Hannah adore l’ambiance qui règne au Chaudron Baveur en fin de journée. Les conversations enjouées, les débats animés, les éclats de rire et les pleurs aussi parfois. Les regards qui en disent long, les amoureux qui se cherchent. Et puis il y a les secrets qui se cachent sous les tables avec des mains qui s’unissent, des pieds qui se rejoignent ou les enfants qui s’y terrent pensant jouer un tour à leurs parents.
Hannah apprécie traîner dans le pub londonien tout en dégustant un chocolat chaud à la cannelle. Cela fait presqu’un an qu’elle se soustrait à ce petit rituel. Depuis une année elle enchaîne des remplacements dans diverses boutiques du Chemin de Traverse. Elle a entre autre, servi des glaces pour Florian Fortarôme,conseillé les jeunes sorciers pour leurs lectures avant la rentrée chez Fleury et Bott. Actuellement elle travaille à la ménagerie magique. Ce n’est pas le poste qu’elle préfère. Elle a un peu de mal à supporter l’odeur des fientes des volatiles. Alors elle apprécie d’autant plus le rituel du chocolat chaud à la cannelle qui lui réchauffe le cœur à chaque fin de journée.
Elle est devenue une habituée. Chaque soir, lorsqu’elle pénètre dans la taverne sorcière, son chocolat chaud préféré l’attend sur le comptoir.
− Si ce n’est pas malheureux de voir une jeune femme seule errer dans un gourbi pareil ! se lamente Tom, le vieux propriétaire.
− Ce gourbi, comme vous dites, il vous appartient je vous rappelle, rétorque Hannah en faisant tournoyer une cuillère argentée dans son chocolat fumant.
− Ouais, ouais, il paraît ! Mais tu ne m’ôteras pas de la tête qu’une femme seule a sûrement mieux à faire que de traîner ici.
− Oui, comme attendre sagement à la maison que son petit mari rentre, épuisé, de sa journée de travail. Je le connais par cœur votre couplet et il ne m’intéresse pas. Et visiblement, vous concernant, il n’a pas fait fureur auprès de la gent féminine.
− Fais attention Hannah, je t’apprécie, mais ne dépasse pas les limites !
Tom se dirige vers des nouveaux clients qui se présentent au comptoir. Hannah respire en se disant qu’elle a été sauvée par le gong. Elle sait pertinemment que ses mots ont vexé le vieux propriétaire. En temps normal elle essaie de se contrôler et de ne pas perdre ses moyens. Mais elle trouve aussi que le gérant abuse avec son discours datant du siècle dernier. Tenir tête au vieux Tom ne lui a pas déplu.
Hannah prend une nouvelle gorgée de sa boisson fétiche lorsqu’une affiche vient danser devant ses yeux. « Urgent. Cherche repreneur pour cause de départ à la retraite. ». Elle la balaie d’un coup de main. L’annonce vogue plus loin, tournoie autour d’un jeune couple enlacé puis enchaîne sur un rapide tour de la salle avant de reprendre place devant Hannah. A cet instant précis, l’affiche ambulante est la chose que la jeune Abbot déteste le plus sur terre. Elle hait cette annonce qui semble être informée de ses tourments. La vérité c’est que la première fois que ses yeux se sont posés sur cette affiche, quelques semaines plus tôt, Hannah s’est dit « Et pourquoi pas moi ? ».
Depuis, la jeune femme ne cesse d’y penser. Pour une fois dans sa vie, elle a l’impression qu’elle peut accéder à un emploi qui lui plairait. Pour la première fois de sa vie elle a le sentiment qu’elle peut faire quelque chose qui lui plaît et lui donne une bonne raison de se lever le matin.
Pour le moment elle a simplement vogué de boulot en boulot sans réellement trouver de sens à sa vie. Ses différents postes sur le Chemin de Traverse lui ont confirmé qu’elle aime être au contact avec les clients. Elle a un don pour ça et les gens l’apprécient pour sa gentillesse et sa générosité.
Ce lieu a un potentiel intéressant. Elle en est persuadée. Elle s’imagine aisément à la place de Tom derrière ce comptoir à accueillir les clients et non plus de l’autre côté à siroter son chocolat chaud. Elle n’en a parlé à personne de cette envie.
− Je sais que cette affiche t’énerve, mais ça devient vraiment urgent. Si tu connais un homme susceptible d’être intéressé, n’hésite surtout pas à lui en parler !
− Hum, un homme, murmure Hannah.
Elle termine sa boisson, dépose quelques pièces sur le comptoir pour régler sa consommation et s’échappe dans l’artère sorcière pour rejoindre son appartement.
La ruelle scintille de mille couleurs. Des petits anges animés chantonnent des cantiques de Noël. Des sapins aux reflets argenté ou doré flottent au-dessus des passants. Les enfants lèvent leurs yeux vers le ciel, émerveillés par le spectacle qui s’offre à eux. Les commerçants ont tous paré leur devanture aux couleurs de Noël. Cela donne un ensemble très harmonieux lorsque l’on remonte l’artère principale vers la banque Gringotts. Seule la neige est absente de ce tableau idyllique. Il fait trop doux en ce mois de décembre sur Londres pour espérer en avoir cette année au réveillon. Cela ne gêne pas Hannah.
Elle aime bien la neige. Elle apprécie surtout la quiétude qu’elle offre avec ses paysages reposants et silencieux. Mais lorsque cette dernière commence à fondre et se transforme en une bouillie marron cela devient tout de suite moins attrayant et très salissant.
Elle s’arrête devant la boutique de Mrs Guipure. Cette dernière lui fait un signe de la main alors que d’un coup de baguette elle remet de l’ordre dans ses rayons et étalages. La robe en velours bleu sur laquelle elle a flashée est toujours disponible. Elle a des étoiles plein les yeux chaque fois qu’elle la regarde. Puis elle déchiffre le prix crayonné sur l’étiquette et aussitôt son visage se ferme. Cette robe est bien au-delà de ses moyens. Surtout si elle tient à concrétiser le projet qui la taraude depuis quelques semaines déjà.
Avec l’héritage laissé par sa mère, Hannah a songé à racheter le Chaudron Baveur pour en devenir la gérante. Depuis qu’elle a appris que Tom partait à la retraite elle y pense. Le rêve au départ inaccessible est devenu de plus en plus imaginable. Lorsqu’elle y pense, elle se sent bien, elle est motivée et a plein d’idées d’aménagement. Elle se projette aisément dans quelques mois, installée derrière le comptoir à accueillir les clients, discuter avec eux de tout et de rien, de choses importantes tout comme de choses futiles. Et surtout, lorsqu’elle se voit, elle est heureuse. Et c’est surtout cela qui l’attire.
C’est à elle de franchir le pas, elle le sait bien. Si elle ne le fait pas, elle aura des regrets pour le restant de sa vie. Elle doit tout d’abord franchir le seuil de Gringotts pour prendre un rendez-vous pour évaluer ses possibilités d’emprunts. Elle y a déjà réfléchi de son côté. Elle sait que son projet est viable. Il faut désormais qu’elle le fasse connaître. En s’approchant de la banque, elle est étonnée de voir que cette dernière est encore animée. Un sorcier vêtu d’un long manteau gris et portant une mallette noire ressort énervé en prenant le soin de bien faire claquer ses pas sur le sol. Hannah regarde l’écriteau sur lequel sont affichés les horaires d’ouverture et constate qu’exceptionnellement la banque ferme à 20h. La jeune femme le voit comme un signe. Signe qu’elle doit entrer pour prendre rendez-vous.
Elle franchit timidement le seuil de la banque et se dirige vers le guichet le plus proche.
- C’est pour quoi ? questionne le gobelin sans même lever les yeux vers elle.
- Hum, bonsoir. Je voudrais prendre rendez-vous s’il vous plaît.
- Ah Miss Abbot, pourquoi souhaitez-vous prendre rendez-vous ? ajoute-t-il après l’avoir reconnue.
- J’ai un projet d’achat que je souhaiterais étudier avec vous.
- Je vois, je vois… je peux vous proposer demain à 13h. Le créneau vient tout juste de se libérer.
C’est certainement le monsieur en colère qui a annulé son rendez-vous.
- J’accepte, annonce-t-elle.
Hannah a le sentiment d’être cloîtrée dans ce bureau hideux depuis des heures. C’est la première fois qu’elle sollicite une aide financière auprès de Gringotts. Le gobelin lui repose les mêmes questions en boucle. Elle se doute bien qu’il la teste pour voir si elle reste cohérente, si son discours reste le même. Hannah essaie tant bien que mal de garder son calme mais elle commence à perdre patience.
− Je vous ai déjà tout dit, souffle-t-elle finalement.
Le gobelin reprend l’ensemble de ses notes et les parcourt minutieusement. Hannah comprend bien que quelque chose le chiffonne.
− Vous êtes bien certaine de ne pas vouloir prendre un associé ?
− Il me semble que je remplis les conditions financières.
− Certes, l’héritage laissé par votre mère est plutôt conséquent mais reprendre la gérance, seule, d’un établissement de grande ampleur comme le Chaudron Baveur.
− Juste parce que je suis une femme ?
− Enfin voyons, pourquoi dites-vous cela ?
− Vous laissez entendre que je remplis les conditions financières, visiblement le seul point qui vous fait émettre des réserves est le fait que je me lance seule dans cette aventure.
Demander de l’aide à Ernie ? Elle y a songé. Le faire venir pour finaliser la signature et rompre le contrat peu de temps après. Mais agir comme cela c’est entrer dans leur jeu, se plier à leurs exigences. Ça, elle ne le veut pas. Elle ne peut pas donner raison à ceux qui pensent ainsi. Elle ne veut pas donner raison à ceux qui croient qu’une femme seule ne peut pas reprendre la gérance du Chaudron Baveur.
− A un homme vous auriez dit oui, poursuit-elle.
− Ça vous n’en savez strictement rien Miss Abbot !
− Visiblement je me suis montrée trop naïve. Je pensais que les mentalités avaient évoluées.
Un silence pesant s’empare du bureau. Hannah se lève et se dirige vers la porte. Elle sent les larmes qui lui montent aux yeux mais elle n’a pas envie de pleurer ici devant lui.
− La prochaine commission a lieu dans deux jours, votre demande sera étudiée et nous vous ferons parvenir une réponse rapidement.
Hannah fait un rapide « oui » de la tête et se précipite vers la sortie. Elle respire un grand coup en passant la porte principale. Elle se sent soulagée et les larmes ont disparu.
Après un nouveau quart d’heure de réflexion, Liam décrète qu’il ne veut pas d’un hibou, il préfère un chat pour pouvoir jouer avec. Hannah respire un grand coup et entraîne la petite famille vers le quartier des chats. Concentrée sur son travail, elle ne voit pas le petit hibou blanc aux reflets gris qui tient une missive deux fois plus grande que lui. Elle s’en rend compte en sentant tous les regards posés sur elle. Le minuscule volatile tourne autour d’elle.
Elle attrape la lettre et donne une friandise au hibou qui s’échappe par la porte laissée ouverte par un client. Elle s’excuse auprès de la famille et s’éloigne un instant dans la réserve. Les mains tremblantes, elle décachète l’enveloppe. Son ventre se noue. Elle s’installe sur une chaise, c’est plus prudent. Ses yeux parcourent en diagonale la lettre. La seule phrase qu’elle retient est « Nous sommes favorables à votre projet ». Et par la suite il y a le détail de la somme accordée et les différentes échéances pour le remboursement. Hannah serre la lettre contre son cœur, soulagée.
Elle a envie de sauter sur place, de l’annoncer à la terre entière. Elle a eu raison d’y croire. Elle peut pour l’instant retourner voir le jeune Liam et supporter ses caprices car bientôt une nouvelle aventure commencera pour elle.