C’était une journée de chaleur extrême, la énième d’un été sec et étouffant. Les rues de Privet Drive étaient plus désertes que jamais et les petits pavillons aux jardins parfaits luttaient pour ne pas se transformer en bâtisses vétustes, délaissées par leurs propriétaires.
Pétunia referma la fenêtre aux vitres étincelantes d’un geste las, parcourant tristement du regard son propre coin de pelouse qui était envahi de mauvaises herbes, jaunes, folles.
D’un pas rapide de ménagère débordée, elle monta rapidement les escaliers pour pousser la porte de la chambre de son fils.
Dudley Dursley avait six ans, six années passées trop vite aux yeux de sa mère, qui le revoyait encore dans son berceau, adorable poupin qu’elle aimait plus que tout au monde.
« Dudlinouchet chéri, Maman t’emmène au parc où tu vas bien t’amuser, lui susurra-t-elle de la voix aigüe et pleine de tendresse qu’elle prenait en s’adressant à la prunelle de ses yeux. »
Elle prépara doucement Dudley qui, criant et pleurant, rejetaient une à une les tenues qu’elle lui faisait essayer.
Finalement, le petit garçon se retrouva vêtu d’une chemise rayée et d’un pantalon ample, assorti à un petit noeud papillon. Cet ensemble était réservé aux grandes occasions, mais Pétunia n’avait pas résisté à l’envie de satisfaire son fils. Et surtout, son chérubin était si beau habillé ainsi ! Elle étouffa une larme d’émotion et descendit.
Alors qu’elle ouvrait la porte d’entrée en bois massif, Pétunia se rappela un détail qui lui avait complètement échappé. Que faire de son agaçant neveu? À cinq ans, Harry n’était pas capable de rester seul - pas qu’elle s’inquiète de la sécurité de celui-ci, mais elle venait de faire le ménage et n’aller pas laisser un gamin irresponsable ruiner ses efforts.
Elle poussa un gros soupir et, à contrecœur, tambourina à la porte du placard à balais.
Celle-ci s’ouvrît aussitôt et Pétunia se retrouva face à un enfant brun, maigre, plutôt petit pour son âge et dont le nez était déjà surmonté d’une grosse monture ronde trois fois trop grande pour lui.
« Porte tes chaussures, lui ordonna sa tante d’un ton sec, en retenant à grande peine Dudley qui tentait de frapper son cousin de ses petits poings. »
Harry acquiesça et laça ses baskets usées en silence.
Une fois prête, Pétunia sortit, tenant fermement son fils d’une main et attrapant négligemment l’autre par la manche. Le petit Harry faisait des bonds hors de portée de ses jambes courtes pour pouvoir suivre sa tante et son cousin, indifférents.
Le soleil tapait sur la nuque de chacun, et, bien que le parc ne soit qu’à quelques pâtés de maisons du 4, Privet Drive, Pétunia enduisait son fils de crème solaire et de protection à chaque coin de rue, soucieuse de sa santé.
Lorsque l’ombre fraîche et vivifiante du feuillage des bouleaux les accueillit, Pétunia, fatiguée, se laissa tomber sur un banc. Elle autorisa Dudley qui vocifèrait depuis plusieurs minutes à aller s’amuser dans l’aire de jeux. Harry le suivit des yeux jusqu’à qu’il ait disparu derrière une fontaine et jeta un regard suppliant à sa tante.
« Non Harry, lui cracha-t-elle avec hargne. Tu n’iras pas jouer avec les autres enfants. »
Cette décision était plus dûe à l'inquiétude de le voir fréquenter des enfants normaux qu’à la peur de voir son neveu se blesser. En effet, à cinq ans et quelques, Harry avait déjà démontré des aptitudes particulières que Pétunia et son époux regardaient chaque fois avec une appréhension grandissante. Si l’enfant déclenchait un phénomène étrange, les Dursley auraient beau le punir autant qu’ils le voudraient, le mal serait fait et la mère de famille ne supporterait pas que sa réputation en soit ternie.
« Mais pouquoi, demanda Harry, les yeux embués. J’ai été sage aujourd’hui.
- Fais ce qu’on te dit de faire, s’irrita Pétunia. Nous t’avons accueilli sous notre toit, à toi de nous obéir.
- Non, s’obstina l’enfant en reniflant. T’es pas ma mère. »
Et il couru vers le parc de jeux, zigzaguant parmi les petits pour grimper sur le toboggan avec un sourire émerveillé au lèvres.
Stupéfaite, Pétunia ne songea même pas à le rattraper. Elle aurait pu. Elle aurait peut-être dû. Mais elle se remémora avec un pincement au cœur la dernière remarque de son neveu. Un simple constat, dit avec l’innocence d’un enfant, mais qui lui faisait l’effet d’une claque. T’es pas ma mère.
Elle ne savait même pas pourquoi cela l’atteignait autant. Non, Pétunia n’était pas sa mère. Parce que sa vraie mère était morte. Parce que sa sœur était morte. Lily était morte. Morte.
Cela lui fit l’effet d’un douche froide, comme le réveil pénible d’un rêve monotone pour retrouver une réalité trop longtemps évitée. Sa sœur était morte.
Pétunia se recroquevilla sur son banc, haletante. Un déferlement de souvenirs lointains lui revint en mémoire et elle ferma les yeux, laissant son esprit vagabonder dans le décor de souvenirs heureux qui se présentaient à elle.
Là, le sourire radieux de Lily, le plus beau du monde, lorsque Pétunia lui avait annoncé qu’elle était amoureuse pour la première fois. Ici, les heures passées à rire dans le parc derrière le bois, assises sur les balançoires grinçantes et se défiant chacune de monter plus haut que l’autre. Plus loin, l’image des reflets cuivrés de ses longs cheveux auburn lorsqu’elle secouait la tête en riant.
Et là, dans les méandres de sa mémoire, le souvenir morne de cet après-midi d’été, aussi chaud que celui-ci. Le jour qui avait tout changé.
Car c’est dans le soleil déclinant de cette triste journée, sur l’herbe rase de l’aire de jeux, que Pétunia avait perdu sa sœur.
Si elle avait désespérément essayé de la retenir, elle lui avait filé entre les doigts, et, lasse de ramasser les éclats de plus en plus minces de leur relation, elle y avait mis fin. Brutalement.
Le monde des sorciers lui avait tout pris.Elle se raccrochait désormais à sa haine de ces monstres, tenace et bouillonnante,contenue depuis si longtemps. Ce jour là, quand Dumbledore avait déposé Harry devant leur porte, l’enfant n’était pas le seul à avoir perdu un être cher. Pétunia, elle, avait perdu une sœur.
T’es pas ma mère.
Roulée en boule sur le banc, loin des gémissements de Dudley, des tracas de la vie quotidienne et du regard critique de Vernon, Pétunia pleurait. Pour la première fois depuis des années, des larmes de tristesses lui dévalaient les joues, et elle pleurait, indifférente aux sillons des pleurs qui effaçaient son maquillage et ravageaient son beau teint pâle. Elle pleurait la mort de sa sœur, et avec elle son enfance et son insouciance disparue, une période de sa vie désormais révolue.
Car Lily était partie. Et elle ne reviendrait pas. Elle ne reviendrait jamais.
Jamais.