Octobre 1627
Le nez collé à la vitre d’une fenêtre la très jeune Marie de Rabutin-Chantal observait les feuilles abricots, vermeilles, acajous, fauves, bistres, ocres, nankins, bronzes, cuivres, et citrouilles tombaient en spirales irrégulières vers le sol pavé de porphyre. Le falotier moldu avait déjà commencé sa tournée dans les quartiers de Paris, la fillette savait bien qu’elle aurait déjà dû se trouver dans son lit à cette heure du jour pourtant depuis qu’une missive était arrivée par hibou express plus personne ne lui portait attention. L’enfant ne s’en plaignait pas, elle avait l’habitude que sa mère l’ignore royalement mais elle était ravie qu’aujourd’hui sa nourrice la laisse se promener à sa guise dans l’hôtel particulier de ses parents.
L’enfant fut surprise d’entendre des claquements de talons dans cette partie de la demeure qui était pourtant vide depuis le départ de son père pour le siège de La Rochelle. Marie ne savait pas ce qu’était un siège ni où se trouvait La Rochelle, mais depuis que le marquis de Toiras avait fait mander son père, elle ne subissait plus, à chaque erreur, les éclairs rouges qui apportaient la douleur.
-Mademoiselle ! Vous voilà enfin ! Que vous est-il passé par la tête ! Vous savez très bien qu’il vous est interdit de venir ici ! Nous vous avons cherchée partout, l’heure n’est pas aux découvertes ! Nous devons vous changer Madame votre mère vous attend !
Docile, la petite se rapprocha de la femme au tablier blanc qui lui parler. Cette dernière la prit dans ses bras et dans un craquement sonore transplana dans la chambre de l’enfant où la nourrice de cette dernière attendait.
-Dieu du ciel ! Merci Madeleine de l’avoir retrouvée ! Où se trouvait la jeune dame cette fois ci ?
-Dans le couloir menant aux appartements de feu son père, pauvre petite, je suis sûre qu’elle a senti qu’il était arrivé malheur à Monsieur aujourd’hui !
-Enfin ma chère, vous savez aussi bien que moi que cette enfant était terrorisée par cet homme. Il était cruel avec elle comme il l’était avec nous toutes ! Que Merlin me pardonne mais béni soit ce moldu et son fusil qui nous ont débarrassé de ce tyran !
-Enfin Céleste ! Surveillez votre langage si quelqu’un vous entend, vous risquez de subir bien pire qu’un sortilège Doloris !
L’enfant, toujours dans les bras de Madeleine, suivait la conversation sans vraiment la comprendre. Pour manifester sa désapprobation d’avoir été arrachée de force à sa contemplation des feuilles, elle se mit à pleurer.
Ramenées à la réalité par les pleurs de la bambine, les domestiques stoppèrent leurs conversations. Aussitôt elle se retrouva dans les bras de Céleste qui se mit à la bercer d’une main experte. D’un coup de baguette Madeleine s’occupa des langes et d’un tour de poignet la robe de la fillette passa du Pervenche au noir. Ce changement de couleur fit cesser les pleurs de l’enfant qui se remit à babiller pour elle-même, les deux nourrices se précipitèrent alors en dehors de la pièce et traversèrent le couloir qui les séparait du salon au pas de course.
Marie de Coulanges attendait dans un petit salon aux murs Zinzolin et aux moulures or depuis bien trop longtemps à son gout. Elle avait passé une abominable journée à répondre aux hiboux express venant de tous horizons. Elle avait dû faire des allers-retours plus que désagréables par poudre de cheminette toute la journée afin d’informer les proches de la famille et les nobles les plus importants. Elle avait dû feindre un profond chagrin depuis la première heure du jour mais ses domestiques avaient tout de même l’impertinence de la faire attendre alors qu’elle leur avait donné la simple tâche de ramener sa fille au plus vite.
On frappa de petits coups rapides de l’autre côté de la porte en ébène.
-Entrez ! ordonna-t-elle aussi sèchement que le claquement d’un fouet sur la chair.
Les deux nourrices de sa fille s’avancèrent sans un bruit dans la petite pièce et déposèrent l’enfant sur le long sofa sépia, s’inclinèrent devant leur maitresse et commencèrent à sortir de la pièce.
Sans leur adresser le moindre regard la veuve reprit la parole d’une voix froide :
-La prochaine fois que vous mettrez autant de temps à réaliser une demande aussi simple vous pourrez toutes deux dire au revoir à vos emplois ! Restez ! Je n’en aurais pas pour longtemps.
Elle s’approcha ensuite de sa fille et prit la parole qui se voulait plus douce bien que toujours froide :
-Mon enfant, aujourd’hui votre père a été tué par un moldu dégoutant !
Puis, serrant le poing, elle marmonna pour elle-même :
-Bien qu’il ait le mérite de nous avoir débarrassés du fléau qu’était feu votre père…
Elle reprit à voix plus audible :
-Nous voilà donc dans l’obligation de porter le deuil pendant une période d’un an !
La fillette leva de grands yeux étonnés vers sa mère. C’était la première fois que sa mère lui parlait autant. Un soupir franchit les lèvres de la femme.
-Cette enfant est stupide… Je ne sais même pas pourquoi je prends la peine d’expliquer la situation à une enfant de huit mois. Ramenez cette enfant à sa chambre !
La dernière phrase fut prononcée d’une voix coupante. Les nourrices sursautèrent, elles s’empressèrent de récupérer le bébé et de quitter le salon.
Une fois revenues dans la chambre de la fillette, elles relâchèrent leurs respirations et Madeleine prit la parole :
-Cette femme me terrorise !
-Ne parlez pas si fort. Il est possible qu’elle ait placé des sortilèges d’écoute partout dans cette maison !
-Vous avez sans doute raison ! Couchons cette pauvre enfant, elle doit être exténuée !
La bambine fut mise au lit assez rapidement, les nourrices quittèrent la pièce non sans avoir embrassé l’enfant et fait apparaître une multitude d’étoiles colorées dans la pièce.
Marie de Rabutin-Chantal ferma les yeux et s’endormit presque aussitôt en se remémorant le ballet aérien des
feuilles d’automne.