« Les hommes n'ont jamais de remords des choses qu'ils sont dans l'usage de faire », Voltaire.
« La souffrance survit à toutes les excuses »,
Lise Harou
Sirius Black poussa un soupir guttural. Il était seul. Encore seul. Toujours seul. Le portrait de sa vieille mère hystérique ne comptait pas. Ils ne parlaient pas. Elle lui hurlait sempiternellement dessus. Noël venait de se terminer. Les membres de l'Ordre du Phénix avait quitté les lieux. Arthur et Molly étaient rentrés chez eux, d'autres étaient partis travailler ou en mission pour Dumbledore. Même Lunard était absent. Sirius était résolument seul.
Il était assis dans la cuisine du Square Grimmaurd, la seule pièce ou résonnaient encore des bruits de vie. Les chaises n'étaient pas rangées comme si des habitants de la maison allaient revenir s'y asseoir. Un verre sale traînait encore dans l'évier. Il entendait même la pendule du salon.
Tic.
Il était seul.
Tac.
Il soupira à nouveau. Seul. Profondément. Désespérément. Irrémédiablement. Les jours, les semaines, les mois mêmes, à venir allaient être longs. Et il ne savait pas quand il pourrait à nouveau parler à quelqu'un. Dumbledore et Remus et les autres avaient été très clairs. Il ne devait plus sortir mais sous la forme d'animagus. Il n'avait plus le droit d'aller se dégourdir les pattes. Harry soupçonnait même Lucius Malefoy de l'avoir reconnu sur le quai neuf trois quart à la rentrée des vacances de Noël.
Merlin savait qu'il haïssait la solitude, cette vieille compagne. Cette haine viscérale ne remontait pas à son incarcération, mais plutôt à son enfance. Petit, il avait toujours détesté être seul, jouer seul. A Poudlard, il était constamment entouré par les Maraudeurs. Même à Azkaban, il ne s'y était jamais habitué. Et quand il s'était évadé, il s'était juré solennellement de ne plus vivre enfermé et seul. Et force était de constater qu'il était incapable de tenir ses promesses.
Tic.
Tac.
Tic.
Crac.
Quelqu'un avait transplané sur le perron et venait d'entrer. Il entendit un bruissement de cape dans les escaliers et le visiteur apparut enfin. Sirius se tendit instantanément et grogna. Il se leva et dégaina sa baguette.
- Que me vaut ce déplaisir, Snivellus ?
Rogue plissa les yeux en entendant le vieux surnom que les Maraudeurs lui avaient jadis attribué. Cependant il ne se démonta pas pour autant et rétorqua d'une voix doucereuse :
- Fais-moi le plaisir de ranger ta baguette Black. Je suis ici en mission pour le Directeur.
- Tu n'as pas des élèves à maltraiter et à traumatiser ? répondit-il acerbement.
- Toujours aussi spirituel. Mais si tu voyais leur stupidité... Ah non, j'oubliais. Tu ne peux pas les voir. Puisque tu ne peux pas sortir.
Sirius grogna dangereusement et leva sa baguette pour tenir en joue le Maître des potions.
- Dégage de chez moi !
- Au cas où tu ne m'aurais pas entendu, cabot stupide, je suis en mission ici. Le Directeur semble douter de ta capacité à obéir à un ordre des plus élémentaires. Il m'a demandé de m'assurer que tu restes confiné dans ta miteuse maison.
Sirius se tendit tellement, qu'il devait avoir des crampes musculaires. Rogue fit comme s'il n'avait rien remarqué, le contourna et se servit un verre de Whisky-Pur-Feu avant de s'asseoir.
- Fais comme chez toi, grinça Sirius.
- Merci. J'y compte bien.
Sirius leva les yeux au ciel et, imita son ancien camarade.
- Tu n'as pas changé, commenta-t-il. Toujours aussi désagréable.
- Toi non plus, rétorqua le professeur avec un rictus méprisant. Toujours aussi arrogant et méprisable.
- Toujours cette vieille rengaine, tu radotes mon vieux.
- Ne m'appelle pas comme ça Black, siffla Rogue entre ses dents jaunies. On n'a pas élevé les hippogriffes ensemble.
Ce dernier soupira. Les prochaines heures allaient être interminables si elles se poursuivaient dans cette ambiance pesante. Il détailla Rogue du regard. Le teint cireux, les cheveux graisseux, un nez disgracieux, des yeux brillants d'intelligence. Décidément, il n'avait vraiment pas changé. Il se souvenait comme si c'était hier des adolescents qu'ils avaient été. Pour Sirius, c'était une belle époque, la plus belle de sa vie peut-être. A mesure que les souvenirs affluaient à sa mémoire, un sentiment plus douloureux l'envahissait. Un poids le pesait.
Tout avait commencé en septième année, après une sérieuse dispute avec Mary McDonald. Ce petit bout de sorcière lui avait asséné une paire de gifles au sens figuré. Il avait été piqué au vif, blessé par ses propos, qui en réalité, étaient justes. Il n'avait jamais eu son courage, ni aucun des Maraudeurs d'ailleurs.
Pris d'une fièvre nouvelle et en souvenir de Mary, il rassembla son courage et dit timidement :
- Tu sais, Severus...
Celui-ci tiqua. Black ne l'avait jamais appelé comme ça. Jamais. Seul Lupin se forçait à utiliser son nom depuis qu'il était devenu enseignant.
- Quand je repense à ce que j'ai fait... A ce que nous avons fait, corrigea-t-il en inspirant un bon coup, quand nous étions à Poudlard avec Jamesie, je n'en suis pas vraiment fier. Je...
- Par Merlin, railla Rogue, ne me dis pas que ta conscience te tourmente Black.
Sirius se tut instantanément, piqué au vif. Puis le visage doux de Mary s'imposa à son esprit. Elle regardait par-dessus ses lunettes rondes comme quand elle le désapprouvait, amusée. Alors, il continua :
- Je sais que tu étais jaloux de James parce qu'il était charismatique et doué. Et parce que tout lui réussissait. Et surtout parce que Lily est sortie avec lui et a fini par l'épouser.
Severus inspira profondément. Sa gorge le piquait, ses yeux le brûlaient. Il n'avait pas entendu ce prénom depuis des années.
- Veux-tu bien cesser ces babillages de jeune fille en fleur dégoulinant sentimentalisme, Black ? Ça me donne envie de vomir.
Sirius était piqué au vif. Il était vexé qu'on ne l'écoute pas. Et pourtant à présent qu'il était confiné, il avait besoin d'être entendu. D'autant plus qu'il était absolument sérieux.
Rester enfermé seul entre ces quatre murs, qui sentaient le moisi, lui permettait de ruminer et de ressasser. Il ne l'aurait jamais cru mais il était assailli par les fantômes de son passé. Sirius pensait que tout cela était derrière lui à présent. Tant de ses amis avaient disparu, la relève était là, il fallait passer à autre chose. Pourtant il ne pouvait s'empêcher d'y penser. Peut-être se sentait-il vieillir et que l'heure de sa mort approchant, il faisait le bilan de sa vie. Était-il devenu la personne qu'il voulait être plus jeune ? Était-il parvenu à incarner les valeurs qu'il défendait ardemment ? Il n'était pas croyant comme les moldus, mais sait-on jamais... S'il pouvait se mettre les dieux et le karma dans la poche, il le ferait sans aucun hésitation.
Mais il croisa le regard chargé de moquerie et de mépris de Rogue et son sang ne fit qu'un tour.
- Et tu sais quoi Snivellus ? reprit-il, la voix chargée d'agressivité. Elle a fait le bon choix en l'épousant...
- Ferme-là Black, siffla le Maître des potions entre ses dents.
Il avait considérablement pâli et, ses doigts étaient crispés sur le manche de sa baguette. Mais Sirius ne s'arrêta pas pour autant. Mû par une colère inexplicable, il continua avec hargne.
- Qu'est-ce que ça te fait, Snivellus, de savoir qu'elle couchait avec James ? De savoir que lui seul l'embrassait, la caressait ?
- TA GUEULE ! mugit Severus en se relevant brutalement de sa chaise.
Il pointait d'une main tremblante de rage sa baguette sur Sirius qui continua.
- Elle a bien fait. Tu n'étais pas bien pour elle. Elle s'est fait un sang d'encre pour toi en voyant que jour après jour tu te tournais de plus en plus vers les forces obscures. Elle a tout fait pour t'aider. Elle t'a défendu. Elle t'a aimé. Et toi ! Toi, tu l'insultais sans vergogne, tu l'as blessé. Tu as fait du mal aux gens qu'elle aimait. A sa sœur. Et à ses amies. Tu veux que je te rappelle ce que vous avez fait à Mary ? Tu l'as fait souffrir, Rogue. Et on ne fait pas souffrir la personne qu'on aime.
A bout de souffle, Sirius s'arrêta dans sa tirade. Il constata que Rogue avait blêmi, si cela était encore possible. Une seule et unique larme roula sur sa joue cireuse. Jamais il n'aurait cru cela possible.
Loin de se réjouir de la triste scène, Sirius fut pris de remords. Le dernier des Black leva les mains en signe d'apaisement et Rogue ne s'y montra pas sensible. Prenant exemple sur Remus et sur Lily qui s'efforçaient toujours de désamorcer les conflits, il adoucit sa voix, détendit ses muscles et baissa sa baguette.
- Je suis désolé. Je ne voulais pas en arriver là.
Rogue arqua un sourcil dubitatif. Mais Sirius semblait sincère et cela titilla malgré lui sa curiosité. Il baissa légèrement sa garde.
- Tu sais, j'aime à croire que l'un des principes qui me définit c'est « ne fais jamais aux autres ce que tu ne voudrais pas ce qu'on te fasse ». Et j'ai repensé à mon comportement avec toi à Poudlard. Et je dois dire que je n'en suis pas fier. Pas fier du tout... Toutes ces années, à s'être moqué de toi... Je te présente mes plus sincères excuses pour ces années. J'imagine que tu as dû en souffrir.
- Arrête ça Black, siffla Rogue. Tu me fais vomir. Tu es toujours aussi arrogant. C'est trop facile de t'excuser maintenant. C'est trop facile. Rien n'effacera ce que vous, toi, Potter, Lupin et Pettigrow, avaient fait. Rien, tu m'entends ? Moqué, tu dis ? Vous m'avez harcelé, humilié pendant sept ans devant toute l'école! Sept longues années ! Et tu te pointes comme ça, la bouche en cœur, pour demander que je te pardonne ! Écoute moi bien sale cabot, jamais je ne pourrais vous pardonner. JA-MAIS !
Severus Rogue contourna Sirius, ses capes noires voletaient autour de lui. Il lança sans même se retourner qu'il ne restait pas une seconde de plus dans cette mansarde, qu'il avait autre chose à faire et que Dumbledore devrait se contenter de faire confiance un sale cabot bouffé par les puces.
Il transplana et Sirius se mordit les lèvres. Jamais il n'aurait cru que la discussion tournerait court. Il pensait que Rogue lui accorderait un pardon et qu'ils en resteraient là. Peu à peu, il réalisa qu'il allait devoir rester seul. Il avait fait fuir la seule personne avec qui il aurait pu parler. En désespoir de cause, il restait Kreattur qu'il pourrait toujours houspiller.
Des larmes d'amertume roulèrent sur les joues amaigries du sorcier pour aller se noyer dans le verre de Whisky-Pur-Feu qu'il tenait. Il ne pleurait pas sa solitude mais plutôt de son incapacité à parler, à se livrer aux autres. Il n'y avait qu'une seule personne qui savait que ses actions le tourmentaient. Une seule personne savait qu'il n'était pas fier de lui et de ce qu'il avait été. Une seule personne savait à quel point il était vulnérable. Et cette unique personne l'avait encouragé à parler et à présenter des excuses sincères. Elle était convaincue qu'il en serait soulagé, qu'importe l'issue.
Mary s'était trompée. Le même fardeau pesait sur ses épaules et l'espace d'un instant, il avait cru qu'il pourrait s'en défaire. Mais ce fardeau le suivait, l'étreignait, l'enveloppait, le rongeait et l'étoufferait.