Moi, Sélim Temple, j'ai toujours suivi les autres. C'est ça, je suis une suiveuse. Ou un mouton, si vous préférez. J'ai suivi ma mère lorsqu'elle a quitté mon père quand j'avais quatre ans. Juste après a commencé un défilé de « beaux-pères » plus ou moins riches, plus ou moins beaux, plus ou moins vieux. J'ai joué la belle-fille parfaite, ne créant aucun scandale, souriant aux blagues sexistes, ne rapportant aucune mauvaise note, rendant service. Et quand un vase se brisait comme par magie, je pleurais et jouais la comédie de l'enfant fragile. De cette manière, je m'attirais toujours plein de faveurs et de cadeaux de la part de mes beaux-papas.
J'ai pris exemple sur ma sublime, séductrice et aguicheuse maman, apprenant tout ce dont j'aurais besoin pour plus tard dans la vie. À neuf ans, j'ai reçu mon premier baiser de la part de mon premier « petit ami ». Il m'offrait des roses, c'était adorable. Je l'ai largué au bout de deux semaines, et j'ai enchaîné.
Ce n'est pas tout. J'ai aussi suivi mes « copines ». Au début c'était dur, car je ne comprenais pas vraiment la différence entre le vernis « rose pétant » et le « rose flashy ». Alors j'ai écouté. J'ai écouté, j'ai appris, j'ai appliqué. Je me suis mise à demander de l'argent, à me maquiller, à me renseigner sur la mode. Elles proposaient une sortie shopping avec leurs parents friqués ? OK. Elles décidaient de mener la vie dure à la petite Déborah couverte de boutons ? Très bien. Je désirais exclure Mary de notre cercle très privé, car elle avait adressé la parole à cette « salope » de Léa ? Parfait.
Et oui. Comme vous pouvez le voir, je ne suis pas n'importe quel type de suiveuse. Je suis au départ une inconnue, une étrangère, et en quelques mois je suis celle autour de qui tout le monde tourne.
À l'école, j'ai suivi les meilleurs. J'ai analysé leurs techniques de travail, les résultats qu'ils obtenaient et là encore, j'ai appliqué. Pas trop non plus, pour ne pas passer pour une intello et être rejetée par mes « amies ». Je laissais même la populaire Sarah m'aider dans une matière où je comprenais deux fois plus vite qu'elle. Et quand elle s'est retrouvée couverte d'excréments après m'avoir prise pour une débile une fois de trop, eh bien... c'est arrivé comme par magie, je vous dis.
J'avais depuis longtemps remarqué ce qui m'arrivait. Des petites choses étranges avaient lieu ici et là, principalement lorsque j'étais en colère ou bouleversée. Ma chère maman ne s'était jamais douté de rien et avait toujours mis ça sur le compte de mes petits caprices pour obtenir de l'attention, que je ne réservais qu'à elle. Aussi ai-je bien rigolé en voyant la tête de ma mère lorsqu'elle a lu la lettre de Poudlard pour la première fois. Malgré notre « complicité » apparente, cela me fit hurler de rire de la voir aussi stupéfaite, ébahie par quelque chose qui lui pendait au nez mais dont elle était trop obtuse pour ne pas avoir daigné y prêter attention. Bien sûr, quand j'ai reçu la lettre, j'avoue avoir été surprise également. Mais quelque part, je l'avais pressenti. Je l'avais toujours su : j'étais différente. Spéciale.
Le reste de l'année qui suivit, je me renseignai par tous les moyens possibles sur cette drôle d'école et ce tout nouveau monde rempli de sorciers, avec des us et coutumes que je ne connaissais pas. Je m'informai sur la mode, bien évidemment, mais aussi sur les objets du quotidien pour ne pas paraître ignorante si je venais à rencontrer un né-sorcier. En tant que née-moldue, j'avais des lacunes auxquelles je me fis un plaisir de remédier. Monnaie, espèces, histoire, célébrités, gouvernement. Cela devint un devoir pour moi d'en connaître au moins les grandes lignes.
On m'expliqua par la même occasion le fonctionnement de Poudlard, le système des maisons et pour moi ce fut comme une évidence. Je savais où j'allais aller, et je savais ce que j'allais faire. Là-bas, je trouverai du challenge. Là-bas, ces longues journées mornes deviendraient enfin intéressantes.
Avec ma mère, nous partîmes acheter mes fournitures une semaine avant le début des cours. Je choisis une belle chouette blanche afin d'être sûre de recevoir la Gazette du Sorcier tous les jours, journal auquel je m'abonnai avec plaisir, ainsi qu'un torchon qui semblait être tourné vers les gossips et autres. Évidemment, être au courant des derniers potins était essentiel. Je repérai au passage deux petites filles de mon âge, gloussant dans leur coin et secouant délicatement leurs boucles faites le matin même.
Sans hésiter, je choisis les accessoires les plus récents, et quand ma mère refusait devant le prix, je hurlais, crachais et la menaçais de dévoiler tous ses amants à mon beau-père actuel. Heureusement pour moi, elle ne pouvait pas se permettre de perdre un aussi bon parti. Le gars était atteint d'un cancer en phase terminale, ç'aurait été trop bête.
Elle céda devant mon sourire réjoui et lorsque j'arrivai sur le quai 93/4 le 1er septembre, ce fut d'un pas conquérant que je m'avançai parmi les élèves, vêtue des derniers vêtements moldus à la mode, une tenue chic, mais sobre. Car avant tout je restais une née-moldue, et les sorciers devaient le voir. Leur donner l'occasion de me juger, de me sous-estimer dès le début ne me permettrait que de mieux prendre le contrôle par la suite.
Et c'est là que je le vis. Il était sur le quai, entouré de ses parents, son frère et sa sœur, et d'une dizaine d'autres personnes qui semblaient faire également partie de sa famille. À la façon dont les passants les dévisageaient d'un air respectueux (et à la multitude de têtes rousses qui les encerclait, faut pas se mentir), je sus que j'avais trouvé la perle rare. Il me suffit d'examiner le visage du père pour confirmer ma déduction. Le fils de Harry Potter, le Survivant !
Sans perdre une seconde, ou même douter ne serait-ce qu'un instant, je m'avançai vers lui et au dernier moment, je fis comme si je ne l'avais pas vu et le renversai. Je m'empressai de m'excuser d'un ton doux auquel je donnai quelques trémolos et comme je m'y attendais, il me tendit sa main pour me relever. Je croisai son regard chocolaté, rougit brusquement (un exercice qui m'avait valu de longues heures d'entraînement) et acceptai sa main en détournant timidement la tête. Je le remerciai dans un murmure et déguerpis sans plus attendre.
Et cela ne manqua pas. Le soir même, alors que nous attendions pour entrer dans la Grande Salle, il me demanda comment je m'appelais. « Et toi ? » demandai-je d'une petite voix. Comme si je ne le savais pas. Enfin, il était vrai que je ne connaissais pas son prénom, mais je savais parfaitement qui il était. Quand il me répondit et qu'il constata l'absence totale d'émerveillement que j'aurais dû lui manifester, il parut encore plus heureux. Pauvre enfant piégé dans l'ombre de son papa...
Durant la répartition, je me plaçai près de mes nouvelles « amies », les deux pouffiasses du Chemin de Traverse. Tout se passait à merveille, comme je l'avais prévu.
À un détail près. Un gros détail. Effectivement, à mon plus grand choc, le Choixpeau hésita longtemps. Tellement longtemps que j'ai cru qu'il ne choisirait jamais. Et aujourd'hui encore, je me demande comment j'ai fini à Gryffondor plutôt que Serpentard. Moi, une âme de stupide Bouffon d'Or ? Merlin doit se foutre de moi.
Cependant, même si je fus plus qu'ébahie par le choix du chapeau, cela fut d'autant plus facile pour moi de me rapprocher de James Potter. Je me mis à sortir avec des dizaines de garçons de maisons différentes malgré mon manque total d'intérêt pour eux, m'assurant toujours de ne pas rester plus de deux mois avec l'un d'eux et de surtout, surtout, toujours me comporter différemment aux côtés du beau et attirant James Potter. Les joues qui rougissent, le regard fuyant, le bégaiement. Et le plus amusant dans tout ça, c'est que James avait le même comportement. Les filles, la durée des relations, et sa timidité autour de moi. À la différence que j'étais sûre que lui ne jouait pas la comédie. Pas trop le genre des Potter, vous voyez ?
Pendant cinq ans, j'ai bataillé dur comme fer pour obtenir ce que je voulais, pour avoir enfin la chance et l'honneur d'être LA petite amie du mec réputé inatteignable. Oui, on pouvait toucher James Potter, mais on ne l'atteignait vraiment jamais. Ou du moins, cet état de fait avait lieu jusqu'à moi.
Car enfin, mon désir s'est réalisé. Pendant les vacances, James s'est décidé à me demander si je voulais sortir avec lui. Il a hésité, rougi, pris du temps comme si c'était la première fois qu'il demandait cela à une fille. Mais il a finalement posé la question. Alors dès aujourd'hui commence ma nouvelle vie en tant que petite amie tant attendue de l'apprécié James Potter. Et vous savez ce que j'ai pensé ? La seule chose qui m'a traversé l'esprit quand je l'ai embrassé en face de tout le monde sur le quai 93/4 ?
C'était trop facile.