La jeune fille reçut la vérité en pleine face : elle était amoureuse de lui. Panique panique… Qu’allait-elle faire de cette révélation toute neuve ? Et pourquoi fallait-il que cela lui tombât dessus à ce moment ? Elle avait bien d’autres choses à penser ! C’était les ASPICS cette année ! Elle n’aurait jamais le temps de s’occuper de ses états d’âme… Mais surtout, pourquoi fallait-il que ce fût de lui ? Elle ne savait pas ce qui la perturbait le plus : être amoureuse alors que ce n’était pas le moment, ou bien être amoureuse de celui qu’elle ne supportait pas les années précédentes.
Oui, Lily s’avouait qu’elle avait flanché… Elle ne l’avouait cependant qu’à elle-même pour l’instant. Pas folle la demoiselle ! Elle tenait à sa réputation… En effet, tel une sangsue, le jeune homme en question s’était bien souvent accroché à Lily pour la faire céder et lui avait démontré par A+B, régulièrement, qu’elle avait tous les avantages du monde à sortir avec lui. Elle le toisait, altière, et son regard flamboyant de mépris servait de réponse quand elle ne daignait pas prononcer à haute voix le « non » devenu rapidement habituel. Elle n’allait quand même pas s’abaisser à céder…
Un brin orgueilleuse, la petite Lily ? Non, pas du tout ! Qu’est ce qui vous fait croire ça ?
Et maintenant ? Allait-elle se draper dans son orgueil et étouffer son cœur ? Il lui fallait reconnaître qu’elle était bien atteinte, pourtant… Elle camouflait du mieux possible ce sentiment tout neuf : surtout, ses amies ne devaient pas le savoir, l’intéressé encore moins. Ne pas le regarder en douce. Ne pas parler de lui en termes élogieux. Ne pas espérer attirer de nouveau son attention… A force de volonté, ne pourrait-elle pas s’ôter ce sentiment encombrant du cœur ?
Mais en avait-elle envie ?
N’était-ce pas agréable de se bercer d’illusions ? De s’imaginer la douceur du sourire qui lui serait adressé ? De s’imaginer la chaleur de ses bras où elle pourrait se blottir à son aise ? De s’imaginer les paroles tendres qu’elle aimerait entendre de sa bouche ? De s’imaginer tout ce qu’elle pourrait faire avec lui ?
La chute en serait rude. Très rude. Un peu comme tomber du lit un matin où l’on aurait pu dormir… Ou découvrir le nombre de calories dans son chocolat préféré, alors qu’on vient de s’enfiler trois tablettes : on préfère toujours ne pas voir ce qui ferait mal, même si on est conscient de cette chimère.
Lily préférait rêver de lui plutôt que contempler sa solitude amoureuse. Ou se rappeler son comportement altier des années passées qui lui avait valu cette situation. Un retour en arrière était forcément possible, se persuadait-elle : il ne pouvait pas renoncer si vite à une passion dévorante qu’il lui avait maintes fois décrite !
Ses répliques cinglantes et ses gifles bien placées n’avaient quand même pas détruit jusqu’à la racine l’affection qu’il avait pour elle… Cette phrase, qui tournait en boucle dans sa tête, sonnait comme une supplication, plutôt que comme une affirmation indéniable. Et là, angoisse. Alors autant ne pas se poser la question et continuer à rêver.
Mais comment en était-elle arrivée là ? Comment s’était-elle aperçue de ses sentiments à elle, alors qu’elle avait passé tant de temps à dénigrer ses sentiments à lui ? Pourquoi venait-elle d’assumer cette nouveauté au lieu de se mentir et de vivre dans le déni ?
A vrai dire, elle avait longtemps vécu dans le déni. Depuis la cinquième année, pour être exacte. Malgré les frasques du garçon en question et de ses amis, en effet, elle l’avait trouvé intelligent et amusant, mais ils avaient un jour fait déborder le vase de sa patience et de son admiration avant qu’elle n’eût intérieurement reconnu ses sentiments. Depuis cet évènement déplorable qui lui avait fait perdre l’amitié de son ami d’enfance, depuis qu’elle avait constaté la cruauté du garçon qu’elle avait jugé sympa, elle avait définitivement noyé son admiration puérile dans un mépris mordant.
Comment cela était-il ressorti alors, si elle se cachait depuis si longtemps derrière une fierté dédaigneuse ? Par jalousie… Aussi douloureux que cela pût être cette constatation. Alice venait de trouver un garçon à son goût et passait de plus en plus de temps avec lui. Mary filait le parfait amour depuis l’an passé et ne cessait de taquiner Lily sur son célibat revendiqué (enfin, en apparence). Elle se retrouvait seule un peu trop souvent maintenant et les longues soirées solitaires dans le dortoir lui pesaient sur le moral.
Elle s’était un jour surprise à rêver de passer elle aussi des soirées entières avec l’élu de son cœur. Alors elle s’était donné une gifle monumentale : « Ma fille, ça ne sert à rien de te caser parce que les autres le font. Maintenant, soit tu arrêter de te bercer d’illusions, soit tu te secoues pour aller à la rencontre des gens. »
Et là, révélation. Elle s’aperçut que son illusion avait un nom, un visage, une existence… Elle était jalouse de ses amies qui avaient concrétisé leur rêve, transformé leur illusion en un être réel, alors, qu’elle, elle n’en était qu’au stade de la rêverie solitaire. Allez ! Elle pouvait bien s’avouer de qui il s’agissait ! En pensée, on ne prend pas beaucoup de risque…
James.
James ? James Potter ? L’arrogant James Potter ? Comment avait-elle fait pour tomber si bas ? Pour flancher malgré son orgueil ? Pour lui trouver des qualités et le considérer comme aimable ?
Joker…
Elle était bien en peine de mettre des mots sur ce qu’elle lui trouvait, à vrai dire… C’était plutôt un ensemble de petits détails impossibles à définir, une impression qui se dégageait de sa personne, qu’une liste exhaustive de qualités indéniables. De petits gestes, par ci, par là, qu’elle aurait aimé recevoir elle plutôt que les voir accordés à d’autres. Il dégageait une certaine aura protectrice, comme si, à l’ombre de ses bras, il ne pouvait rien arriver de dangereux.
Mais était-elle simplement attirée ? Est-ce qu’elle désirait, par un absurde esprit de contradiction, celui qu’elle avait toujours rejeté et qui, à son tour, semblait la dédaigner ? Cela avait sûrement un nom scientifique… Ou voyait-elle en lui seulement une somme de qualités ?
Non, assurément, ses sentiments étaient plus profonds et allaient au-delà d’une simple attirance. Peut-être qu’avant cette révélation, il en avait été ainsi et que la situation avait lentement, imperceptiblement évolué.
L’aimait-elle ? Pas encore… Elle n’osait le faire. Elle était encore au stade intermédiaire : simplement amoureuse, mais définitivement amoureuse. Elle n’osait pas encore l’aimer. Elle avait encore peur de faire ce choix. Peur de se tromper, peur de ce que cela impliquait.
Peur de grandir.
Le mot était lâché, sans qu’elle ne sût pourquoi elle en était arrivée là. Et elle se rendait compte combien il était juste. Aimer quelqu’un, c’était poser un choix, libre et lourd de conséquences. Elle avait à peine dix-sept ans ! Comment être sûre que c’était lui le bon ? A moins qu’on pût aimer plusieurs fois… Alors elle reculait encore le moment de choisir. De choisir ce qu’elle ferait définitivement de sa vie. Être étudiante avait bien des avantages à ce niveau là. Les longues études, c’est la procrastination ultime…
Mais à la fin de l’année, elle quitterait pour toujours la protection du château. Dehors, il y avait le monde, il y avait les gens, il y avait la guerre.
La guerre… Eh oui ma vieille ! Reviens sur terre… Rêver à ses amours inexistantes était un moyen bien commode de fuir la réalité… Ici, elle pouvait bien rester une petite fille craintive ; mais dans quelques mois, elle serait forcée de grandir d’un coup, d’assumer ses choix et sa vie. Alors ne valait-il pas mieux s’y préparer progressivement ?
Et James, justement… Ne pouvait-il pas participer à cette adaptation ? Mais rester dans ses bras, n’était-ce pas une manière de fuir, aussi ? De fuir sa solitude, de fuir les difficultés, par une vie à deux qui diviserait d’une certaine manière les responsabilités ? Enfin, on n’en était pas encore là… Lily venait à peine de reconnaître ses véritables sentiments à son égard et il n’était pas au courant. Alors, de là à parler de « vie à deux »… Il y avait encore le temps, n’est-ce pas ?
Cependant, vu les circonstances actuelles, est-ce qu’elle l’avait vraiment, ce temps ? La réalité extérieure ne venait-elle pas leur rappeler à tous, et à Lily en premier, la brièveté de la vie ? Leur conseiller de la vivre intensément ? Mais comment faire… Lily n’avait aucune envie de jouir des plaisirs de la vie comme l’entendaient certains de ses camarades… Elle aspirait à une existence intense, mais une existence accomplie, plutôt qu’une existence rassasiée jusqu’à l’écœurement.
Et James, justement… Est-c qu’il attendait la même chose ? Est-ce qu’il partageait sa vision de la vie ? Assurément, il avait changé et ne ressemblait plus au profiteur de l’an passé, qui enchaînait les conquêtes éphémères (entre deux propositions à Lily…), qui multipliait les frasques pour attirer l’attention sur lui, qui se prenait pour le roi incontesté de l’école. Bien sûr, il gardait son assurance, sa prestance aussi : c’était indéniable… Mais celles-ci semblaient presque naturelles désormais, et non plus étudiées, recherchées, calculées pour la circonstance.
Alors que faire ? Allait-elle attendre qu’il lui adressât un jour de nouveau la parole, même s’il semblait l’éviter désormais, Allait-elle faire le premier pas ? Mais s’il n’en avait rien à faire ? Elle n’était pas sûre de supporter un échec dans un tel domaine… Comment lui avait-il pu, et les multiplier, en plus ? A moins qu’il ne considérât cette situation comme une affaire d’honneur : un râteau était une humiliation qu’il aurait fallu laver grâce au oui de la demoiselle. Ou qu’il ne considérât cette situation comme une guerre psychologique : il l’avait fait tourner en bourrique pour la faire céder à l’usure, pour se désintéresser d’elle dès qu’il aurait obtenu la réponse positive.
Aucune de ces propositions ne lui convenait, à vrai dire ; aucune ne correspondait à l’image qu’elle s’était formée de James. Elle ne voulait même plus imaginer qu’il eût été un jour ainsi, maintenant qu’elle avait jeté son dévolu sur lui ! (Alors que pendant les six dernières années, elle avait passé son temps à le fuir. Non, aucune contradiction !)
Alors comment en était-il arrivé là ? Est-ce qu’il avait renoncé à lui courir après parce qu’elle ne l’intéressait plus ? Aurait-il trouvé mieux ? Pourtant, elle ne lui connaissait pas de nouvelle conquête. Peut-être s’était-il plongé assidûment dans ses études ! Lily se triturait les neurones pour s’expliquer l’attitude de James… Elle inventait mille possibilités, mais elle refusait de croire à sa lassitude. Enfin, elle refusait… Pas tout à fait… Elle espérait à tout prix que ce fût autre chose : ce serait plus exact. Et surtout, elle refusait de voir sa responsabilité dans cette affaire…
La boucle était bouclée… Sa responsabilité dans l’indifférence de James. Voilà ce qu’elle avait du mal à accepter, à assumer. Il fallait la cacher. Faire comme si elle n’existait pas… C’était la raison de ses douces illusions… Un peu d’espoir, de naïveté et d’orgueil, en fait… Elle avait l’espoir de partager un jour des sentiments réciproques, la naïveté de croire que tout était encore possible, l’orgueil de s’imaginer toujours aimée.
Et s’il se pointait brusquement devant elle, avec son comportement arrogant des années passées, lui ressortait de nouveau son baratin sur ses sentiments passionnés et éternels, que ferait-elle ? Est-ce qu’elle allait sauter sur l’occasion en renonçant à son amour-propre et ses principes, en devenant aussi superficielle que lui, en se mettant à son niveau ? Est-ce qu’elle le toiserait avec orgueil comme les années passées, en réprimant ses sentiments ? Elle était bien avancée…
Dans le premier cas, elle agirait comme les greluches qui se jetaient à ses pieds dès qu’il daignait leur jeter un regard. Dans le second, elle agirait comme la pimbêche arrogante qu’elle avait été (elle devait bien le reconnaître…) jusqu’à cette année. Inutile de dire qu’elle espérait ne jamais avoir à choisir entre ces deux attitudes.
De toutes façons, on ne pouvait pas dire que c’était à l’ordre du jour. En était-elle désolée ? A moitié… Elle aurait bien aimé qu’il la regardât de nouveau, mais à la manière du nouveau James, qu’elle avait découvert cette année, qu’elle lorgnait du coin de l’œil, avec qui elle pourrait discuter d’avenir, pas comme l’ancien, qui voulait seulement susciter son admiration par ses blagues de mauvais goût ou la faire craquer par ses propositions prétentieuses. Est-ce qu’il y avait un espoir que tout tournât selon ses vœux ? Une chance pour que James la regardât ?
Et comment pouvait-elle faire pour y parvenir s’il ne faisait pas lui-même ? Est-ce qu’elle pouvait lui adresser la parole aussi normalement que possible, sans se griller en trois secondes, sans devenir une groupie, sans avoir l’air louche et ridicule ? Et lui, comment réagirait-il en la voyant prendre les devants ? Est-ce qu’il répondrait positivement à sa tentative ? Ou la catégoriserait-il parmi les filles entreprenantes et inintéressantes ? Comment trouver la juste attitude à son égard, alors qu’il semblait être passé d’un extrême à l’autre ?
Si seulement il n’était pas aussi distant ! Si seulement elle n’avait pas été aussi orgueilleuse ! Y avait-il un espoir pour recommencer leur relation depuis le début, sans masque ni arrogance ? Y avait-il un espoir qu’il la vît autrement que comme la fille caractérielle qui l’avait envoyé paître ? Elle ne demandait qu’à lui montrer qu’elle aussi avait changé.
Il suffirait d’un signe...