements de son cœur ralentir de façon inexorable.
Prince jouait à la perfection ce rôle d'ingénu sincèrement paniqué par l'état de l'homme qu'il tenait, rendant sa fuite impossible, et ce fut au milieu d'une mer de masques, dans les bras d'un artiste de la duplicité, que Selwyn le menteur rendit son dernier soupir.
Prince était assis dans la morgue, le regard fixé sur le sol. Sur la table d'opération, le corps nu de Selwyn était couvert d'un drap blanc des genoux au nombril ; sa cage thoracique avait été soigneusement ouverte, formant une fleur écarlate et répugnante sur sa poitrine. A côté de lui, Arturus, son mentor, qui avait joué le rôle de Darryl, écoutait avec attention les explications de la médicomage légiste, qu'il lui indiquait les anomalies du cœur du mort en les pointant avec sa baguette.
-Leïla, dis-moi qu'il s'agit bien de Selwyn, murmura Arturus, surveillant Prince du coin de l’œil.
-Aucun doute, répondit-elle de sa voix rauque, bousillé par la pipe qu'elle fumait continuellement. Il a eu recour au Philtre de Frère Laurent la nuit de la Bataille de Poudlard, afin de passer pour mort, mais il en a abusé et ça fait dix ans qu'il joue avec ses nerfs pour se maintenir en vie. Prince, tu ne pouvais pas deviner.
Les traits du jeune homme étaient durs et tirés, comme s'il avait physiquement perdu ses dernières rondeurs d'innocence.
-Je sais, répondit-il avec douceur et fermeté. Et puis il fallait bien que ça arrive un jour.
Arturus était un vieux de la vieille, qui en avait vues d'autres, mais il se trouvait toujours gauche et démuni face aux gamins confrontés à leur premier décès en mission. Il en avait tant vécus qu'il oubliait les traumatismes, et si les regards perdus des jeunes pousses comme Prince le touchaient, les sentiments derrière ces prunelles qui criaient à l'aide lui étaient devenus étrangers. Il supposait que Prince revoyait en boucle le moment où les yeux de Selwyn s'étaient éteints, revivait jusqu'à la nausée l'instant où le corps de l'ancien mangemort s'était fait lourd contre le sien. Il supposait que Prince ne dormirait pas cette nuit-là ; il supposait aussi que le ministre de la magie ne laisserait pas son frère seul ce soir. Et il comptait sur Kingsley pour trouver les mots qui lui manquaient, il savait toute la tendresse qui unissait les deux Shackelbolt.
Alors il se balançait d'un pied sur l'autre sans savoir quoi dire.
-Tu as fait du bon travail. De l'excellent travail. Compte tenu de la situation c'était presque inespéré que tu ne bousilles pas ta couverture, mais tout le monde n'y a vu que du feu.
-Merci, Chef, répondit Prince, de cette voix toujours grave et anormalement douce.
-Plusieurs groupes de soutiens sont en train de se former pour que tu conserves le titre du Maure, ils disent que tu l'aS sacrifié pour sauver la vie de quelqu'un et que ça devrait compter.
-Ils sont gentils, répondit Prince avec un sourire absent.
-C'est lui qui a envoyé ton morceau de scène flotter au dessus de tout le monde ?
-Je ne sais pas, je ne l'ai repéré qu'au moment des sectumsempra.
Arturus posa sa main sur l'épaule du jeune sorcier. Toute une vie s'était éteinte, avec ses rêves, ses espoirs, ses projets, ses souvenirs, ses expériences, ses émotions, ses amours et ses haines, et quand bien même il s'agissait d'un individu qu'il ne pleurerait personnellement pas, tout cela avait été rendu au néant dans les bras de Prince.
-Lève le menton.
Prince lui obéit presque instinctivement, et, sous la détresse évidente, quelque chose de si pur, de si entier flottait sous la surface qu'Arturus en vacilla presque. Il y avait quelque chose de solide, presque inamovible en ce môme qui rappelait indubitablement Kingsley.
-Ça ira, souffla Arturus.
Prince hocha la tête, sans se détendre. Ça ira. Deux mots véridiques et mensongers tout à la fois, comme le Carnaval, mais il avait une confiance absolue en Arturus.
-Ça ira, répéta Prince.