Émilie se leva pour la première fois depuis, elle ne savait combien de temps. La pénombre était totale dans son appartement. Pourtant à travers les volets fermés on pouvait voir la lumière du jour filtrer. Elle se dirigea machinalement dans la salle de bain. Elle titubait prise de vertige. Depuis quand n'avait-elle pas mangé ? Elle prit appui sur le lavabo en faïence blanche, elle fit couler de l'eau froide et s'en aspergea le visage. Elle croisa son reflet dans le miroir. Elle était pâle, les cheveux ébouriffés, des cernes violettes s'étaient creusées sous les yeux.
Sa vie venait de lui filer entre les doigts à une vitesse vertigineuse et elle n'avait rien pu faire pour arrêter cette chute sans fin. Et pourtant il semblait qu'elle n'avait toujours pas touché le fond.
La fille qui la regardait dans le miroir, ce n'était pas elle. Ce n'était qu'une mauvaise imitation. Où était-elle passée ? Sur le meuble à côté du lavabo un vieux journal traînait.
L'ÉTOILE DU QUIDDITCH DÉRAILLE !
Émilie Mynckx frappe une de ses coéquipières par jalousie.
De rage elle frappa son miroir. Puis dans cette multitude de reflets elle se met à se parler :
- Des titres et des noms infâmes sur toi posés,
Journaux et fans, a l'oubli ils t'ont imposés.
Bafoué par le monde, privé de ta passion,
Il est impératif que tu passes à l'action.
Il est pour toi insupportable d'entendre leurs rires,
Sans le feu des projecteurs, autant mourir.
Ils t'ont privée de joie, ta vie ils arrachent,
Quitte à mourir, autant le faire avec panache.
Elle s'arracha à la contemplation de ce visage maladif dans lequel une lueur nouvelle éclairait ses yeux. Elle attrapa son balai et sortit pour la première fois depuis des mois.
Josh adolescent dégingandé avait été posté devant l'immeuble d'Émilie, prêt à donner l'alerte s'il y avait le moindre mouvement ou indice qui aurait permis de savoir si elle préparait quelque chose ou si elle laissait mourir sa vie sociale. Alors quand il l'avait vue sortir de chez elle d'un pas déterminé avec son balais sur l'épaule il n'hésita pas une seule seconde. Il courut aussi vite qu'il le put, il enfonça les portes ouvertes de la rédaction de la gazette :
- Émilie Mynckx est sorti de chez elle avec son balai sur l'épaule !
Toute l'équipe de la rubrique sport et exploit se leva d'un même mouvement. Lucy Halle en tête. Elle attendait ça depuis un moment. Elle savait que le jour où l'ex-joueuse de Quidditch sortirait de chez elle serait un jour exceptionnel. La presse et les admirateurs lui avaient tourné le dos depuis bien trop longtemps.
Une foule s'était déjà massé autour d'Émilie. L'excitation était palpable. Personne ne savait ce qu'elle allait faire.
Dans un mouvement mêlant rage et détermination, elle s'est envolée, vite et haut. Rapidement elle ne distingua plus les gens au sol, ni même le petit parc. Survoler le monde, c'était grisant, enivrant. Ultime exploit pour Émilie, voler plus haut, aller plus loins dans l'infinité du ciel qu'aucun autre être humain. Revivre pour quelques instants le plaisir de la gloire, qu'elle puisse être éternelle et l'excitation du ciel. Enivrant ses sens pour faire taire les voix dans sa tête qui lui criaient de s'arrêter, qu'elle allait se tuer. Au-delà de toute raison, la folie s'était emparée d'Émilie. Un vertige terrifiant la saisie.
Le vertige, l'adversaire le plus puissant et le plus implacable des joueurs de Quidditch. Émilie avait réussi à le maintenir à distance pendant toutes ses années de gloire. mais voilà, aujourd'hui, elle était allée bien trop haut. Son coeur s'emballait si fort qu'elle était sur qu'il allait rompre. Elle avait fait l'erreur de regarder une dernière fois vers le sol. Elle ne vit que le vide. Ce vide terrifiant qui faisait écho à celui qu'elle ressentait en dedans. Est-ce qu'elle avait fait le bon choix ? etait-ce réellement la mort dont elle souhaitait ? Le vide la happait, elle était tétanisée et incapable de bouger. Elle aurait du ressentir de l'euphorie de quitter ce monde qui lui avait tourné le dos. Sentir le vent de sa courses folle vers le firmament. Mais elle tremblait et ses larmes coulaient. Elle sentait son corps qui refusait le destin qu'elle lui avait choisi. Elle sentait que son balais ne parviendrait pas à l'amener à la limit du ciel.
Sa tête se mit à tourner. Tout ce qui l'entourait était flou et elle ne parvenait plus à comprendre où elle était, ce qu'elle faisait ou surtout pourquoi elle le faisait. Tout tanguait autour d'elle et en elle. La seule chose perceptible c'était ce vide, cet affreux vide qui ne cessait de l'appeler.
Puis le vide fut plus fort que sa volonté, elle se sentit chuter.
Le sol s'approchait à une vitesse folle. Tout était fou. Le monde, son balai, le vide, et surtout elle.
Elle était prise de nausées. Elle ne pouvait plus rien contrôler. Elle perdit son balai. Elle n'avait plus aucune chance de s'en sortir. c'est comme ça qu'elle allait mourir. En s'écrasant au sol devant tous ses gens qui lui avait tourné le dos.
Non ce ne pouvait pas être sa fin ! Où était la gloire éternelle ? Où était le panache ?
Malgré les larmes, malgré le vertige, malgré la peur qui lui tordait les entrailles et hurla dans l'espoir de se faire entendre par la foule.
- Oh ! J'ai su que vous me tireriez vers le bas,
Qu'importait pour moi, je me battais, je me bats !
Tout arraché, ma vie, ma gloire et mes lauriers,
De ma raison je suis privée, pour moi priez.
C'est vous qui avez fait de moi se que je suis !
Une âme perdue chutant à jamais dans ce puits !
Exilée, privée a jamais de toutes envies,
Tous là, impatient de voir la fin de ma vie.
Le vertige eut raison d'elle et elle sombra dans l'inconscience.
Le discours d'Émilie avait fait froid dans le dos de Lucy Halle. Ces mots vertigineux crachés à la face de ceux là même qui l'avait adulée, puis bafouée et qui à présent ne ferait rien pour la sauver. Comme s'ils étaient tous paralysés par le vertige de cette chute qui semblait ne jamais vouloir s'arrêter.
Un homme hurla dans la foule :
- La folle ! Elle va se tuer !
Il venait d'enfoncer une porte ouverte. Il était le seul dans cette foule à ne pas avoir compris que c'est ce qu'elle avait cherché dans cet acte désespéré. Mais la voix tremblante avec laquelle elle avait jeté ces mots sonnait comme un appel à l'aide.
Émilie était proche du sol à présent. Lucy ne pouvait pas rester là avoir mourir sous ses yeux l'une des plus grandes championnes que le monde sorcier ait porté.
Elle courut à l'endroit où l'impact allait avoir lieu, elle sortit sa baguette la pointe vers le corps inerte d'Émilie qui n'était plus qu'à trente mètres du sol.