Deux champs d’étoiles se faisaient face : au-dessus les astres de la nuit, clignotant dans le firmament pâle de l’aube, en dessous les champs de jonquilles sauvages, d’un jaune éclatant, bordées de ruisseaux encore noirs et de bouquets d’arbres retenant entre leurs branches les dernières ombres de la nuit. Les fleurs annonçaient en trompette le retour du printemps.
My Lady d'Arbanville, why do you sleep so still? I'll wake you tomorrow, and you will be my fill, yes, you will be my fill.
Quelque part au fond de la vallée, de longues larmes hébétées coulaient sur les joues couvertes de cire D’Arbanville. Le sorcier, aveugle aux premiers frémissements humides de rosée du mois d’Avril, déambulait sans but, raide comme un pantin de bois, les muscles crispés, la bouche ouverte, ronde, sur un cri infini qui avait cessé de résonner mais continuait de déchirer ses tempes et ses poumons. Un renard fila dans un éclair roux sans lui prêter attention, une pipistrelle effleura ses cheveux fous, une chouette hulula quelques notes qui ressemblaient à une chanson de bonne nuit avant de fermer les yeux ; il ne voyait pas la nature et la nature ne le voyait pas.
Une tout petite abeille, très matinale, vint cependant se poser sur son bras ; quelques éclaboussures de cire étaient tombées là aussi, masquant partiellement la Marque ; elles avaient embrassé, brûlé et déchiré sa chair, mais pour rien au monde il ne l’aurait enlevée. Elle était la cire, si son étreinte devait l'embraser tout entier, ainsi soit-il.
La scène rejouait devant ses yeux avec une précision cruelle que la douleur ne faisait qu’accroître, dans une espèce d’éclair blanc aussi acéré qu’un coup de couteau. Encore, encore et encore.
My Lady d'Arbanville, why does it grieve me so? But your heart seems so silent, why do you breathe so low, why do you breathe so low ?
Dans le laboratoire que Voldemort lui avait fait emménager dans les sous-sols du manoir Rosier pour expérimenter sur les moldus, né-moldus et sorciers ennemis se trouvait Lady d’Arbanville, belle, ciselée, éternellement jeune, figée à jamais dans cette gangue de cire d’abeille pâle aux reflets dorés, et il avait surpris Macnair jouer à brûler le bout des doigts fuselés de la statue en riant. Cet abruti ne comprenait pas pourquoi la cire des ongles ne fondait pas, alors que celle de cils et des yeux le faisait, coulant sur les joues comme des larmes.
D’Arbanville avait vrillé.
Il avait oublié qui il était, qui Macnair était, il avait oublié qu’il n’avait pas la moindre chance face à un tueur aussi chevronné, qu’il n’était que le rat de laboratoire de Voldemort et pas l’un de ses impitoyables Croisés, et il avait attaqué le mangemort avec une salve de sorts violents et vicieux. Il voulait le cisailler, l'incendier, l’étrangler ; mais Macnair avait dévié le tout avec un bouclier qu’il avait invoqué de façon presque instinctive, avant même de comprendre ce que D’Arbanville faisait , et l’avait stupéfixé d’un seul mouvement de baguette.
Macnair était une brute, taillé comme un gorille et presque aussi velu qu'un grand singe, mais il n’était pas idiot, et un sourire cruel avait étiré ses lèvres minces alors que ses yeux filaient du scientifique à la statue de cire.
-C’est ta femme.
Les mots résonnaient dans l'esprit de D’Arbanville, qui plaqua ses mains sur ses oreilles pour ne plus les entendre, comme si ses doigts pouvaient bloquer les fantômes.
-C’est ta femme, pas une statue.
My Lady d'Arbanville, why do you sleep so still? I'll wake you tomorrow And you will be my fill, yes, you will be my fill
Sa femme. Sa Lady D’Arbanville. La raison pour laquelle il était devenu médicomage, la raison pour laquelle il s’était spécialisé dans les malédictions familiales, qui avaient été interdites en 1617 mais continuaient à créer des ravages dans bien des familles sorcières ; la raison pour laquelle il avait englouti toute la fortune familiale dans la recherche, la raison pour laquelle, lorsque la cire avait scellé les lèvres, les yeux et les oreilles de Lady D’Arbanville, l'avait endormie et qu’il avait cru la perdre, il avait accepté de joindre Voldemort, qui lui promettait des ressources que la rigoureuse morale de St Mangouste lui refusait. Il se fichait bien de la supériorité du sang sorcier, il se fichait de la politique, il se fichait de tout, sauf de la malédiction de Lady D’Arbanville. Voldemort le savait, il en avait joué, il l’avait séduit, corrompu : toute la chair, vivante ou non, qu’il voulait pour expérimenter, tester des antidotes en échange d’un peu de travail sur ce que lui voulait. Elle n’était pas encore morte, elle n’était pas encore tout à fait uniquement faite de cire, elle avait encore son âme ; D’Arbanville ne pouvait pas l’abandonner et il avait accepté.
Le scientifique était à part dans la troupe des mangemorts : la Marque qu’il portait sur le bras n’était pas une récompense, c’était la signature d’un pacte avec le diable. Il appartenait au mage noir comme une brebis appartient à son berger ; il l’avait accepté pour la sauver elle. Mais lorsqu’elle serait libre, elle ne devrait pas savoir, jamais, quel prix il avait payé. Il était prêt à s’effacer de sa mémoire pour peu qu’elle vive. C’était son objectif, son plan, sa vie entière tendait à ce but. Jusqu’à Macnair.
My Lady d'Arbanville, you look so cold tonight, your lips feel like winter your skin has turned to white, your skin has turned to white
Macnair fut persuadé qu’ils avaient tous été dupés par le scientifique ; il avait décidé de raconter sa découverte à Voldemort, sans savoir que Voldemort savait déjà, et de prendre un peu d’avance sur la punition de D’Arbanville. Le tueur tournait le dos à la statue et Lady D’Arbanville, réveillée par les hurlements de douleur de son époux, avait rassemblé ses dernières forces pour avancer, centimètre par centimètres, avec une lenteur agonisante tant pour elle que pour son mari, qui criait et suppliait, frénétique, sous la torture d’un Macnair aux anges. Ces supplications folles n’allaient pas à son tortionnaire, elles allaient à Lady D’Arbanville, qui se tuait en voulant le sauver.
Elle s’était laissée tomber, molle et brûlante, sur la grande carcasse de Macnair ; la cire avait coulé contre les règles de la gravité dans son nez et sa gorge sous les yeux impuissants d'un D’Arbanville écrasé par la douleur. Le géant s’était débattu sans effet contre la gangue de cire qui l’étouffait et arrachait sa peau ; son gros visage était écarlate, les veines de son cou avaient triple de volume, ses yeux rouges de sang roulaient dans leurs orbites et finirent par se révulser complément, son gros corps poussant et frappant dans le vide.
Et puis plus rien.
Le corps mou de la brute, une grosse flaque de cire d’abeille et D’Arbanville qui se brûlait les mains en essayant de la rassembler, sanglotant et criant, vacillant au bord de la folie.
Lady D’Arbanville ne pouvait pas ne plus exister. La terre pouvait tout aussi bien s’arrêter de tourner, le soleil de briller. Lady d’Arbanville devait être quelque part, ou l’air qu’il respirait se transformerait en poison et lui déchirerait les poumons. La cire avait fondu, la cire avait fondu et l'avait libérée ; elle était perdue, elle devait avoir pris la fuite. Elle ne pouvait pas être morte, parce que sa vie n’aurait plus de sens. Ses lèvres, qu’elles fussent de chair, de cire ou de pierre, devaient exister quelque part.
My Lady d'Arbanville, why does it grieve me so? But your heart seems so silent, why do you breathe so low, why do you breathe so low
D’Arbanville tomba à genoux dans le champ de jonquilles humides de la rosée du matin ; une seconde petite abeille bourdonnait à son oreille sans qu’il l’entende. Ses joues creuses étaient livides, ses pensées s’enchaînant de façon frénétique et désordonnée. Il avait besoin d’un plan, d’un nouveau plan, il avait toujours eu un plan. Macnair était mort, il ne retournerait pas au manoir Rosier, il ne retournerait pas dans les bras squelettiques de Voldemort, il devait retrouver son évasive Lady d’Arbanville.
Albus pourrait aider. Albus et lui étaient bons amis à l’école.
Non, Albus ne l’aiderait plus désormais, avec sa marque sur le bras.
Le scientifique, les doigts tremblants de façon incontrôlable, chercha une pierre aiguisée dans la terre molle du matin ; sitôt qu’il en trouva une, il entreprit de lacérer son tatouage ; il aurait aimé pouvoir dire être insensible à la douleur, mais ce n’était pas le cas, et une flopée de larmes fraîches se mêla à celles qui brouillaient déjà les traits de son vieux visage, traçant de nouveaux sillons dans la terre, la morve et la cire. Il devait faire peau neuve pour Albus Dumbledore.
Mais Albus était intelligent, et renseigné ; Albus saurait ce qu’il avait fait.
Ce qu’il avait fait ?
Fournir le pire sorcier de tous les temps en potions, en armes. Exploré presque sérieusement l’idée d’une race supérieure, pour plaire à son maître. Mutilé des adultes, des enfants et des vieillards, jeter des corps morts qui n’avaient pas survécus à ses expériences comme on dispose de brouillons qui n'aboutissent pas.
Les yeux et la bouche d’Arbanville s'ouvrirent sur un infini terrible. Les cris de ses victimes lui revenaient, leurs regards apeurés, désespérés. Leurs échos lacéraient sa poitrine, son dos, ses cuisses, son crâne.
Ses victimes, pas celles de Voldemort, les siennes.
Ses victimes.
Les Ladys d’Arbanville d’autres hommes, d’autres femmes, qu’il avait détruites pour sauver la sienne.
Avec un borborygme étouffé, il envoya le poing qu’il serrait sur la pierre dans sa propre tempe. Encore, encore et encore, jusqu’à ce que le monde vacille, jusqu'à ce que les étoiles et les jonquilles se mêlent.
Deux autres abeilles flottaient à la commissure de ses lèvres lorsque le premier rayon du soleil frappa son visage.
I loved you my lady, though in your grave you lie, I'll always be with you, this rose will never die, this rose will never die
D’Arbanville cligna des yeux, laissa retomber ses bras, remarquant les quatre petites abeilles qui tournaient autour de lui pour la première fois. Le chaos de son esprit s’était intensifié au point que le surplus et le vide se mêlent si parfaitement que plus rien n’avait de vraie importance. S’il y avait des abeilles, il trouverait bien des ruches, des ruches faites de cire, comme Elle.
Alors D’Arbanville déambula au hasard dans les vallées, suivant les abeilles qu’il croisait, et il finit par les trouver ces ruches, dorées et brillantes dans le soleil levant, bourdonnantes comme les milliers de baisers perdus sur les lèvres de Lady D’Arbanville.
Il tomba à genoux devant elles, les mains tremblantes et jointes en une prière que personne n’écoutait.
-Je te demande pardon. Je ne voulais pas tuer. Je ne voulais pas torturer. Je voulais te sauver. Ce n’est pas à cause de toi que ces gens sont morts. Ce n’est pas toi, tu ne m’as rien demandé. Tu m’avais dit de t’oublier. C’est ma faute, je n’ai pas pu. Je t’aimais trop.
Les grand yeux verts et perdus de D’Arbanville, injectés de sang, allaient d’une ruche à l’autre, insensible aux essaims d’abeilles qui se posaient déjà un peu partout sur ses jambes, ses épaules et ses cheveux.
-C’est ma faute, répétait-il. C’est ma faute. Merci de m’avoir sauvé de Macnair. Merci de m’avoir montré ce que j’étais devenu, merci de m’avoir sauvé de moi-même. Merci d’avoir sauvé les autres, ceux qui seraient venu après.
Il avança sur ses genoux, posa ses mains de part et d’autre de la ruche la plus proche, engluant son front, ses joues et ses lèvres de cire et de miel. Les abeilles, furieuses et déboussolées, bourdonnaient plus que jamais
-Je t’aimais trop.
D’Arbanville ne senti pas la première piqûre, ni la seconde ou la troisième, mais il mourut avant de toucher le sol, le corps couvert d’abeilles.
I loved you my lady, though in your grave you lie, I'll always be with you,
This rose will never die, this rose will never die