La neige tombait doucement devant la fenêtre. Les grands flocons blancs virevoltaient dans le vent de ce mois de décembre. Eclairés uniquement par l'unique lanterne devant la maison, la nuit était noire à peine quelques mètres plus loin. Florentine Moon se détourna avec un soupir. La neige qui tombait dehors n'arrangerait rien. En réalité il était complètement vain de penser que quoique ce soit puisse changer la situation.
Une fois de plus, Florentine se demandait pourquoi elle ne pouvait pas être comme sa sœur. Jamais Melusine ne se serait mise dans une situation pareille. Un nouveau soupir accompagnait cette pensée familière. Mais Melusine était morte et n'avait jamais eu la possibilité de se mettre dans cette position, c'était peut-être pour cela qu'elle pensait qu'elle ne l'aurait jamais fait.
- Flo, l'appela une voix dans son dos. Tu ne veux pas venir t'asseoir avec nous ? J'ai préparé des scones pour la réunion. Elle va commencer dès que tout le monde est là.
Le regard bleu sombre de Florentine se posa sur la jeune femme rousse qui brillait dans son rôle d'hôte - alors même que l'Ordre du Phénix ne se réunissait pas dans le petit appartement que Lily Potter partageait avec son mari. Trop dangereux, avait dit le professeur Dumbledore avant de préférer le cottage de la famille Prewett. La grand-mère devait se retourner dans sa tombe à voir les pro-moldus se réunirent chez elle. Les jumeaux Fabian et Gideon - seuls habitants de cette maison depuis la mort de leurs parents et le mariage de leur petite sœur - en étaient même très fiers.
- Alors ? insista Lily. Tu viens ?
Florentine replaça une mèche de ses cheveux d'un châtain quelconque et rejoignit les membres réunis autour de la grande table de la salle à manger. Au milieu trônaient les gâteaux promis accompagnés de confiture à la fraise préparée par la mère de Lily. De la confiture moldue donc. Elle se força à sourire aux sorciers présents.
Il y avait évidemment Fabian et Gideon Prewett, faisant une partie de cartes explosives avec Benjy Fenwick qui occupait une place importante au Ministère. Edgar Bones et Dorcas Meadowes discutaient d'un projet de loi avec l'auror Alastor Maugrey en faisant de grands gestes avec les mains. Dedalus Diggle ramassait son chapeau qu'il avait fait tomber en s'inclinant devant elle. Remus Lupin s'entretenait avec Alice et Frank Londubat. Le reste des dénommés Maraudeurs lui donnaient la nausée : Peter Pettigrow fixait avec adoration ses deux amis James Potter et Sirius Black qui devaient certainement préparer un mauvais coup. Après tout, ils ne savaient rien faire d'autre. Elle ne comprenait vraiment pas ce que Lily avait bien pu trouver à James. Ou plutôt elle se demandait pourquoi elle était encore amie avec la rousse. Si on pouvait parler d'amitié.
Elle avait rencontré Lily Evans à la bibliothèque de Poudlard pendant leur troisième année. Son grand frère avait passé ses ASPICs et elle avait été assise seule à une table. Evidemment la Gryffondor qu'elle ne connaissait que de vue malgré les cours qu'elles avaient parfois en commun l'avait prise en pitié et intégrée de force à son petit groupe d'amies.
- Lily, Flo !
La jeune Moon poussa un nouveau soupir silencieux. Elle n'aimait pas vraiment Marlène McKinnon. Encore moins depuis qu'elles avaient quitté Poudlard puisque Lily ne la rappelait plus à l'ordre pour réviser. Elle était bruyante, exubérante et toujours de bonne humeur. Elle l'insupportait. Surtout quand elle se sentait obligée de lui faire un câlin devant tout le monde.
Heureusement que le vénérable directeur de l'école de magie choisit ce moment pour arriver par la cheminée. Pourquoi se sentait-elle toujours encore comme une petite écolière devant le vieil homme ? En bonne Serdaigle, elle n'avait jamais eu la moindre punition et n'avait jamais été convoquée dans le bureau du directeur avant la mémorable soirée où Lily, Marlène et Alice l'y avait entraînée pour rejoindre l'Ordre du Phénix. Elle ne savait pas se battre mais elle ne voulait pas non plus continuer de vivre sous la peur constante de Vous-Savez-Qui. Alors elle avait appris. Et surtout, elle avait eu accès aux informations. Mais il ne fallait pas qu'elle y pense maintenant. La rumeur courrait que Dumbledore était legilimens.
- Bonsoir, professeur !
Les voix des membres de l'Ordre résonnaient dans la salle à manger. Elle s'installa à côté d'Edgar. Lui, elle l'aimait beaucoup. En tout cas, il n'était pas aussi idéaliste et naïf que les autres. Il savait qu'il y avait des choses que même la meilleure raison du monde ne justifiait pas. C'était peut-être pour ça qu'elle avait accepté de sortir avec lui. Ce n'était pas Melusine qui voudrait qu'elle ne vive pas sa vie. Il fallait qu'elle lui dise, il comprendrait.
La réunion porta surtout sur une action prévue pour la semaine prochaine et visait à démasquer un mangemort suspecté. C'était au cours d'une mission comme celle-ci que Melusine avait été tuée. Une simple mission qui n'aurait pas dû causer le moindre combat. En théorie évidemment ! Ces courageux et altruistes héros avaient réellement cru que quelqu'un se laisserait simplement emmener par un auror hors service, surtout s'il était accusé d'homicide ! Cela en disait long sur leur intelligence, n'est-ce pas ? Et en plus ils n'en avaient rien appris !
- Et si Yaxley ne tombe pas dans le piège ? Et s'il se bat ?
Elle passait toujours pour la lâche, pour la sceptique. Pour celle qui posait les questions qui gênaient et qui encourageaient presque à abandonner les projets. C'était probablement ce qu'elle était en fait. Même si apparemment personne n'avait pour le moment fait le lien avec Melusine. Aucun d'entre eux ne s'intéressait assez à elle pour découvrir les nombreuses cicatrices qu'elle portait dans son cœur.
Ils ne voyaient que la jeune femme mélancolique et peureuse qu'elle était dans une certaine mesure. Ils croyaient qu'elle avait appris à combattre, à lancer des sorts offensifs sur leurs ennemis, à espionner le Ministère et les familles de sang-pur. Ils n'avaient pas remarqué qu'elle avait appris à disparaître dès qu'un combat se pointait, à garder les yeux secs en apprenant une nouvelle mort, à mentir en les regardant droit dans les yeux. Ils ne se doutaient pas une seconde qu'elle pouvait vouloir se venger.
Florentine ne jouait pas un jeu quand elle proposait des améliorations pour leurs plans, quand elle les soignait après une bataille rude, quand elle parlait d'égalité entre les sorciers. Elle approuvait leurs idéaux. Elle aussi voulait un monde meilleur, sans corruption, sans attentats et surtout sans meurtres. Mais elle désapprouvait leurs méthodes, leur espionnage pour avoir de l'avance, leur combat caché comme un vulgaire groupe de résistance interdit par le gouvernement, leurs batailles rangées avec l'ennemi, leurs meurtres. Et surtout leur hypocrisie qui les rendaient convaincus qu'ils agissaient pour la bonne cause. Qu'ils pouvaient tout se permettre parce qu'ils étaient les bons. Comme si ça existait.
- Il ne fera pas de résistance, déclara Maugrey avec une grimace qui lui donnait froid dans le dos. La loi est passée, les aurors ont eu le droit d'utiliser les impardonnables.
Sa déclaration jeta un froid dans le groupe. Puis Sirius éclata de rire.
- Ça facilitera bien des missions !
- Tant que ça ne se retourne pas contre nous, commenta Lily qui avait encore un semblant de moral.
Personnellement, Florentine s'inquiétait plus pour tous les innocents suspectés à tort. Si les aurors avaient le droit de vie et de mort sur les sorciers, elle pouvait dire adieu à son espoir de démocratie ou de justice. En plus, les membres réagissaient comme si cette nouvelle loi les autorisait eux alors que seuls les aurors en service y étaient autorisés. Cela confirmait ce qu'elle savait déjà, ils n'avaient pas attendu pour se servir des grands moyens et cherchaient maintenant à se légitimiser.
- Je pense que cette loi n'aurait jamais dû passer, déclara Edgar Bones de son ton posé.
Sa grande sœur Amelia avait acquis une certaine réputation dans le département de justice pour s'être battue contre ce projet. Florentine avait souvent assisté à ce débat quand elle était invitée chez les Bones. Après tout, le plus jeune n'était pas contre cette mesure... Comme beaucoup trop de sorciers dans tout le pays. Cela mettait Florentine mal à l'aise. Elle tenait à la liberté et à la vie.
- Elle nous fera gagner la guerre ! s'enthousiasmait James Potter.
Florentine allait quitter cet Ordre. Elle avait peur. Elle allait quitter ce pays. Elle ne voulait pas mourir. Elle ne serait jamais protégée par l'Ordre du Phénix même si elle en faisait partie. Elle était trop insignifiante, sans rôle important, sans courage suicidaire. Elle ne serait jamais protégée par les mangemorts même si elle avait le sang pur. Elle était trop tolérante, sans haine pour les moldus, sans folie génocidaire. Elle voulait juste vivre. Et venger sa sœur. Parce que Melusine aurait voulu vivre aussi.
Florentine allait se battre. Elle avait peur. Elle allait défendre son pays et sa liberté. Elle ne voulait pas mourir. Elle ne serait jamais protégée par un des deux camps qui se déchiraient sur le champ de bataille. Elle n'était pas assez importante. Et pourtant, pourtant elle ne pouvait pas fermer les yeux face à l'énormité du conflit. Aucun des deux côtés n'était innocent, même s'ils se plaisaient à le croire.
Au final, les deux côtés n'étaient pas si différents. Pour tous, la vie d'une jeune femme innocente ne valait rien. Les vies d'une quantité de personnes innocentes ne valaient rien. Les uns les tuaient parce qu'ils savaient qu'ils étaient né-moldus, les autres les tuaient parce qu'ils croyaient qu'ils étaient mangemorts. Oui, elle voulait un monde juste, mais pas au prix de vies innocentes.
Florentine avait souvent pensé glisser des informations à un mangemort réputé - elle en croisait suffisamment pour que ce soit un jeu d'enfant - mais au fond elle ne le voulait pas. Florentine avait souvent aidé à élaborer des actions dans l'Ordre du Phénix - elle en faisait partie depuis suffisamment longtemps pour être une tête pensante - mais au fond elle ne le voulait pas. Elle ne croyait pas en la supériorité des sang-purs. Elle voulait la paix et la liberté. Elle savait que les mangemorts ne pouvaient rien apporter de bon. Mais elle en voulait à l'Ordre du Phénix, elle les haïssait à un point qui la surprenait elle-même quand elle se laissait envahir par cette émotion. Elle ne pouvait pas rester neutre et pourtant il n'y avait aucun côté qui lui parlait. Elle était seule, elle le savait.
Elle ne savait plus ce qu'elle pouvait faire pour venger sa sœur. Elle ne savait pas si elle pouvait continuer de soutenir des personnes qui allait tuer sans remords leur compatriotes juste parce qu'il se pouvait qu'ils étaient des meurtriers eux-aussi. Ils pouvaient se tromper. Ils s'étaient déjà trompés et ils se tromperont encore.
Florentine ne réalisa que la réunion était terminée que lorsqu'Edgar lui prit la main. Sortant de ses pensées, elle se leva et sortit sans perdre un mot de plus. Elle n'était pas d'humeur à supporter les bavardages sans fin de Lily et Alice, sous les commentaires de leurs maris qui se croyaient invincibles.
La neige tombait toujours encore en de grands flocons blancs. Une couche épaisse recouvrait le sol et crissait doucement sous ses pas. Il faisait froid et la sorcière regretta de ne pas avoir pris de cape plus épaisse.
Florentine ne savait plus ce qu'elle voulait faire. Elle était perdue. Qu'est-ce que Melusine aurait-elle fait à sa place ? Ce n'était probablement pas la question à poser puisque sa grande sœur ne se serait pas mise dans cette situation et ne se serait pas questionnée de toute façon. Melusine serait restée chez elle et aurait élevé ses enfants. Elle était réellement amoureuse de Tiberius Rowle. Inimaginable qu'elle aille se battre pour une question de liberté.
La neige tombait de plus en plus densément. Dans quelques minutes, elle pourrait transplaner sans avoir à se soucier des éventuels moldus qui pourraient la voir.
- Flo ! l'appela une voix rendue faible par le vent. Attends !
Comme malgré elle, la sorcière se tourna vers les deux jeunes hommes qui la rejoignaient difficilement. James Potter et Sirius Black. Evidemment. Ils ne pouvaient pas la laisser partir comme ça, après qu'elle ait été d'une opinion différente de la leur.
- Pourquoi tu es tellement contre tout ce qu'on fait ? La voix de Potter tremblait un peu.
- On dirait presque que tu souhaites nous bloquer, accusa Black d'un ton qui n'était pas sans rappeler celui de sa mère.
Elle ne savait pas pourquoi elle répondit à cette provocation tellement puérile. Peut-être parce qu'il y avait vraiment des informations qui fuitaient de l'ordre et que personne ne savait qui avait pu les trahir.
- Peut-être parce que quand vous agissez mal, vous ne vous en rendez même pas compte. Vous vous croyez tellement héroïques...
- Je t'assure que nous ne nous en prenons pas aux innocents. Seulement à ce qu'on suspecte être mangemort.
- Raconte ça à ta conscience. Moi, je sais que vous avez tué ma sœur.
Florentine n'attendit pas de réponse. Elle transplana avec un étrange sentiment de tristesse. La neige tombait doucement derrière elle.