Chapitre 1
Une averse démentielle s'abattait sur Poudlard et ses environs, gorgeant la pelouse d'eau. Des rafales de vent faisaient ployer des arbres centenaires, s'écrasant contre leurs troncs dans un vacarme assourdissant. Malgré les intempéries, l'équipe de Quidditch de Serpentard était rassemblée sur le terrain d'entraînement afin de s'exercer pour le prochain match de la saison. Le capitaine, Avery, s'égosillait à s'en briser les cordes vocales pour motiver ses coéquipiers. Mais c'était peine perdue : tous arboraient une expression déconfite et rêvaient de rejoindre la chaleur réconfortante de leur salle commune. Tous, sauf un. Qui, lui, pensait à tout autre chose. Ou plutôt, à quelqu'un...
- MALEFOY !
Abraxas releva la tête, exaspéré. Il poussa un soupir de frustration en avisant le froncement de sourcils d'Avery, qui volait dans sa direction à la vitesse d'un dragon enragé, une batte à la main. S'il se fiait à son expression furibonde, il s'apprêtait à essuyer un déluge de réprimandes.
- Par les glandes de Merlin, Malefoy ! Ce n'est pas le moment de rêvasser, tu es censé chercher le Vif d'Or ! Ne reste pas bêtement planté là au beau milieu du terrain !
- Ne sois pas stupide, Avery, grommela le jeune homme en manquant de se noyer sous la pluie diluvienne à chaque fois qu'il ouvrait la bouche, il m'est impossible de distinguer quoi que ce soit. Comment veux-tu que j'attrape un Vif d'Or si je ne vois même pas le bout de mon nez ?
Le regard glacial que lui lança Avery n'eut aucun impact sur lui.
- Tu comptes servir cette excuse à Slughorn lorsque Serdaigle aura remporté la Coupe ? lui cracha-t-il au visage.
- Les Serdaigle manquent cruellement de tactique. Ils ne gagneront jamais quoi que ce soit.
- En attendant, tu as perdu contre Aloysius Weasley au dernier match, Malefoy, donc je te conseille d'arrêter de faire le malin si tu ne veux pas renoncer à ta place d'Attrapeur ...
Abraxas émit un reniflement dédaigneux mais ne répliqua rien : Avery avait toujours sa batte à la main et il savait qu'il lui serait aisé de confondre sa tête avec un cognard. Or il ne tenait pas à finir à Ste Mangouste après une querelle avec son capitaine.
- Cesse de rêvasser et concentre-toi sur le jeu, lui ordonna sèchement Avery.
Rowle - le deuxième batteur de l'équipe - interpella Avery, dispensant Abraxas de réponse. Celui-ci retourna à ses déplacements circulaires dans le ciel anthracite, pestant contre Avery et les gouttes d'eau gelées qui s'infiltraient dans ses vêtements nonobstant les sortilèges d'imperméabilité qu'il avait appliqué dessus avant de s'envoler.
La pluie avait au moins ceci de bien qu'elle empêchait ses coéquipiers de l'apostropher trop souvent, ce qui lui permettait de s'enferrer dans ses pensées sans être dérangé. Ces derniers temps, Abraxas était souvent plongé dans d'intenses réflexions, ce qui lui valait des remarques désagréables de la part de ses camarades et de ses professeurs. Par exemple, Slughorn lui avait déclaré que s'il ne prêtait pas un peu plus d'attention à son chaudron en cours de Potions, il serait obligé de lui coller un « Troll », et Amara Rosier l'avait repris au petit-déjeuner après qu'il ait planté son couteau dans le bois de leur table plutôt que dans le pot de marmelade. Ces détails finissaient par rendre ses amis suspicieux et certains insistaient pour qu'il leur révèle l'objet de son trouble. Mais jamais Abraxas n'avait exaucé leur souhait, préférant s'enliser dans sa mauvaise humeur.
Après tout, il ne pouvait pas raconter aux autres qu'il était obnubilé par Tom Jedusor. C'était ridicule.
- MALEFOY !
Quoi encore ? songea le jeune homme, irrité.
La réponse ne tarda pas à lui parvenir sous la forme d'une giboulée de jurons en tous genres : le Vif d'or tournoyait littéralement à deux centimètres de son balai depuis plusieurs secondes mais Abraxas, trop concentré sur ses méditations, ne l'avait pas repéré au plus grand déplaisir de son Capitaine. Pour mettre fin à l'entraînement qui n'avait que trop duré, le blond s'en empara après avoir effectué une roulade du paresseux. Sur sa droite, Avery tremblait, mais le jeune homme n'aurait su dire si c'était de rage ou de froid. Toujours était-il qu'un cognard malencontreusement expédié par Rowle l'avait obligé à lâcher sa batte, qui gisait donc sur le sol boueux à plusieurs mètres de l'endroit où ils se trouvaient tous les deux. Abraxas en déduisit qu'il s'en sortirait indemne pour cette fois.
- Tout le monde aux vestiaires, exigea Avery non sans lui décocher une œillade meurtrière.
Sa directive donna lieu à toutes sortes de grognements ravis et de soupirs soulagés.
Abraxas suivit ses coéquipiers à l'intérieur, se débarrassa de ses habits détrempés et s'enferma dans une cabine de douche. Les vestiaires furent bientôt envahis par la vapeur qui émanait des jets d'eau brûlants. D'un bout à l'autre des cabines, des cris et des exhortations invitaient tel ou tel joueur à prêter son savon à un autre ou à cesser de chanter des chansons friponnes. Abraxas, quant à lui, restait silencieux, adossé contre le mur carrelé qui servait de cloison à sa propre cabine. Il ferma les yeux et se laissa glisser contre la paroi humide en espérant que les autres oublieraient sa présence et l'abandonneraient à l'air moite de la pièce. Ici au moins, il pouvait se vider l'esprit pour un temps. L'atmosphère étouffante l'empêchait de se concentrer sur quoi que ce soit.
Malheureusement, sa plénitude ne dura pas. Abraxas fut obligé de sortir pour regagner les bancs qu'il partageait avec ses condisciples et se vêtir afin d'affronter le mauvais temps. Le chemin jusqu'au château promettait d'être pénible. A côté de lui, Azrael Rowle enfilait son pantalon d'uniforme sans chercher à masquer la moindre parcelle de son corps à ses voisins. Abraxas laissa dériver son regard sur le torse sculpté du jeune homme, pensif. Il avait besoin de vérifier quelque chose. Une sorte de satisfaction étrange l'envahit en constatant qu'il ne ressentait strictement rien face aux pectoraux de Rowle. Rien du tout. Rasséréné, il décida de se joindre aux élucubrations de ses coéquipiers. Après tout, peut-être s'était-il trompé, tout à l'heure dans le dortoir, lorsqu'il avait trouvé le dos dénudé de Jedusor vaguement attirant ?
Ou peut-être qu'il n'y avait que Tom qui lui faisait de l'effet, murmura une petite voix acide dans sa tête. Abraxas chassa bien vite cette idée de son esprit.
- Ça va Malefoy ? Tu as l'air bizarre.
- Oui, oui.
Rowle plissa les yeux mais n'insista pas. Abraxas préféra répondre à une plaisanterie de Flint avec ses sarcasmes coutumiers tandis qu'Avery menaçait Selwyn de lui faire avaler le souafle la prochaine fois qu'il le laisserait passer à travers l'anneau central des buts. Finalement, la joyeuse troupe se prépara à partir. Au moment où Abraxas levait sa baguette magique pour hydrofuger sa tenue, Avery lui lança un « Expelliarmus » qui la fit sauter de ses mains.
- A quoi tu joues, Avery ? fit Abraxas, irascible.
- Tu es puni pour ton comportement, Malefoy, décréta le capitaine de l'équipe. Tu vas ranger l'équipement sous la pluie pendant qu'on rentrera à Poudlard. Voici la clef, n'oublie pas de fermer les locaux à double-tour.
- Espèce de...
Mais Abraxas n'eut pas le temps de finir sa phrase que déjà ses coéquipiers claquaient la porte derrière eux dans un concert de ricanements. Abraxas se promit de rendre son coup bas à Avery dès que possible. En attendant, il plongea seul sous les trombes d'eau, maussade, et veilla à ranger le matériel de Quidditch dans le placard destiné à cet effet avant de regagner Poudlard en tempêtant intérieurement contre son idiot de capitaine. Si son père entendait parler de ça...
Il pénétra dans le hall en titubant, ses cheveux blonds collés à sa nuque, et prit le chemin des cachots tandis que sa cape laissait des traînées d'eau boueuses derrière lui. Il ne serait pas surpris d'apprendre qu'il avait inondé Poudlard en cours de route.
- VOUS ! Arrêtez-vous immédiatement !
Abraxas ne put retenir un sifflement rageur et se tourna vers le concierge de l'école, Apollon Picott, qui s'avançait vers lui de sa démarche vacillante, l'air mécontent. Ses narines étaient pincées sous l'effet de la colère.
- Vous êtes répugnant. Vous allez me faire le plaisir de nettoyer ça - il désigna d'un geste brusque les flaques ragoûtantes qui maculaient le sol - tout de suite.
- C'est votre travail, à ce que je sache, répliqua vertement le jeune homme.
- Désirez-vous une retenue, Monsieur Malefoy ?
- Non, je veux simplement rentrer dans mon dortoir.
- Eh bien vous ne le ferez pas avant de m'avoir décrassé ce carnage !
- Je n'ai pas ma baguette.
- Vous n'aurez qu'à vous servir d'un balai, comme tout le monde !
Abraxas inspira profondément pour se retenir d'étrangler le concierge avant de le considérer avec mépris.
- Les balais sont faits pour les Moldus. Nous, les sorciers - les vrais sorciers, s'entend - utilisons un balai uniquement pour voler.
- Très bien, Monsieur Malefoy, éructa Picott, furieux. Vous aurez trois heures de retenue demain soir, et soyez assuré que votre directeur de maison sera mis au courant de votre conduite !
Abraxas haussa les épaules et s'en alla à grands pas en direction des cachots pendant que le concierge pestait contre cette jeunesse dévergondée qui hantait les couloirs de la prestigieuse école de magie de Grande-Bretagne. Parvenu devant le mur qui séparait les couloirs des quartiers de Serpentard, Abraxas marmonna le mot de passe (« succès »), et pénétra dans sa salle commune où il fut accueilli par des rires et des clins d'œil moqueurs.
- Alors, Malefoy, pas trop dégoûté que ton brushing n'ait pas résisté à la pluie ?
- Si tu l'ouvres encore une fois, Flint, je te pète la gueule.
- Je ne te pensais pas si vulgaire, Malefoy, intervint Amara Rosier en s'approchant de lui avec un grand sourire aux lèvres.
Abraxas savait qu'il aurait dû le lui rendre, ce sourire. Amara Rosier était la plus belle fille de sa promotion avec ses cheveux blonds cendrés et ses grands yeux bleus. En plus, elle était intelligente et ambitieuse et possédait un sang d'une pureté irréfutable. Seulement, Abraxas venait de remarquer une silhouette solitaire assise dans un fauteuil au coin de la cheminée et il ne parvenait plus à se focaliser sur autre chose. Tom Jedusor, un lourd volume posé sur les cuisses, l'observait d'un air ennuyé, attendant visiblement sa réaction. Abraxas eut l'impression qu'il était un ballon dans lequel on aurait planté une aiguille : il se dégonfla en moins de temps qu'il n'en fallait pour dire « Quidditch ».
- Je ne suis pas... vulgaire, répondit-il d'un ton incertain.
Amara posa une main affectueuse sur son épaule tandis que leurs condisciples retournaient à leurs occupations avec un sourire en coin.
- Tu as l'air frigorifié, tu as besoin de...
- Je vais monter au dortoir, la coupa Abraxas.
Il s'enfuit à toutes jambes vers sa chambre, la gorge sèche, sentant le regard de Jedusor brûler sa nuque. Il ôta sa robe de sorcier, son pull, sa cravate et s'apprêtait à en faire de même avec sa chemise et son pantalon lorsque la porte du dortoir s'ouvrit dans un bruit sourd derrière lui. Tom Jedusor se tenait dans l'embrasure de la porte, impassible. Abraxas sentit son souffle se figer dans sa poitrine et s'obligea à respirer calmement. Un Malefoy ne devait jamais laisser percevoir son trouble. Il se laissa tomber sur son baldaquin, attendant que le Préfet ne prenne la parole de sa voix suave. Il n'en fit rien, se contentant d'extirper une baguette magique de la poche de son pantalon. Abraxas la reconnut immédiatement : il s'agissait de la sienne.
- Avery me l'a donnée en revenant, souffla Jedusor, ayant apparemment remarqué la mine surprise du blond.
Il la pointa sur son torse, un léger rictus au coin des lèvres. Abraxas se demanda vaguement si Jedusor comptait s'en servir à son encontre mais celui-ci la dirigea ensuite vers la porte du dortoir qu'il ferma avant de combler la distance qui les séparait.
Abraxas étant assis, Jedusor le surplombait de toute sa hauteur. D'habitude, Abraxas haïssait le fait de se retrouver en position d'infériorité mais il réalisa que pour la première fois de sa vie, il n'en avait cure.
- Merci, dit-il en tendant la main pour récupérer sa baguette magique.
Jedusor émit un petit rire mais ne daigna pas la lui redonner. Ses yeux noirs balayèrent le visage séraphique du blond, insondables.
- Tu voulais te changer, je suppose ?
- Oui, marmonna Abraxas.
Jedusor pointa de nouveau sa baguette sur lui. Ses lèvres remuèrent à peine lorsqu'il lui lança un sortilège qui sécha ses vêtements. Abraxas le remercia d'un hochement de menton, craignant que s'il ouvrait la bouche, un croassement rauque digne d'un crapaud ne s'en échapperait. Le Préfet sourit, comme égayé par une pensée qui venait de lui traverser l'esprit. Il s'assit à côté de lui sur son baldaquin, son coude frôlant celui d'Abraxas.
- Tu n'aurais pas dû mettre Avery de mauvaise humeur. Il va être infernal toute la soirée.
- Il est déjà infernal en temps normal, persifla Abraxas.
Jedusor inclina la tête, amusé.
- Il m'a dit que tu étais distrait aujourd'hui... comment espères-tu remporter la victoire face aux Serdaigle si tu ne fais pas des efforts ?
- Je croyais que tu n'aimais pas le Quidditch ? répliqua froidement Abraxas.
- Je m'intéresse à tout ce qui peut rapporter des points à notre maison ou à lui en faire perdre.
Touché, pensa Abraxas.
Les doigts arachnéens du Préfet glissèrent sur le manche de sa baguette qu'il ne lui avait toujours pas rendue.
- Elle m'obéit bien.
Abraxas se demanda bêtement de qui il parlait avant que le Préfet ne lui place sa baguette sous le nez :
- Une raison particulière ?
- De ?
- Pour qu'elle me soit aussi soumise ?
- Mais tu le sais bien, Jedusor, répliqua Abraxas d'un ton narquois : c'est parce que je suis ton plus humble serviteur.
Un sourire froid étira les lèvres de Jedusor.
- Prouve-le.
- Pardon ?
- Prouve-le, répéta Jedusor dans un murmure.
Puis il lui remit sa baguette et laissa sa main retomber sur les cuisses de son camarade. Abraxas se pétrifia sur place.
- Comment ? demanda-t-il finalement.
- Gagne ce match de Quidditch après-demain.