Victoire est là, assise en haut de la falaise. Elle contemple le rivage se fracasser contre les rochers. Dominique sent son coeur se briser. Sa grande sœur, la belle, la grande, la fabuleuse, semble si fragile, si petite tout à coup, nichée entre les embruns marins soulevés par le vent chaud de ce début du mois de juin.
— Je savais que je te trouverai ici.
— Où est-ce que j’aurais pu aller autrement ?
La voix de Victoire est froide, son ton est glacé, malgré des températures estivales pour la saison. Dominique frissonne mais ne se dérobe pas. Elle s’avance un peu plus, pas encore assez pour croiser le regard de son aînée. Soudain, elle manque de courage, elle qui a en fait preuve toute sa vie pour affronter cette lente agonie de n’être que la cadette, la seconde, la maladroite, l’invisible.
— Je ne sais pas, Vic.
— Tu ne sais rien, Dom.
Victoire étire un rictus sarcastique sur ses lèvres couleur vermeille. Dominique grimace. Les deux sœurs n’ont jamais été proches, ne se sont jamais vraiment entendues. Trop différentes, ou peut-être trop perdues dans leurs propres états d’âme pour se comprendre mutuellement. Parfois, elles le regrettent. Seulement, depuis tout ce temps, le fossé s’est creusé et elles sont bien incapables de reconstruire une ville sur des ruines.
— Tu te trompes.
— Je suppose. Je ne sais pas grand-chose non plus.
Victoire continue de jouer les précieuses ridicules. Dominique soupire. Sa sœur a toujours été douée à ce petit jeu-là, même après son premier séjour à Sainte-Mangouste. Le jeu du menteur, le masque du leurre. Dans leur famille, il est devenu un art. Un art auquel Dominique ne s’est jamais prêté, qu’elle a refusé. Corps et âme. Jusqu’à ce que plus rien ne la retienne en Angleterre. Jusqu’à ce qu’elle ne supporte plus leurs mensonges et leurs douces illusions. Ceux qui restent jouent, ceux qui partent perdent. Ou peut-être que ce sont les joueurs qui perdent finalement, et les lâches qui gagnent. Dominique ne sait plus, elle ne cherche plus à savoir. Elle veut simplement en finir rapidement. Et tant pis si Victoire la traite d’égoïste. Comme Teddy avant elle.
— Ils te l’ont dit ?
— Qu’est-ce qu’ils auraient pu me dire ?
— Donc, tu le prends comme ça ?
— Comment est-ce que je dois prendre quoi, Dominique ?
— Très bien. Comme tu voudras.
Dominique se détourne et s’apprête à redescendre la falaise qui mène à la Chaumière aux coquillages. Elle n’aurait jamais dû penser que Victoire la soutiendrait. Elle n’aurait jamais dû avoir cet infime espoir qu’elle la comprendrait. Qu’est-ce qu’elle croyait ? Sa sœur ne songe qu’à elle et à tout le malheur qu’elle porte sur ses maigres épaules depuis le départ de Teddy. Et Dominique n’a plus la force de supporter sa souffrance et ses idées noires. Elle n’a plus le courage de faire comme si ce n'était qu’une mauvaise passe, que tout allait s’arranger du jour au lendemain comme le croient ses parents. Alors, elle abandonne. Alors, elle fuit. C’est lâche. C’est égoïste. Ce n’est pas loyal. Ce n’est pas honnête. Ce n’est pas juste. Ce n’est pas digne d’une Poufsouffle. Mais au fond, quelle importance ?
— Nos parents ont eu tort. Tu es la meilleure de nous deux, Dom.
Ce n’est qu’un murmure dans la bouche de Victoire, et Dominique se persuade un bref instant qu’elle a rêvé. Elle ne peut toutefois pas s’empêcher de suspendre sa descente de la falaise. Elle attend. Comme si un fil invisible, une brève connexion, venait de naître entre elles. Pourtant, Victoire ne tourne même pas la tête. Pas une seconde. Le vent fouette son visage et ses cheveux blonds mêlés au rayon du soleil forment un halo de lumière autour d’elle.
— J’aurais voulu avoir ta force. Partir d’ici et rejoindre l’oncle Charlie en Roumanie. Ne pas me laisser aveugler par les directives inaccessibles des parents. Ne pas me bercer de leurs illusions. Je ne suis pas une héroïne. Je ne peux me vanter d’aucune victoire dans ma vie. Je n’ai même pas su retenir Teddy. Tu es ma petite sœur, et je ne peux même pas te serrer dans mes bras avant que tu t’en ailles loin de moi. Tout ce dont je suis capable, c’est venir ici et regarder le monde continuer à tourner sans moi.
Victoire s'exprime d’un ton neutre, sans réelle émotion. Dominique écoute sans savoir que dire. Elle n’aurait jamais cru possible que sa sœur puisse l’envier autant qu’elle l’a enviée toutes ces années. Elle a toujours cru qu’elle serait ravie d’être admirée, mais c’est juste un poids de plus à porter. Et ça fait mal. Horriblement mal.
— Toi, tu as toujours su qui tu étais et ce que tu devais faire. Toujours. Même quand maman te faisait des reproches sur ta façon de te tenir en société, sur tes notes passables, ou sur ton manque de féminité. Tu te souviens de cette fois, quand tu étais en sixième année, où elle a dû venir à Poudlard parce que tu avais collé ton poing dans la figure de James ? C’était mémorable. Elle était si rouge, lorsqu’elle est revenue ce jour-là, que j’ai bien cru qu’elle allait littéralement exploser. Elle a hurlé sur tous les dieux pendant des heures en te maudissant parce que tu ne t’étais pas excusée. Tu lui avais dit que tu étais dans ton bon droit et que tu le referais sans une seule hésitation. J’ai donné raison à maman, Dom, mais je n’ai pas pu m’empêcher de penser que tu avais du cran. Un cran que je n’ai jamais eu...
— Pourquoi est-ce que tu me dis tout ça maintenant, Vic ?
Cette fois, Victoire se tourne vers elle. Elle étire un vague sourire sur ses lèvres peintes en rouge. Rouge coquelicot. Rouge sang. Le coeur de Dominique manque un battement.
— Je voulais juste que tu le saches, petite sœur. Pour ne pas que tu t’imagines avoir vécu dans mon ombre. C’est plutôt moi qui ait vécu dans la tienne.
Le contact visuel ne dure que dix secondes avant que Victoire ne concentre de nouveau son attention sur les flots en contrebas. Son regard s’y perd, vague regard sans âme, et Dominique songe tristement qu’elle n’est pas la seule à partir.
Victoire s’évade de la réalité.
Dominique fuit le pays.
Il ne reste plus que Louis.
Les ombres.
Les secrets.
Et les mensonges.
Bonjour,
Cet OS appartient à ma vision très désabusée de la Next. Il fait donc écho aux textes que j'ai pu écrire sur Fred (l'autre), sur James Sirius (Coup de poker,The shadows of the past), ou plus récemment sur Lucy et Hugo (Comme des enfants), ou même dans ma fiction la moins récente (Closer).
Je préviens donc que le thème n'est pas feel-good (si vous commencez à me connaître, vous savez que c'est rarement mon genre) :mrgreen: Il se concentre sur la rivalité entre deux soeurs qui n'ont jamais été proches et qui ose se parler dans un instant suspendu hors du temps.
J'espère qu'il vous plaira. N'hésitez pas à me faire vos retours, qu'ils soient positifs comme négatifs. ;)
Bonne lecture !
Lyssa