Tu seras viril mon kid
Je ne veux voir aucune larme glisser
Sur cette gueule héroïque et ce corps tout sculpté
Pour atteindre des sommets fantastiques
Que seule une rêverie pourrait surpasser
Quand celui à qui Blaise pensait maintenant comme son premier père mourut, il avait à peine trois ans. L’enterrement eut lieu le samedi matin, même pas deux jours complets après le décès.
Sa mère l’avait amené dans sa chambre pour le préparer, lui accrochant un nœud papillon inconfortable autour du cou, lançant un sortilège repousse-saleté sur ses pantalons, le tout sans rencontrer le regard de son fils. Blaise regardait sa mère s’affairer, si belle dans sa robe noire.
— Papa va nous rejoindre tout à l’heure ?
En train de se maquiller devant son miroir, elle se figea, puis se tourna vers le petit garçon
— Papa est mort, Blaise, dit-elle d’une voix sèche. Je te l’ai déjà dit. Tu sais ce que ça veut dire ?
Blaise hocha la tête, mais c’était un mensonge. Il ne savait pas, pas vraiment. On lui avait dit, mais on ne lui avait pas laissé le temps de comprendre. Sa mère tendit une main vers lui et il courut la prendre, espérant que cette fois on lui expliquerait.
— Ça veut dire que maintenant, c’est toi l’homme de la maison. Tu dois être fort comme l’était ton père.
La lèvre inférieure de Blaise se mit à trembler, des larmes lui montèrent aux yeux, mais sa mère leva un doigt.
— Pas de larmes, Blaise. Est-ce que je pleure, moi ?
Il secoua la tête.
— Et je suis une femme. Tu veux être plus faible qu’une femme ?
Blaise hésita un instant, puis secoua la tête à nouveau, puisque ça semblait être la réponse qu’attendait sa mère.
Quelques minutes plus tard, quand elle eut fini d’appliquer son maquillage, elle descendit les marches de la maison que lui laissait feu son mari, la petite main de Blaise dans la sienne, et traversa le salon plein de convives qui murmuraient sur son passage, la tête haute.
Ce ne fut que des années plus tard que Blaise comprit que ce n’était pas de la sympathie qu’avaient murmuré les invités, mais des suspicions.
Tu seras viril mon kid
Je ne veux voir aucune once féminine
Ni des airs, ni des gestes qui veulent dire
Et dieu sait si ce sont tout de même les pires
À venir te castrer pour quelques vocalises
Son deuxième père, que sa mère épousa quand Blaise avait quatre ans et demi, n’arriva pas seul. Tout d’un coup, le petit garçon avait un nouveau papa et une nouvelle grande sœur prénommée Lola. Lola avait presque deux ans de plus que Blaise et s’en servait comme poupée, l’installant sur son lit et lui barbouillant le visage du maquillage qu’elle avait piqué à sa belle-mère.
Un soir, elle avait passé près d’une heure complète devant Blaise, avait utilisé toutes les brosses et toutes les couleurs de la boîte de maquillage. Quand elle apporta le miroir à son demi-frère, celui-ci admira ses lèvres rouge vif, ses joues roses et ses paupières dorées. Et se trouva magnifique.
— Attends, il manque un truc…, dit Lola, un doigt sur la lèvre inférieure.
Puis, elle tapa des mains, se précipita vers sa garde-robe, et revint vers le lit, un châle orange à la main. Elle l’enveloppa autour du cou du garçon, puis se déclara satisfaite.
— Viens, on va montrer à papa et ta maman !
La fillette blonde attrapa la main de Blaise et le tira vers le salon, où se trouvaient les adultes. Tous deux sursautèrent en apercevant le visage de Blaise, mais alors que le père de Lola dut se mordre la lèvre pour ne pas éclater de rire, sa femme, elle, fronça les sourcils et durcit les lèvres.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? Va te laver le visage de ces cochonneries immédiatement !
Les sourires de Lola et Blaise s’effondrèrent, et ils se rendirent la tête basse à la salle de bains pour se rincer. Derrière eux, ils entendaient leurs parents discuter d’eux comme s’ils n’étaient plus là.
— Oh allez, c’est pas un drame, dit légèrement le père de Lola. Tous les enfants font ce genre de bêtise.
— Pas mon fils ! Mon fils est un homme, il ne doit pas jouer à des jeux de petite fille…
— Il a cinq ans !
— Oui, j’ai assez attendu. Tu crois qu’ils pourront le prendre à ton club de boxe ?
Blaise ne comprenait pas ce qu’il y avait de si terrible dans ce qu’il avait fait – sa mère ne semblait même pas fâchée du maquillage gaspillé –, mais cette dernière phrase, il avait compris. Il sortit de la salle de bains, le visage à moitié lavé, son rouge à lèvres étalé sur tout son menton.
— Je veux pas faire de boxe, dit-il le plus fermement possible du haut de ses cinq ans. Je veux faire de la danse comme Lola.
Le regard que lui jeta sa mère était du pur dégoût.
— Tu feras de la boxe, dit-elle d’une voix froide. Un point c’est tout. Maintenant, finis de te laver, et dis à ta sœur que je ne veux plus qu’elle joue avec toi.
Quand son deuxième père mourut, dix-huit mois plus tard, Lola disparut elle aussi, et Blaise ne la revit plus jamais.
Tu seras viril mon kid
Loin de toi ces finesses tactiques
De ces femmes origines qui féminisent, groggysent
Sous prétexte d’être le messie fidèle
De ce fier modèle archaïque
Lorsqu’il avait neuf ans, Blaise passait beaucoup de temps chez ses voisins. Sa mère était si préoccupée par son troisième mari qu’elle ne faisait presque plus attention à son fils, la laissant passer toute la journée à l’extérieur s’il en avait envie.
Elle faisait des pieds et des mains pour servir ce mari ; Blaise ne voyait plus en elle la femme forte qu’elle avait été, celle qui l’avait élevé presque seule. Le nouvel homme de la maison passait ses soirées dans le salon à écouter la radio, ses pieds nus et sales remontés sur la belle table basse qui avait appartenu aux arrières-grands-parents Zabini, une bouteille de Bièraubeurre à la main. Il rotait et demandait à sa femme de lui faire à manger, et celle-ci se précipitait dans la cuisine pour répondre à ses moindres désirs.
Un jour, il l’avait interceptée et lui avait demandé :
— Pourquoi tu le laisses te traiter comme ça ?
— Comme quoi ?
— Comme une elfe de maison.
Elle répondit d’un rire et donna une petite tape à la joue de son fils.
— C’est ça les mariages, mon grand. Tu verras quand tu seras adulte.
Et elle était partie vers le salon, une bouteille froide de Bièraubeurre à la main pour l’homme du moment.
Mais Blaise savait que ce n’était pas vrai. Dans la famille des voisins, quand le père demandait à la mère de faire quelque chose, elle lui répondait d’aller le faire lui-même. Puis ils riaient, s’embrassaient et y allaient ensemble. Son ami Lucas levait les yeux au ciel avec une expression de dégoût, mais Blaise souriait. Quand il serait adulte, c’était un mariage comme ça qu’il voulait, un mariage égal. Jamais il ne traiterait qui que ce soit comme cet homme traitait sa mère.
Ce mariage ne dura que sept mois, avant que l’homme ne disparaisse et ne soit plus jamais revu. Blaise n’en parla plus jamais, et sa mère non plus. Ce fut comme s’il n’avait jamais existé.
Tu seras viril mon kid
Tu tiendras dans tes mains l’héritage iconique
D’Apollon, et comme tous les garçons
Tu courras de ballon en champion
Et deviendras mon petit héros historique
Quand Blaise avait onze ans, sa mère et son quatrième père l’accompagnèrent sur le quai neuf et trois-quarts le jour de sa première rentrée. Il avait cru qu’il devrait s’y rendre seul, traîner sa propre malle lourde derrière lui, mais quand il avait vu sa mère se préparer à sortir, il avait cru que ses rêves se réaliseraient enfin. Elle l’embrasserait sur le quai, lui dirait qu’il lui manquerait toute l’année, lui ferait promettre de lui écrire tous les jours. Peut-être même que quelques larmes couleraient sur ses joues d’ébène.
Mais les voilà sur le quai, devant le train rutilant, et sa mère ne le regardait même pas. Une de ses mains était posée lourdement sur l’épaule de son fils, et son regard courait sur la foule, comme si elle était à la recherche de quelqu’un. Blaise aussi admirait la scène qui l’entourait, toutes ces familles heureuses qu’il enviait tellement. Des mères qui embrassaient leurs enfants, des pères qui aidaient à mettre des malles dans le train.
Non loin de lui se trouvait toute une famille de roux, une mère et quatre… non, cinq enfants ! Ils avaient l’air si sympathiques que Blaise sourit juste à entendre leurs rires. Peut-être pourrait-il faire leur connaissance une fois dans le train.
— Ah, les voilà.
Sa mère appuya sur l’épaule de Blaise pour qu’il se retourne, le tirant de son observation. Elle indiqua du doigt un homme, une femme et un garçon blonds, l’air plus hautain et déplaisant les uns que les autres.
— Les Malefoy, dit-elle. Leur fils, Drago, fait sa rentrée aujourd’hui aussi. Il sera un excellent ami pour toi.
— Oui, mère.
Inutile de lui expliquer qu’il avait envie de trouver ses propres amis, pour une fois.
— Il ira à Serpentard. Comme toi, pas vrai ?
Elle plissa des yeux et Blaise hocha la tête.
— Il faut que tu maintiennes la tradition familiale. J’ai été à Serpentard, et ton père a été à Serpentard.
Le regard de Blaise se posa sur le mari du moment.
— Pas lui, lui a été à Serdaigle, dit madame Zabini avec une grimace. Je parle de ton vrai père.
Pendant des années, Blaise se demanderait ce que la vie lui aurait réservé s’il avait eu le courage ce jour-là de défier sa mère, de frapper à la porte du compartiment de Weasley et Potter, de ne pas supplier le Choixpeau de l’envoyer à Serpentard.
Malheureusement, il ne le saurait jamais.
Tu seras viril mon kid
Je veux voir ton teint pâle se noircir de bagarres
Et forger ton mental pour qu’aucune de ces dames
Te dirigent vers de contrées roses, néfastes
Pour de glorieux gaillards
Blaise avait douze ans le matin où apparut dans leur salle commune un parchemin annonçant l’organisation prochaine d’un club de Duel. Au cours de sa lecture, il sentit son estomac tomber dans ses talons. Un club de Duel, c’était presque comme si les professeurs s’attendaient à ce qu’ils doivent se battre contre ce qui était en train de terroriser l’école.
— Super, un club de Duel !
Blaise réprima un sursaut, se tournant calmement vers Drago, qui venait d’arriver en compagnie de ses fidèles Crabbe et Goyle.
— Organisé par cet imbécile de Lockhart, continua-t-il. Ça risque d’être hilarant.
Drago s’avança pour inscrire son nom à la liste d’intéressés, puis tendit la plume à Blaise.
— Tu viens aussi ?
Oh, comment Blaise aurait aimé dire non ! Apprendre à se battre, et devant tout le monde en plus, il ne pouvait penser à rien qui lui fasse moins envie !
Mais il pouvait déjà voir le dégoût dans les yeux de sa mère quand elle apprendrait qu’il avait encore raté la chance d’afficher sa masculinité, d’agir en homme ! Il avait eu de la chance d’être seul près du lac quand il avait reçu sa Beuglante, le jour où elle avait appris qu’il n’avait même pas participé aux essais pour l’équipe de Quidditch de Serpentard. Il ne tenait pas à répéter l’expérience.
— Mouais, pourquoi pas, ça peut être bien, dit-il d’une voix traînante, avec l’air désintéressé qu’il arborait de plus en plus souvent pour masquer son anxiété.
Il gribouilla son nom au pied de la liste, puis alla s’asseoir sur un fauteuil vert avec Malefoy. Celui-ci souriait d’un air rêveur.
— Le mari de ta mère est boxeur, pas vrai ?
— Ouais.
Encore un.
— Il pourrait nous donner quelques trucs, tu crois ? Histoire de pouvoir tabasser les Gryffondor comme il faut…
Blaise frissonna. Se battre avec des baguettes, c’était une chose, mais frapper à mains nues ? Quelle horreur !
Tu seras viril mon kid
Tu hisseras ta puissance masculine
Pour contrer cette essence sensible
Que ta mère nous balance en famille
Elle fatigue ton invulnérable Achille
Le dix-neuf juillet 1993, alors qu’il avait treize ans, Blaise assistait à l’enterrement du sixième mari de sa mère. Comme à son habitude, madame Zabini se tenait bien droite à la place d’honneur devant le cercueil, un voile noir cachant l’absence de larmes sur son visage dur.
Après six funérailles, sa mère n’avait presque plus d’amis pour occuper les bancs de la chapelle. Tout le monde s’était éloigné d’elle, l’évitant et murmurant des rumeurs sur son passage. Blaise avait fini par avoir vent de ces rumeurs – vers le quatrième mari – mais refusait d’y croire. Cette suite de décès et de disparitions, de plus en plus rapprochés, n’étaient que le fruit d’un hasard morbide, rien de plus.
Habituellement, lors de ces cérémonies funestes, mais heureusement de plus en plus courtes, Blaise était détaché et écoutait à peine le mage, rêvassant plutôt au livre qu’il était en train de lire ou à la collation qu’il se ferait ce soir-là. Mais ce jour-là, il était triste. Ce sixième père, il lui avait plu. Il était sympathique et rigolo, il aimait lire et n’aimait pas la boxe. Blaise avait même échangé des lettres avec lui pendant l’année, lui avait demandé de l’aide pour un devoir et lui avait raconté des anecdotes de ses journées. Des choses qu’il n’avait faites avec aucun des autres hommes qui avaient joué un rôle dans sa vie.
Quand les Zabini rentrèrent chez eux après la cérémonie, madame Zabini posa son chapeau sur la table d’entrée et se tourna vers son fils.
— Tu n’as presque rien dit depuis ce matin. Qu’est-ce que tu as ?
— Rien, mère.
Mais loin de se détourner, elle s’approcha de son fils, lui agrippant le menton pour mieux lui scruter le visage. Soudain, elle lâcha un hoquet de dérision.
— Me dis pas que tu es triste pour cette mauviette ?
Blaise détourna le regard, et sa mère éclata d’un rire dur.
— Crois-moi, il ne mérite pas ton émotion. Il ne valait rien, comme mari. J’en trouverai un qui sera un meilleur exemple pour toi, un vrai homme.
Dans un rare moment de défi, Blaise secoua la tête pour se défaire de la poigne de sa mère, lui tourna le dos et grimpa les escaliers quatre à quatre. Jamais un homme qu’épouserait sa mère ne serait meilleur pour lui que l’avait été ce sixième mari, pensa-t-il.
Et il avait raison.
Tu seras viril mon kid
Tu compteras tes billets d’abondance
Qui fleurissent sous tes pieds, que tu ne croiseras jamais
Tu cracheras sans manière en tous sens
Défileras fier et dopé de chair, de nerf protéiné
À peine cinq semaines plus tard, Blaise était chez Tissard et Brodette avec celui qui deviendrait bientôt son septième père. Celui-ci se trouvait sur le podium de la salle d’essayage et admirait la robe bleu sombre sous toutes ses coutures.
— Ça plaira à ta mère, tu crois ?
Blaise arracha son regard des délicates robes de bal exposées devant le comptoir et le porta sur le grand homme blond devant lui. « Tant que personne ne peut douter de la quantité de Gallions que tu as dépensée… » avait-il envie de répondre, mais il se contenta d’un hochement de tête et d’un sourire crispé.
Le fiancé du moment se déshabilla, puis revint vers Blaise.
— À ton tour maintenant !
— Ici ? Je croyais qu’on irait chez Madame Guipure…
— Pff, Guipure !
L’homme fit un geste dérisoire de la main.
— C’est bon pour tes robes d’uniforme, mais cette année Poudlard a demandé une robe de bal, et ta mère m’a demandé de te trouver le meilleur.
— C’est pas nécessaire, je –
— Je te l’offre ! Après tout, c’est pas en portant du Guipure que j’ai trouvé ta mère ! Rien de mieux pour attirer une jolie fille qu’un peu d’étalage, pas vrai ?
Le blond fit un clin d’œil, et ne s’écarta que quand Blaise y répondit. Il se dirigea vers le fond de la boutique et agrippa un tissu rouge vin, le caressant entre ses paumes.
— Magnifique. La couleur sera superbe sur ta peau. Mademoiselle !
Il claqua des doigts jusqu’à ce qu’une jeune employée de la boutique accoure vers lui.
— Votre plus belle robe dans ce tissu de sa taille !
Il désigna Blaise du doigt. Avec un soupir intérieur, le Serpentard tourna le dos aux robes qui l’intéressaient vraiment et se prépara, encore une fois, à enfiler les désirs de sa mère.
Tu seras viril mon kid
Tu brilleras par ta force physique
Ton allure dominante, ta posture de caïd
Et ton sexe triomphant, pour mépriser les faibles
Tu jouiras de ta rude étincelle
C’était Noël 1996. Les Zabini – mère, fils et mari numéro huit – étaient au traditionnel réveillon des Malefoy, avec les trois-quarts des familles sorcières de sang pur d’Angleterre. Blaise se demanda s’il pourrait s’éclipser pour aller retrouver ses amis, mais, comme si elle avait entendu ses pensées, sa mère posa une main ferme sur son avant-bras.
— Tu vois quelqu’un qui t’intéresse ?
— Quelqu’un qui… Mère, j’ai seize ans !
— Et dans quelques mois tu en auras dix-sept, dans un an et demi tu auras fini Poudlard. Il faut penser à ton avenir, à mes futurs petits-enfants. Plus tu t’y prends tôt, plus tu auras du choix. Alors ?
Blaise frissonna. Il se retourna vers l’assemblée, tentant de voir les jeunes femmes comme les voyait sa mère, comme des articles de marché, mais il n’y arrivait pas. Il ne voyait que des camarades qu’il connaissait depuis son enfance.
— Les Greengrass, c’est dommage, mais je crois que les Malefoy discutent déjà avec eux. Enfin, il y en a deux, Drago ne pourra en avoir qu’une, alors peut-être…
Blaise leva les yeux au ciel. Si sa mère savait ce que Drago disait de Daphné dans le secret de leur dortoir…
— Parkinson, elle est jolie…
Un Veracrasse pourrait sans doute tenir une conversation plus intéressante…
— Bulstrode, n’en parlons même pas…
Blaise jeta un regard vers Millicent, seule près du piano avec une flûte de champagne. Avec son menton carré et ses yeux rapprochés, ce ne serait pas elle qui s’attirerait les meilleures offres des familles les plus pures. Tant mieux pour elle, pensa-t-il. Elle pourra échapper à la pression.
— Il ne faut pas oublier les jumelles Carrow, aussi, continua madame Zabini. Elles sont plus âgées que toi, mais ça peut être une très bonne chose, aussi…
Blaise soupira intérieurement. Et s’il disait à sa mère qu’il ne voulait épouser aucune de ces filles ? Aucune fille tout court, même ? Ou peut-être qu’il ne voulait pas se marier du tout, et procréer encore moins ? Ce n’était pas comme s’il avait eu un brillant exemple à suivre…
— Je serais ravi de vous présenter des filles de Beauxbâtons, proposa le compagnon de sa mère. Il y a beaucoup de sang pur sur le continent aussi.
Blaise eut un regard en biais vers le mari numéro huit. Un jeune Italien, à peine sorti de l’école, même pas la moitié de l’âge de sa mère. Et probablement un QI qui avoisinait ce même nombre…
— Quelle bonne idée ! s’exclama madame Zabini en tapant des mains. On ira passer l’été en France, on partira tout de suite après tes examens !
À quoi bon lui dire quoi que ce soit ? Elle ne l’avait pas écouté quand il avait dit ne pas vouloir faire de boxe, ni de Quidditch, ni aller à Serpentard, ni venir à cette stupide fête ce soir…
Mais elle avait raison sur une chose : dans quelques mois, il aurait dix-sept ans. La majorité. Plus rien ne l’obligerait à suivre ses règles, à porter le poids de ses attentes. Dans un mois et demi, il pourrait enfin commencer à vivre sa vie comme il l’entendait.
Mais moi, mais moi, je joue avec les filles
Mais moi, mais moi, je ne prône pas mon chibre
Mais moi, mais moi, j’accélérerai tes rides
Pour que tes propos cessent et disparaissent
Sous le regard attendri de Blaise, une fillette de trois ans et demi était assise par terre, une demi-douzaine de poupées éparpillées autour d’elle. Un petit doigt sur sa lèvre, elle les contemplait une à une puis, après beaucoup de considération, en sélectionna deux : une grande rousse, qu’elle posa sur ses genoux, et une à la peau foncée et aux cheveux crépus, qu’elle tendit à l’adulte qui la regardait faire.
— Tu viens jouer avec moi ? demanda-t-elle s’une voix fluette. On va faire un défilé de mode.
Blaise se laissa glisser du fauteuil et se joignit à la petite. Elle lui tendit sa poupée, et lui ordonna de prendre sa place dans la salle d’habillage.
— Elles choisissent une robe pour le bal de Noël à Pou’lard. Mets la rouge, c’est la plus belle.
Blaise enfila avec difficulté la robe étroite sur la poupée, maudissant intérieurement sa femme qui lui avait interdit d’utiliser sa baguette devant les enfants. « C’est pas juste, j’en ai pas de baguette, moi ! Ils apprendront à faire des efforts, comme maman ! »
L’enfant avait réussi avec plus de dextérité que l’adulte. Sa poupée blonde arborait maintenant d’innombrables froufrous roses, en plus d’un chapeau de sorcière doré brillant et de bottes orange fluo. Blaise se mordit la lèvre pour retenir un sourire amusé.
— « Tu es trop belle, Tiffany ! » dit la petite, tenant sa poupée par la taille et la faisant se dandiner devant celle de Blaise.
— « Merci ! » répondit la poupée brune d’une voix aiguë. « Mais pas autant que toi… » Euh…
— Dina, murmura la fillette.
— « Dina ! J’adore tes bottes ! »
— « Oui je sais, elles sont trop belles. »
Soudain, la poupée arrêta de bouger, et les yeux de la fillette se perdirent dans le vague. Blaise s’apprêtait à lui demander si tout allait bien quand elle laissa tomber la poupée et se jeta à son cou, serrant ses petits poings dans les longs cheveux noirs.
— Toi aussi tu es trop belle, papa.
Blaise sourit, des larmes lui montant aux yeux.
— Pas autant que toi, répondit-elle d’une voix enrouée.
Enfin, elle avait trouvé ce qu’elle avait toujours cherché : la véritable Blaise Zabini.