12 juillet 1940, maison de Liliane Evans, Londres
Deux ans s'étaient écoulés depuis que Tom et Lianna avaient été autorisés à passer toutes leurs vacances en compagnie de Liliane. Deux ans qu'ils se sentaient mieux dans leur peau. Cela faisait également deux ans que la rouquine avait entamé des démarches d'adoptions et que les services sociaux ne cessaient de leur mettre des bâtons dans les roues. Beaucoup de choses s'étaient produites, dont la mort de Will qui les avait rendus triste et morose. Ils leur avaient fallu du temps pour qu'ils comprennent un peu mieux ce concept qu'était la mort grâce à l'aide de leur mère qui leur avait donné de longues conférences sur ce propos malgré son propre mal-être. Et cela n'avait fait que les rendre de plus en plus sceptique sur le sujet.
Avec la Magie, il y avait décidément moyen de contrer cela, les enfants en avaient la certitude. Et si Will n'avait pas été au dernier stade de sa maladie, et surtout si eux avaient été plus expérimentés et plus âgés, peut-être auraient-ils pu le sauver. La mort de William Evans avait qui plus est été un gros contre-temps dans les démarches d'adoptions puisque la jeune femme se retrouvait seule à charge de deux orphelins - sans compter que, quelques mois plus tard, un enfant qui n'avait pas été prévu au programme allait encore une fois créer des imprévus dans leur vie.
Tom avait donc un mauvais pressentiment sur leur future adoption. D'autant plus que la guerre avait de nouveau éclaté en Europe, résultat de la folie d'un dirigeant du nom d'Adolf Hitler. Et il n'avait pas fallu longtemps avant que la Grande-Bretagne ne rentre dans le conflit. L'adolescent savait qu'en plus de tout ces petits soucis autour de l'adoption de sa meilleure amie et de lui-même, l'Etat moldu avait des priorités bien plus importantes que de s'occuper de ce genre de « sottises » en priorité, et ce à l'instar de l'Etat sorcier qui, indirectement, essayait sinueusement, sans trop sans mêler, de gérer cette guerre de taille.
- Hé là, on ne me pique pas ces fraises, taquina la jeune professeure.
- Eh bien, Maman, tu es prête à exploser, alors je t'aide à finir ces fraises !
Le jeune garçon sortit de ses songes et jeta vaguement un œil à Lianna qui ne cessait de titiller gentiment leur « presque » mère adoptive. Lui moussait intérieurement et enrageait face à l'état dans lequel était Liliane. Et quel état, songea-t-il avec amertume alors qu'inconsciemment il jetait un regard noir et méprisant au ventre bien arrondi de cette dernière. Le jeune Serpentard était pris d'une intense jalousie face à l'être qui avait élu domicile le corps de sa mère depuis près de neuf mois.
Au-dessus de son estomac se trouvait une assiette remplie de fraises. L'objet était posé sur le ventre bedonnant de sa mère de substitution. Liliane donnait vraiment l'impression qu'elle allait éclater tel un ballon baudruche d'un instant à un autre. Arrivant à terme d'une grossesse imprévue, elle attendait un enfant qui n'aurait définitivement jamais dû voir le jour. La guerre créait son lot de victimes, et la jeune rouquine n'avait pas tardé à en subir les conséquences. Neuf mois auparavant, en octobre 1939, un militaire s'en était - et d'après ce qu'elle leur avait conter avec ses mots soigneusement choisis - pris à elle alors que les ennemis infiltraient la petite école de Saint John, là où elle travaillait.
Ce fut très vite, et alors qu'ils rentraient pour les vacances de Noël, que Tom et Lianna avaient remarqué les hématomes qui affublaient sa peau ici et là. Les deux jeunes sorciers avaient rapidement compris qu'elle avait subi des violences sexuelles malgré les tentatives de l'adulte pour minimiser les faits. La colère qui l'avait envahi était telle que les objets autour d'eux en avaient tremblé. Liliane l'avait alors sommé de se calmer puis l'avait attrapé par la ceinture afin de l'enserrer si fortement dans ses bras qu'il en avait eu le souffle coupé. La professeure avait beau faire la forte, lui avoir murmuré des mots doux, Tom ferait tout de même atrocement souffrir le moldu qui avait osé salir sa dignité. Il le retrouverait. Le tuerait. Quoi qu'il lui en coutât. Il était si facile de s'attaquer à plus faible que soit et à des personnes qui méritaient - à ses yeux - le respect plus que quiconque sur cette Terre.
Un sourire cocasse se répandit sur les lèvres de l'institutrice, et Tom vit Lianna - qui venait de se mettre facétieusement et innocemment sur le sol afin de préparer son jeu de bataille explosive afin qu'ils puissent ensemble en faire une partie - se faire tirer de force vers le haut et par le bras par leur bienfaitrice qui était assise sur le divan, juste devant son amie. Après que la rousse eût déposé son assiette de fruits sur le côté, Lianna se retrouva collée contre la poitrine de Liliane, et son amie d'enfance commença à subir des chatouilles ici et là, ce qui la fit rire à pleins poumons.
- Redîtes ce que vous disiez, jeune fille ?
- Tu...tu vas expl...exploser ! hurla de rire la jeune sorcière. Tom... Tom, aide-moi !
Tom, qui réfléchissait encore une fois à la façon la plus appropriée de retrouver et de faire du mal à ce cretin de moldu qui méritait de souffrir pour avoir fait du mal à sa mère, sortit à nouveau de ses pensées. L'étudiant de l'école de sorcellerie Poudlard croisa les iris vertes-bleues de Lianna, puis celles de Liliane qui arrêta de « s'attaquer » à l'adolescente et figea son regard brillant et émeraude sur lui-même avec inquiétude et interrogation.
- Tommy ? Tu as l'air pensif, Trésor. Et si tu posais un peu ton journal intime ? Je crois que Lianna - qui vient de me traiter de « grosse patate » en passant - prépare son jeu de bataille explosive. Vous allez devoir me réexpliquer les règl... ouille !
- Maman ? Qu'est-ce que tu as ? s'entendit-il dire avec inquiétude.
Sa voix qui commençait légèrement - et depuis quelques jours - à se casser, signe incontestable de l'adolescence, monta d'une octave quand il se rendit compte que sa mère tenait brusquement son estomac des deux mains avec une expression de douleur qui le tracassa à la seconde où il l'aperçut. Tom constata que de l'eau semblait couler des jambes de la jeune femme ainsi que du divan. Et alors que Lianna demandait si leur mère allait bien, c'est dans un état second qu'il se leva et l'entendit vaguement dire :
- Lianna, va chercher des serviettes propres, Trésor. Tommy, prends le téléphone fixe et essaye d'appeler Louise et les urgences de l'hôpital. Votre petit frère ou petite sœur arrive... n'ayez pas peur, ce sont juste des contractions.
Terrifié, Tom obéit. Louise était une adulte et assistante sorcière. La dame entre deux âges était infiltrée chez les moldus. Elle les aidait dans leur quotidien. Louise leur avait été attribuée par ministère de la Magie pour la durée de la grossesse de Liliane. Au même titre que ce Mike Toke avait repris leurs dossiers pour l'adoption - un type qui depuis quelques semaines semblait en parallèle courtiser Liliane et qu'il gardait précautionneusement à l'œil. Quant à la femme, Tom n'avait pas vraiment d'avis. Elle l'obligeait à faire en sorte que Nagini ne se trouve pas dans les parages quand elle venait aider pour faire un peu de ménage ou encore les courses.
Il était juste pressé que tous ces gens comprennent que sa mère était capable de les élever tous les trois, sans aide, une fois qu'elle aurait accouché. Que tous ces soucis de la vie qu'ils avaient eu à affronter ces dernières années étaient anodins tant qu'ils étaient tous ensembles et heureux. Que Liliane avait toujours su se débrouiller avec eux et qu'elle gèrerait parfaitement avec un autre bébé. La guerre, ce soldat, la mort de Will, n'avaient pas à entrer en jeu. Après tout, le défunt, William, avait tout arrangé afin que leur mère puisse se débrouiller seule des décennies auparavant.
Tom et Lianna savaient que les services sociaux sorciers agissaient et travaillaient en toute discrétion avec les services de l'Etat moldu depuis plus de deux ans, et ce grâce à l'intervention du professeur Albus Dumbledore. Dans leur cas, les deux orphelins faisaient partie des deux mondes, ce qui ajoutait des difficultés complémentaires.
Oui, leur adoption était décidément plus complexe que pour d'autres enfants. Le lot de contraintes qui en découlait rendait autant Tom que Lianna de plus en plus nerveux, car ils avaient terriblement peur que le ministère de la Magie d'Angleterre les laisse tomber, les abandonnant totalement entre les mains de l'Etat Moldu. Et ce n'était certainement pas les visites à domiciles qui se passaient toujours aussi bien qui auraient énormément de poids dans les décisions mais bien les faits et la loi. Car Liliane était une handicapée. Malheureusement. Mais ils la soigneraient. Elle marcherait. Un jour. De manière peu légale, ils avaient trouvé et obtenu des livres de magie noire intéressants à décortiquer, et s'ils devaient s'y enfoncer pour y arriver, ils le feraient. Parce que Liliane le méritait plus que quiconque.
A nouveau plongé dans ses nombreuses pensées, c'est sans regarder en arrière, qu'il arriva dans le corridor, après avoir glissé et couru, devant le petit meuble où était posé le téléphone fixe. Rapidement, il prit l'épais combiné au creux de son oreille, puis fit tourner le cadran à roulette afin de composer avec empressement les numéros sur le petit boitier noir.
Et alors qu'il angoissait, Tom sentit son cœur s'accélérer contre sa poitrine. Liliane, sa mère, venait de crier de douleur. Et il n'aimait définitivement pas cela car Tom Marvolo Riddle venait de se rappeler qu'on lui avait conté à l'orphelinat que sa mère biologique était morte en le mettant au monde.
~*~
C'était lui qui avait dû sortir ce bébé du corps de celle qu'il aimait profondément. Lianna avait aidé leur mère à se coucher convenablement sur le divan. Ils avaient suivi toutes ses instructions à la lettre à partir du moment où Tom n'avait pas réussi à joindre Louise Silverton, puis en prévenant les secours moldus qui devaient normalement arriver au plus vite.
- Non, avait-il dit fermement. Je ne vais pas faire ça.
- Tommy, Trésor, le bébé arrive plus vite que prévu, j'ai besoin que tu l'aides à sortir, mon grand. Ne puis-je pas compter sur toi ? avait-elle lancée le souffle court. Ça a toute son importance que tu m'aides à faire cela. Je ne vois que mon petit garçon pour m'aider dans cette tâche le temps que les urgences arrivent, de toute manière.
Ému par ses paroles et alors que Lianna posait un chiffon mouillé sur son front et tenait fermement la main de leur mère, Tom avait obéi. Oubliant momentanément sa rancune, sa jalousie envers le nouveau-né, il l'avait fait. Pendant qu'il vérifiait à chaque seconde qu'elle ne rende pas à n'importe quel moment son dernier souffle, Liliane lui avait dit qu'il avait agit comme un vrai petit homme. Le nourrisson était rapidement sorti, et c'était terrifié, les mains pleines de sang qu'il l'avait réceptionné au creux de ses bras. Je veux que vous coupiez le cordon ombilical, avait-elle lancé alors que Lianna se précipitait dans la maison afin de trouver un ciseau. Ensemble.
Leurs mains toutes deux posées sur le ciseau, ils avaient répondu à son nouveau souhait. Tom avait ensuite emballé l'enfant, un garçon, dans un essui. Incertain, et éprouvant une tristesse qu'il ne comprenait pas vraiment, il l'avait posé sur la poitrine de sa mère qui avait très vite refermé ses bras autour du nourrisson qui criait à plein poumon depuis qu'il avait pris sa première bouffée d'air dans ce monde. Mais le bambin s'était rapidement calmé au contact de la peau de sa génitrice. A son grand soulagement.
Désormais, Liliane les regardait amoureusement, Lianna et lui-même. Pourtant, ils s'étaient légèrement mis en retrait, distants et en proie à de mauvais souvenirs où ils n'avaient pas le droit d'approcher les plus petits enfants à l'orphelinat car ils étaient des monstres.
- Eh bien, pourquoi êtes-vous si timides ? Venez... vous m'avez aidée, je suis fière de vous ! Et au final, lâcha-t-elle d'une voix légèrement amusée, nous n'avions besoin de personnes.
- On peut vraiment... On peut s'approcher, Mam - Maman ? demanda Lianna avec espoir.
- Qu'est-ce que c'est que cette question, Trésor ? lâcha Liliane en se redressant contre un oreiller que la jeune fille avait été lui chercher. Pourquoi ne pourrais-tu... Ah je vois, souffla-t-elle tristement. Eh bien oui, ma chérie, évidemment que tu le peux, termina-t-elle en roulant ses iris émeraude. Vous n'avez pas à avoir peur et je vous fais confiance, plus que ma propre vie, alors venez voir ce bébé.
Lentement, c'est en titubant que Lianna s'approcha la première afin de se rendre aux cotés de leur mère qui était épuisée. D'un regard encourageant que la rouquine lui lança avec intensité, Tom s'approcha à son tour. C'est avec une boule à la gorge et alors qu'il vérifiait à nouveau, stressé, que Liliane ne mourrait pas subitement devant ses yeux qu'elle leur déclara d'une voix douce :
- Parce que tout être est innocent à la naissance, nous allons tous les trois lui montrer à quel point il est aimé. Il ne mérite pas d'être rejeté pour des choses dont il n'est pas responsable, je vous présente donc Liam, votre - presque officiellement - petit frère, termina-t-elle avec une infinie douceur.
Pour la première fois, Tom s'attarda réellement sur le nourrisson. Le nouveau-né était fripé et affreusement minuscule, ainsi, emmitouflé dans cette couverture. L'enfant dormait à poing fermé et un fin duvet de cheveux roux ornait sa tête. Le jeune garçon espéra qu'aucun trait de ce violeur inconnu ne se retrouve sur ce bébé. Elle avait choisi le prénom Liam après qu'ils lui eurent proposé ensemble divers prénoms quelques mois auparavant.
Elle avait pris un de ceux que Lianna et lui-même avaient proposé.
Sans s'en rendre compte, il constata que sa vision était embuée de larmes car il se demanda si maintenant elle allait priorisé cet enfant qui était de son sang. Alors qu'eux n'étaient rien pour elle. Cependant, il n'eut pas le temps de continuer à maugréer intérieurement, elle les fit asseoir sur le rebord du divan et, doucement, elle posa le nourrisson dans les bras de Lianna qui, au fond et il le savait, n'attendait que cela. Précautionneusement et les membres tremblants de reconnaissance son amie lâcha :
- Merci... Il est beau. Comme toi, Maman. Tom et moi, on le protègera de tous.
- J'en suis certaine, les Trésors. Tommy, pourquoi pleures-tu ? se tracassa la rouquine.
Il ne répondit pas car la sirène de l'ambulance se fit brusquement entendre dans les alentours, signe de l'arrivée des urgences. Et Tom allait se décider à aller ouvrir quand sa mère lui attrapa fermement le bras et le fit réasseoir sous le regard curieux de Lianna.
- Lâche-moi, tu n'as pas besoin de moi ! renifla-t-il douloureusement. Tu as ton bébé maintenant. TON petit garçon. Je vais ouvrir aux urgentistes qui arrivent et après, je vérifierai que Nagini ne rentre pas de sa chasse aux souris par l'arrière de la maison, le temps que ces moldus s'occupent de toi...
D'un geste un peu virulent, il se leva. La peur irrépressible de la perdre alors qu'elle donnait naissance s'était totalement évaporée pour laisser place à sa jalousie et à son amertume qu'il ne sut indéniablement pas contrôler.
- TOM ! hurla Liliane alors qu'il disparaissait dans le corridor et qu'elle tentait inconsciemment de se lever, en vain puisqu'elle était paralysée. TOMMY ! TU SAIS QUE CE N'EST PAS VRAI ! REVIENS ICI, ON DOIT EN DISCUTER.
- Maman, il va se calmer, lâcha maladroitement Lianna en berçant le bébé qui commençait à gémir. Je vais lui parler tout à l'heure. Je sais que Tom n'était pas bien ces derniers mois à Poudlard, il avait peur que tu le remplaces, mais il sait que ce n'est pas vrai.
- Lianna, c'est ainsi que vous vous sentiez ? Abandonnés par moi ? souffla-t-elle avec incompréhension.
- On sait que tu ne le feras pas, assura l'adolescente de treize ans. On est juste un peu jaloux qu'il soit ton vrai bébé, avoua-t-elle en détournant le regard. Et on a aussi peur que les services sociaux te refusent définitivement l'adoption malgré leurs visites récurrentes avec toutes ces choses qui n'arrêtent pas d'arriver pour nous mettre des bâtons dans les roues...
- Oh, les enfants... murmura-t-elle en posant une main sur le visage de Lianna. Enlevez- vous cette idée de l'esprit, je vous en prie...
Liliane Evans ne put rajouter un mot de plus car elle fut prise en charge. Mais elle se promit intérieurement qu'ils auraient tout trois une discussion. Au plus vite.
~*~
24 août 1940, manoir des Martins
Cette année là, l'été avait refermé ses griffes sur le compté du Yorkshire avec une férocité sans pareille. Son souffle brûlant avait fait roussir l'herbe et se craqueler la terre, donnant au parc grandiose des Martins des relents d'apocalypse. Les magnifiques roses d'un noir d'encre qui s'épanouissaient d'ordinaire au pied de l'immense bâtisse semblaient presque fanées, pendouillant pitoyablement contre les murs de pierre brute.
Irritée, Euphellys Martins arracha rageusement une poignée de pétales desséchées et les éparpilla au sol avec violence. Ce spectacle l'écœurait. Elle avait passé tant de temps le nez plongé dans des livres à défier les lois de la botanique afin de créer une rose à son image que les voir ainsi bafouées par les rayons du soleil la faisait entrer dans une colère froide qu'elle n'avait que trop souvent ressentie.
Se retenant de mettre le feu à toutes ses créations gâchées, la matriarche releva les yeux vers la fenêtre devant laquelle elle se tenait et dévisagea le reflet que lui renvoyait la vitre. Voilà au moins quelque chose qui ne se fanera jamais, songea-t-elle avec un amusement malsain en contemplant les traits parfaits qui se dessinaient sur la surface polie du verre. Belle, je le suis et je le serai à jamais. Un frisson bien connu électrisa ses veines et un rictus mauvais se dessina sur ses lèvres colorées de pourpre alors qu'elle se détournait. Renonçant à arranger l'état désespérant de ses roses, elle s'éloigna de la fenêtre pour s'approcher de ses enfants qui jouaient aux Bavboules une centaine de mètres plus loin.
Pour être tout à fait exacte, seuls Ariane et Anthony se disputaient une partie, Edwin étant penché au dessus d'un livre qui semblait le captiver. Sans se départir de son sourire, Euphellys le regarda faire, admirant la concentration parfaite qui se peignait sur son visage. Il était le plus intelligent de ses enfants, elle en avait toujours été intimement persuadée. Il serait celui qui irait le plus loin, aussi sûr qu'Anthony serait celui qui ferait tourner le plus de têtes féminines.
Tout en continuant à s'approcher, elle tourna la tête vers Ariane qui, concentrée, cherchait le bon angle pour envoyer sa boule. Une grimace assombrit ses yeux et elle sentit sa mauvaise humeur la rattraper tandis qu'elle laisser s'attarder son regard sur son unique fille. Une déception, pensa-t-elle en examinant son visage pourtant si semblable au sien. Lui ressembler était bien le seul succès dont l'adolescente pouvait se targuer.
- Ariane ! s'exclama-t-elle.
Obéissante, l'interpellée releva aussitôt la tête.
- Mère.
- Est-ce bien la robe en soie que nous t'avons ramenée de France que tu portes ?
Les joues d'Ariane prirent une teinte rose soutenue.
- Oui, souffla-t-elle.
- Pour jouer au Bavboules ? s'enquit Euphellys d'un air mauvais.
- Je... Kaly m'a dit que je pouvais la porter.
- Kaly ?
Son ton était si glacial que même Edwin se désintéressa de sa lecture pour les observer.
- Kaly t'a autorisée à porter cette robe pour jouer aux Bavboules ?
Du coin de l'œil, Euphellys vit Anthony et Edwin échanger un regard inquiet, mais elle ne leur laissa pas le temps d'imaginer quoi que ce soit et éleva ses doigts fins à la hauteur de son menton avant de les faire claquer. Aussitôt, une petite elfe dont l'âge avancé se devinait à la courbure de son dos apparut à ses pieds et, d'un mouvement sec, Euphellys l'attrapa par l'épaule et la plaça à ses côtés.
- Tu as accordé plus de crédit aux propos de Kaly qu'aux miens ?
La fureur faisait pulser le sang dans ses veines.
- Je... murmura Ariane. Je ne voulais pas...
Mais elle ne termina jamais sa phrase. De la même main qui lui avait servi à appeler Kaly à ses côtés, Euphellys avait progressivement resserré ses doigts autour d'un objet invisible, sentant sa magie s'échapper de son corps pour obéir à ses désirs, et des bruits étranglés se mirent à résonner dans le parc. Elle ferma les yeux, savourant ce pouvoir qu'elle pouvait sentir tout autour d'elle et, lorsque les toussotements s'arrêtèrent, elle fut presque déçue que tout soit allé si vite. Piétinant sans vergogne le corps sans vie de l'elfe dont la peau craquelée se confondait maintenant avec la terre, elle fit demi-tour et lâcha d'une voix forte :
- Que cela te serve de leçon.
Un peu plus calme que précédemment, elle gravit les marches de granit du perron et s'engouffra dans la tiédeur rassurante du hall.
- Une raison particulière à votre soudaine bonne humeur ? s'enquit Hypérion lorsqu'elle s'assit en face de lui dans l'un de leurs petits salons.
- Les roses, répondit-elle. Elles ne sont plus les seules à être fanées.
Son mari lui jeta un regard perplexe mais, habitué à ses excentricités de langage, ne répartit rien et se replongea dans le complexe ouvrage de généalogie française qu'il étudiait avec autant de concentration qu'Edwin précédemment.
~*~
1er septembre 1940, Kings Cross
Le mois de septembre était arrivé à la vitesse de l'éclair. N'habitant pas loin de la gare de Kings Cross, ils s'y rendaient à pieds - enfin, en chaise roulante pour sa part, cela allait de soi. Malgré la présence militaire de plus en plus visible afin de protéger la ville londonienne, la jeune femme insistait sur le fait qu'ils devaient continuer à vivre. Ils ne devaient pas montrer à l'ennemi qu'ils gagnaient d'une quelconque manière. Et même si l'ambiance se faisait de plus en plus sombre, ils devaient avancer. Pour leur futur. Ce n'était pas facile, mais ils le devaient...
Tom et Lianna rentraient en troisième année dans cette école de sorcellerie. À Poudlard. Et c'est avec émotion qu'elle leur avait signé quelques semaines auparavant - puisqu'elle avait tout de même obtenu quelques droits officiels, étant leur tutrice - leur autorisation de sortie pour ce petit village, Pré-au-lard, qu'ils visiteraient au cours de cette année scolaire. Aussi, Tom et Lianna avaient tenu à avoir son avis quant aux choix d'options qu'ils devaient choisir pour cette nouvelle rentrée. C'est avec écoute et attention qu'elle les avait entendus énoncer ce que tels ou tels cours pourraient leurs apporter pour leurs futures études universitaires. Et il était peu étonnant, suite à leurs résultats à l'école, qu'ils en eurent, au final, choisi autant qu'ils le pouvaient dans leur grille horaire. Elle avait cru comprendre qu'ils étaient de brillants étudiants, et elle ne pouvait que les soutenir, bien qu'elle veillerait au grain afin qu'ils ne se surmènent pas de trop. Pour leur santé.
Liliane avait compris qu'ils voulaient à tout prix être les meilleurs et qu'ils avaient soif de reconnaissance - résultat de leur enfance catastrophique. De loin, elle vérifiait toujours qu'aucun élément perturbateur ne vienne les écarter du droit chemin sur lequel elle pensait les avoir un tant soit peu remis avec les années. Et ce, grâce à de nombreuses discussions.
La plus récente concernait l'arrivée de son petit Liam qui, malgré ses blessures intérieures suite à sa conception bien douloureuse, lui prodiguait beaucoup de bonheur. Les enfants avaient eu peur qu'elle ne les abandonne. Et, encore une fois, elle avait pris le temps de leur expliquer les choses afin qu'ils ne se renferment pas sur eux-mêmes.
Sortant de ses songes, elle s'attarda sur les deux enfants qui accaparaient toutes ses pensées. Tom et Lianna poussaient respectivement à ses côtés leur malle sur le chariot porte-bagage. Ils avaient tous les deux bien grandi et changé durant cet été. Les traits de Tom s'étaient affinés, devenaient plus dessinés et aristocrates, mais son visage gardait encore incontestablement des traces de l'enfance. Ses cheveux bruns bouclaient également de plus en plus à l'avant de son front. Un fin duvet de moustache commençait à apparaitre au-dessus de ses lèvres. Sa voix qui se cassait muait et cela la faisait doucement sourire.
Quant à Lianna, qui devenait une belle jeune fille, ses traits prenaient également des formes plus adultes, mais encore une fois, de nombreuses traces de l'enfance persistaient sur son propre visage. Désormais, on pouvait apercevoir un semblant de poitrine se dessiner doucement derrière ses vêtements, ce qui l'avait particulièrement fait sourire cet été quand, terrifiée, l'adolescente était arrivée en courant vers elle en lui expliquant qu'elle saignait, sans vraiment en comprendre la signification.
Lianna était devenue une jeune demoiselle. Liliane avait pris le temps de lui expliquer ce qui en découlerait désormais, et ce qu'elle devrait faire chaque mois.
Liam, lui, était actuellement posé au-dessus du porte-bagage de sa fille - car oui, à ses yeux, ils étaient ses enfants peu importe les officialisations qui trainaient en longueur. Son fils était emmitouflé dans un couffin, bien positionné de façon à ce qu'il ne tombe pas du chariot. Elle ? Elle avançait simplement à leur suite jusqu'à ce qu'un ton méprisant qui venait d'émaner de la bouche d'un de ses deux ainés, ne la sorte de ses nombreuses pensées.
- Tom. Lianna. Bonjour. Vos vacances se sont bien passées ? disait une adolescente.
- Nous ne croyons pas que cela te regarde Selwyn, lâcha Tom.
- Tommy, quel est ce ton que tu emploies envers cette jeune fille ? Excuse-toi immédiatement !
Ahurie, elle vit qu'ils étaient arrivés devant les voies 9 et 10. Là où une file d'individus s'amassait devant le portail magique. Liliane constata rapidement que les deux enfants s'étaient mis dans une position défensive. Se rendant finalement compte qu'elle était avec eux, Tom baissa ses iris noires sur le sol. Et elle s'attarda curieusement sur la jeune fille au visage de poupin et aux cheveux blonds qui lui faisait face. Jamais Tom et Lianna ne parlaient de leurs amis à proprement parler. Elle connaissait quelques noms énoncés et perçus lors de conversations privées. Lors de ces moments, elle avait plus eu l'impression que leurs camarades étaient des suiveurs et non réellement des amis, bien que les deux adolescents lui content souvent le contraire. Quand elle essayait d'en savoir plus, de leur demander s'ils voulaient les voir durant leurs vacances, ils arrivaient habilement à changer le sujet de conversation.
- Rien, Maman. Excuse-moi, lâcha Tom du bout des lèvres. Et excuse-moi toi aussi Sel... Haley, fit-il d'un ton étrangement poli et doucereux à l'égard de l'autre adolescente.
- Excusez « Tommy » Madame, lâcha-t-elle d'un ton étrangement amusé et vainqueur, nous nous sommes un peu disputés pour une bêtise avant les vacances. D'où son irritabilité.
- Excuse acceptée, Tommy, fit-elle en lui lançant un dernier regard désapprobateur. Tu es une amie de Tom et de Lianna ? lança-t-elle alors gaiement et avec espoir. Je n'ai pas encore eu l'occasion d'en rencontrer, expliqua la jeune professeure en lui tendant la main. Je suis ravie de faire ta connaissance, je suis Liliane Evans et, depuis près de trois ans, la tutrice de ces deux Trésors. Où sont tes parents ?
- Haley. Haley Selwyn. Oui, je suis leur amie, insista-t-elle en appuyant sur ce mot. Je crois l'avoir compris, Madame, j'ai déjà eu l'occasion de vous voir en photo. Tom et Lianna en gardent toujours une dans la poche de leur cape, insinua-t-elle étrangement en lançant un regard significatif aux deux autres adolescents. Ils ont déjà passé la barrière Madame, j'ai arrêté mon élan quand je vous ai vus pour dire bonjour.
Le sourire qui se répandit doucement sur les lèvres de Liliane Evans face à ces paroles calma la colère qui avait commencé à vibrer au sein des deux futurs mages noirs suite à l'intervention d'Haley Selwyn.
~*~
Lianna avait ignoré le sourire amusé qu'affichait Haley dans son dos alors qu'elle remettait doucement Liam à sa mère. Puis cette dernière les avait tendrement pris sur ses genoux - tout en tenant fermement le bébé afin de les enlacer et leur dire au revoir avec sa tendresse habituelle. Leur mère se fichait éperdument qu'ils aient treize ans. Et ils ne voulaient pas lui faire de la peine, c'est pour cela qu'ils s'étaient laissés paraître faibles devant Haley...
Pourquoi fallait-il qu'ils la croisent en dehors du quai 9¾ ? N'était-elle pas une sang-pure ? Qu'avait-elle osé faire ? Parler à Liliane ? Essayer d'obtenir des informations pour Edwin Martins et ses acolytes ? Tom et elle-même n'avaient rien pu rien faire devant leur mère de substitution qui semblait comme... soulagée. Juste faire semblant. Mais Haley allait payer cela. À peine Lianna eut été engloutie dans les bras de la rouquine et l'eut rassurée sur cette nouvelle année, l'adolescente fit demi-tour avec son chariot, prête à rattraper l'autre sorcière pour lui dire deux mots.
Ce qu'elle venait de faire à l'instant après avoir passé la barrière Magique qui était inaccessible aux moldus.
Cependant, Haley l'attendait positionnée contre son chariot et n'avait absolument pas été rejoindre ses géniteurs plantés un peu plus loin sur le quai. Ces derniers discutaient avec les parents d'Euphemia Macmillan.
- Je crois que vous considérez vraiment cette gentille femme, qui ne mérite définitivement pas son état, comme votre Maman. Elle espère le meilleur pour vous, ça se sent... Alors ne la décevez pas, Sauwer. Après-tout, j'ai pu voir à quel point vous la respectez. J'avais raison. Vous n'êtes pas que deux idiots qui prennent tout le monde de haut. Tu diras à Tom que son surnom, « Tommy », et votre surnom commun, « les Trésors », sont en sécurité avec moi. Si tu veux mon avis, cela fait tout de suite moins méchant. Votre tutrice vous aime énormément, elle est adorable. Mon offre d'amitié tient toujours, Lianna. Je vais rejoindre mes parents et Euphemia, si vous voulez vous joindre à nous dans le Poudlard Express, vous êtes les bienvenus. Et oh. Votre petit frère - je suppose que vous pourrez bientôt le considérer comme tel, puisque je suppose que vous allez en fait être adoptées d'un moment à l'autre - est très mignon. Prenez en soin aussi.
Ne lui laissant pas le temps de répondre, Haley tourna les talons alors que Tom passait lui aussi le mur magique et la rejoignait après quelques avertissements supplémentaires que leur mère lui avait octroyés sur la gentillesse qu'ils devaient avoir envers autrui, apprendrait Lianna plus tard, dans le Poudlard Express...
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1er septembre 1940, Grande Salle, Poudlard
L'appétit coupé, Ariane chipotait dans son assiette sans jamais oser planter sa fourchette dans l'une des pommes de terre luisantes de beurre qui y siégeaient. S'étant isolée des conversations bruyantes de ses camarades de maison, c'était seule qu'elle participait au banquet de rentrée, laissant parfois traîner son regard sur les autres Serpentard qui, insouciants, profitaient de leurs retrouvailles.
À quelques places d'elle étaient en effet installés Edwin, flanqué, comme toujours, d'Euphemia Macmillan et d'Haley Selwyn qui semblaient ravies de le retrouver. Depuis son poste d'observation, elle percevait distinctement les éclats de rire qui animaient leur petit groupe, et chacune de ces manifestations de joie lui serrait un peu plus le cœur.
Encore plus loin, elle pouvait même apercevoir Sauwer et Riddle, qui ne s'étaient pas gênés pour s'entourer d'encore plus de partisans que d'ordinaire. Les mines plus ou moins réjouies de Clanders, Lestrange, Malefoy et Black se percevaient nettement malgré la fumée des bougies qui commençait à brouiller la vision dans le réfectoire et, avant que ce spectacle de réussite sociale ne lui devienne insupportable, elle détourna les yeux, reportant son attention sur son dîner toujours intact.
- Bah alors, Martins, on rêvasse ? l'apostropha une voix qu'elle n'avait que trop bien appris à connaître lors de sa deuxième année.
Elle posa un regard tout à fait indifférent sur Ethan Parton qui la contemplait avec un amusement non feint, planté de l'autre côté du coin peu fréquenté de la table des verts et argent où elle avait trouvé refuge.
- Tu as perdu ta langue ? Et tes amis également, visiblement. Que fais-tu seule ?
Un rictus déforma les lèvres parfaites d'Ariane.
- Je ne fais que renouveler l'équilibre des choses, répartit-elle d'un ton tranquille. Tu as retrouvé ta dignité pendant les vacances, alors je me suis dit que me défaire de quelques possessions bien à moi serait tout indiqué.
Dans le mille, songea-t-elle avec fierté en voyant les joues blafardes d'Ethan prendre une couleur rouge soutenu qui jurait atrocement avec le bleu et bronze de sa cravate. Contenant trop d'amertume pour s'en priver, elle abandonna sa fourchette sur le bord de son assiette et reprit :
- Tu dois avoir eu une vie sacrément rose pour revenir me voir et tendre l'autre joue. Mon humiliation de l'an dernier ne t'a pas suffit ? Ou alors peut-être qu'elle t'a plu ? Tu veux que je recommence ? Je suis une sorcière bien éduquée, tu le sais, ma baguette ne quitte jamais ma poche.
- Par contre ta langue quitte trop souvent ta poche, sœurette. Tu nous laisses discuter, Parton ? Visiblement Ariane n'apprécie pas ta compagnie et, si elle ne s'en sortait pas aussi bien toute seule, ce serait une raison suffisante pour moi de mettre en application quelques sortes rocambolesques que Fleamont a appris cet été.
Forcé de lever la tête pour pouvoir regarder le visage d'Anthony, Parton ne mit pas longtemps à bredouiller des excuses inaudibles avant de regagner la table des Serdaigle.
- Il n'a pas l'intention de lâcher l'affaire, lui. Tu dois sacrément l'intéresser pour qu'il revienne à la charge même après avoir perdu son pantalon devant toute l'école par ta faute.
Ariane leva les yeux au ciel et se servit un verre d'eau, plus pour occuper ses mains et se donner une contenance que par réelle soif.
- Grand bien lui fasse. Que voulais-tu, Tony ?
L'aîné des Martins haussa les épaules et enjamba le banc pour se laisser tomber face à elle.
- Juste te voir, répondit-il. On n'a pas eu l'occasion de discuter depuis la semaine dernière... Tu n'es pas beaucoup sortie de ta chambre.
- Si, rétorqua-t-elle. Tu n'auras qu'à demander à Ed. Mais à chaque fois que je sortais, tu n'étais pas là.
Un sourire étira les lèvres d'Anthony et, sans gêne, il s'empara d'une fourchette pour faire honneur aux pauvres patates qu'elle ignorait depuis la fin de la Répartition.
- Y'avait une fête foraine en ville, expliqua-t-il, la bouche pleine de sorte qu'il la fit grimacer. Et un drôle de couple qui faisait des prévisions totalement aberrantes sur mon futur. Tu sais qu'il a prédit que je n'aurais dans ma vie qu'un mois de pur bonheur ? C'est si stupide ! Au bonheur, j'y ai droit dix mois par an !
Ariane leva les yeux au ciel. Il était évident que les prévisions d'un crétin de voyant Moldu ne pouvaient qu'être erronées, Anthony était stupide d'en douter.
- D'ailleurs le passage secret que j'ai découvert au troisième étage, derrière le tableau de Martin de Tinworth est plutôt pratique. Tu savais qu'il existait, toi ?
- Bien sûr. Edwin l'a découvert l'année où tu es parti pour Poudlard, alors qu'il voulait étudier la vie de nos plus vieux ancêtres. Quand il a cherché à examiner le peintre, il s'est rendu compte que le cadre sonnait creux.
Anthony eut une grimace à mi-chemin entre la moue déçue et le sourire orgueilleux.
- C'est compliqué d'avoir un frère comme Edwin... soupira-t-il. Il est tellement plus intelligent que moi !
- Plus ridicule, aussi. Non mais tu as vue comment il se pavane avec Macmillan et Selwyn ? C'est pathétique !
- Celles qui sont pathétiques, ce sont elles, répliqua son aîné. Lui ne se rend même pas compte qu'il aurait toutes ses chances avec n'importe laquelle des deux. Faut dire que ce ne sont pas des bouquins, ça leur ôte beaucoup d'intérêt à ses yeux.
Ils ricanèrent de concert et Ariane se sentit d'un coup beaucoup plus légère. Médire en compagnie d'Anthony avait toujours fait partie de ses activités favorites. Sans jamais tomber dans la méchanceté, son frère avait un tel don d'observation qu'il analysait chaque habitude de leur entourage pour en rire par derrière. Loin d'être comme lui, tout ce qu'elle savait faire était devenir blessante dès qu'elle avait l'impression de perdre les pédales.
Elle sentit son sourire se faner en arrivant à ce constat. C'était si injuste ! Pourquoi ne pouvait-elle pas être comme ses frères ? Charismatiques chacun à leur manière, misant sur leur humour et leur physique ou leur intelligence pour se mettre leurs camarades dans leurs poches, quand elle ne pouvait que répéter à tout va que son sang lui valait respect et obéissance.
- Eh, souffla Anthony en remarquant que ses traits s'étaient crispés. Ça ne va pas ?
- Si, fit-elle tout en sachant qu'elle ne le duperait jamais.
- Tu ne penses pas encore à ce qu'a fait Mère l'autre jour, quand même ? Tu sais très bien qu'elle ne cherchait qu'à t'atteindre, et c'est exactement pour ça qu'il ne faut surtout pas que y prêtes attention ! Elle passe son temps à s'énerver sur toi sans aucune raison valable !
- Parce que je la déçois, Tony ! s'écria Ariane. Je suis tout sauf la fille qu'elle voudrait avoir, et...
- Parce qu'elle ne voulait pas de fille, la coupa Anthony. Elle ne voulait pas d'enfants.
- Bien sûr que si. Ils te voulaient toi. Edwin et moi on est des incidents de parcours. Et ne me dis pas que j'ai tort, parce que tu sais aussi bien que moi que c'est vrai. C'est un héritier qu'ils voulaient, pas deux, et encore moins trois !
Sachant déjà qu'il allait essayer de la démentir sans même arriver à être convaincant, elle le planta là et quitta la Grande Salle, qui vibrait encore de la joie que les autres avaient à se retrouver. Ce n'est qu'en arrivant devant le mur qui gardait l'entrée de la salle commune de Serpentard qu'elle se rendit comte qu'elle n'avait pas encore le mot de passe puisque les préfets profitaient eux-aussi du banquet de rentrée.
Posant sa tête contre les pierres glacées du couloir, elle lâcha un nouveau soupir, plus profond que les précédents, et tâcha de calmer les battements de son cœur et les tremblements de ses mains.
Anthony pouvait bien essayer de lui faire gober l'inverse, elle savait parfaitement qu'elle avait raison. Euphellys Martins n'avait jamais désiré d'enfants. Si elle avait consentit à en avoir, c'était parce que c'était le prix qu'elle devait payer pour s'être hissée au rang des femmes les plus influentes du pays par son mariage. Anthony ne remplissait certes pas aussi bien son rôle que les autres garçons de Sang-Pur de leur promotion, mais il n'empêchait que la fortune dont il hériterait après la mort de ses parents lui pardonnait ses écarts.
Les jumeaux, eux, n'avaient pas la même chance. Non désirés, la seule chose dont ils bénéficiaient était leur nom, et deux années passées à Poudlard leur avaient suffit pour comprendre que c'était loin d'être suffisant. Edwin se rattrapait plutôt bien par son talent pour la magie et pour les cours en général, mais elle, qu'avait-elle ? Elle n'était bonne qu'à épouser un de ses semblables une fois adulte, et encore, si elle était certaine de réussir cette unique mission, ce n'était ni pour sa beauté ni pour ses qualités. Elle ne devait ça qu'à son nom, cette marque de fabrique imprimée sur les papiers officiels la concernant et se reflétant dans le vert-bleu si fameux de ses iris.
Le seul garçon qui s'était jamais intéressé à elle n'était qu'un stupide Serdaigle que jamais elle ne serait autorisée à tolérer. Ethan Parton paraissait en effet s'être entiché d'elle lorsque leur professeur de botanique les avait placés côte à côte dans son cours. Galant, il lui avait proposé de s'occuper de tous les travaux pratiques peu reluisants et elle avait commis l'erreur de se satisfaire de cet arrangement. Il avait alors commencé à essayer d'engager la conversation avec elle, sans succès puisqu'elle n'avait eu de cesse de l'ignorer. Il faut dire que, sang-mêlé et de condition modeste, l'intérêt qui lui portait était plus un handicap qu'un geste flatteur, mais il ne l'avait visiblement toujours pas compris. Tant pis.