Chapitre 1
-Pièce d'identité je vous prie.
-Pardon ?
Je cesse de scruter nerveusement la foule autour de moi et reporte mon attention sur la sorcière derrière son guichet. Elle a un chignon serré avec de petites lunettes en demi-lune et un air de vieille chouette mal plumée à qui il ne faut pas imaginer la faire à l’envers. Sa main s’est tendue vers moi telle une serre et s’agite maintenant pour m'enjoindre à me dépêcher.
-Oui oui, je marmonne grincheusement avant de lui fourrer mon passeport dans les mains. Le billet à été réservé pour le Poudlard Express d’aujourd’hui par le directeur lui même.
La vieille femme ne fait même pas mine de m’avoir entendu et tourne scrupuleusement toutes les pages du petit livret. Derrière moi, je sens le vieux émettre un soupir agacé tout en se tortillant pour essayer de voir par dessus mon épaule ce qui met autant de temps. T’es à la retraite, papy, soit pas si pressé, je râle en mon fort intérieur tout en gardant un parfait sourire de convenance.
Enfin, la guichetière me rend mon document et me remet deux épais billets avec une grimace qu’elle pense faire passer pour un sourire. J’évite de lui signaler qu’elle n’a pas mon talent pour la comédie, loin de là.
-Bonne journée Mademoiselle Tio, grince t-elle finalement, avant de se tourner vers l’homme de derrière qui m’a quasiment poussé hors de son chemin une fois la transaction terminée.
Avec lassitude, je sors de la longue file d’attente composée en grande majorité de sorciers et sorcières dont les tenues bigarrés contrastent avec celles de moldus présents de l’autre côté de la vitre magique. Certains partent pour des destinations exotiques, ou en reviennent, et arborent des chapeaux originaux. J’entends d’ailleurs des bruits d’animaux étranges s'échappant de certaines valises.
Pour ma part, je dois traverser la partie non magique de la gare et je me suis habillée à la mode pour ne pas que l’on se retourne vers moi comme l'été dernier. Du moins je le croyais. Lorsque je sors sur les quais, je me fais la réflexion que ces fichus non mages n’ont vraiment que ça à faire que de changer de style, comme si ça m’amusait de me tenir au courant de leur actualité.
Autour de moi, des jeunes femmes arborent des jeans troués et des blousons de cuirs, tous plus colorés les uns que les autres, que viennent compléter une bonne grosse paire de basket irisées qui piquent les yeux.
Avec mon jean noir et mon long trench de coton, noir également, je fais plutôt figure de croque-mort à côté de toutes ces diva riantes. La seule chose que j’ai en commun sont mes grosses baskets, noires également, et le petit sac de voyage que je passe en bandoulière avant de marcher jusqu’à un agent.
-Bonjour, monsieur, fais-je de ma voix la plus agréable. Je cherche le quai numéro neuf je vous prie.
Comme toujours, mes dents blanches et mon minois rieur font l’effet escompté et il m’indique avec plaisir une direction qu’il agrémente de tout un tas d’explication. Au cas où je me perde j’imagine, ce qui ne serait pas un fait exceptionnel venant de ma part.
Ce n’est pas comme si je n’avais jamais pris le Poudlard express, loin de là. J’ai fait mes sept années là-bas, comme tout les sorciers de ce fichus pays. Mais, après cela, je suis partie faire mes recherches à l'étranger et jamais je n’aurais imaginé que le vieux Dumbledore ferais un jour appel à mes service pour enseigner dans son école. Et surtout pas avant mes 25 ans.
Arrivée sur le quai numéro neuf, je zieute le large pilier de pierre ocre qui repousse inconsciemment les moldus depuis des générations, les forçant à regarder ailleurs, pendant que des petits jeunes font traverser leurs chariots à son travers. J’attends que les deux familles devant moi soient passées et m'engouffre discrètement à travers le passage.
Comme de coutume, de l’autre côté m’attend une agitation fébrile faite d’aurevoirs émus et d’embrassades de dernière minute. Le Poudlard Express, quant à lui, attend avec impatience la montée de ses derniers passagers en répandant sur la foule une lourde fumée blanche qui me pique instantanément le nez.
J’ignore s’il y a un wagon réservé aux professeur. Lorsque j'étais étudiante je ne me suis jamais demandé comment ceux-ci se rendaient à Poudlard, mais maintenant, je me dis que ça aurait pu être utile de le savoir.
D’un pas sûr, je rentre dans un des wagons et une vague de nostalgie m’assaille lorsque je m'aperçois qu’absolument rien n’a changé depuis ma dernière venue. Je repousse ce sentiment aussi fort que je peux, manquerait plus que je lâche une larme devant les gosses tient !
Sans m’encombrer de manières, je traverse le couloir en contournant les mioches qui braillent et me prends à me demander si j’avais l’air aussi imbécile qu’eux à mon âge. J’ouvre finalement un des compartiment et vois tout une tripotée d’yeux se tourner vers moi avec étonnement.
Je soupire et referme la porte.
Sans que je m’en aperçoive, le train s'ébranle et je manque de tomber lorsqu’il accélère pour prendre sa vitesse de croisière. À mesure que j’avance dans la coursive, des bavardages plus ou moins forts retentissent à travers les cloisons des compartiments et je poursuis mon voyage sur plusieurs wagons sans me départir de ma mauvaise humeur. Je n’ai aucune envie de me taper je-ne-sais-combien d’heures à côtés de morveux braillard, autant rester dans le couloir dans ces conditions.
Je vais pour ouvrir la porte qui me sépare de l’avant dernier wagon, lorsqu’un grand gamin roux l’ouvre vivement avec un sourire hilare. Si je n'étais pas d’aussi mauvaise foi, je dirais que le fait qu’un cinquième année me dépasse ne me dérange pas, mais je le suis, alors pourquoi essayer de faire semblant.
-Vous bloquez le passage, dis-je d’une voix agacée sans m'arrêter, forçant l'élève à se coller contre la cloison pour me laisser passer.
Mais voilà que je ne vois pas un autre rouquin débarquer de nouveau devant moi. Si je ne me savais pas aussi saine d’esprit, je penserais avoir la berlue, c’est le portrait craché du premier.
-Génial, deux pour le prix d’un, je marmonne en poussant le jumeaux comme je l’ai fait pour son frère.
Je ne me retourne pas mais je les entends échanger entre eux avec un petit rire moqueur, sans que je ne saisisse le sens de leurs phrases. De toute façon je m’en fiche, j'ai faim, j’ai soif et je veux m'asseoir une bonne fois pour toute pour reposer mon épaule endolorie par le poids de mon sac. Comme une idiote, j’ai oublié de l’enchanter pour qu’il pèse moins lourds et, pour ça, je ne peux m’en prendre qu'à moi même.
Enfin, j’arrive au wagon bar ou une bonne partie des sièges en carré sont occupé par des gamins en manque de sucre qui dévorent leurs chocogrenouille comme si la famine menaçait.
Je repère un coin inoccupé et me rue dessus en lançant mon sac sur le siège d’à côté, signalant, par là, que je veux que personne ne me dérange. Non loin, des élèves me jettent des regards en coin et commentent sans aucun doute ma venue. Je ne leur accorde aucune attention et sors mon sandwich thon-tomate pour commencer à le mâchouiller devant le paysage défilant.
Au bout de ce qui paraît être une éternité, le train commence à ralentir sous la pluie battante qui cingle le paysage depuis plusieurs heures déjà. Je referme mon lourd ouvrage sur les rites des anciennes civilisations et scrute la nuit en me demandant pourquoi nous arrivons si tôt. Il est loin d'être l’heure et je doute que nous arrêtions à une autre gare pour prendre quiconque, ça se serait su si le Poudlard Express faisait la tournée des troquets.
Sans prévenir, le convoi freine alors des quatre fers et les quelques élèves encore debout tombent au sol avec douleur. De nombreux bagages mal accrochés se jettent sur leurs malheureux propriétaires et l’ensemble des lumières s'éteignent brutalement.
À travers la pénombre pluvieuse, je vois certains élèves se relever et commencer à s’agiter. Une partie de entre eux marche jusqu’aux fenêtres et colle leur nez boutonneux au verre pour tenter d’apercevoir quelque chose, mais la pluie tombe bien trop fort.
-On est en plein milieu de rien, geint un blondinet qui a déjà revêtu sa robe de Griffondor.
-Peut être que nous avons heurté quelque chose, soumet un grand brun à la large carrure, sans paraître convaincu.
Pas rassurée pour un sous, je me lève et me dirige vers l’attroupement en me raclant la gorge pour obtenir un velouté parfait à ma voix.
-ALLEZ VOUS RASSEOIR ! Ne vous approchez pas des vitres et taisez-vous bon sang !
Bon, je sais, cet éclat n'était pas nécessaire, mais c’est la première fois que je suis professeur alors il faut bien profiter un peu. Certains tentent d’apercevoir la personne qui a parlé et je vois une bonne partie d’entre eux m'obéir sans protester. Je fais bouger les derniers récalcitrants, en les attrapant par le col s’il le faut, et souffle enfin lorsque tout le monde se retrouve assit. J’ignore ce qu’il y a au dehors, mais, si je dois protéger un troupeau de gamin contre l’inconnu, autant que ça se fasse dans le calme.
Je sors rapidement ma baguette de ma poche et fais apparaitre plusieurs sphères de lumières qui vont se loger entre les fines poutres du plafond. Une quarantaine d’yeux curieux sont maintenant tous fixés sur moi et je leur fais un magnifique sourire rassurant.
-Ne vous inquiétez pas, cher élèves, je vais…
C’est là qu’en profitent deux gugusses pour pénétrer dans le wagon à toute allure et quasiment me reverser.
-Hey, vous là, on ne court pas ! je crie en avançant le bout lumineux de ma baguette pour apercevoir deux tignasses rousse.
-Où est Ginny ? demande l’un d’eux d’une voix pressée.
-Quelqu’un a vu notre sœur ? s’exclame le second en plissant les yeux devant la lumière blanche.
J’ai à peine le temps de leur dire de s’asseoir, qu’un froid glacial envahit l’habitacle, nous tirant de la buée à chaque expiration. Je tourne vivement la tête et vois de grandes fleurs de gel s'étendre progressivement le long des vitres en crissant doucement.
-Non…
Mon exclamation ne passe inaperçu pour personne et la tension monte d’un cran lorsque une longue respiration rauque se fait entendre de l’autre côté de la porte que les deux frères viennent de passer. Je sens mes forces décliner tandis qu’une peur croissante et une tristesse infinie m’envahissent, chassant toute joie de mon être transit.
Soudain, la porte s’ouvre et un détraqueur en passe doucement le pas pour venir flotter à quelques mètres de nous. Son odeur pestilentielle m’agresse immédiatement les sens et son infecte présence nous surplombe et nous enveloppe de son aura de mort. Un souvenir fugace s’impose à moi et je me souviens alors des mots employés par Albus Dumbledore pour faire face aux récents événements : “Une protection offerte par le Ministère de la Magie afin d'empêcher Sirius Black de pénétrer dans l'établissement”.
Avec des détraqueurs ? Ces gens sont fou.
Mais je suis une magicienne après tout, et pas une de ces grattes-papiers fourrée au ministère comme j’ai pu en croiser au cour de ma courte carrière. D’un mouvement brusque, j’attrappe la manche du premier frère et le tire derrière moi sans aucune forme de procès. Je veux faire reculer le second mais, avant que je ne puisse le faire, je vois le détraqueur s'approcher de lui sans un bruit pour observer, de ses yeux vides, le visage défait du jeune homme.
Une angoissante colère monte en moi. Que je hais ces êtres abjects et leurs manières douteuses, si ça ne tenait qu’à moi… Sans hésitation, je me jette en travers de sa route et pousse le rouquin le plus loin que je puisse en ignorant son vague cri de douleur.
-T’approches encore et je te vaporise, compris ? je menace la chose d’une voix moins assurée que je n’aurais voulu. Personne ne cache Sirius black dans ce wagon !
Bon, je l’avoue, je ne suis jamais en grande forme devant ce genre de créature alors, pour la répartie cinglante, on repassera. Mais cela à l’air de faire son effet car le détraqueur semble hésiter à avancer, sans doute ma baguette le tient-elle plus en respect que mon visage blafard et mes yeux apeurés. Je vous avais dit que ces trucs ne me plaisaient pas.
Sans prévenir, une vague lumière blanche illumine les wagons très au loin et un pâle sourire illumine mon visage défait.
-Bon, et bien que les festivités commencent alors… Spero Patronum !
À l’instant où je prononce ces mots, une superbe panthère nébuleuse aux contours vaporeux sort de ma baguette en illuminant de ses courbes blanches notre wagon. Celle-ci charge le détraqueur et l'envoie plusieurs fois valdinguer dans le couloir, jusqu'à ce qu’il se décide à s’enfuir dans la nuit glacée. Je vois un second le suivre immédiatement et la porte du train se referme brutalement sur eux avec un bruit sonore.
Les lampes se rallument toutes d’un seul coup et nous sentons tous le train se remettre en branle pour les arracher à cette campagne boueuse. Autour de moi, le wagon s’est fait silencieux. Non pas que le calme me déplaise, loin de là, mais lorsque j’en suis la raison, ça me donne tout simplement envie de fuir à toute jambe.
-Merci pour votre calme, je leur dis à tous sans être inspirée du tout. Vous pouvez reprendre vos activités, nous arrivons dans moins de deux heures.
Voilà, ça y est, j’ai rempli mon rôle, maintenant je vais pouvoir aller me reposer sur mon siège en faisant semblant de dormir pour ne pas que l’on vienne m’interroger. Je plaque un sourire réconfortant sur mon visage et je dépasse les deux frères encore abasourdi qui me regardent comme si j’étais Dumbledore en personne. Quoi, personne n’a jamais vu un Patronus ? Cette école part décidément à vau-l’eau.
Une fois de retour sur mon siège, les deux heures passent relativement rapidement, du moins si je mets de côtés les discussions animées qui agitent le wagon durant tout le trajet. À un moment, j’en profite pour m’enfermer dans l’élégante salle de bain du train et me changer. Non pas que je ne sois pas à l’aise en pull en laine (noir, vous l’aurez compris) et pantalon, mais mon poste demande un peu plus de… Distinction si vous voyez ce que je veux dire.
D’un coup de baguette, je fais sortir une longue robe de brocart émeraude au col haut et aux manches longues. Celle-ci me tombe jusqu’aux pieds et un léger effet de tissus fait bouffer le haut des épaules, me donnant l’air d’une grande dame.
Une grande dame ? je pouffe intérieurement. Non mais quoi encore, t’es encore une gamine, même si tu t’atiffe comme la vieille Mc Go, je lance à mon reflet qui me toise de l’autre côté du lavabos.
Avec application, je me rafraîchit les joues et tente de redonner un peu de couleur à mon visage encore livide.
-Pourtant j’avais bien bronzé cet été, je marmonne tout haut en relevant mon épaisse chevelure d’ébène pour en faire un chignon plus ou moins serré. Je l’aurais bien laissée défaite mais, déjà que j’ai peur que le corps professoral me confonde avec une élève, alors autant forcer le trait.
Lorsque le train s’arrête définitivement, je suis la première devant la porte et je sort le plus rapidement possible pour me diriger directement vers le garde chasse de Poudlard que j'aperçois sans mal. Lui aussi devait être bien grand quand il avait seize an.
Je croise bien évidemment le regard étonné des premiers élèves qui sortent à leurs tours. À mon avis ils sont jaloux du parapluie immatériel que je fais apparaître au bout de ma baguette et se demandent pourquoi ce n’est pas le premier sort que l’on apprend dès son entrée à Poudlard.
-Bonjour Hagrid, je m’exclame une fois arrivée devant le grand homme. Je suis Alya Tio, nouvelle professeur à Poudlard.
Le demi-géant à les traits qui s'illuminent à mes paroles et s’empresse de m'accueillir avec chaleur. Je ne lui demande pas s’il se souvient de moi car je ne me souviens pas lui avoir jamais vraiment parler durant ma scolarité. En fin de compte, il m’indique un des larges piliers de pierre un peu plus loin et me précise que l’entrée des professeurs se fait par là. Avec un sourire je le remercie et traverse le passage dissimulé sans un regard en arrière.
Alors comme ça, il y a de tout temps eu un passage direct jusqu’à Poudlard et aucun élève curieux ne l’a jamais découvert ? Je me garde bien de faire demi-tour pour le leur dire et pénètre dans le hall d’entrée en traversant un grand tableau représentant une scéne de chasse. L’un des chasseurs à courre peint s’arrête à mon passage et me fait un clin d’oeil égrillard avant de reprendre sa course à travers les autres tableaux, faisant râler leurs légitimes occupants.
D’un geste du poignet, j’efface mon parapluie et range ma baguette sous ma longue cape de voyage. Ici encore rien n’a changé. L’odeur si particulière du lieu envahit mes narines et je peux reconnaître celles du parchemin neufs et de l’encre ainsi que les effluves poussiéreuses de la pierre séculaire qui m’entoure. Très loin, j’entends le grincement des centaines de diligences se dirigeant pesamment vers le domaine avec, à leurs bords, plusieurs centaines d’élèves affamés.
-Bienvenue à Poudlard, Mademoiselle Tio je suppose ?
Je tourne vivement la tête vers le large escalier illuminé et envoie un léger sourire au professeur Rogue descendant les longues marches. Si je me souviens bien, j’étais un cancre en potion et, lorsque j’ai été en cinquième année il m’avait collé pour avoir fait exploser mon chaudron par inadvertance. Son air d’âme en peine ne s’est pas améliorée depuis la dernière fois que je l’ai croisé et ses lèvres semblent ignorer ce que le mot “sourire” signifie.
-Professeur Rogue, c’est un plaisir de vous revoir dans d’autres… Circonstances.
Je le vois froncer imperceptiblement les sourcils pour tenter de se remémorer qui je suis, mais je n’ai pas dû laisser un souvenir assez impérissable à sa noble personne pour qu’il me remette.
-J’étais élève ici il y a six ans, professeur, dis-je pour l’aider. Serdaigle.
Il pince les lèvres et semble enfin se le remémorer.
-Oui je me souviens, dit-il finalement d’une voix morne. Brillante dans toutes les disciplines sauf la mienne.
J’acquiesce avec un autre sourire et omets volontairement de lui préciser avoir été un cancre dans bien d’autres matières, mais que mes notes en sortilèges, métamorphose et histoire compensaient largement ces petits défauts.
-Suivez-moi, s’exclame t-il après m’avoir lorgné de haut en bas en pinçant encore plus des lèvres, si c’est possible. Et déposez donc votre veste ainsi que votre sac à Monsieur Rusard, il va se faire une joie de les monter dans vos quartiers.
À cet instant je remarque le vieil homme courbé attendant dans un coin du hall et dont la grimace semble se vouloir amicale. En répondant à son sourire, si on peut l’appeler ainsi, je lui remets mes effets et suis Rogue jusqu’à la grande salle illuminée par ses centaines de bougies volantes, celle-ci étant encore vide de tout élève.
Je lève le nez vers les hauteurs, comme à chaque fois, et admire le ciel mouvementé qui cache le plafond. Je réalise à cet instant à quel point Poudlard m’a manqué. Il n’y a aucun lieu aussi chargé de souvenir que cette école et je prends plaisir à me savoir de retour, même si la compagnie va sans aucun doute être plus… Monotone.
Une fois montée sur l’estrade supportant la longue table des professeurs, je vois le directeur se tourner vers moi et m’accueillir chaleureusement d’une franche poignée de main. À sa droite les professeurs qui discutaient avec lui se tournent également dans ma direction et viennent me saluer comme si j’étais des leurs. Tu es des leurs maintenant, idiote.
Le professeur Flitwick semble enchanté de me revoir et je dois me baisser pour accueillir sa vigoureuse et longue poignée de main. Évidemment, le professeur Mc Gonagall me reluque de haut en bas et, après ce qui semble une éternité, hoche favorablement de la tête et vient me serrer la main à son tour. À ce moment là, je me dis que j’ai passé le test et que je vais pouvoir me détendre. Par contre, pas question que je garde ce chignon qui gratte toute l’année !
-Avez-vous fait un agréable voyage Mademoiselle Tio ? me demande alors Dumbledore avec un petit air guilleret. Êtes-vous contente de revenir à Poudlard ?
-Ça aurait été encore plus agréable si vos détraqueurs n’avaient pas effrayé la moitié des élèves, je lui lance sans me départir de mon sourire avenant.
Manquerait plus que je laisse passer cet incident, tient. Pourtant il continue de sourire et hoche la tête de manière entendue. À côté de lui, le professeur Mc Gonagall laisse échapper un hoquet de surprise avant de lever les yeux en l’air.
-En effet, je suis désolé pour cet incident Mademoiselle Tio. Cela n’était absolument pas de mon fait et j'espère que vous acceptez mes plus plates excuses.
Je hoche la tête pour lui signifier que la chose est faite et il se tourne vers l’ensemble du corps professoral, semblant chercher quelqu’un en particulier.
-Sommes-nous au complet ? demande-t-il. Non je ne vois pas… Ha ! Monsieur Lupin, vous arrivez enfin !
Je sursaute en entendant ce nom et me tourne d’une traite vers l’entrée de la grande salle. Dans l’encadrement se profile désormais la silhouette d’un homme brun, la trentaine passée, mais dont les traits tendus et le regard cerné le font paraître sensiblement plus âgé. Il porte une cape de sorcier rapiécée à divers endroits ainsi qu’un pantalon marron dépassant des pans de son long vêtement.
Une fois monté sur l’estrade, il serre à son tour la main du Directeur ainsi que celles des autres professeurs, plus ou moins enjoués. Lorsqu’il se tourne vers moi, je ne peux empêcher un sourire ravi d’éclairer mon visage, sourire auquel il fait écho. Sans nous embarrasser de manières nous nous tombons dans les bras.
-Je ne savais pas que tu enseignais ici, s’exclame t’il en me serrant dans ses bras.
Je ris et lui rends son étreinte avec force.
-Moi non plus, ça fait combien ? Deux ans ?
Il me relâche et me donne une tape amicale sur l’épaule.
-Oui je dirais ça, qu’est ce qui t’as fait quitter la Hongrie finalement ?
-Ma force de persuasion, intervient doucement le Directeur en se rapprochant de nous. Mais il n’a pas le temps de continuer et nous fait rapidement signe de nous installer en voyant les premiers élèves arriver.
D’un même mouvement, nous suivons le vieil homme jusqu'à la table du banquet et Remus et moi nous installons à son bout. Je me retrouve entre mon ami et le professeur Rogue qui semble disposé à ne pas trop faire la tronche. Pas trop mais un peu tout de même. Après tout, peut-être lui a-t-on lancé un maléfice de Sale Trogne quand il était petit, ça expliquerait pas mal de choses.
Mais je n’ai pas le temps de m’interroger plus avant, car la grande salle commence à résonner des voix des centaines d’étudiants qui s’installent avec joie à leurs tables respectives. En me penchant un peu, je peux voir les premières années patienter dans le hall par les portes ouvertes.
-Tu es arrivée par le train ? me demande alors Remus en me coupant dans mes réflexions.
-Oui, toi aussi ? Je ne t’y ai pas vu.
Il acquiesce et jette un oeil vers les élèves.
-J’ai dormi pendant tout le trajet, m’informe t-il. J’y ai fait une étonnante rencontre d’ailleurs.
-Des détraqueurs, toi aussi ? Agréable en effet, je leur ai fait comprendre qui commandait, tu peux me croire.
-C’était donc toi, j’ai vu une lumière mais je me suis simplement dit qu’un dernière année avait bien suivi ses cours de défense contre les forces du mal.
-Rêve pas, est ce qu’on le faisait, nous ?
-Toi je n’en sais rien mais moi oui ! Du moins j’essayais.
Je souris lorsque les souvenirs affluent et tourne mon regard vers le choixpeau magique qui vient d’être posé sur un tabouret. Même si nous avons tout deux fait notre scolarité à Poudlard, nous n’y avons pas étudié ensemble, je n’étais tout simplement pas encore en âge d’y entrer lorsqu’il y a fait ses années.
Non, notre amitié s’est construite lorsqu’il a travaillé avec moi pendant une année entière dans plusieurs pays de l'Europe de l’Est. Je pensais réellement ne jamais le revoir, mais le hasard fait décidément bien les choses. Et Dumbledore aussi.
Pendant plusieurs minutes, je regarde la cérémonie de répartition sans vraiment écouter, puis fais glisser mon regard le long des tables alignées sur le carrelage. Je remarque instantanément que beaucoup de regards sont tournée vers Remus et moi et ne peux empêcher un sourire sardonique d’étirer mes lèvres. Et ouai les p’tits gars, cette année c’est moi qui donne des points… Ou les retire.
Lorsque mon regard tombe sur la table de Gryffondor je remarque les deux têtes rousses dépassant celles des autres et fait un très léger signe de tête aux deux jumeaux qui me fixent avec un demi sourire.
-Je crois que tu fais tourner toutes les têtes, Alya, me chuchote Remus du fond de son siège.
-Ils te regardent aussi je te signale, ils ne savent juste pas à quelle sauce ils vont être mangés.
-Hum… À mon avis je leur fait bien moins grande impression que toi. Jolie robe au fait.
Je tourne un regard las vers lui et il se tait en cachant un sourire dans sa main.
-Tu te crois drôle avec tes insinuations ?
-Je parie dix gallions que tu auras droit à ta première lettre d’amour avant une semaine.
D’un geste vif je le tape à l’épaule et il sourit de plus belle en s’enfonçant dans son siège à accoudoir.
J’ai toujours adoré Remus. C’est un esprit brillant qui ne résigne jamais à la tâche, sans compter qu’il possède une bonne dose d’autodérision que peu d’autres ont. Tout à nos chamaillerie, je ne remarque pas que le Directeur s’est levé de son siège et qu’il a entamé un discours de bienvenue. Le même que chaque année bien évidemment, les détraqueurs en plus. Sauf qu'à ce moment là, il se tourne vers nous et tend la main vers Remus.
-...Tout d’abord le professeur Lupin qui a bien voulu se charger des cours de défense contre les forces du mal.
Je reprends conscience à ce moment là et vois mon ami se lever et saluer la salle d’une petite courbette. Quelques applaudissements plutôt tièdes s’élèvent, sauf du côté de certains élèves de Gryffondor qui frappent vigoureusement dans leurs mains.
Puis vient mon tour.
-Je vous présente également le professeur Tio qui enseignera une nouvelle discipline, optionnelle, et qui fera du soutien dans le cadre du renforcement psychique magique.
Avec une grâce forcée, je me lève de mon siège et leur adresse à tous une élégante révérence à laquelle répondent de forts applaudissements. Bien évidemment, aucun d’eux n’a, ne serait-ce qu’une vague idée d’en quoi la matière consiste, mais je me doute que mon grand sourire est pour quelque chose à cet accueil chaleureux. Surtout venant de la gente masculine, car alors je remarque plusieurs jeune femme me lorgner comme si j’étais un gros veracrasse particulièrement rebutant.
-Tu tiens le pari ? Me lance Remus une fois que je suis rassise et que le directeur s’est tourné vers Hagrid, assis plus loin, pour présenter son nouveau poste.
Je jette un regard au professeur de défense et tends la main sous la table.
-Tope là.
Le repas est aussi délicieux que dans mes souvenirs et je me surprends à reprendre trois fois du gratin de pomme de terre, tellement celui-ci est divin. Avec Remus nous discutons de divers sujets d’étude et, alors que je m’y attends le moins, il prend un air sérieux.
-Tu espères vraiment réussir à enseigner la maîtrise du flux magique à tous tes élèves ? me demande-t-il sans ambage en cessant de déguster sa tourte à la viande.
-Tu doutes de mes capacités, Remus ?
-Non pas du tout, c’est juste que je ne comprends pas que Dumbledore fasse un cours de ton sujets d’étude. Tu m’as dit toi même que tu mettrais des années à finir ta thèse.
-Hum… En vérité j’ai beaucoup avancé depuis que nous nous sommes vu. J’ai découvert et mis en application beaucoup de choses et le Ministère…
Il lève les yeux au ciel lorsque je prononce ce mot.
-Le Ministère, dis-je en faisant semblant de ne pas avoir vu sa réaction. M’a remis une distinction avant de me ramener au pays.
-Certes, j’imagine qu’ils étaient bien content que tu leur apportes des résultats, mais tout de même ! Tu devrais parcourir le monde à la recherche du savoir plutôt que d’enseigner à des élèves peu attentif. C’est une matière optionnelle en plus, tu…
-Justement c’est parfait, cela me donne assez de temps libre pour continuer mes recherches et, de toute façon, c’était inscrit dans les termes de mon contrat. J’ai été payée pendant mes recherches et, en échange, je dois accepter un poste s’ils l’exigent. J’y était préparée.
-Beau discours, qui essayes-tu de convaincre ? Toi même ?
Je ne relève pas la remarque et poursuis.
-Ils ont d’abord voulu me mettre au Département des Mystères, mais Dumbledore m’a fait une meilleure offre. J'ai pinaillé pour avoir un bon salaire, mais en réalité je n’avais pas d’autre choix. Tout, mais pas retourner au Département des Mystères !
Lorsque les derniers vestiges du repas disparaissent, le directeur nous annonce qu’il est temps pour chacun de rejoindre son dortoirs.
-Je n'ai aucune idée d'où je crèche, je souffle à mon ami en suivant le mouvement et en me levant.
Il ne répond pas et attrape un morceau de papier plié au fonds de sa poche.
-Cinquième étage, aile Nord. On ne sera pas loin.
-J’espère bien, je m’exclame, ravie. Si Peeves viens m’enquiquiner, je compte sur toi pour m’aider à lui faire comprendre sa souffrance.
Avec un grand rire, Remus me fait signe de le suivre et nous montons les étages en esquivant les troupeaux d’élèves qui rejoignent leurs salles communes. Une fois devant le large battant de bois d’une porte en ogive, nous nous souhaitons la bonne nuit et je pénètre dans mes quartiers avec curiosité.
À cet instant j’ai comme l’impression d’être de l’autre côté du miroir, de pouvoir accéder à un savoir qu’aucun élève ne peut espérer atteindre. Cela me donne un sentiment d’importance mais également celui d’être le plus grand des imposteurs, une petite fille cachée dans le corps d’un adulte.
En ouvrant la porte, je découvre une grande pièce couverte d’un épais tapis bleu sombre et comprenant un grand lit à baldaquin trônant à ma gauche. Dans le coin opposé, deux épais fauteuils de velour se serrent autour d’un âtre dans lequel brûle un feu qui réchauffe agréablement l’atmosphère. Mes valises ont été déposées au centre de la pièce et une lettre cachetée m'attends sur le bureau de bois clair, celui-ci reposant sous la fenêtre actuellement cachée par de grands rideaux tirés.
Je pense que je vais me sentir bien ici.