Charlie était allongé sur son lit, les bras en croix, les yeux grand-ouverts. Dans la réserve roumaine, les huttes des dragonniers étaient rondes avec des plafonds très hauts et des murs évasés qui les faisaient ressembler à des champignons. Celle de Charlie se composait d’une vaste pièce unique - si on exceptait la petite salle d’eau - et son plafond magique était pour l’heure entièrement transparent.

Si d’autres activités intéressantes pouvaient s’y dérouler, le lit du dragonnier constituait en premier lieu un observatoire céleste hors du commun.
Luna était restée deux jours à la réserve. Deux jours et deux nuits. Et cela avait été intense. La troisième nuit, Charlie avait dormi comme un bienheureux. Une journée de dragonnier demandait beaucoup d’efforts physiques et magiques et se reposer un peu la nuit était globalement une bonne idée pour persévérer dans le métier.

Ce quatrième soir, Charlie regardait les étoiles. Parfois, Norberta, manifestement peu concernée par le fait que les norvégiens à crêtes était strictement diurnes, survolait la hutte en émettant de petits jets de flamme intempestifs. Incontinence ignée ou attentat contre les chauve-souris? Les dragonniers avaient renoncés à enquêter, ils se contentaient de lancer des sorts de protection à leurs hiboux et de recommander à Merlin les courriers qui arrivaient de l’extérieur de la réserve. Charlie poussa un soupir de frustration et roula hors de son lit. Il avait envie de revoir Luna.

Bien sûr, il pourrait la croiser au Terrier à l’occasion d’une réunion familiale.Son père était le plus proche voisin des Weasley et Luna était une amie intime de Ginny et Ron… Cela l’étonnait d’ailleurs un peu de ne jamais avoir remarqué la jeune femme jusqu’à présent. Mais ces dernières années, elle ne devait plus revenir chez Xenophilius aussi fréquemment et lui-même manquait plus souvent qu’à son tour les grands repas de famille qu’affectionnait sa mère. Et auparavant, Luna était plus jeune et probablement bien différente de la femme dont le souvenir le maintenait éveillé ce soir. Charlie soupira à nouveau puis saisit une plume sur son bureau.

Réserve de dragon de Transylvanie, le 12 octobre 2005

Mademoiselle Lovegood,

Selon l’article 459b du Code de régulation des animaux magiques pas très dangereux mais sait-on jamais, le prélèvement des pyropuces doit être tracé par le formulaire C25-10. Vous êtes donc invitée à vous rendre au sein de la réserve de Transylvannie (Roumanie) pour remplir ledit formulaire et ce, dans un délai raisonnable.

Charlie Weasley, magizoologiste en charge des relations publiques et de l’application de la réglementation.

PS : Merci de lancer un Igni Protego sur le hibou de retour.

Une réponse lui parvient en fin d’après-midi le lendemain alors qu’il évaluait - à distance - le tour d’abdomen de Norberta pour en déduire une possible ponte automnale. Les autres dragonnes faisaient leurs oeufs au début de l’été mais ce n’était apparement pas du goût de la norvégienne à crète.La chouette ambrée patienta sagement tandis qu’il finissait de noter ses chiffres sur un petit calepin. Il déposa avec précaution son compas magique dans sa besace et détacha le parchemin de la patte du volatile.

Marais salants d'Oualidia, le 13 octobre 2005

Charlie, mon ami,

Ta réserve me cause quelques tracas administratifs. Penses-tu pouvoir m’héberger quelques jours dans deux ou trois semaines afin que je puisse régler une sombre histoire de formulaire?
J’ai rejoint l’équipe de magizoologistes marocains qui suivent les éfrits des marais d’Oualidia. Ce sont des créatures d’une rare intelligence mais leur imprévisibilité empêche malheureusement de les classer en tant qu’êtres. Ils sont difficilement approchables et nous utilisons une version optimisée des oreilles à rallonge de tes frères pour étudier leur langage. (J’ignorais qu’ils vendaient à l’international!) Curieusement, la langue des éfrits des marais présente bien des similitudes avec l’idiome ancestral de nos centaures et je peux donc apporter mon aide pour la déchiffrer.
Transmets mes amitiés à Norberta et assure-la que ses pyropuces ont été accueillies avec joie par l’équipe de recherche sur les brûlures magiques de Ste Mangouste.

Luna

Ce premier échange de lettres marqua le début d’une correspondance suivie entre la jeune femme et le dragonnier. Depuis la fin de la guerre, Charlie n’écrivait régulièrement qu’à son frère George. Ses échanges avec les autres membres de sa famille étaient plus sporadiques et avec le temps ses relations avec ses amis de Poudlard s’étaient distendues. L’équipe de dragonniers de la réserve - Ignatius et sa femme Olga, Eric, Marcelino et Sean le petit nouveau - formait une communauté soudée.

La réserve accueillait souvent des visiteurs, magizoologistes apprentis ou confirmés bien sûr, mais aussi proches des dragonniers ou simples touristes et jusqu’alors ces échanges humains directs avaient été bien suffisants pour Charlie. Avec Luna pourtant, écrire - et recevoir du courrier - devint une activité agréable et même essentielle. Il ne se passait guère plus d’un mois sans que la jeune femme ne fasse un court séjour à la réserve et ils échangeaient deux à trois lettres par semaine.

Bien qu’ils aient le même diplôme, Charlie et Luna avaient des quotidiens professionnels radicalement différents. Le métier de dragonnier était sédentaire, plutôt solitaire et très spécialisé. Luna, quant à elle, avait un champ de recherche beaucoup plus vaste. Elle parcourait le monde en long et en large au rythme des transplanages, portoloins et autres transports moldus. Elle étudiait des centaines de créatures différentes et elle travaillait souvent en équipe tant avec des magizoologistes qu’avec d’autres corps de métier comme les médicomages ou les potionistes.

Sa vive intelligence lui avait permis d’acquérir une culture impressionnante dans tous les domaines qui touchaient de près ou de loin aux créatures fantastiques. Elle avait des contacts fréquents avec les êtres magiques, vampires, harpies, centaures et était parfois amené à travailler avec des moldus. Luna vivait de mouvements et de nouveauté tandis que Charlie devenait chaque jour un expert plus pointu dans son domaine.

Dans leurs lettres, ils se racontaient leur quotidien, débattaient sur les théories magizoologistes à la mode et échangeaient les résultats de leurs expériences professionnelles. Charlie donnait souvent des nouvelles de ses collègues de la réserve :  la naissance du troisième enfant d’Ignatius et Olga, la passion dévorante de Sean pour Graziella Moldubec, la fille de la célèbre chanteuse... Tous deux parlaient de la famille Weasley et Charlie n’était parfois pas le mieux informé sur la vie de ses frères et soeur. Luna évoquait en demi-teinte son père qui supportait mal la solitude et ses autres amis, Ismael le fabricant de baguette tunisien, Rolf, magizoologiste et petit-fils du célèbre Newt Scamander, Esteban dont Charlie n’avait pas compris le métier et qui était peut-être moldu…

Quand Luna arrivait à la réserve, elle était accueillie avec chaleur par toute l’équipe des dragonniers et plus chaudement encore par le plus roux d’entre eux. Charlie et Luna se mêlaient plus tard aux autres résidents mais leurs premières heures ensembles se consacraient aux retrouvailles avides de leurs mains, de leurs bouches, de leurs corps tendus de désir. Ensuite venaient les câlins, les discussions et les fous rires.

- Je t'assure, ses cils sont d’une longueur impossible, si je n’avais pas l’habitude des dragons, j’aurais craint pour ma vie quand elle s’est avancée pour m’embrasser!

- Tu exagères, commenta Luna avec un petit rire, j’ai vu une photo de Léda chez Olga, sa cousine est une très jolie femme!

Charlie prit un petit air supérieur :

- Que veux-tu, je suis toujours le préféré de nos belles visiteuses!

- Tu es surtout le seul célibataire, remarqua Luna d’une voix rêveuse.

- Ignatius est marié et Sean a Graziella bien sûr mais Eric et Marcelino sont...

- Ensemble. Définitivement ensemble. Enfin Charlie, tu vis avec eux à la réserve, tu ne t’étais pas rendu compte qu’ils étaient en couple?

Le dragonnier en resta bouche bée puis prit un air boudeur.

- Je suppose que cela relativise mes succès amoureux…

- Oh non…susurra la jeune femme. Tu es un beau dragonnier, solitaire, mystérieux et presque ténébreux, elles ne peuvent que toutes tomber dans tes bras musclés. Est-ce que j’ai parlé de ton fessier avantageux et de ton ardeur à la tâche?

- Hmmm, est-ce que tu peux revenir tout de suite dans ce lit? Et est-ce que tu pourras encore me parler de ma rousseur ténébreuse? C’est assez inédit...

Luna joignait souvent à ses courriers les articles qu’elle écrivait pour les magazines, principalement Fantastiques créatures, le Petit magizoologiste illustré destiné aux petits sorciers et le Chicaneur de son père. Charlie parcourait avec plaisir la prose de son amie, plus sérieuse que dans leurs échanges personnels mais aussi plus pédagogique. Même le magazine pour les enfants lui apprenait parfois de petits détails sur les créatures magiques. Il profita un jour de la présence de la jeune femme pour lui parler d’un sujet qui l’intriguait :

- Tu fais souvent des allusions aux ronflaks cornus dans le Chicaneur, dans ton article sur les éruptifs le mois dernier par exemple. J’ai cherché dans mes traités de magizoologie mais je n’ai rien trouvé sur eux...

Luna rougit soudain. Elle avait rougi, elle qui se mettait nue sans ciller, elle qui ne semblait avoir aucun tabou, elle qui lui faisait parfois la lecture à voix haute des chroniques les plus osées de la Chouette enflammée. Elle avait rougi Luna, dans la pénombre qui ne cachait rien de ses joues empouprées, et elle avait avoué que les ronflaks cornus n’existaient que dans l’imagination de son père et que c’était pour faire plaisir à Xenophilius qu’elle mettait ainsi de côté sa rigueur scientifique. Son père avait été tellement déçu qu’elle renonce à chercher les ronflaks cornus…

Charlie était resté figé un instant devant la réaction de Luna. Il y avait dans la voix de la jeune femme un accent de tristesse qu’il ne lui connaissait pas et sur son pendentif en liège, “Papa” et “Maman” avait chassé tous les autres noms. Le dragonnier l’avait serré contre lui, très fort et gardé longtemps entre ses bras. Lentement, le bouchon de bieraubeure sur ses seins avait recommencé à égrener une liste de nom plus longue :

“Ginny, Charlie, Papa, Néville, Maman, Harry, Ron, Ismael, Hannah, Rolf, Esteban, Papa, Maman, Charlie, Charlie, Charlie”.