1. La Cabane Hurlante
Marietta souffle, pince les lèvres et enfonce son bonnet sur ses boucles mordorées. A côté d'elle, Cho Chang plie et déplie ses doigts pour lutter contre le froid ardent qui transperce leurs gants. Elle ne la regarde pas. Cho la regarde rarement, en ce moment. Elle a toujours les yeux rivés sur quelque chose. Quelque chose de cent fois plus intéressant que Marietta, évidemment.
Ces derniers temps, le centre du monde de Cho, c'est Potter. Cet imbécile d'Harry Potter. Marietta l'exècre, lui et ses airs de chien battu. Lui et sa tignasse en bataille. A croire qu'il n'a jamais appris à se servir d'un peigne. Elle les lui arracherait, ses cheveux. Sans l'ombre d'un regret. Marietta ne sait pas si le garçon en a conscience, mais il rend sa vie infernale. Cho n'en a plus que pour lui, quand elle n'est pas occupée à pleurer le décès de Cédric sur ses épaules. « Potter a dit ceci » et « Potter a fait cela ». Marietta en a par-dessus la tête, des exploits de Potter. Par-dessus la tête de ses conseils inutiles, de ses réunions stupides auxquelles Cho l'oblige à assister, de ces fichus membres de l'AD qui vouent un culte à sa célèbre cicatrice et aux insanités qui jaillissent de sa bouche. Marietta les lui ferait ravaler, elles aussi, si elle ne craignait pas d'y perdre ses plumes. Ou Cho. Oui, de perdre Cho, surtout.
Cho qui l'abandonne justement pour rejoindre Potter devant le portail de l'école.
- J'y vais, dit-elle en se tournant vers elle, un sourire contrit au coin des lèvres.
- Vas-y, répond Marietta en se mordant les lèvres.
Vas-y. Vas fêter cette fichue Saint-Valentin avec ce fichu Harry Potter. Vas-y, laisse-moi seule dans le froid, alors que tu m'avais promis, juré, même, de te rendre à Pré-au-Lard avec moi.
Aucune de ces paroles qui lui brûlent pourtant la langue ne franchit la barrière de ses lèvres. A la place, Marietta s'efforce de sourire, elle aussi, de se montrer ravie pour son amie. Elle ignore le goût de cendres qui envahit son palais et coince ses mains gantées dans les poches de sa cape.
- Amuse-toi bien.
- Tu es sûre ?
- Oui, sûre. Certaine, même. Vas-y. Ton prince charmant t'attend.
Vas-y. Cette injonction lui tord les boyaux. Fait remonter la bile le long de sa trachée. Lui brûle l'œsophage. Mais vas-y. Vas-y puisqu'il le faut. Vas-y puisque rien ne te retient, Cho. Rien, et surtout pas moi. Alors vas-y. Pars. Laisse-moi seule dans le blizzard. Vas-y.
Cho plisse les yeux, se dandine légèrement, fait voler son écharpe aux couleurs de Serdaigle et tourne enfin les talons.
Alors Marietta le voit.
Oh, il est mince, de prime abord. Mince et aussi léger qu'un papillon. Aussi discret qu'un perce-neige à l'aube du printemps. Mais peu à peu, il s'étire et grandit, envahit son visage et fait rosir ses joues. Peu à peu, il occupe tout l'espace de ses yeux, la moindre parcelle de sa peau. Son sourire.
Alors Marietta se mord l'intérieur de la bouche, jusqu'à ce que sa salive épouse le goût du sang.
Marietta n'aime pas cela. Sourire. Son sourire à elle est laid. Il découvre ses dents de devant, trop rondes, trop enfantines. Il rajeunit son visage au teint crayeux. Il rend ses joues plus flasques. Non, Marietta n'aime pas sourire. En revanche, elle n'a jamais vu sourire plus beau que celui de Cho. Et d'habitude, il lui est réservé. A elle, rien qu'à elle.
A elle et non pas à cet idiot d'Harry Potter.
Marietta fulmine. Elle décoche un coup de pied rageur dans un petit caillou et attend que Cho ait disparu avec Potter pour partir à son tour, arrachant presque son autorisation de sortie des mains de Rusard. Elle le déteste, lui aussi, avec ses yeux globuleux et son sourire mesquin. Tout comme elle déteste ce petit groupe de filles qui cheminent bras dessous, bras dessus, en riant aux éclats.
Elle les déteste tous.
- Je les noierai dans mon chaudron jusqu'au dernier, marmonne-t-elle pour elle-même.
Mariette marche encore, les joues rougies par la colère et l'exercice. Son écharpe pend négligemment autour de son cou, découvrant une bonne parcelle de sa peau. Le vent mordant plante ses dents dans sa chair, et elle le laisse faire, se délecte de cette sournoise piqûre.
Quand elle débouche dans la rue principale de Pré-au-Lard, ce n'est plus la morsure du froid qui la fait frissonner, mais cet étalage de cœurs, de rose, de rouge et d'angelots grassouillets qui chantent les louanges de l'amour.
- Je l'emplume, moi, la Saint-Valentin, susurre-t-elle entre ses dents serrées.
Volte-face, demi-tour, direction le château. Hors de question d'aller seule aux Trois-Balais, ce serait la honte assurée. Elle pourrait bien se balader dans les ruelles du village, mais elle n'a pas la moindre envie de croiser des couples qui se tiennent la main et se lèchent les amygdales dans des recoins obscurs. Ce genre de spectacle lui donne la nausée.
Alors Marietta faire marche arrière, remonte l'avenue principale, et quitte le village. Elle progresse en gardant le nez baissé vers ses bottines jusqu'à ce qu'une inévitable collision ne l'oblige à redresser le menton.
- Nom d'une chouette, tu ne peux pas regarder où tu v-...
Marietta oublie comment parler au moment où le regard noir de Théodore Nott croise sa route. Non pas qu'il lui fasse peur, loin de là - après tout, il a un an de moins qu'elle, ce serait ridicule - mais son expression neutre la désarçonne au plus haut point. Elle a l'impression que sa colère glisse sur lui sans l'atteindre. Il passe une main dans ses cheveux sombres, rajuste son écharpe vert-argent et la regarde de haut en bas, un léger sourire au coin des lèvres.
- Tu allais quelque part, Edgecombe ?
Marietta fronce le nez. Tiens donc, il connait son nom ?
- Je rentrais.
- Trop de cœurs et de paillettes ? suppose Nott.
- Tu es médium ? réplique-t-elle du tac-au-tac.
- Non, je suis comme toi. Célibataire, ajoute-t-il face à son air perplexe.
Marietta fait claquer sa langue avec impatience. Elle n'aime pas ce mot. Célibataire. Il est trop dur et inexact. Elle a cherché dans le dictionnaire, une fois. Le célibat se dit d'une personne en âge de vivre en couple ou d'être mariée mais qui n'a personne avec qui partager sa vie sentimentale. Elle trouve ça bête, cette histoire d'âge. Comme s'il y avait un âge pour tomber amoureux et s'imaginer à deux. Comme si être seul était un défaut, une anomalie. Alors non, Marietta n'est pas célibataire. Elle est seule et polaire. Solitaire. Et ça lui va très bien.
Elle s'apprête à prendre congé de Nott de la plus impolie des façons (en lui tournant le dos) lorsqu'un cri déchirant perce le silence qui baigne les alentours. Aussitôt, Nott se crispe et Marietta tend l'oreille.
- Qu'est-ce que c'était ? demande-t-elle en s'efforçant de maîtriser les trémolos de sa voix.
- On aurait dit un cri.
- Sans blague, Nott. Et moi qui pensais que les Serpentard étaient malins.
Nott ne semble pas prendre ombrage de ses sarcasmes. Il incline la tête vers la gauche, et scrute le paysage givré qui s'étend à leurs pieds. Il n'y a personne, ici. Tout le monde s'est réfugié dans le village pour profiter de la chaleur des pubs et des boissons alcoolisées.
- On dirait que ça vient de la Cabane Hurlante, souffle Nott dans un nuage de buée.
Marietta suit son regard jusqu'à discerner une façade de la Cabane Hurlante qui a gagné le titre de « la maison la plus hantée de Grande-Bretagne ». Cela n'a rien de très rassurant.
- Très bien, dit-elle.
- Très bien, répète Nott.
- Je vais y aller, dans ce cas.
Nott fronce les sourcils et lui barre le passage.
- Tu veux retourner au château ?
- Oui, répond Marietta.
Et ce n'est pas un minable dans ton genre qui va m'en empêcher.
- Impossible, répond Nott. Et si quelqu'un avait des ennuis ?
- Tu délires ? Il n'y a personne ici, Nott.
Sa voix déraille. C'est une horreur. Il faudra qu'elle pense à prendre du miel, ce soir, si elle ne veut pas se retrouver à l'infirmerie.
- Et ce cri ?
- Quel cri ? marmonne Marietta avec une mauvaise foi évidente.
Nott hausse les sourcils. Marietta le fusille du regard. Laisse-moi passer, espèce d'idiot.
Nott semble sur le point de dire quelque chose lorsqu'un nouveau hurlement se fait entendre. Cette fois-ci, il n'y a pas de doute. Il y a quelqu'un, là-bas. Dans cette maison. Quelqu'un qui a besoin d'aide.
Et si c'était Cho ?
Un doute affreux s'insinue en elle. Potter serait bien capable de l'embarquer dans l'une de ses grotesques aventures. Cho, amoureuse comme elle est, se laisserait entraînée les yeux fermés. Marietta doit en avoir le cœur net.
Nott dégaine sa baguette magique, et elle s'empresse de l'imiter, aux aguets.
- Qu'est-ce qu'on fait ? chuchote le Serpentard.
- A ton avis ? On envoie un hibou au Ministre de la Magie, rétorque Marietta en s'élançant dans la neige boueuse d'un pas décidé.
Nott lui emboîte le pas sans relever sa pique. Marietta ne l'avouera jamais - et surtout pas à voix haute - mais elle est contente qu'il le fasse. La peur lui démange jusqu'aux orteils, tandis qu'elle courre en direction de la Cabane Hurlante.
Si c'est Cho, je ne me le pardonnerais jamais. Et j'étriperais Potter.
La porte d'entrée leur fait face. Un tas de neige est pressé contre le bois, leur barrant la route. Marietta frissonne. Son regard erre le long de la façade, à la recherche d'une entrée. Elle serre si fort sa baguette que ses jointures blanchissent. A côté d'elle, Nott n'en mène pas large non plus. Son flegme coutumier a disparu au profit d'une grimace terrifiée.
- Il faut que je te dise un truc, Egdecombe, lance-t-il d'un ton pressant.
- Pas maintenant, l'interrompt Marietta.
Elle tente en vain de se rappeler la formule pour soulever un tas de neige sans déclencher une avalanche. Si Nott se met à lui parler en même temps, elle ne va pas y arriver...
- J'ai trouvé ! s'exclame-t-elle tandis qu'une nouvelle plainte fait frémir les fondations de la maison.
Inutile de déplacer le tas de neige. Il suffit de faire exploser la porte. Elle pointe sa baguette sur le battant et celui-ci saute sur ses gonds, leur permettant de se faufiler à l'intérieur. Marietta sent le souffle du Serpentard contre sa nuque, mais elle est trop occupée à tendre l'oreille pour lui demander de reculer.
- Le cri vient de l'étage, murmure-t-elle.
Nott fait craquer sa mâchoire. Marietta grelotte de terreur.
- Je monte, décide Nott d'une voix qui se veut ferme. Tu couvres mes arrières.
Marietta acquiesce. Elle n'a pas l'étoffe d'une héroïne. Elle regarde donc son camarade s'avancer discrètement dans la pénombre et gravir les premières marches de l'escalier, les dents serrées.
Soudain, le cri résonne de nouveau. Il est aussi vicieux qu'un courant d'air. Alors Marietta sait. Que Cho n'est pas dans cette maison. Qu'il n'y a personne ici, en dehors de Nott et elle. Personne hormis l'ombre menaçante qui rampe derrière le jeune homme.
- STUPEFIX ! hurle-t-elle à s'en casser les cordes vocales.
Nott se baisse avant que le sortilège ne l'atteigne de plein fouet. L'ombre, en revanche, se détourne de lui pour se diriger vers Marietta. Elle n'abaisse pas sa baguette et la regarde droit dans les yeux, la peur au ventre, le cœur battant à toute allure, les jambes cotonneuses, jusqu'à ce que l'ombre ne se désagrège dans une ultime plainte, sur le parquet poussiéreux de la Cabane Hurlante.
- C'était quoi, ça ? demande Nott en avisant le tas de cendres noires.
- Une Ombre.
- Et plus précisément ?
- Une créature qui n'apparaît qu'avec le froid et hante les vieilles maisons, en hiver. Elle se nourrit de sang humain, lorsqu'elle en trouve, ou encore de sang de dragon. Elle crie pour attirer ses victimes. Elle imite les voix de nos proches, la plupart du temps.
- Et pour la tuer... ?
- Il faut la regarder droit dans les yeux. C'est un moyen de lui faire savoir que nous n'avons pas été bernés par ses hurlements. Les Ombres sont des créatures extrêmement fières : elles préfèrent se désagréger plutôt que de subir un échec.
Nott acquiesce, le teint blafard.
- Bien.
Il se dandine maladroitement. Elle lève le regard au plafond. Il n'y a rien de plus désagréable qu'un silence pesant. Nott ne cesse de jeter des coups d'oeil angoissés à ce qui reste de l'Ombre. Elle devrait le rassurer. Lui dire que ce n'était rien. Que l'Ombre est dissoute à jamais. Elle ouvre la bouche. Une fois. Deux fois. Aucun mort ne s'envole. Seulement un filet de buée. Nott toussote, gêné.
- Je vais rentrer, maintenant, l'informe Marietta. A ta place, je ne resterais pas ici.
Puis elle s'en va d'une démarche vacillante, l'estomac au bord des lèvres. Une main gantée l'arrête dans sa fuite, son coeur bondit dans sa poitrine et elle se retourne pour dévisager Nott d'un air glacial. Il lui a fait une peur bleue, l'imbécile.
- Edgecombe.
- Oui, c'est moi.
Nott balaye sa réplique d'un geste de la main.
- Je te paye un verre.
- Quoi ?
- Pour m'avoir sauvé la vie.
- N'exagérons rien.
Mais la poigne de Nott est chaude et son sourire sincère. Presque aussi aérien que celui de Cho. Presque aussi beau. Alors Marietta accepte. Juste pour cette fois.
- Deal.