« Avance... continue d'avancer ! »
Ces mots tournaient dans sa tête depuis plus d'une heure déjà. Quelquefois, la douleur qui lui sidérait la main tranchait le fil de sa pensée, puis la réalité prenait le pas sur ces maigres considérations. En réalité, tout son corps le tiraillait, mais paradoxalement, les tortures endurées par les Carrow semblaient reléguées par celle de cette vilaine chute.
Mais Isaac ne renoncerait pas ; il savait sa vie en jeu dans cette poursuite.
Si les choses ne s'étaient guère annoncées lumineuses à la rentrée de septembre, la situation avait dégénéré à Poudlard, assujettie au régime des Mangemorts. Tout le monde pensait, au départ, à une hégémonie éphémère, qui serait bien vite mise en déroute. Mais le mal, la haine s'étaient installée, s'était propagée comme la gangrène, et Harry Potter, celui que tous les élèves faisaient vivre par rumeurs et murmures, n'était jamais revenu. Billevesées... Peu à peu, l'espoir s'était délayé, laissant place à la survie.
La survie, c'était ce qui motivait Isaac. Il avait pris avec lui le nécessaire, fourré dans son sac en bandoulière, et s'était faufilé en dehors de la salle commune de Serdaigle. Esquiver les rondes des préfets, mais surtout des Carrow, n'avait pas été une mince affaire. Ses cicatrices du soir précédent le démangeaient encore ; il portait même les vêtements de la veille, encore maculés de sang. Dans sa course, Isaac avait trébuché sur une pierre à peine sorti dehors et s'était égratigné toute la paume. Mais il avait ravalé son cri et avait couru à en perdre haleine vers la Forêt Interdite, en contournant la cabane de Hagrid. Il devait à tout prix s'éloigner de l'école, au risque que quelqu'un le retrouve. Il valait mieux ne pas se mettre en péril avec trop de certitudes : comme il le répétait, « l'âme sûre ruse mal ».
Épuisé, Isaac s'accorda une pause dans une clairière au calme. Les bruits de la Forêt Interdite étaient presque plus rassurants que ceux que l'on pouvait entendre dans les couloirs de l'établissement. Il s'assit sur un tronc affaissé et ouvrit son sac. Ses camarades s'étaient moqués de lui en le voyant ainsi fourrer un contenu éclectique. Lui que tout le monde voyait comme un petit génie, il avait réuni dans sa besace un pot vide, un sachet de graines de tournefuego, un tapis enroulé, des morceaux de tissu, une petite longue-vue, des bougies, une gourde, un vieux carnet, un gros pain volé à table, une corde de son lit en baldaquin et un jouet moldu offert par sa sœur pour son quinzième anniversaire : le tournevis sonique de son personnage de série préférée, Doctor Who. Mais pour lui, tout avait un sens...
Sans tergiverser, Isaac se construisit un campement de fortune, profitant de ses yeux habitués au noir, à la lumière de la lune.
« Ce n'est pas l'idéal », admit-il en jugeant sa couche en tapis, protégé par des branchages transverses, « mais c'est mieux que rien ».
Il prit place, ses membres transis de douleur. Puis, il alluma une bougie à l'aide d'une allumette et la planta devant lui, non loin de son lit improvisé. Isaac prenait ses précautions : il s'exposait à des risques en utilisant sa baguette magique. Les Mangemorts avaient peut-être moyen de le retrouver en sentant des traces magiques... Rien ne valait les bonnes vieilles habitudes moldues avec lesquelles il avait grandi.
Religieusement et sans dégoût, Isaac examina ses plaies une par une. Certaines étaient encore suintantes. Il les nettoya avec l'eau de sa gourde avant de se les bander. Mais il n'aurait pas le choix que de garder ces vêtements quelques jours encore, le temps de trouver un point d'eau au calme pour les laver.
Une fois soigné, Isaac se coucha, ankylosé. Bercé par les bruits presque agréables des créatures nocturnes, il s'endormit, repoussant loin de lui les doutes pernicieux qui ne rêvaient que d'une brèche pour s'introduire en cauchemar dans sa tête.
Deux nuits ainsi passèrent, sans qu'Isaac ne trouve de point d'eau en journée, errant sans but dans la Forêt Interdite. La rosée des froids matins le trempait aux premières lueurs du jour, mais ne suffisait pas à faire disparaître les tâches de sang de sa chemise. Un simple « Tergeo » aurait suffi, mais il aurait été stupide de se faire attraper pour un confort vestimentaire aussi futile.
Sa gourde se vidait et son estomac commençait à crier famine. Aussi, quand Isaac se rendit compte, à l'aube du troisième jour, qu'il avait franchi l'orée de la forêt attenante à Pré-au-Lard, cela retentit en lui comme une libération. Se ruer chez Zonko pour dévaliser les friandises pouvaient presque sonner comme un bon plan ! Mais les commerces devaient être, pour la plupart, sous l'emprise des Mangemorts... Un élève de Serdaigle échappé de l'école ne passerait pas longtemps inaperçu.
Par chance, le village était vide, à cette heure matinale et Isaac se risqua à cavaler d'un bon mot dans les rues, guettant chaque ombre et chaque mouvement. Il manqua de sursauter en croisant un chat. Mais il crut son heure arrivée quand une main lui attrapa l'épaule.
Mme Rosemerta lui intima l'ordre de se taire et le dépêcha à la suivre jusqu'à l'entrée de service des Trois Balais. Elle s'assura que personne ne les suivait avant de refermer la porte. Une fois en sécurité, en revanche, elle ne se retint pas de le réprimander :
- Mais tu es fou ? Un élève aussi loin de l'école ! Une chance que tu n'aies pas déclenché le charme du Cridurut !
- Ils... ils ont installé un charme du Cridurut ?
- Et comment es-tu arrivé ici, au juste ? C'est encore Abelforth, c'est ça ? Il est déjà courageux de vous ravitailler, mais de là à faire sortir des élèves, c'est...
Elle se rendit alors compte de l'état du jeune Serdaigle et ouvrit la bouche de stupeur.
- Mille gorgones ! Que t'est-il arrivé, à toi ? Tu es... tout ensanglanté !
- Un... jour normal à Poudlard, de nos jours, je dirais, ironisa Isaac.
Madame Rosemerta lui attrapa le bras et le fit monter à l'étage, dans l'une des chambres vides. Elle ferma l'endroit à clé par magie, sûrement par précaution. Peut-être des Mangemorts roupillaient encore, la pièce d'à côté...
- Enlève tes vêtements que je rafistole tout ça.
Isaac trembla de gêne. Il savait que la tenancière désirait l'aider, sans aucune arrière-pensée de la sorte - il était beaucoup trop jeune ! - mais la réputation de gourgandine de Madame Rosemerta faisait glousser les mauvaises langues adolescentes de Poudlard. Il s'exécuta malgré tout. Les cicatrices sur son corps firent grimacer la patronne.
- Mon pauvre garçon. Que t'ont-il infligé ?
- Ça ? Oh. Une simple punition des Carrow.
- Tu t'es rebellé ? C'est dangereux par les temps qui courent.
- Non, j'existe. C'est tout.
- Je vois, grimaça-t-elle. Tu es un Né-Moldu.
- Non. J'ai échappé au pire ! Mon père était sorcier. Mais... je ne l'ai jamais connu. J'ai grandi comme un Moldu, vous voyez ?
Elle acquiesça, peinée, pendant qu'elle nettoyait et recousait par magie les habits abîmés d'Isaac.
- Tu te doutes que je ne pourrais pas te garder ici..., marmonna-t-elle. Les Mangemorts ont envahi l'endroit. Ils essaient de tout contrôler... Quelle vaste fumisterie ! Si Dumbledore voyait ça de son vivant... Tu es en danger, ici, à Pré-au-Lard. Je pourrais te donner tout ce dont tu as besoin. Si nécessaire, je peux même te laisser de quoi te ravitailler, dans la forêt. Mais j'ai peur que cela n'attire les suspicions de ces enflures... Ils risqueraient de mettre la main sur toi, tu comprends ?
À son tour, Isaac hocha la tête. Il comprenait entièrement que Madame Rosemerta ne puisse assumer une telle responsabilité, il ne lui en demandait d'ailleurs pas tant.
- Tu as un endroit où aller ?
- Non... Je ne comptais pas me rendre ailleurs. Quelque chose se prépare, j'en suis sûr. Je dois juste... rester dans la Forêt, je le sens. C'est le seul endroit où je suis en sécurité. Du moins, c'est l'impression que cela me donne.
- Et tu es seul ? Tu n'es parti avec personne ? Aucun ami ?
- Je... je n'ai vraiment d'ami, admit-il.
- Je vois. Un loup solitaire.
La tentative de sourire d'Isaac prit l'aspect d'une grimace. Elle haussa les épaules en lui rendant ses vêtements comme neuf et soupira :
- Je regrette le bon temps. Mais tu fais sûrement bien de rester à proximité. Comme Dumbledore le répétait, « à Poudlard, une aide sera toujours apportée à ceux qui le demandent ». Poudlard reste ta maison.
- Mais personne ne peut m'aider, là-bas...
Le jeune homme semblait si désemparé, si résigné.
- Aie confiance en l'avenir, même si tout espoir semble être perdu. Une lueur qui vole au loin trace parfois la voie vers un meilleur futur.
La panse remplie, les vêtements propres et le cœur plus chaud, Isaac retourna dans la Forêt Interdite, suivant le chemin indiqué par Madame Rosemerta pour éviter de déclencher le charme du Cridurut. Les Mangemorts n'allaient pas tarder à se réapproprier l'endroit, il ne pouvait s'attarder.
Pendant la journée, Isaac ramassa des baies comestibles et déterra quelques racines en s'appuyant sur ses connaissances botaniques. Il profita des derniers rayons du soleil de la journée pour compiler ses pensées dans un carnet avec un stylo bic, loin des habitudes sorcières. Cette conversation à lui-même lui permettait de lutter contre la solitude.
La nuit tomba avant qu'il ne termine de retranscrire sa journée. Écrire à la lumière d'une autre bougie ne lui plaisait pas : il devait économiser ses provisions.
Transi par le froid qui s'abattit sur la forêt, Isaac se roula en boule sur sa couche, se berçant pour libérer un peu de chaleur par ce mouvement. Cette fois, ce n'était pas l'ordre d'avancer qui tournait dans sa tête, mais la phrase de Madame Rosemerta. De l'aide ? Ici ? À Poudlard ? Il en avait rêvé jour et nuit depuis le premier jour de septembre. Pourtant, personne ni rien ne s'était présenté. Qu'y avait-il à espérer de plus ?
Peut-être était-ce la meilleure fin possible. Vivre, ou mourir, seul, dans cette forêt, comme un sorcier libre.
Mais alors qu'il se laissait glisser dans les limbes du sommeil, une douce chaleur irradia sa joue. Son œil devina, à travers sa paupière, une source de lumière flamboyante. Il fut arraché à son début de nuit quand quelque chose lui picora le col. Pensant avoir affaire à un lapin ou une autre petite bête curieuse, il tenta de la repousser, sans succès. Il ouvrit alors les yeux. Mais ce qu'il vit face à lui le décontenança tellement qu'il recula d'un bond, lâchant un cri qui fit s'envoler plus loin un petit groupe de corneilles. D'un réflexe, il avait attrapé son tournevis sonique et l'avait pointé vers son assaillant en allumant l'outil. Le grand oiseau posé au sol s'écarta aussi dans un piaillement aigu, surpris par cette exclamation et cet étrange objet qui n'était pas une baguette magique. Ils se calmèrent tous les deux en s'observant, le cœur encore battant.
Cela n'avait aucun sens, raisonnait l'esprit rationnel d'Isaac. Il devait certainement rêver !
Que... faisait donc là ce phénix ?!