2. Ombrage
Aujourd'hui est un jour terne. Le ciel vomit des trombes d'eau boueuse sur Poudlard. Les élèves sortent en grappes des salles de classes, créant des embouteillages dans les couloirs traversés de courants d'air. La fin d'année approche mais le soleil se cache sous les nuages.
Marietta fronce les sourcils, carre la mâchoire. Elle exècre le mauvais temps, les courants d'air et les bouchons. Elle exècre beaucoup de choses, en ce moment. Depuis que l'amertume s'est glissée dans sa bouche, elle refuse d'en partir. Elle pèse lourd, si lourd que sa langue devient pâteuse lorsqu'elle s'exprime. Et quand les mots roulent hors de ses lèvres, ils sont enduits de poison et plus tranchants que des lames de rasoir. Ils tailladent ceux qui les attirent. Ils punissent ceux qui les méprisent. Et ils ratent rarement leur cible.
Marietta joue des coudes dans la cohue. Elle est sortie après la dernière sonnerie pour rendre un devoir en retard au Professeur MacGonagall. Elle n'aurait pas dû. Elle déteste être seule entourée d'inconnus. Et, comme souvent ces derniers temps, Cho ne l'a même pas attendue. Elle s'est envolée sans un mot, dans sa hâte de retrouver Potter et sa clique de cinglés, alors même qu'il a piétiné son cœur lors de leur dernier rendez-vous. Ah, si seulement Marietta pouvait le faire flamber, cet abruti bigleux qui lui vole son année.
Marietta peste, écrase des pieds et incendie du regard quiconque ose se mettre en travers de son chemin. Elle n'hésite pas à planter sa baguette magique entre les côtes de garçons qui ricanent bêtement devant elle, l'empêchant de rejoindre la Tour de Serdaigle. Ils débarrassent le plancher sans discuter. Dernier virage à droite et elle sera tranquille...
Marietta marche dans un couloir isolé. Seule. Elle aime ça. Le silence qui envahit sa tête et bourdonne à ses oreilles. Le bruit de ses pas qui martèlent les pierres. Le bruissement de sa cape contre le tissu de sa jupe. Le monde se tait. Une seule voix a le malheur d'exploser.
- Miss Edgecombe.
- Professeur Ombrage.
Elle l'a coincée trois fois, ces derniers jours. Tête de Crapaud. A chaque fois, Marietta s'est sentie submergée par le désir de rendre ses trippes sur son visage fripé, de tartiner sa peau flasque de ses aigreurs et d'enfoncer ses doigts dans ses yeux jusqu'à ce qu'elle hurle de douleur, ses ongles raclant l'épiderme sanguinolent sans état d'âme.
Elle la dégoûte. Elle et son visage cireux. Elle et son manteau rose bonbon. Le nœud infâme qu'elle visse sur ses cheveux. Elle la rend malade, nauséeuse, fiévreuse. Elle la rend folle. Mais au-delà de tout ceci, elle lui fait peur. Et elle le sait.
Elle s'en réjouit.
Un sourire mielleux dévore ses joues. Ses yeux pétillent de satisfaction. De l'avoir trouvée, sans doute. De l'avoir coincée. De pouvoir la cuisiner à coups de répliques doucereuses et piquantes ; de menaces masquées sous un parfum de bienveillance.
Marietta se crispe et attend. Que le couperet tombe. Qu'on lui tranche la tête. Que les mots la trahissent. Qu'ils trahissent Cho. Qu'ils trahissent ses maigres moments de bonheur, volés dans la Salle sur Demande. Qu'ils trahissent ses rares sourires. Qu'ils trahissent ses yeux noirs et le rose de ses lèvres. Mais rien ne vient. Les mots sont toujours les plus courageux, quand son visage se fane et que sa bravoure s'affole dans sa cage thoracique.
- Toujours aucune idée de ce que Potter fabrique, je présume ?
Potter. Rien que ce nom lui donne de l'urticaire. Marietta réprime un haut-le-cœur. Potter. Si Cho ne l'aimait pas tant, Marietta aurait déjà abandonné ses beaux airs de bravache. Elle aurait craché la vérité dans le chaudron d'Ombrage dès sa première retenue. Elle l'aurait hurlée à ses oreilles. Mais voilà. Il y a Cho. Cho qui serait déçue, si elle apprenait qu'elle avait trahi l'AD. Cho qui pleurerait sûrement. Cho dont les yeux sont si beaux lorsqu'ils n'ont pas pleuré. Sa Cho, qu'elle a juré de protéger.
- Vos parents travaillent au Ministère, n'est-ce pas, Miss Edgecombe ?
Marietta serre les lèvres. Ne rien dire. Ne pas flancher. Ignorer la brûlure de la haine, le goût mordant de la jalousie. C'est si dur. Elle a l'impression qu'on lui transperce la poitrine.
- Au département des transports magiques, si je ne m'abuse ?
Son silence a l'odeur du sang. Elle a peur. Ses veines s'empoisonnent de terreur. Ombrage le voit. Cela se sait dans ses yeux. La proximité de la victoire illumine son visage de crapaud. Elle a touché une corde sensible. Depuis, elle ne cesse de la triturer de ses doigts boudinés.
- Vous savez, Miss Edgecombe, tout serait tellement plus simple si vous me racontiez tout ce que vous savez... Vos parents seraient fiers, très fiers de vous...
L'espace d'un instant, son cœur panique. Elle les voit presque à la lueur des torches qui éclairent les couloirs. Ses parents. Elle voit leurs airs déçus. La peine qu'ils encourent pour ses bêtises adolescentes. Pour les projets stupides, idiots, délirants de ce satané Potter. Et elle hésite. Comme un funambule perché sur sa corde, elle vacille. Faut-il vraiment garder la bouche fermée ? Que pourrait-il bien lui arriver ? Et si elle les sauvait tous, en parlant ? Ses parents, et Cho ? Et si elle leur évitait Azkaban ?
Mais Cho... Cho serait triste, elle. Elle refuserait peut-être son amitié, qui sait ? Elle la traiterait de lâche, d'égoïste, d'inconsciente, d'imbécile. Elle la traiterait de tous ces noms dont Marietta sait qu'ils sont vrais, si vrais qu'ils lui collent à la peau, comme un costume trop bien taillé.
- Miss Edgecombe ?
Marietta relève la tête, hésitante. Oui ou non ? Trahir ou mentir ? Courage ou couardise ?
- Vous pouvez tout me dire, vous savez ? Tout.
Ombrage frétille. Et malgré la répugnance qu'elle éprouve à son égard, Marietta se surprend à la croire. Oui, si elle lui racontait tout, ce serait si simple. Tout irait mieux, alors. C'en serait fini de Potter, de Granger, de Weasley. De ces histoires sur le retour de Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom. De cette peur qui lui ronge l'estomac...
Marietta ouvre la bouche. Les yeux de Tête de Crapaud s'agrandissent. On dirait qu'elle s'apprête à gober les mots qu'elle est sur le point de délivrer. Et soudain, un regard croise le sien au détour d'un couloir. Un regard noir. Un regard qu'elle se souvient avoir trouvé vaguement plaisant, il y a quelques semaines, autour d'une Bièrraubeurre.
- Professeur Ombrage ?
- Qu'est-ce qu'il y a, Nott ?
- Mr Rusard vous cherche.
Ombrage se tourne vers Marietta, les sourcils froncés de n'avoir rien pu tirer d'elle.
- Nous reprendrons cette conversation une prochaine fois, très chère. A moins qu'un souvenir ne vous revienne avant que j'aille rejoindre mon collègue ?
Marietta peut presque sentir le venin de ses mots se fracasser contre ses lèves. Courage ou couardise ? Être lâche est si simple, il suffit d'être sincère... Elle hésite? Vraiment. Mais, une fois encore, elle tord la tête à sa peur béante et regarde droit devant elle, comme si ses yeux pouvaient prononcer à sa place les mots qui tueraient Cho.
- Non professeur, il n'y a rien.
- Dans ce cas vous viendrez en retenue, Miss Edgecombe. Demain soir, dans mon bureau.
Marietta acquiesce. Nott sourit. Peut-être à elle, qui sait ? Mais elle l'ignore. Il ne l'intéresse pas. Février s'est envolé. Ils n'ont rien à se dire. Elle ne veut pas le voir. Elle ne veut voir que Cho. Alors elle tourne les talons.
Ce soir, Marietta a encore menti. Mais demain, qui sait ce qu'on pourra tirer d'elle ? Le courage est comme un coquelicot. Si fragile qu'à la moindre bourrasque, il se plie.