IX. Truth Hurts
Destinatrices : ''Mes partenaires de crime''
Millicent écrit :
On dirait que notre petite séance de vaudou a été un succès ! Je viens d'apprendre que la Weaslette a été internée à l'infirmerie. Apparemment, elle a pété une durite pendant la sortie à Pré-au-Lard. Ils ont dû la stupefixier car elle est devenue totalement hystérique. Ha ha ha !
Tracey écrit :
De l'Obeah, Millie. Pas du vaudou.
Pansy écrit :
Peu importe ce que c'était – c'était complètement flippant. Je ne veux plus jamais toucher à ça.
Tracey écrit :
J'imagine que tu vas y réfléchir à deux fois avant de me taquiner désormais, Pansy.
Pansy écrit :
Ne rêve pas trop, Cece.
Daphné écrit :
Flippant ou non, ça a fonctionné et c'est tout ce qui m'importe. Draco doit la prendre pour une folle.
Millicent écrit :
Un rencard saboté, il a arrêté de pleuvoir, et Pansy est trop traumatisée pour nous vanner. Ça faisait longtemps que je n'avais pas assisté à une journée aussi cool.
Pansy souffla de frustration tandis qu'elle remettait de l'ordre à sa coiffure, dans les toilettes du Flamant Rose. La pièce empestait cette odeur de cerise que Madame Ursula insistait pour vaporiser dans tout l'établissement. Le parfum était tellement fort et bas de gamme qu'il lui donnait la nausée.
« Allez, plus qu'une heure. » s'encouragea-t-elle, face au miroir. Sur le chemin, elle s'assura que son décolleté était encore visible.
Madame Ursula poussait ses employées à tricher sur la taille de leur bonnet de temps à autres. Pansy avait appliqué un sort de gonflage à sa poitrine pour gagner une taille supplémentaire mais le sort devenait douloureux après quelques heures car il lui tirait la peau. Lorsqu'elle l'utilisait, elle devait parfois passer la soirée suivante avec de la glace posée dessus pour atténuer la douleur.
Elle persistait tout de même car elle voyait une nette différence sur ses commissions avec une poitrine plus proéminente.
Elle retourna dans la salle principale et retrouva son dernier client de la soirée sur l'un des canapés en velours. Il ne semblait pas ivre et Pansy commençait à s'impatienter. Il n'avait toujours pas commandé de bouteille, et avait passé la dernière heure à lui payer des verres d'hydromel bon marché. Il commençait sérieusement à lui faire perdre son temps. Elle écouta à peine ses paroles et retint un soupir de soulagement lorsque le barman annonça que le bar fermait dans dix minutes.
Elle arbora son sourire le plus convaincant et fit mine de remercier profusément le client pour sa visite.
« Reviens quand tu veux. » dit-elle d'une voix suave avant de retourner dans les vestiaires où les autres Beautés d'Ursula s'étaient agglutinées pour se démaquiller et ôter les tenues révélatrices qu'elles portaient.
Pansy était toujours étonnée de voir le changement drastique avant-après. Alors que les filles ressemblaient toutes à des bimbos spectaculaires pendant leurs heures de travail, la plupart étaient des femmes banales derrière tous les artifices. Pansy était quasi certaine que personne ne se retournait sur elles dans la rue.
Toutefois, dans ce monde de strass et d'apparence, l'illusion primait et Madame Ursula l'avait bien compris. Elle investissait chaque mois des milliers de gallions dans des potions et accessoires cosmétiques pour ses employées. Les clients voulaient avoir à leur bras une femme magnifique et parfaite le temps d'une soirée, et c'est exactement ce que son établissement pouvait offrir.
« Le blaireau à qui je parlais avait une haleine troll. » commenta Mary-Ann, l'air dégouté.
« Quelle horreur. » répondit Becca, affichant la même mine. « On devrait obliger les clients à prendre une douche et à se brosser les dents avant de pouvoir entrer. Certains d'entre eux ne comprennent pas les règles d'hygiène de base. »
« Moi, je m'en fiche, tant qu'ils sortent de l'argent. » répliqua Augustina, qui entamait sa quatrième année dans l'établissement. « Faîtes comme moi. Imaginez l'odeur des gallions à la place, ça passera tout seul. »
Sa remarque provoqua des rires sonores dans la pièce.
« A la prochaine, bande de mégères. » salua Augustina avant de quitter le vestiaire.
Pansy se démaquilla à la hâte et enfila son gilet en cachemire favori. Elle grimaça en réalisant que sa semelle s'était encore décollée. Il fallait impérativement qu'elle aille faire du shopping. Ou qu'elle se serve dans la garde-robe de Millicent. Après tout, cette dernière ne le remarquerait probablement pas. Elle fut la dernière à quitter l'établissement, occupée à tenter de réparer le nouveau trou qui s'était formé sur sa paire de tennis.
Elle salua distraitement Madame Ursula lorsqu'elle passa devant son bureau et l'odeur de cerise fut particulièrement puissante devant sa porte. Les filles devaient toujours sortir par l'entrée arrière et Pansy prit la direction de la porte étroite et grinçante.
Un vent frais lui frappa le visage lorsqu'elle fut à l'extérieur, et lentement, elle prit la direction de la rue principale.
Elle sursauta lorsqu'une silhouette apparut soudainement devant elle. L'allée était sombre et il lui fallut quelques secondes pour reconnaître le visage de la personne. Il s'agissait de son dernier client de la journée. Encore ce radin, pensa-t-elle avec ennui.
« Je peux t'aider ? » demanda-t-elle d'un ton agacé, pressée de rentrer au château au plus vite.
« Tu m'as dit de revenir quand je voulais, alors me voilà. » répondit-il en haussant les épaules.
« Le bar est fermé, il faudra repasser demain. » dit-elle avant d'esquisser un mouvement pour s'éloigner.
L'homme la retint par le bras.
« Hey, attends. On n'a pas fini de discuter. Qu'est-ce que tu dirais de venir à mon appartement ? C'est à deux rues d'ici. » proposa-t-il.
Immédiatement, Pansy se tendit. Ce n'était pas la première fois qu'elle était accostée par des hommes dans le coin. Cela restait toutefois toujours verbal, et ils n'insistaient pas lorsqu'elle disait non. Un malaise profond envahit Pansy lorsque l'homme resserra l'emprise de sa main sur son bras. La lueur dans les yeux de ce type n'annonçait rien de bon.
« Lâche-moi. » ordonna-t-elle d'une voix qu'elle tenta de rendre assurée même si elle tremblait littéralement de l'intérieur.
« Tout va bien, ici ? » demanda une voix, non loin d'eux.
Le type se retourna vivement à l'arrivée de quelqu'un d'autre – un jeune homme grand et bien bâti.
« Tu ne vois pas qu'on est occupé ? » demanda l'assaillant de Pansy. « Dégage. »
« Elle n'a pas l'air d'avoir envie d'être ici. » répliqua l'inconnu d'un ton sec.
Pansy profita du moment d'inattention du client pour dégager son bras d'un geste ferme. Elle se précipita vers l'inconnu, soulagée. Elle écarquilla les yeux lorsqu'elle reconnut de qui il s'agissait.
Heureusement, le client ne sembla pas vouloir insister davantage et il s'éloigna, disparaissant dans l'ombre. Ron Weasley se tourna vers Pansy, l'observant d'un air anxieux.
« Ça va ? » demanda-t-il.
« Non. » répondit-elle du tac-au-tac.
Et sans pouvoir s'en empêcher, elle fondit en larmes.
C'en était trop. Elle saturait. Cette double-vie, ces mensonges constants, l'humiliation qu'elle devait subir dans ce bar pour une poignée de gallions avaient finalement eu raison d'elle. Réaliser qu'elle 'avait failli se faire agresser ce soir par cet inconnu dérangé était la goutte qui faisait déborder le vase.
« Je…n'en…peux…plus. » articula-t-elle d'une voix saccadée entre ses sanglots.
Elle était exténuée. Toute la charge mentale qu'elle avait accumulée au cours de ces derniers mois semblait vouloir se manifester à tout prix et elle fut incapable d'arrêter le flot de larmes.
Devant elle, Ron sembla figé, visiblement incertain de la conduite à adopter devant sa détresse.
« Est-ce que je peux faire quelque chose ? » demanda-t-il d'une voix un peu paniquée.
Entre ses larmes, Pansy laissa échapper un rire mi-nerveux, mi- étranglé.
« Tu peux m'aider à retourner dans le passé ? » demanda-t-elle d'une voix étranglée.
Il secoua la tête, penaud.
« C'est bien ce que je pensais. » répondit-elle d'un ton venimeux.
« Tu…Tu veux en parler ? » demanda-t-il, sans se contrarier de son attitude hostile.
Elle renifla bruyamment.
« Ma vie est devenue un échec total. » admit-elle finalement.
« Pourtant, tout à l'air de bien marcher pour toi. » fit-il remarquer.
« Non, tu ne comprends pas. Tout ça…Tout ce que je montre…C'est juste…du vent. » dit-elle dans un souffle.
Puis, sans hésitation supplémentaire, elle lui raconta ses déboires. La faillite de sa famille, le manque d'argent, sa difficulté à continuer à payer sa scolarité à Poudlard. Honteuse, elle lui avoua l'emploi qu'elle s'était résolue à accepter au Flamant Rose. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle se confiait à un type qu'elle connaissait à peine. Sans doute était-ce plus facile car il ne la connaissait pas.
« Je… Je suis désolé de tout ce qu'il t'est arrivée. » dit-il, l'inquiétude apparaissant sur son visage.
Elle n'arrivait pas à croire qu'il lui montrait autant d'empathie. Après tout, elle s'était montrée particulièrement peste avec sa sœur.
« Garde ta pitié pour toi, Weasley. » répliqua-t-elle d'un ton cinglant, essuyant ses larmes.
« Ce n'est pas de la pitié. » dit-il en haussant les épaules. « N'importe qui pourrait compatir devant ta situation. »
Non, pas tout le monde, pensa Pansy. Elle n'avait jamais été compatissante dans sa vie. Elle avait même passé son existence à se moquer du malheur des autres. Cette fois, le karma lui était revenu en pleine figure et la chute était particulièrement brutale.
« Mais j'ai peut-être une idée qui pourrait t'aider. » avança-t-il.
Elle arqua un sourcil, confuse. Elle voyait mal comment il pourrait lui venir en aide. A moins de cacher des milliers de gallions dans sa poche.
« Poudlard a un fonds spécial pour les étudiants en difficulté financière. Tes frais de scolarité peuvent être pris en charge entièrement. Il faut juste que tu aies des résultats corrects. » expliqua-t-il. « Ma sœur et moi en bénéficions. »
« Je n'avais jamais entendu parler de ça. » répondit Pansy à voix basse, ses larmes désormais disparues.
Et elle n'avait jamais fait de recherches, non plus. L'année derrière, elle n'avait pas voulu crier sur les toits les problèmes financiers de ses parents et elle avait tout mis en œuvre pour continuer à garder les apparences.
« Tu peux expliquer ta situation au Directeur, je suis sûr qu'il fera quelque chose pour toi. Ça te permettrait d'arrêter de travailler dans ce… Dans cet endroit. » dit-il avec une grimace. « C'est dangereux pour toi. »
Il avait dit cela d'un ton préoccupé qu'elle trouva adorable. De plus, elle ne pouvait pas le contredire. Savoir que ce client insistant était un régulier au Flamant Rose et qu'il vivait à deux pas de l'endroit était tout sauf rassurant.
« Merci de m'avoir débarrassée de ce blaireau. Qu'est-ce que tu fais ici à cette heure-ci, d'ailleurs ? » demanda-t-elle avec curiosité.
Il laissa échapper un long soupir.
« Ma sœur est à l'infirmerie depuis quelques heures – elle a fait une chute dans la rue. Je veux comprendre ce qu'il s'est passé. Harry et moi avons interrogé les gens dans le coin. »
Elle fit mine de paraître surprise. Il agirait probablement différemment avec elle s'il savait qu'elle était impliquée dans l'histoire. Pansy réprima une grimace. Maintenant qu'elle y réfléchissait, la venue de ce client dérangé n'était peut-être pas un hasard. Et si les esprits invoqués par Tracey voulaient lui donner une petite leçon ? Après tout, Pansy s'était ouvertement moquée de tout le procédé, plus tôt dans la journée. Elle jura intérieurement.
« Des pistes ? » demanda-t-elle.
« Pas vraiment. J'étais en train de rentrer au château, à vrai dire. Tu viens ? »
Elle hocha frénétiquement la tête et ils rejoignirent la rue principale de Pré-au-lard pour prendre le chemin du retour au château. La route se fit dans le silence – ce qui étonna Pansy car elle était habituellement incapable de se taire. Les évènements de la journée avaient cependant été un peu trop intenses pour elle et elle était exténuée. Elle n'avait qu'une hâte, retrouver la chaleur et la familiarité de son lit.
Lorsqu'ils arrivèrent au château, Pansy lança :
« Tu…Tu ne vas rien dire, pas vrai ? A propos de ce que je t'ai dit ? »
« Non. » répondit Ron.
« Pas même à ta sœur. » insista Pansy.
« Je ne dirai rien à Ginny. » assura-t-il.
« Très bien. Sinon, tu vas le regretter. » prévint-elle.
Ses paroles étaient supposées apparaitre comme une menace. Pansy savait toutefois qu'elle serait peu convaincante après avoir sangloté comme une madeleine devant lui.
« A plus. » dit-elle en s'éloignant en direction des escaliers menant aux cachots.
Finalement, il y avait au moins un élément positif à cette journée désastreuse. Ron Weasley n'avait plus l'air de la détester. Étrangement, cette pensée lui procura une satisfaction immense.
/
« Comment allez-vous, Millicent ? » demanda la voix de Caitlyn McCarthy, sa psychomage.
Caitlyn la suivait depuis bientôt deux ans. La mère de Millicent, Jackie, avait insisté pour lui faire consulter un psychomage à l'annonce de sa séparation avec son mari, Edward. Il s'agissait d'une épreuve difficile pour la famille entière, et il était primordial que Millicent puisse discuter de ce traumatisme avec quelqu'un de certifié, avait clamé Jackie. Millicent avait alors commencé à voir Caitlyn deux fois par mois, dans son cabinet huppé, à Pré-Au-Lard.
La séparation avait été la faute de sa mère. Elle s'était envoyée en l'air pendant six mois avec son assistant, de dix ans son cadet. Le mépris que Millicent vouait à sa mère s'était alors transformé en haine.
Jackie Bulstrode n'avait jamais été du genre maternant. Dès sa naissance, elle avait délaissé sa fille, ne partageant pas ce lien fusionnel que certaines mères prétendaient ressentir pour leur progéniture. Elle n'avait d'ailleurs jamais voulu devenir mère. Elle avait accepté à contrecœur, lassée des supplications de son mari et Millie en était certaine, pour remplir certaines conditions de son contrat prénuptial.
Son père, lui, était un homme plutôt passif, qui avait toujours répondu aux moindres désirs de sa femme, aussi extravagants soient-ils. Après l'adultère de sa femme, il l'avait même pardonnée et avait exprimé son envie de raccommoder leur union fragile. La mère de Millicent avait toutefois préféré le quitter officiellement pour vivre l'aventure avec son assistant. Depuis, Jackie avait été inexistante dans la vie de Millicent. Pour compenser cet abandon, elle semblait penser que couvrir sa fille de cadeaux hors de prix était une alternative suffisante. Ainsi que les consultations chez une psychomage de renommée.
C'était Edward, son père, qui l'avait élevée. Il lui avait apporté tout ce que sa mère avait été incapable de faire – de l'amour inconditionnel, de la patience, de l'affection. Il lui avait enseigné à monter sur un balai, l'avait emmenée à sa première rentrée à Poudlard, l'avait consolée lorsqu'elle avait pleuré pour la première fois à cause d'un garçon.
L'idée de raconter sa vie à une parfaite inconnue avait été un peu déroutante, au début. Millicent n'avait jamais été traumatisée par le divorce de ses parents. Elle était même heureuse que sa mère soit partie.
« Bon débarras. » avait-elle-même pensé, lorsque Jackie lui avait annoncé la nouvelle, avec ses larmes de crocodile.
Sa mère avait pris cet air faussement affectueux qu'elle arborait parfois et avait entamé un long discours sur les changements à venir.
« Tu sais Millie, parfois les adultes doivent prendre un chemin différent. » avait-elle clamé, comme si elle s'adressait à une enfant de cinq ans.
Pendant les premières séances, Millicent avait parlé à Caitlyn de la haine qu'elle vouait à sa génitrice et sa satisfaction de la voir s'éloigner. Évidemment, Caitlyn s'était sentie obligée de psychanalyser son rapport avec sa mère en profondeur. Après tout, c'était son travail.
Elles avaient ensuite abordé un autre sujet, les problèmes d'insomnie de Millicent. Elle avait toujours eu des difficultés à s'endormir et se réveillait régulièrement la nuit. Elle n'était jamais réellement reposée et aucun traitement n'avait réellement fonctionné.
La psychomage avait suggéré une méthode peu orthodoxe : l'hypnose. Selon elle, il s'agissait d'un nouveau procédé qui avait montré des résultats positifs. Millicent avait haussé les épaules. La psychomage essayait probablement de justifier ses tarifs horaires hors de prix. Pourtant, la cinquième séance d'hypnose avait changé sa vie à tout jamais.
Cela avait été si noir qu'elle avait été prise de panique.
Des souvenirs lui étaient revenus en tête – des flashs distants, horribles, douloureux. Des choses atroces profondément enfouies dans son esprit lui étaient revenus en mémoire.
Sous l'effet de l'hypnose, elle avait revu sa chambre de jeunesse, identique à celle qu'elle avait fréquenté à l'âge de neuf ou dix ans. Pourtant elle n'y avait pas retrouvé cette impression chaleureuse et réconfortante qui caractérisait la pièce dans ses souvenirs. Cette chambre, elle, lui donnait la chair de poule. Froide, sombre, austère. Puis ce son désagréable. Le grincement sinistre de la porte. L'air qui se faisait étouffant. Et cette forme angoissante au-dessus d'elle, semblable à un monstre terrifiant.
Le monstre avait fait toutes ces choses horribles. L'avait souillée à tout jamais de son innocence.
Elle avait pleuré, hurlé, supplié. Rien n'y faisait, il n'avait pas arrêté. Pourquoi lui faisait-il si mal ?
Lorsqu'elle était revenue à elle, dans le bureau de sa psychomage, elle était restée tétanisée sur son siège. Puis, lorsqu'elle avait repris totalement ses esprits, elle s'était empressée de s'enfermer dans les toilettes du cabinet, pour vider tout le contenu de son estomac.
Depuis ce jour, sa vie avait pris un tournant. Tous les souvenirs lui étaient revenus petit à petit pendant les nuits suivantes. Elle était restée paralysée dans son lit, terrifiée à l'idée de s'endormir à nouveau.
Puis, à mesure que les flashs s'étaient fait plus discernables et détaillés, elle avait reconnu le visage de son bourreau.
Le frère cadet de sa mère. Il avait passé deux semaines chez eux, pendant l'été avant sa rentrée à Poudlard.
Les premières semaines, elle avait douté. Était-ce un produit de son imagination ? Ou bien un effet secondaire de ses séances d'hypnose avec la psychomage ? Comment avait-elle pu oublier cela ?
Puis, pendant un dîner avec son père, il avait mentionné un détail qui l'avait figée sur place. Comme à son habitude, il s'était mis à raconter des vieilles histoires sur l'enfance de Millie qu'il adorait expliquer pour la mettre dans l'embarras
« …et si je me souviens bien, c'était pendant l'été de tes onze ans. Nous devions fêter mon anniversaire, ce jour-là. Tu avais complètement oublié quel jour on était, et tu ne savais pas où tu avais mis le cadeau que tu avais préparé pour moi. On aurait juré que tu avais reçu un sort d'Oubliettes. »
Le visage de Millicent était devenu blême et son estomac s'était retourné. L'anniversaire de son père était un jour sacré pour eux. Ils avaient même une tradition. Ils allaient se baigner près du lac qui bordait leur maison, faisait un barbecue lorsque la météo le permettait et Millicent offrait à son père un cadeau soigneusement préparé par ses soins, emballé de manière maladroite.
Pourtant, cette année-là, son père n'avait jamais reçu son fameux cadeau et selon lui, elle s'était comportée de manière étrange les jours suivants. Après les paroles de son père, elle était remontée dans le grenier, et après une heure de fouille, avait retrouvé le cadeau toujours emballé, maculé de poussière.
« On aurait juré que tu avais reçu un sort d'Oubliettes. »
Ces mots avaient résonné plusieurs fois dans son esprit tandis qu'elle observait le cadeau encore intact. Elle avait réalisé que ces flashs n'étaient pas le fruit de son imagination. Il s'agissait de souvenirs, enfouis quelque part dans son inconscient, probablement ôtés par la magie. Et elle n'avait aucun doute sur l'identité du coupable.
Ce monstre l'avait non seulement violée, il avait aussi ôté ses souvenirs à l'aide d'un sort pour effacer toutes les traces de ses actes écœurants.
« Comment allez-vous, Millicent ? » répéta Caitlyn, la sortant de ses pensées.
Millicent se redressa sur son siège et reporta son attention sur sa psychomage.
« Aujourd'hui, ou en général ? » demanda-t-elle d'une voix lente, la langue pâteuse.
« Les deux. »
Millicent haussa les épaules.
« J'ai… J'ai repris mes mauvaises habitudes. »
« Votre consommation de drogues dures, vous voulez dire ? » interrogea Caitlyn.
« Oui, ça. » répondit Millicent en soupirant.
« Votre père est-il au courant ? »
« Non. Je ne veux pas le décevoir. Je lui ai promis que je n'y toucherai plus. » répondit Millicent, tentant d'ignorer le sentiment de honte qui la parcourut.
Les amies de Millicent étaient persuadées qu'elle avait passé l'été à parcourir l'Europe avec son père. Aucune d'entre elles ne savaient qu'elle avait passé deux mois dans un centre spécialisé, pour une cure de désintoxication. Son père l'y avait internée lorsqu'elle avait frisé une overdose.
« Je n'ai pas envie de me jeter par la fenêtre, aujourd'hui. » admit Millicent avec sincérité. « J'imagine que c'est une amélioration. »
« Effectivement. » assura Caitlyn. « Qu'est-ce qui a changé depuis notre dernière séance ? »
« J'ai rencontré quelqu'un. » avoua-t-elle en tournant la tête vers la fenêtre. « Je crois que je l'aime bien. »
« Un garçon de votre école ? »
Millicent sourit à cette pensée. Elle hocha la tête.
« Parlez-moi un peu de lui. » encouragea Caitlyn.
« Il est…différent des autres. Il me comprend. Il sait ce que c'est d'avoir une adolescence difficile et des rapports compliqués avec sa famille. » expliqua Millicent.
« Vous semblez beaucoup plus détendue. Est-ce à cause de ce garçon ? »
« Je crois bien. Il me ressemble. »
« Dans quelle mesure ? »
« Il a aussi utilisé les substances pour supporter ses problèmes. Mais il est clean, maintenant. Je me dis qu'il y a peut-être un espoir pour moi aussi. Arrêter toutes ses conneries. Je ne veux pas être une putain d'addict pour le reste de ma vie. Désolée pour mon langage, doc. »
« Ce n'est rien, Millicent, continuez. »
« Il me fait ressentir quelque chose de positif. Vous pensez que c'est de l'amour ? Je n'ai jamais été amoureuse, je ne sais pas ce qu'on est censé ressentir. »
« Vous êtes la seule à savoir si vous êtes amoureuse de ce jeune homme, Millicent. Est-ce qu'il est au courant de vos sentiments ? »
Millicent secoua la tête.
« Non, personne n'est au courant. Même pas mes meilleures amies. Surtout pas mes meilleures amies. » ajouta-t-elle.
« Vous ne pensez pas qu'elles approuveraient. » devina Caitlyn, d'un ton factuel.
Millicent laissa échapper un rire étranglé. Ses amies, en particulier Daphné et Pansy, étaient toujours promptes à la critique et au jugement.
« Elles ne comprendraient pas. Je ne pense même pas qu'elles seraient heureuses pour moi. » argumenta Millicent avec pessimisme. « Je préfère garder ça pour moi, pour l'instant. C'est rare que quelque chose de positif m'arrive, je n'ai pas envie de tout gâcher. »
Lorsque la session fut terminée et que Millicent prit le chemin qui menait de nouveau à Poudlard, elle se sentit plus légère que d'habitude. Elle se sentait toujours un peu mieux lorsqu'elle sortait du cabinet de sa psychomage.
La salle commune de Serpentard était étrangement vide pour un dimanche soir et elle s'installa sur un sofa, près de la cheminée.
Après quelques instants, elle sentit le sofa s'affaisser à ses côtés. Elle reconnut Terrence Higgs, l'un de ses condisciples.
« Millie, ça fait un bail. » dit-il. « J'ai tout un stock de poudre de Billywig, ça te tente ? » demanda-t-il.
Elle hocha la tête, tentant d'ignorer les visages de son père et de sa psychomage qui s'imposaient dans un recoin de son cerveau.
Elle suivit Terrence hors de la salle commune et ils se dirigèrent dans une salle de cours inoccupée dans les cachots. Millicent grimpa sur une table et croisa les genoux tandis qu'elle observait Terrence poser la poudre de Billywig sur un parchemin devant elle et l'écraser à l'aide de la carte de visite appartenant à un certain Thomas Higgs.
Terrence était lui aussi issue d'une famille privilégiée et dépensait la fortune de son paternel dans de nombreuses activités douteuses. Comme Millicent, il consommait régulièrement des substances illicites mais contrairement à elle, s'en tenait à des produits plus doux, tels que la poudre de Billywig.
« C'est Nott qui te l'a vendue ? » demanda Millicent d'un ton curieux.
« Oui et cet enfoiré a vraiment augmenté ses prix. » répondit Terrence en rassemblant soigneusement la poudre en plusieurs lignes de cinq centimètres environ.
« Il aura assez d'argent pour se payer l'université, en sortant d'ici. » dit-elle avec un rire.
« Oui, si Rusard ne le choppe pas avant. » ajouta Terrence, rejoignant son hilarité.
Millicent aimait bien Terrence. C'était un garçon relax, drôle et plutôt sympa, comparé au reste des Serpentard. Ce n'était pas la première fois qu'ils faisaient ce genre de séances. Ils trouvaient un endroit isolé et vide du château, consommait un peu de poudre, et passait la soirée à rire bêtement ou à parler de sujets profonds et existentiels. D'autre fois, ils s'emballaient. Parfois même un peu plus.
« Les dames d'abord. » dit finalement Terrence, une fois qu'il eut terminé, lui tendant une paille de fortune, créé à partir d'un parchemin roulé.
Millicent descendit de la table puis se pencha vers l'une des lignes de poudre. Millicent approcha son visage de l'une d'entre elles, puis sniffa. Elle sentit ses muqueuses nasales frémir sous le geste.
L'effet de la poudre de Billywig était rapide, et après quelques minutes, elle sentit ses membres devenir plus engourdis et une vague de tranquillité la parcourut. Elle jeta un sort de coussinage sur un coin de la pièce et s'installa par terre, contre le mur. Terrence la rejoignit et ils restèrent silencieux pendant de longues minutes, chacun plongé dans ses propres pensées.
Elle se redressa lorsqu'elle sentit soudainement la main de Terrence se poser sur sa cuisse. Son regard se posa sur celle-ci tandis que Terrence traçait des cercles sur sa peau à l'aide de son pouce. Il avait des petites mains pour un garçon, pensa-t-elle.
Elle tourna la tête et leurs regards se croisèrent. Il semblait lui demander l'autorisation de continuer.
« Fais pas ton timide, Higgs. » lança Millicent d'une voix moqueuse.
Les doigts de Terrence disparurent sous sa jupe et elle ne sourcilla pas lorsqu'elle le sentit toucher sa culotte en coton.
Son esprit commença à se brouiller sous l'effet de la poudre de Billywig. Ses sens étaient intensifiés et elle sentit une chaleur soudaine lui parcourir l'échine. Toutes ses inhibitions semblèrent s'envoler, remplacées par un désir pressant. Elle déboutonna son chemisier et le laissa tomber au sol. Elle écrasa ses lèvres contre celles de Terrence, l'embrassant fébrilement.
Une heure plus tard, elle rentrait dans son dortoir, l'esprit détendu. Depuis qu'elle avait recouvré les souvenirs des abus sexuels perpétrés par son oncle, elle avait obtenu un rapport étrange vis-à-vis du sexe.
Elle avait couché avec beaucoup de garçons. Cela lui avait paru comme un moyen de reprendre le contrôle de sa sexualité. Elle savait que la méthode était des plus douteuses, mais cela lui redonnait un autre rapport à son propre corps. Désormais, elle avait le choix. Elle était au contrôle. Sa psychomage prétendait que les victimes de viol pouvaient montrer des mécanismes de défense différents.
Victime.
Millicent haïssait ce mot du plus profond de son âme.
Elle n'était pas une victime. Elle était une survivante. Et même si ce monstre avait détruit une partie d'elle, qu'il l'avait fait sentir plus bas que terre, elle ne voulait pas laisser ses actes horribles la hanter et encore moins la définir.
Étrangement, le lendemain, elle se leva tôt. Elle retrouva ses amies dans la Grande Salle, occupées à s'échanger des messes basses.
« Pourquoi tout ce mystère ? » interrogea Millicent en attrapant la carafe de jus de citrouille.
« Attends quelques minutes. » annonça Daphné d'un ton satisfait.
Millicent n'eut pas besoin d'attendre car un hurlement strident retentit dans la pièce. Elle tourna le regard vers la table des Serdaigle où Mandy Brocklehurst s'était levée en trombes. Elle avait posé sa main sur son front, au bord des larmes.
Derrière elle, des chuchotements s'élevèrent à la table de Serdaigle.
« Que se passe-t-il ? » demanda Millicent avec confusion.
« Rien qui ne soit pas simplement la vérité. » lança Pansy en haussant les épaules.
« Personne n'aime les traîtresses. » ajouta Daphné avec un rire moqueur.
Millicent la vit agiter sa baguette en direction de Mandy dont la main s'écarta de son front, pour révéler ce qu'elle tentait désespérément de cacher.
Le front de Mandy avait triplé de volume, et paraissait désormais totalement déformé. Mais ce n'était pas le pire, non. Un mot avait été inscrit à l'encre rouge sur son front élargi.
SALOPE
« Maintenant son apparence extérieure reflète ce qu'elle est à l'intérieur. » commenta Daphné, l'air goguenard.
Depuis sa troisième année, Mandy avait commencé à faire l'objet de rumeurs déplacées. Sa puberté avait commencé plus rapidement que celle de ses condisciples, la rendant très populaire auprès des garçons. Puis, lorsqu'elle avait eu le malheur de venir en cours avec son chemisier légèrement déboutonné pendant un cours DCFM, on l'avait accusée de vouloir séduire Remus Lupin, leur professeur de l'époque.
Les rumeurs avaient commencé à se répandre comme une traînée de poudre et avaient empiré avec les années, largement encouragée par Pansy. Mandy était désormais considérée comme une gourgandine de première classe.
« Je parie que c'est ton œuvre, Pansy ? » demanda Millicent avec un rire.
Pansy secoua la tête, prenant un air candide.
« Je suis totalement innocente. » dit-elle d'une voix exagérée, feignant l'outrage. « Non sérieusement, ce chef d'œuvre n'est pas de moi. Même si j'aurais aimé. »
Elle fit une moue déçue, comme si elle était fâchée de ne pas avoir eu l'idée la première. Elle se tourna vers Daphné qui haussa les épaules.
« Ce n'est pas moi. » déclara Daphné. « Même si techniquement, j'ai peut-être un rôle à jouer là-dedans. »
« Comment ça ? » s'étonna Millicent.
« Il se pourrait que j'aie accidentellement révélé à Padma Patil que sa meilleure amie baisouillait avec Anthony Goldstein derrière son dos. »
« Merlin, c'est tellement croustillant. Comment l'as-tu su ? » demanda Pansy, avidement, semblant fascinée par le ragot.
« Tracey les a surpris dans les chiottes le jour de notre petite fête, à la rentrée. » indiqua Daphné.
Tracey tressaillit de dégoût, comme si le souvenir était particulièrement traumatisant.
« C'est vrai, j'ai peut-être donné l'idée à Patil mais l'exécution lui revient entièrement. Je ne savais pas qu'elle allait écrire ça sur le front de cette mégère. » ajouta Daphné avec un rire. « Elle s'est lâchée. »
« Et tu n'as pas encore entendu le meilleur. » lança Tracey.
« Cette encre ne s'efface qu'après des dizaines de lavage. » annonça Daphné, satisfaite.
« Je dirais qu'elle en a au moins pour trois mois. » commenta Tracey.
« Et une de moins pour l'élection. » ajouta Pansy avec satisfaction tandis qu'elles s'esclaffaient bruyamment.