Voilà plusieurs minutes désormais qu’il fixait la flamme. Captivé. Hypnotisé.
Elle dansait au gré des courant d’air qui traversait l’obscure masure cauchemardesque dans laquelle on l’avait relégué. Visiblement, le fidelitas ne laissait pas le vent à la porte.
Il avait trouvé la vieille bougie au fond d’un placard que Molly n’avait pas encore vidé de son contenu. Il ignorait si elle portait un quelconque maléfice – vu le contenu des autres placards et l’étrange couleur verte de la cire, il aurait dû redoubler de prudence, mais il n’avait plus le courage. Le risque, léger pourtant, perçait à peine le voile de sa lassitude et de son ennui. Que n’aurait-il pas donné pour une seule montée d’adrénaline, pour un petit essoufflement, pour un tout petit peu de peur ?
Mais il n’avait rien de tout cela. Il n’avait même pas l’ombre d’une mission, à part jouer les chiens de garde d’un quartier général bien inutile – le Terrier aurait autant fait l’affaire, il les soupçonnait d’avoir trouvé ce pis-aller pour l’emprisonner sans le faire protester.
Rien, le vide, le néant du courage. Alors pourquoi ne pas rester là, des minutes, des heures, à regarder une bougie et sa flamme trembloter sous un souffle inconnu ?
Voilà donc plusieurs minutes désormais qu’il fixait la flamme. Captivé. Hypnotisé.
À vrai dire, il n’avait pas grand-chose de mieux à faire. Rien de pire, non plus.
Il avait beau clamer à qui voulait l’entendre, surtout à Rogue qui paradait à chacun de ses passages, qu’il était sain d’esprit, lui-même commençait sérieusement à en douter. Qui passait si longtemps à regarder trembloter une flamme ? Personne.
Mais après tout, qui était reclus pour des semaines dans une maison fermée, seul avec le portrait fou de sa mère et un elfe de maison dément ? Personne non plus. Alors une bougie, pourquoi pas ?
Il n’aurait jamais cru devenir plus fou encore là sous les courants d’air froids que sous le souffle des Détraqueurs, et pourtant, il en venait presque à regretter leur haleine putride et glacée – preuve, s’il en fallait, qu’il devenait véritablement dément. La solitude lui serrait l’âme et piétinait les restes de sa santé mentale. L’inaction, l’absence de but ou de courage ruinaient son esprit. À Azkaban, il avait au moins la vengeance.
Ici, il n’avait rien d’autre que d’absconses distractions.
Voilà donc plusieurs minutes désormais qu’il fixait la flamme. Captivé. Hypnotisé.
Jusqu’à ce qu’il remarque qu’en réalité, il ne pouvait plus la quitter des yeux. Même en y mettant toute sa volonté.
Nouveau piège. Nouvelle prison.
Brûlante.
***
La flamme dansait, depuis combien de temps, déjà ? Des minutes ? Des heures ?
Son reflet sur la cire verte se répercutait sur les murs. Les volutes dansaient dans la périphérie du champ de vision de Sirius, mais il ne parvenait à leur accorder aucune attention.
Ses yeux étaient rivés sur la flamme, prisonniers d’elle plus encore qu’ils ne l’avaient été de l’obscurité froide d’Azkaban. Était-il voué à passer de prison en prison, jusqu’à y mourir, seul, abandonné ? Était-ce réellement le juste châtiment de ses crimes ?
Quelque chose en lui se révoltait. Loin des Détraqueurs, il n’était plus si sûr de l’avoir mérité. Pas tout ça en tout cas. Pas le Square Grimmaurd, la prison, la cavale, le Square Grimmaurd encore… Vingt-cinq ans d’enfer pour dix ans de bonheur.
Et maintenant, la flamme d’une bougie comme dernière geôle, quelle ironie du sort. Cette prison-là était l’antithèse parfaite des autres, aussi brûlante qu’elles étaient glaciales, aussi apaisante qu’elles l’avaient détruit d’angoisse et de détresse.
Une prison, tout de même.
Et voilà que face à son corps anesthésié, Sirius trouvait cette montée d’adrénaline qu’il avait désespérément cherchée. Il y avait quelque chose d’angoissant à sentir son esprit buter sur une limite invisible, impalpable, même pas accompagnée par le fourmillement caractéristique des sortilèges d’immobilisation. Rien. Juste une muraille imperceptible sur laquelle il s’écrasait à chaque tentative, et la peur de ne pas pouvoir sortir son propre cerveau de cette prison magique faite de flamme et de cire.
Il songea qu’aucune réunion de l’Ordre n’était prévue avant plusieurs jours, et nota qu’il ne fallait pas compter sur Kreattur pour le sortir de là. Il aurait aussi bien pu mourir de faim.
Les autres auraient retrouvé son corps dans un océan de cire à l’inquiétante couleur verte. Vision morbide de son propre cadavre décomposé, les orbites vides, les yeux rongés par les rats et les cafards. Une fin médiocre comme le reste de sa vie.
Voilà qui aurait ravi Rogue.
Dans un instant de lucidité, Sirius se demanda aussi si la bougie était véritablement ensorcelée, et si son esprit n’était pas seul à jouer de vilains tours. Après tout, il n’y avait pas la moindre trace de magie autour de lui. Pas de fourmillement. Pas de crépitement. Pas d’onde malsaine flottant dans l’air. La cire fondait comme toutes les cires. La flamme n’émettait qu’une fumée habituelle.
La bougie était-elle véritablement ensorcelée ? Ou bien la consanguinité, l’enfermement, le traumatisme, la solitude et les regrets avaient-ils fini de faire leur œuvre et de rendre Sirius totalement dément ?
C’était ce qu’aurait prétendu Rogue.
Sirius trouva quelque part, dans le même recoin de son esprit où il avait trouvé la force de se transformer en chien, là-bas, à Azkaban, les ressources pour bouger la main.
Ce n’était pas l’amour, ce n’était pas les regrets. C’était la haine, pure, plus brûlante encore que la flamme de la bougie qui le retenait prisonnier. La haine pour Pettigrow. La haine pour Rogue et ses provocations gratuites, ses accusations de lâcheté, ses prétentions vaines. La haine.
Dumbledore pouvait disserter sur les pouvoirs de l’amour autant qu’il le souhaitait, c’était la haine qui faisait tourner le monde. Sirius avait aimé plus que quiconque, il s’était abîmé dedans, cela ne lui avait jamais apporté aucun pouvoir, juste le chagrin et la perte. Et c’était la haine qui offrait sa force à Sirius. La force de se défaire d’un sortilège apparemment noir, ou bien, peut-être, simplement de sa folie et des barrières que son propre esprit se proposait comme garde-fou. Garde-fou. Oui, c’était le mot.
La force de lever la main.
Juste la lever du recoin de la table où il l’avait posée, et la décaler de quelques centimètres à peine. Doucement. Au prix d’une volonté presque surhumaine.
Des gouttes de sueur perlèrent sur son front, sous l’effort. Elles coulèrent le long de ses tempes pour s’enfuir vers ses oreilles. C’était à peine s’il les sentait, concentré qu’il était sur sa propre peur de céder et d’échouer. Mais il parvint à tenir, encore un peu, encore plus loin.
Et puis, il lâcha tout. Articulations, muscles, tendons, corps tout entier, tout chuta d’un coup vers le bois de la table. Sa main s’effondra sur la flamme dans une gerbe de cire brûlante.
La douleur lui rendit prise avec la réalité. D’un coup.
Il avait l’impression que la peau de sa main se décollait pour venir se souder à la cire. La sensation était intense, mais lui apportait le sentiment rassurant d’avoir retrouvé les limites de son corps et de son esprit.
Il laissa échapper un souffle profond, libéré de toute entrave. Il promena son regard délivré de sa prison de feu sur la pièce, avant de le reporter sur sa main, captivé désormais par sa peau qui rougissait. Il ouvrit et ferma les doigts plusieurs fois, observant la cire sécher, durcir et se décoller de son épiderme à vif. Reprendre le contrôle de son corps le fascinait.
Il secoua la tête pour chasser les derniers relents de fascination morbide qui le hantaient.
Il était à peu près certain de deux choses, désormais. La bougie était ensorcelée, et il n’était plus sain d’esprit. L’un n’empêchait pas l’autre. Il fallait absolument qu’il quitte sa prison avant que le désœuvrement dans lequel il baignait ne le pousse à utiliser un artefact plus dangereux encore, pour tester ses propres limites et synthétiser de l’adrénaline en barre.
C’est là qu’il le sentit.
L’appel.
Ce n’était pas seulement une envie, ce n’était pas seulement l’ennui. C’était un souffle mille fois plus fort que celui qui faisait trembloter la flamme, et aussi impalpable.
Et qui l’appelait.
Ça le prenait au creux du ventre, et ça le poussait. Vers dehors.
Vers les étoiles, celle dont il avait tiré son nom, et qui le suivait depuis sa naissance de son œil mauvais.
L’appel.
Il ne pouvait pas lutter. Au diable, Dumbledore, Rogue, Remus et tous les autres.
Ils l’avaient abandonné à son sort dans l’obscure demeure dont tous les recoins chuchotaient des malédictions, dont la porte même et son tableau de malheur donnaient envie de disparaître. Voilà à quoi ce lieu lui faisait aspirer, à la disparition pure et simple, au néant.
Et voilà que survenait ce cri bousculant ses entrailles.
Il l’avait déjà ressenti, un jour. Quand il avait claqué la porte pour rejoindre James. Quand il avait dit adieu à jamais à ce lieu de toutes les angoisses.
L’appel.
Au diable la prudence. Au diable l’Ordre du Phénix. Au diable Voldemort et tous les autres.
Au diable tout ce qui n’était pas cet élan qui lui donnait l’impression qu’en levant les bras, il pourrait toucher le ciel.
Au diable.
Il n’y avait plus que l’appel qui comptait. Et les étoiles qu’il lui promettait.
Mû par une énergie qu’il savait ne pas posséder quelques secondes plus tôt, Sirius se leva, repoussa la table qui semblait présenter sous ses yeux, en traits de cire séchée, des prédictions de malheurs à venir. Il saisit sa baguette, son manteau et se dirigea d’un pas conquérant vers la porte.
Il ne daigna pas se transformer. Il ne daigna pas non plus fermer à clef. Rien n’avait d’importance, face à l’appel.
Et lorsqu’il fut sur le perron gris, dans ce square terne et morne, il claqua la porte, provoquant de concert l’envol d’une poignée de corbeaux et les cris outragés de sa mère dans le hall.
Et alors qu’il rendait Londres sienne, Walburga Black remplit une maison vide de malédictions qui semblaient ne plus vouloir en finir.
Si la peur de perdre son fils jouait un rôle dans sa haine, nul ne le savait.
Toujours fut-il que Sirius, une fois sous les étoiles, ne l’entendit plus.
Elle pouvait bien s’époumoner.
***
Et les étoiles étaient là, brillants échos de son propre nom, dessins abscons trouant l’obscurité de leur alphabet inconnu. Elles étaient aussi lumineuses que la flamme qui l’avait captivé, mais froides, si froides… Si elles n’avaient pas été si belles, elles lui auraient gelé le cœur aussi fort qu’il s’était brûlé la main. Il sentait encore la douleur lancinante sur sa peau, rappel à la réalité en forme de picotement.
Sirius avait transplané, sans même savoir où, juste pour fuir la pollution lumineuse et l’agitation londonienne. Il s’était glissé dans une ruelle, avait saisi sa baguette, et d’un coup, avait simplement cessé d’être là pour être ailleurs. Il ne savait pas où mais cela n’avait pas grande importance. Il croyait se souvenir que c’était quelque part en Ecosse. Il avait bien battu la campagne, ces dernières années, comme pour compenser les douze ans qu’il avait passés en cellule. Certes, il n’avait pas trop eu le cœur à regarder les paysages, mais ses yeux s’étaient repus presque malgré lui de tout ce qu’il avait manqué.
Et il s’était souvenu. Contre toute attente.
Les étoiles le regardaient de haut, et il n’avait pas l’impression d’avoir peur. Il se sentait frappé de la sérénité millénaire qui les faisait tourner, là-haut. Il n’avait pas vraiment peur, il sentait simplement l’adrénaline couler dans ses veines comme un élixir de vie. La course dans Londres, la magie, le risque. Tout cela lui permettait enfin de se sentir vivant, humain, et libre. Il ne regrettait pas une seconde d’avoir quitté sa réclusion et d’avoir désobéi aux ordres – pourquoi les règles existaient-elles, si ce n’était pas pour être enfreintes, surtout lorsqu’elles étaient absurdes ? Parce qu’elles l’étaient. Qui le trouverait, là ?
Il n’y avait que les étoiles pour le voir.
Les yeux rivés vers le ciel, le cœur flottant dans les constellations, il se laissait porter.
Quand il avait quitté l’affreuse demeure des Black, jamais il n’aurait cru qu’il partirait aussi loin. Couché dans l’herbe mouillée, le cœur battant, il levait les mains et suivait le tracé mouvant de ses seules compagnes du bout de ses doigts brûlés.
L’élan qui le poussait était si fort qu’il avait l’impression de pouvoir les toucher.