Les rayons de soleil pâle de ce début de mois de juillet s’infiltraient graduellement à travers les rideaux satinées et transparents au fil d’ambre.
La chambre qui était spacieuse laissait entrevoir le luxe des lieux : deux hautes baies vitrées faisaient front à la double porte de bois entourée de pierres grise et sur le côté gauche du seuil, une imposante cheminée en marbre blanc était surplombée d’un vaste miroir cadré de moulures dorées. En face, était disposé un lit à baldaquin. Les courtines en crêpe ivoirines dissimulaient une jeune fille aux cheveux roux, tirant sur l’auburn, qui dormait paisiblement sur le ventre.
Partout sur le sol, régnait un capharnaüm qui était propre à l’adolescente endormie. Baskets, rangers, livres, grimoires, chaudrons, malles et quelques habits étaient dispersés à travers la pièce.
À côté de l’entrée, dans le coin du croisement mural, était placé un balai de course au manche en ébène, où la marque « Nimbus 2001 » y était inscrite en lettres d’argent.
De l’autre côté de l’issue suivait une penderie, une porte dissimulant la salle d’eau et un bureau en massif ciré de couleur miel.
Enfin, près du visage fin de la jeune rousse, sur la table de nuit, deux photos aux cadres boisées étaient déposées. La première, représentait un couple qui tournoyait et valsait autour d’une fontaine sous les feuilles tourbillonnantes d’automne. Dans le coin du cadre, un portrait sur papier journal montrait un jeune garçon aux cheveux hirsutes, les lunettes rondes et une cicatrice en forme d’éclair sur le front. À la suite du premier cliché, une petite fille riant à gorge déployée dans les bras de son père paraissait sur une autre photographie. Dans leur dos, l’ombre d’un château écossais se dessinait.
Deux coups discrets frappèrent contre la double porte et sans attendre de réponse, celle-ci s’ouvrit sur une domestique, petite et fluette, habillée d’une robe noire, d’un tablier blanc bordé de broderie anglaise, et une coiffe du même style sur ses cheveux blonds dressé en un chignon bas et rond.
En entrant dans la pièce, la gouvernante soupira d’exaspération en trouvant le désordre qui recouvrait la pièce.
Munie d’un plateau où une théière, une tasse et un sucrier en porcelaine étaient disposés à espace égal, elle s’avança vers la table de nuit de l’autre côté du lit et y disposa le socle. Puis elle contourna la couche et s’installa près de la jeune fille qui dormait toujours profondément.
La domestique posa une main délicate sur l’épaule de l’adolescente et la secoua légèrement.
- Miss, murmura la femme de chambre d’une voix mélodieuse, il est temps de vous réveiller.
L’adolescente papillonna des yeux en se sentant secouée et comprit après plusieurs secondes où elle se trouvait. Ça lui faisait toujours cet effet quand elle rentrait de son école de France et qu’elle se retrouvait subitement chez elle, dans sa chambre, après avoir passé un an dans un dortoir. Il y avait systématiquement ce flottement après son réveil où elle se demandait dans quel endroit pouvait-elle bien se trouver ?
- Miss Dorea, appela la blonde, levez-vous, votre père veut que vous descendiez déjeuner.
Saisissant les paroles de sa femme de chambre, nommée Anna, Dorea ronchonna et attrapa un coussin pour l’écraser sur sa tête.
Anna sourit face à l’attitude puérile de sa protégée. Chaque année, depuis que la jeune Dorea avait intégré l’école de magie de Beaubâtons, les jours qui accompagnaient le retour de la sorcière étaient ponctués d’agacement de la part de son père et de lassitude de cette dernière.
Anna décida d’employer la manière forte, un tantinet amusé comme à son habitude de la situation.
La gouvernante se leva et sortit sa baguette magique. D’un geste sec, les rideaux s’ouvrirent pour laissait entrer le jour dans la chambre avec diligence, ce qui fit gémir d’agacement l’adolescente.
- Aller, debout Miss, chantonna la domestique en se dirigeant vers la table de nuit.
- Anna, laisse-moi dormir, bougonna Dorea en enlevant le coussin de sa tête.
Faisant fi des protestations de la jeune lady, Anna dressa le plateau sur les genoux de l’adolescente qui s’agença confortablement contre ses coussins tout en maugréant sous cape.
- Alors, qu’avez-vous prévu aujourd’hui ? demanda Anna en suspendant les rideaux à la dragonne.
Dorea haussa les épaules tandis qu’elle se versait du thé bouillonnant dans une tasse.
- Je ne sais pas, j’irais volontiers faire un tour en forêt à cheval.
- Et ranger votre chambre peut-être ? commenta Anna en regroupant quelques affaires éparpillées au sol.
- Tu as une baguette, Anna, c’est pour l’utiliser, dit Dorea d’un ton désabusé.
- Attendez de voir quand j’en parlerai à Lord Artwood, menaça Anna en pointant un doigt accusateur à sa jeune maîtresse.
Certes, c’était sa maîtresse, mais elle avait élevé et éduqué Dorea Artwood depuis sa plus tendre enfance, et la jeune femme ne supportait pas quand la jeune lady se faisait parfois suffisante.
- Non, ne dis rien, Anna ! implora Dorea en changeant soudainement le ton de sa voix. Je m’excuse, ok ?
Dorea sourit timidement, affichant une expression douce et polie. Seulement ses pupilles vert émeraude se faisant mutines, ce qui révélait la roublardise de cette dernière.
Anna secoua la tête de dépit puis allégua les affaires sur le lit tout en observant d’un regard joueur la jeune Artwood.
- Rangez votre chambre, ordonna la gouvernante. Et sans magie.
Puis elle fit volte-face et sortit de la pièce.
- Ah Dott’, tu es enfin là, soupira Lord Goderic Artwood établi à la vaste table dans la salle à manger.
Goderic Artwood était un homme relativement de belle allure, ordinairement vêtu d’une chemise blanche et d’un costume trois pièces, à la mode moldue, souvent oscillant entre les teintes grisées et noir. Il était élancé et élégant et il avait les cheveux bruns. Une barbe naissante de trois jours entourait ses lèvres fines et un nez bombé par une petite bosse, appuyé le reflet de ses yeux noisette.
La salle à manger était dans les couleurs pêche avec ses tentures aux reflets mordorés, ses immenses baies vitrées et ses considérables tableaux cadrés d’or exhibant paysages et illustres figures de la famille Artwood.
Lord Artwood braqua ses yeux vers sa fille et bloqua son regard sur sa tenue, la tasse en l’air.
Plus Dorea grandissait, plus ce qu’elle représentait lui plaisait de moins en moins.
L’adolescente était vêtue d’un jean noir, chaussée de rangers. En haut, elle arborait une chemise à carreaux de couleurs violettes sur un débardeur blanc.
Goderic posa lentement sa tasse de café sur sa soucoupe, réprimant sa contrariété. Sa fille était en proie à une pleine crise d’adolescence.
- Dott’, je t’ai déjà dit que je ne souhaitais pas que tu t’habilles de cette façon. On n’est pas dans un ranch en Californie, mais dans un château anglais.
Dorea, insensible à la remarque de son père, haussa les épaules et alla s’asseoir à l’autre de bout de la table.
Le lord retint, malgré son irritation devant la désobéissance de sa fille, un sourire égayé. Il n’en espérait pas moins de la jeune fille. Elle était joueuse et adorait dire noir quand il disait blanc ou bien le contraire.
Le petit-déjeuner se passa relativement dans le calme. Goderic consultait les gros titres de la Gazette du Sorcier tandis que Dorea, droite sur sa chaise, comme on lui avait enseigné, dévorait son omelette au bacon.
Le majordome, du nom de Carson, entra dans la pièce portant sur le plat de sa main un étroit plateau d’argent où était posé une enveloppe.
Goderic leva la tête de son article, replia le journal pour le poser sur la table à côté de son assiette et prit la missive entre ses mains. Il la décacheta et lut le parchemin.
Au fil de sa lecture, ses joues devinrent blêmes, ce qui attisa l’attention de sa fille.
- Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda Dorea d’une voix crédule.
Elle n’osait jamais trop poser de questions sur les affaires que tenait son père, mais là, elle sentait que c’était tout autre chose. Une chose beaucoup plus importante. Une chose beaucoup plus grave.
Goderic rangea la lettre dans son enveloppe et décala sa chaise pour se lever.
- Tu feras ta rentrée à Poudlard cette année, annonça-t-il froidement.
Puis James, l’un des valets de pied présent dans la pièce, ouvrit la porte et Goderic sortit de la salle à manger sans autre explication.
Il n’en avait pas besoin, car Dorea comprenait ce que ça voulait dire : une guerre approchait.