Isaac était pétrifié par la peur. L'oiseau le fixait de ses yeux noirs, sur lesquels la lune pâle se reflétait, extrayant les deux sphères flamboyantes de la nuit noire et les fusant brûler d'un feu nocturne. De temps à autre, le phénix courbait le cou, et venait rajuster quelques plumes qui avaient dû se déplacer lorsqu'il avait bondi sur le côté pour éviter le tournevis sonique du garçon.
Lorsqu'il se décida enfin à bouger, Isaac s'aperçut que ses muscles étaient encore lourds du choc qu'il venait d'avoir. Le plumage du phénix était si resplendissant dans l'air nocturne qu'il semblait brûler d'un feu magique et illuminer les ombres pernicieuses qui glissaient entre les arbres.
Le phénix était toujours immobile face au garçon, et Isaac se demanda s'il attendait de lui qu'il fasse le premier geste. Les serres de l'oiseau étaient solidement plantées dans la terre, et il portait sur le sorcier un regard pénétrant.
Isaac se rendit vite compte qu'il ne grelottait plus. Dans cet espace que le phénix avait créé par sa seule présence, il reprenait des forces et l'obscurité qui s'était glissée en lui semblait être extraite de son cœur par la puissance magique de l'animal.
Le phénix piétina alors, et le jeune Serdaigle se demanda ce que cela pouvait bien signifier. Peut-être l'oiseau perdait-il patience.
Isaac avait toujours mal à la main, et bien qu'il eût lavé sa blessure, et que madame Rosemerta lui avait désinfectée, la plaie était toujours à vif et le bandeau n'avait pas résisté à la cueillette de baies et à la nuit passée à même le sol.
Il eut un sursaut lorsque le phénix fit un pas vers lui. C'était un pas un peu maladroit, un peu chancelant, plutôt un bond pataud, mais l'oiseau se retrouva tout de même bec à nez avec le jeune sorcier. Le cœur d'Isaac battait à tout rompre, et il entendait le sang de ses veines cogner à ses oreilles.
Le plus lentement du monde, il leva sa main blessée. La plaie à vif réagit à la chaleur magique que dégageait l'animal, et pendant un instant, Isaac songea à la retirer, car sa chair protestait de douleur. Cependant, les yeux de l'oiseau, plongés dans les siens, l'invitèrent à poursuivre son geste. Leur noirceur était si envoûtante, leur profondeur si accueillante, qu'Isaac cru perdre contact avec le sol sur lequel il était assis. Était-ce lui qui hallucinait, ou était-ce la créature qui l'emmenait avec lui, sur des sommets vertigineux, dont les pics imaginaires côtoyaient les nuages de la pensée ? Pourrait-il un jour redescendre de ces hauteurs vers lesquelles le phénix l'emportait d'un regard ?
La chaleur était plus forte à mesure que sa main se rapprochait du plumage de feu de l'oiseau. Plongé dans ses yeux, Isaac ne ressentait plus la douleur de sa main.
Il ne voulait pas quitter les profondeurs dans lesquelles il venait de tomber, il ne voulait pas abandonner cette impression réconfortante que l'univers tout entier composait pour lui une arche étoilée le berçant jusque dans ses rêves.
Sa main se rapprochait de la tête de la créature, et celle-ci présenta le côté pour que le garçon puisse l'y déposer.
Le silence le plus total régnait dans la Forêt Interdite, le vent avait arrêté de souffler, et le temps avait suspendu son vol au-dessus du phénix et de l'adolescent. Ainsi, dans cet espace arrêté, dans cette bulle chaleureuse, la main d'Isaac se posa sur le plumage chatoyant de l'oiseau. Immédiatement, il fut aspiré dans le noir de ses pupilles.
Un bureau richement meublé. Elle est dans un coin de la pièce. Elle attend, comme toujours. A sa droite, il est assis à son bureau, les mains jointes sur le bois du plateau. Il est accompagné de la professeure de Métamorphoses. Elle peut sentir leur crispation. C'est ce qui la fait basculer nerveusement d'un pied à l'autre.
D'un coup, au dehors, derrière la porte d'entrée, des cris éclatent.
- Hors de mon chemin, petite gourgandine ! Je n'ai que faire de vos simagrées !
A côté d'elle le sorcier agite la main, et la porte s'ouvre brutalement, alors que l'homme qui a crié, surpris par ce mouvement soudain, déboule dans la pièce, épaule droite en avant, comme s'il s'était préparé à forcer la porte.
- Dumbledore ! rugit-il à l'adresse du sorcier qui lui faisait face. Vous m'avez menti !
- Rufus, puis-je vous proposer un siège ? propose alors poliment Dumbledore.
- Je n'ai que faire de vos politesses Albus ! La situation est grave ! Vous m'avez menti délibérément pour protéger un de vos enseignants !
- Si vous vous montriez plus explicite, répond alors le sorcier à barbe blanche, je pourrais peut-être comprendre pourquoi vous haussez le ton au point de vous en prendre à cette pauvre madame Pomfresh qui, sauf votre respect, est bien loin d'être la personne que vous avez laissé entendre.
- Ne jouez pas au plus malin, Albus, tonne Scrimgeour. Je suis venu pour Severus Rogue.
Il y a un silence, au cours duquel le ministre de la magie tente de déchiffrer les effets de son annonce sur le visage imperturbable d'Albus Dumbledore.
Lorsqu'il se décide enfin à prendre la parole pour répondre à Scrimgeour, c'est de son habituelle voix calme :
- Severus Rogue a ma confiance pleine et entière. C'est un sorcier loyal, un allié très précieux et, si j'ose m'exprimer ainsi, un ami.
Le ministre a un éclat de rire sarcastique :
- Un ami, crache-t-il. Savez-vous que votre précieux professeur de potions est un mangemort repenti ? Que la Marque brûle toujours son avant-bras ?
- Je le sais, Rufus.
- Qu'il a prêté allégeance au Seigneur des Ténèbres, contre lequel nous sommes présentement en guerre, et que rien ne l'empêche de retourner à Vous-Savez-Qui quand bon lui semble ?
Le professeur McGonagall en profite :
- Monsieur le ministre, si je puis me permettre, vous devirez l'appeler pour son nom. Nous savons très bien de qui vous parlez, il n'est nul besoin d'employer une telle périphrase.
Les bras de Rufus Scrimgeour tombent alors qu'il darde sur la sorcière un regard plein de colère. Elle ne lui oppose qu'une défiance digne et froide.
- Rufus, intervient Dumbledore, depuis que vous êtes entrez dans ce bureau, vous n'avez fait qu'enfoncer, avec plus ou moins de succès, des portes ouvertes. L'affaire est pourtant claire : vous ne repartirez ce soir ni avec Severus Rogue, ni avec aucun autre de mes professeurs.
- Ce sont des billevesées, Albus, gronde le ministre. Et ces bêtises, cette confiance absurde vous couteront cher. C'est très cher
- Sont-ce des menaces, Rufus ?
Scrimgeour blêmit alors de rage.
- Comment osez-vous douter de moi ? siffle-t-il entre ses dents. Comment osez-vous me prêtez de telles intentions, alors que dans cette école se cache un criminel, qui profite d'une fumisterie généralisée pour échapper à la loi ?
- Je vous le répète, monsieur le ministre, j'ai une totale confiance en Severus Rogue. Je lui confierais ma vie sans hésiter. Si vous n'avez rien à ajouter, je vous propose de terminer cette réunion. Je pense aussi qu'il serait de bon ton que vous présentiez des excuses à madame Pomfresh.
- Albus...
- Il ne me semble pas, mon cher Rufus, assène alors Dumbledore pour conclure définitivement cette entrevue, que malgré votre nouvelle position de ministre, vous soyez en mesure de me retirer un membre du personnel sans que cette décision ait été au préalable validée par le Magenmagot. En ce cas, et puisque le cas de Severus Rogue a été résolu il y a des années de cela, plus rien ne vous retient ici.
Il a de nouveau agité la main, et la porte d'entrée s'est ouverte sur le couloir.
- Tâchez cette fois de ne pas passer au travers.
La nuit noire, le vent froid.
- Severus, s'il-vous-plaît.
Le silence écrasant. La haine dans la voix.
- Avada Kedavra !
Le rayon qui quitte la baguette. Le corps désarticulé qui bascule par-dessus le parapet, aspiré par le vide.
Le cri du phénix.
Isaac manquait d'air. Il haletait dans la nuit, et sur son front perlaient des gouttes de sueur. Fumseck était immobile devant lui, la tête penchée sur le côté, au-dessus de sa main blessée.
Il tentait de reprendre sa respiration, alors que la fulgurance de la scène qu'il venait de voir l'avait frappé comme une déflagration. Il l'avait vu, alors qu'il était mort. Albus Dumbledore. Dans son bureau, aux côtés de McGonagall et de ce phénix.
Son cœur battait la chamade. Il était immobile.
Puis, un sanglot monta de son ventre et éclata dans sa poitrine. Ses lèvres tremblèrent, et il ne put retenir le flot de larmes qui s'échappa de ses yeux. La situation se révélait à lui dans toute sa noirceur. Entouré d'arbres tordus, d'ombres menaçantes et de cris sinistres, Isaac Sandstrom était perdu.
Cependant, lorsqu'il voulut porter ses mains à ses yeux pour essuyer ses larmes, il eut un autre sursaut. Il ne savait pas comment ce prodige avait eu lieu, mais la plaie sur sa main droite avait entièrement disparu. Il la retourna plusieurs fois devant ses yeux humides, sans réellement comprendre. Il releva alors la tête vers le phénix, et fut immobilisé par la force de ce qu'il voyait.
A quelques centimètres de son visage, alors qu'il sentait la chaleur de son plumage se déverser sur son corps et réchauffer ses muscles, le phénix pleurait, et ses larmes roulaient sur ses plumes et dégringolaient dans la terre meuble.
Pendant un instant, leurs regards se croisèrent de nouveau, et Isaac eut l'impression de sentir la chaleur gagner son cœur.
Il n'eut cependant pas le temps de s'appesantir sur cette sensation. Fumseck tourna brusquement la tête vers l'obscurité, scrutant la noirceur de la nuit de ses yeux perçants. A son tour, Isaac se tourna pour observer dans sa direction.
C'est alors qu'il entendit une branche craquer non loin de lui. Son cœur manqua un battement. Son souffle devint haletant. Qu'il avait été stupide ! Pourquoi avait-il fallu qu'il baisse sa garde ?
Regardant frénétiquement autour de lui, il eut bientôt une vision d'horreur. Dans la relative lumière que projetait le phénix autour de lui, il avait vu des yeux le scruter, derrière un buisson. Deux yeux qui brillaient dans le noir de la nuit, deux yeux dans la lumière de l'oiseau entrait et ressortait aussitôt.
Dans le noir, Isaac vit alors une silhouette se lever. Une silhouette massive et menaçante. C'est alors qu'il remarqua également un mouvement à sa gauche, et que, tournant la tête, il aperçut une mince silhouette glisser entre deux arbres.
Sautant sur ses pieds, n'y tenant plus, sentant un flot d'adrénaline se déverser dans ses veines, il ramassa en vitesse sa baguette et son sac et se mit à courir dans le noir. Une à une, les silhouettes apparurent, tantôt se levant d'entre deux buissons, tantôt serpentant dans le noir, toujours à sa poursuite. Rapidement, Isaac entendit des pas de course derrière lui. Evitant de se retourner, il s'élançait entre les troncs, guidé par la faible lueur que dégageait encore le phénix qui volait au-dessus de lui. A quelques mètres derrière lui, il entendait distinctement ses poursuivants s'élancer à sa suite, et le poursuivre dans la forêt. Un souffle résonna bientôt à son oreille, tout proche.
Une main énorme lui attrapa alors l'épaule, et le jeta au sol. Son crâne heurta une souche, et il eut, l'espace d'un instant, l'impression que le sol se retournait sur lui et l'ensevelissait. La lumière du phénix avait disparu.
Déjà une voix menaçante grondait au-dessus de lui. Deux hommes discutaient rapidement :
- Va dire aux Carrow qu'on a attrapé leur fugitif, mais qu'il était particulièrement amoché.
Autour de lui, il sentait la présence de capes noires, et il voyait des baguettes s'agiter dans l'obscurité. Il se remit tant bien que mal sur ses pieds. Un des sorciers qui l'entourait brandit sa baguette, et un halo bleuté illumina immédiatement les alentours.
Isaac vit avec épouvante les masques des sorciers resplendir dans cette lueur, et leurs yeux écarquillés le fixer intensément.
Le mangemort qui parlait repris :
- Très amoché, même...
- S'il-vous-plaît, supplia Isaac, s'il-vous-plaît...
Les sorciers autour de lui se rapprochaient.
- Il fallait y réfléchir à deux fois avant de s'enfuir, sale sang de bourbe. Tu ne récoltes que ce que tu mérites.
- Non, s'il-vous-plaît, je ne veux pas...
Isaac tomba à genoux, comme toutes les fois où les Carrow lui infligeaient un quelconque supplice. Il s'agissait d'un geste qu'il avait intégré, et qu'il répétait lorsqu'il savait la douleur imminente.
En face de lui, le mangemort entama sa formule.
Un cri perçant déchira alors le ciel. Les nuages furent poussés par un vent de tous les diables alors que le firmament s'ouvrait.
Toutes les têtes se levèrent, et fixèrent la source d'une pareille déchirure.
L'oiseau descendait en piqué vers la terre, vers le jeune garçon tombé à genoux. Un deuxième cri retentit, et fut immédiatement suivi d'une immense déflagration. Tous les sorciers furent couchés par la puissance de l'explosion.
Une forte lumière orange et rouge éclata entre les arbres, au moment où le phénix refermait ses serres sur les épaules du garçon. Après une détonation tonitruante, la nuit se fit de nouveau totale sur la Forêt Interdite.
Enfant et oiseau avaient disparu.
Lorsque Isaac ouvrit de nouveau les yeux, il se trouvait allongé sur un plancher en bois. Il faisait noir dans ce lieu, et il pouvait entendre le vent s'infiltrer entre les plaques de bois. Les murs semblaient hurler. Il eut l'impression, l'espace d'un instant, que tout l'édifice dans lequel il se trouvait vacillait et menaçait de s'effondrer. La lumière de la Lune passait à travers quelques fenêtres aux vitres éclatées, permettant à Isaac de considérer l'endroit où il se trouvait. Tout semblait fait de ce bois hurlant, tout semblait ouvert aux quatre vents, et tout semblait vivant. Il crut finalement se trouver dans une cabane. Une cabane dont les murs hurlaient.