28 octobre 1940, Grande Salle, Poudlard
Presque deux mois s'étaient écoulés depuis la rentrée scolaire et nul doute que les exigences des professeurs se faisaient de plus en plus élevées. Que ce soit au niveau des cours qu'à celui des devoirs qu'ils devaient rendre à leurs professeurs, leurs capacités étaient mises à rude épreuve. Les cours d'options que Tom et elle-même avaient choisis ne les empêchaient pourtant pas de brillamment réussir leurs études sans trop de difficultés.
En cette fin de mois d'octobre, Tom et Lianna avaient pu visiter le célèbre village de Pré-au-lard, un village entièrement peuplé par des sorciers. Et autant s'y rendre leur avait permis de faire la découverte de bon nombre de magasins, autant imaginer que, plus tard, ils puissent créer des villages similaires, en plus grand nombre et où les sorciers et les moldus pourraient éventuellement vivre en communauté les avait encouragés dans cette idée qui depuis peu avait mutuellement émerger de leurs esprits respectifs.
Les deux enfants avaient récemment vu leur intérêt s'accroître pour ce mage noir, Gellert Grindelwald. Ce sorcier instaurait la terreur autant que la deuxième Guerre mondiale des moldus était dévastatrice pour la population. En effet, les idéologies premières du sorcier n'étaient pas mauvaises en soi, et ils étaient même affreusement d'accord avec ses concepts. Car oui, les sorciers ne devraient pas se cacher des moldus. Ils étaient plus puissants. Pourtant, les deux orphelins s'imaginaient qu'une fois adultes, ils pourraient se baser sur ses idées afin d'agir pour le bien. Après-tout, faire plaisir et rendre fière Liliane était ce qui leur importait vraiment. Alors ils auraient autant la reconnaissance que le pouvoir. Afin de montrer à tout le monde qu'ils n'étaient pas que les pauvres gamins qui avaient passé leur petite enfance dans un orphelinat moldu de Londres.
C'est d'une main tremblante que Lianna tenait une lettre de Liliane et que, de l'autre, la jeune sorcière terminait de manger une sucrerie qu'elle avait achetée quelques jours auparavant dans un magasin appelé Honeydukes. Fébrilement, elle s'approcha de la personne qu'elle cherchait du regard dans cette foule d'étudiants. Haley Selwyn. Cette dernière conversait avec Euphémia MacMillan, sa meilleure amie, et son meilleur ami, Edwin Martins. Bien.
- Selwyn. Est-ce que... je peux te parler en privé ?
Coupant vraisemblablement une conversation animée, les trois se retournèrent suspicieusement vers sa personne. Elle remarqua facilement qu'Euphemia, avare de potins, se penchait contre la table afin de soigneusement écouter les propos qu'elle allait énoncés. Edwin, lui, la fixa avec une neutralité déconcertante, bien que ses yeux bleu-vert laissaient entendre qu'elle ferait mieux de s'éloigner de ses amies. Pourtant, avec sa gentillesse habituelle, Haley lui rendit un sourire avenant et hocha positivement le visage.
- Haley, sérieusement, tu ne sais pas ce qu'elle te veut et tu dis oui, sans réfléchir ? protesta son amie mécontente. Tu ne l'embarques pas toute seule, alors dis ce que tu as à dire ici, Sauwer.
- Cela ne vous regarde pas, siffla Lianna, Haley est assez grande pour savoir ce qu'elle veut ou non. Je ne vais pas vous la martyriser, ne vous en faites pas.
- On ne te fait pas confiance, Sauwer, lâcha Edwin d'un ton venimeux, on sait que Riddle et toi, vous ne faites que de vous servir des gens, alors...
- C'est bon Ed. Je reviens dans quelques minutes, tempéra la Serpentard en posant une main sur celle de son ami. Je suis certaine qu'il n'y aucune raison de m'inquiéter.
Et sous leurs protestations, sa camarade de classe se leva. Depuis que cette dernière les avait vu Tom et elle-même en compagnie de leur mère adoptive sur la voie 9 ¾, ses tentatives d'approches s'étaient faites d'autant plus régulières, mais restaient vaines. Pourtant, elle n'était pas allée se moquer auprès de ses acolytes, ni rien répété de ce qu'elle avait vu ou entendu. Et Lianna ne pouvait que respecter cela, car l'orpheline éprouvait de la reconnaissance envers cette dernière.
C'est alors qu'elles sortaient silencieusement de la Grande Salle sous le regard curieux de la blonde, qu'elle raffermit sa poigne sur sa lettre. Lianna ne pouvait pas décevoir Liliane Evans.
Sa mère.
Car elle s'en voudrait de lui causer des désillusions.
~*~
- Voilà. Tom n'est pas vraiment d'accord. On s'est un peu disputés ce matin, mais peu importe. J'ai... j'ai reçu une lettre de... de Mam... de Liliane, qui... Lianna déglutit franchement, elle n'était pas à l'aise avec ce genre d'interactions sociales. Qui voudrait que je fasse, nous fassions, venir un ami ou deux pour une journée à la maison durant les vacances d'halloween qui arrivent. Elle... elle souhaite t'inviter chez ell... nous. Elle croit que nous sommes amies, alors...
- Tu souhaites faire semblant et me demander de venir ? s'enquit sans moquerie Haley. Inutile de t'angoisser comme ça, Lianna. Je ne vais pas te mordre.
À vrai dire, de très mauvais souvenirs lui revenaient en surface. Tous ces rejets, ces regards méprisants, ces moqueries à son égard que l'adolescente avait barricadés dans son esprit, apparaissaient brutalement devant ses iris claires. Lianna avait fait pénétrer Haley dans une salle désaffectée et pleine de poussière afin de quémander sa requête. Et à l'instant, elle sentait aisément que des gouttes de sueurs perlaient sur son front, certainement qu'inconsciemment et à plusieurs reprises elle avait passé sa main sur sa peau, ce qu'avait dû remarquer l'autre Serpentard accoudée contre un pan de mur.
- Pour ma part, je vais accepter. Parce que je peux toujours comprendre ton mal-être sous les airs supérieurs que tu te donnes, ajouta tranquillement Haley. Et puis, c'est fou de savoir à quel point vous ne voulez pas décevoir cette aimable femme. Je serais ravie de faire plus amplement sa connaissance.
Lianna n'avait même pas envie d'être méprisante avec l'autre sorcière. Malgré elle, sa persévérance l'impressionnait. Quant à sa gentillesse constante et qui restait inébranlable, cela continuait de la perturber. Comment pouvait-elle avoir terminé à Serpentard trois ans auparavant ?
Son comportement était parfois digne d'une Poufsouffle.
- Dois-je en conclure que l'on pourrait éventuellement devenir vraiment amies un jour ? continua avec un petit sourire la sang-pure. Tu verras que l'amitié peut être une bonne chose, peu importe ce que, comme je le pense, tu retiens de tes expériences passées, notamment celles de l'orphelin...
- Ne tente pas ta chance trop loin, Selwyn, la prévint Lianna. On va dire que, peut-être, je pourrais envisager de tolérer ta présence.
- Tu ne peux pas t'empêcher de te mettre en position défensive... soupira Haley. Bien, je suppose que cela doit rester de l'ordre du privé autant du coté de tes larbins et de tes acolytes que de mes amis ?
- Tu supposes bien, je ne peux pas inviter mes « amis » chez nous car notre future maison est petite, presque médiocre, surtout comparé à celles de tous ces grands-sang purs, et je ne peux pas me permettre de montrer ce genre de « faiblesses », notamment en les invitant dans le monde moldu. Par contre, toi, tu es bien trop gentille et Maman t'a déjà vu, tu ne diras rien sur nos conditions de vie. Même si Tom, était pour faire croire à Maman que tu ne pourrais pas venir, il admet que c'est une bonne idée pour lui... enlever certains... soupçons.
- Je ne suis pas certaine que Madame Evans apprécie ce que tu dis, Lianna. Tu as honte d'elle ? Non je ne crois pas, et pourtant...
- Tu as raison, j'aime Liliane, elle est la seule personne que j'aime plus que tout en dehors de Tom. Plus que ma propre vie même. Mais, parfois, vois-tu, il faut faire des choix pour atteindre les échelons, et Liliane, si je la mêle à mes autres « amis », ne serait juste qu'un frein à mon ascension sociale. Je fais juste la part des choses. Ils savent qu'elle s'occupe de nous à cause de cette photo que Tom a fait tomber il y a deux ans et qu'Éloïse a récupérée, et c'est déjà bien trop.
- Vous essayez de faire croire à tous que vous vous éloignez d'elle, n'est-ce pas ? fit Haley en comprenant indirectement les choses. Lianna...
- On essaye de faire croire qu'elle est juste une moldue comme les autres et pour laquelle les deux gamins qu'on était encore il y a deux ans se sont juste ridiculeusement pris d'affection pour un membre du personnel de l'orphelinat, oui.
- Elle n'est pas ça et n'a jamais été un membre de l'orphelinat, fit l'autre Serpentard horrifiée. Cette dame, elle...
- Non, elle est au-dessus de tout à nos yeux, mais les autres sorciers n'ont pas besoin de connaitre ce genre de détails, tu ne devrais rien n'en savoir non plus, menaça la jeune Sauwer. Malheureusement, elle tient toujours à nous accompagner du coté moldu lors de nos rentrées et à venir nous chercher, et je ne peux pas lui dire non.
- Tu manipules vraiment tout le monde... Vous manipulez vraiment tout le monde, se corrigea Haley avec tristesse. Il n'y a rien de mal à aimer quelqu'un, Lianna. Et si les autres ne le comprennent pas c'est qu'ils ne méritent pas ton attention, et pourtant, tu veux t'approcher de tous ces gens pour atteindre d...
- Peu importe, termina Lianna en faisant un geste impérieux de la main, ça ne te regarde pas. Maman voudrait que tu viennes le 6 novembre, alors demande à tes parents si tu peux venir. Maintenant, j'ai un nouvel entrainement de Quidditch et je dois retrouver le frère devenu capitaine de ton très cher ami, si tu veux bien m'excuser.
~*~
30 octobre 1940, terrain de Quidditch, Poudlard
Tom était assis dans les gradins du terrain de Quidditch et lisait un livre qu'Orion Black lui avait prêté et qui appartenait à la bibliothèque personnelle de ses parents. L'adolescent ne cesserait jamais de chercher des solutions pour guérir lui-même Liliane et il comptait même, et ce malgré son statut de moldue, d'essayer de l'autoriser à se faire ausculter à Saint-Mangouste. Au loin, l'équipe de Serpentard s'entraînait pour le match qui aurait lieu à la rentrée des vacances face aux niais qu'étaient les Poufsouffle. Il détestait ce sport mais Lianna lui avait trouvé un quelconque intérêt que Tom ne cherchait pas à comprendre. Cela la défoulait, disait-elle.
L'année précédente, elle avait décidé qu'elle voulait intégrer l'équipe en tant que batteuse. Et il s'était avéré qu'elle avait réussi les sélections. Non seulement elle se débrouillait très bien avec une batte entre les mains, mais l'influence qu'ils avaient déjà un peu obtenue à cette époque lui avait permis d'incorporer l'équipe avec plus d'aisance que prévu.
La seule chose qui plaisait à l'adolescent était le fait de voir Lianna mettre parfois hors-jeu tous ces idiots assis sur ces balais. Et plus particulièrement les Gryffondor, dont Minerva McGonagall, élève en cinquième année, qui se croyait être particulièrement douée sur un balai. Les face à face avec cette adolescente était particulièrement jouissif pour son amie, lui assurait-elle, toutes deux s'envoyaient si vivement des cognards que l'arbitre se trouvait parfois obligé de siffler des fautes.
- Sortiras-tu un jour la tête des livres, Riddle ?
Avec lourdeur, Haley Selwyn s'assit à ses côtés après avoir jeté un œil aux joueurs voguant sur le terrain. Tom grogna intérieurement, mais il se fit violence quand l'autre sorcière leva brièvement un parchemin qu'elle tenait dans sa main. Et il sut immédiatement ce qui en découlait. Il s'agissait de la réponse à l'invitation de sa mère. Tom corna le coin de ce livre bien sombre qu'il étudiait et reporta son attention sur le visage de Selwyn qui semblait étrangement agacée bien qu'une lueur entêtée et combative animât son regard.
- La connaissance est le pouvoir, mais là n'est pas la question, Selwyn ! Alors, fit Tom, sa voix se cassant suite à sa mue. Laisse-moi deviner... au vu des expressions qui s'affichent sur ton visage, tes sangs-purs de parents ont refusé cette petite visite ? Nous sommes de la sous- catégorie ? Evidemment. J'avais dit à Lianna que nous aurions dû trouver une solution à la requête de Liliane.
Haley grogna dans sa barbe inexistante. Elle semblait frustrée.
- Oui, mais je ne veux pas décevoir Lianna, ni toi d'ailleurs. Je ne suis pas comme ça. J'ai un plan. Mes parents ont été élevés dans la haute société, ils ont l'esprit plus fermé suite à leur éducation, je le conçois. Pour ma part, je ne suis pas d'accord mais je dois me taire donc... ne dis pas ça, Riddle vous n'êtes pas de la sous-catégorie. Tout le monde ne prône pas de telles idioties mais il m'est difficile de m'en éloigner vu mon sois-disant statut de sang. Malheureusement.
Tom avait désormais toute son attention. C'est ainsi que les cris d'Anthony Martins, nouvellement capitaine, qui s'égosillait contre ses joueurs, se firent loin dans son esprit. Un jour, les sang-pur les respecteraient, ils s'en assureraient. Leur parcours académique ne cessait de toute façon de le prouver aux autres sorciers. Et tout ces conservateurs se feraient tout petit face à leur réussite. Il n'eut pas le temps de ricaner face à cette réponse qu'il c'était attendu à entendre car la blonde déclara rapidement :
- Mais je vais venir en cachette. Et si cela ne vous dérange pas, je vais intégrer Euphémia. Elle sera mon excuse suite à mon absence en quelque sorte. Je vous promets de la garder dans le secret. Personne ne le saura.
Surpris, le jeune ténébreux haussa un sourcil interrogatif. Haley était-elle vraiment prête à désobéir à ses géniteurs pour deux orphelins aux sangs inconnus ?
- Vraiment ? s'étonna-t-il, sincèrement surpris. Et pourquoi ferais-tu ça ? Tu ne nous dois rien.
Un étrange sourire se dessina sur les lèvres de la blonde.
- Parce qu'il y a une femme à Londres qui croit en vous. Et je pense que pour toi, Tom Riddle, c'est une raison suffisante pour me laisser mettre mon plan à exécution. Je serai certainement présente avec Euphémia le 6 novembre. Tu peux l'annoncer à Lianna.
Tom détourna son regard noir et jeta un œil sur le terrain. Il reconnut les boucles noires de sa meilleure amie. Cette dernière venait de détourner un cognard sur sa coéquipière et lèche botte, Doréa. Et le Serpentard se surpris à penser que pour une fois sa meilleure amie ne subirait peut-être pas une nouvelle déception.
Bien qu'ils fassent cela spécifiquement pour enlever les soupçons qu'avait leur mère adoptive.
- Tu es autorisée à en parler à MacMillan mais ne nous l'a fait pas à l'envers, Selwyn.
~*~
3 novembre 1940, Poudlard Express
Les yeux perdus sur le paysage qui défilait derrière la vitre du train, Ariane jouait du bout des doigts avec un gallion, le faisant tourner dans un sens puis dans l'autre, se fascinant pour sa rondeur parfaite et se questionnant sur l'être à l'origine de son existence. Des galions, sa famille en possédait en si grandes quantités qu'elle ne s'était jamais véritablement demandé d'où ils provenaient. Lorsqu'elle lui avait posé la question la veille au soir, Edwin avait haussé les épaules, hautement désintéressé, et Ariane s'en était allée vexée, lui grognant qu'il était trop intelligent pour se permettre d'être si avare quand il s'agissait de partager ses connaissances.
La jeune fille lâcha un infime soupir et contempla la petite pièce dont la couleur dorée tranchait avec sa peau si pâle. Elle est trop nette pour être réelle, songea-t-elle en la faisant passer d'une main à l'autre. L'ouvrage d'un Gobelin, indéniablement. Elle se sentait stupide de ne pas y avoir pensé plus tôt. Après tout, c'étaient bien eux qui avaient forgé le portail du manoir, le grand service d'argenterie et les plus beaux bijoux de la collection de sa mère.
- Tu joues encore avec ça, Ariane ? s'enquit alors la voix d'Eloïse Carrow d'un ton méprisant. Tu ne devrais pas. Cet argent est sale.
Ariane posa un regard d'une inexpressivité aussi bien ouvragée que le galion sur son amie, la dévisageant longuement avant de finir par se désintéresser de son visage fade pour reporter ses yeux sur le reflet du sien, qui paraissait flotter dans les airs, morceau de fantôme derrière lequel les arbres succédaient aux plaines et les plaines aux arbres.
- Cette pièce est très propre, déclara-t-elle tranquillement en la refichant dans sa poche, à l'abri du regard perçant d'Eloïse.
Un rire lui répondit.
- Tu sais très bien ce que je veux dire. Celui qui te l'a donné est sale. Non mais sérieusement... Comment est-ce que Parton a réussi à être réparti à Serdaigle avec le peu de jugeote qu'il a ? Tu l'humilies devant toute l'école et il continue à te coller. Et il gaspille même le peu d'argent qu'il a pour te le donner en faisant un tour de magie !
Le rire d'Eloïse se fit plus franc.
- C'était si ridicule en plus... À quoi ça sert de faire apparaître des gallions derrière tes oreilles quand on peut faire apparaître n'importe quoi n'importe où avec notre baguette ? S'il cherche à te séduire, il est réellement mal parti. Alors que Lestrange... Elles étaient vraiment magnifiques ces fleurs qu'il t'a envoyées ce matin ! Comment est-ce que Parton et lui peuvent avoir le même âge et être si éloignés dès qu'il est question de romantisme ?
Ariane la rejoignit dans son ricanement, mais certainement pas pour les mêmes raisons.
- Heureusement que Lestrange et moi serons mariés d'ici cinq ans, alors.
Eloïse braqua des yeux réjouis dans les siens.
- C'est lui que tes parents ont choisi ?
- Pourquoi est-ce qu'il m'a envoyé des fleurs, à ton avis ?
Parfois, la naïveté chronique de son amie l'irritait. Elle s'accordait si mal avec son caractère de peste qu'elle faisait d'Eloïse une adolescente horriblement insipide.
- Qui ont-ils choisi pour Edwin ?
- Haley Selwyn.
Eloïse grimaça.
- Quel gâchis... Comment peuvent-ils envisager de le marier avec cette empotée qui ne sait rien faire si ce n'est s'acoquiner avec des orphelins ?!
- Tu aurais préféré que ça soit toi ?
Les joues de l'autre adolescente s'embrasèrent.
- N'importe quoi ! En plus tu es la première à te moquer d'elle.
Ariane haussa les épaules. Eloïse pouvait bien nier, elle n'était pas différente de bon nombre des autres jeunes filles de son âge. Toutes étaient conscientes de l'honneur inouï dont Haley avait fait l'objet. Devenir une Martins était, malgré les nombreuses rumeurs toutes plus atroces les unes que les autres qui couraient sur la famille, une chance qu'il fallait être bien stupide pour refuser. Et une condamnation toute aussi grande qu'il faut être bien stupide pour ignorer...
- C'est vrai. Je me moque de Selwyn.
Mais je l'envie tellement... pensa-t-elle en son fort intérieur.
Edwin était né en serrant dans ses paumes un trèfle à quatre feuilles, ce n'était pas possible autrement. Sur toutes les prétendantes qu'Euphellys et Hypérion auraient pu choisir - et Merlin savait qu'elles ne manquaient pas -, c'était sa propre meilleure amie qui sortait du lot. À défaut d'amour, au moins son frère pouvait-il être sûr d'avoir un mariage heureux. Tandis qu'elle...
- Je vais faire un tour, lâcha-t-elle, incapable de faire face plus longtemps à la mine réjouie de celle qui était censée être sa meilleure amie mais qui, pourtant, ne parvenait pas à saisir quel était le problème dans le fait d'être fiancée à Aldébaran Lestrange.
Un embouteillage la cueillit même pas une minute après que la porte de son compartiment se soit refermée.
- Qu'est-ce qui se passe, par Merlin ? s'agaça-t-elle d'une voix boudeuse.
D'un ton impérieux, elle s'informa auprès de deux premières années qui ne perdirent pas de temps pour prendre leurs jambes à leur cou et dégager le passage après lui avoir fourni la réponse qu'elle attendait. Elle ne fut pas plus clémente avec les autres élèves, qu'ils soient plus jeunes ou plus âgés, qui eurent le malheur de croiser son chemin par la suite, et finit par découvrir la raison de la congestion du couloir.
Visiblement inconsciente du trouble de la circulation qu'elle causait, la femme qui poussait le chariot à friandises du train attendait patiemment que l'élève lui faisant face ait choisi sa commande. Lorsque ce fut fait et qu'il se retourna, Ariane retint un sifflement d'agacement. Ethan Parton. Evidemment.
- Martins ! Comment vas-tu, en ce beau matin ?
- Il pleut, rétorqua-t-elle avant de contourner le chariot pour fuir sa compagnie.
Mais Ethan Parton n'avait pas acquis le surnom de pot de colle pour rien. Il la suivit.
- Tu veux une patacitrouille ?
Ariane se figea avant de se retourner lentement, parée d'un regard qui aurait fait fuir le plus grand des imbéciles. Mais pas Ethan Parton.
- Est-ce que j'ai une tête à manger des patacitrouilles ?
- Oui, répondit-il, une lueur malicieuse dans le fond de ses yeux bleus. Les chocogrenouilles risqueraient de salir tes vêtements et en plus tu en caches dans ton sac, je l'ai vu en cours de botanique la semaine dernière.
Oh, parce que non content de la suivre à la trace il fouillait en plus dans ses affaires ?
- Tu as gardé mon galion ? demanda-t-il.
Elle rougit vivement.
- Non ! protesta-t-elle.
- Menteuse ! Mais soit. Je n'ai qu'à en faire réapparaître un nouveau.
- Non ! répéta Ariane. Tu ne vas rien faire du tout ! Et d'ailleurs tu vas même disparaître de ma vue tout de suite avant qu'on n'entre dans Londres et que mes parents me voient discuter avec toi par la vitre !
Ethan jeta un regard à ladite vitre et ne put que constater que le voyage touchait en effet à sa fin.
- Tes parents ne viennent jamais, déclara-t-il alors que les maisons londoniennes semblaient glisser devant ses yeux. C'est toujours un elfe de maison qui te ramène.
- Qu'est-ce que tu en sais ?
Il haussa les épaules.
- J'ai le béguin pour toi. Donc je t'observe.
Alors qu'Ariane était à peu près sûre d'être devenue aussi rouge que l'étendard des Gryffondor, il n'insista pour une fois pas à lui tenir compagnie et, plongeant la main dans son paquet de patacitrouilles, lui adressa un dernier sourire avant de retourner dans le compartiment qu'il partageait avec ses camarades de maison.
- Tu en as mis, du temps, l'accueillit Eloïse à son retour dans le compartiment.
Elle ne répondit pas et alla se rasseoir auprès de la fenêtre alors que le train commençait à ralentir. Machinalement, elle enfonça la main dans la poche de sa cape pour se saisir à nouveau du fameux galion et retint un cri de surprise en en sentant deux, qui émirent un doux tintement lorsqu'ils s'effleurèrent.
Malgré elle, elle sourit.
~*~
6 novembre 1940, maison de Liliane Evans, Londres
POV Liliane Evans
À onze heures tapantes, la sonnette de la porte d'entrée retentit et Liliane reposa Liam dans son berceau afin d'aller ouvrir aux deux petites invitées qu'elle allait accueillir au sein de sa modeste demeure. Ces dernières étaient un peu en avance et Tom et Lianna étaient sortis lui chercher quelques petites courses au magasin du coin pour le repas de midi. Ces derniers lui refusaient de se déplacer alors qu'ils étaient présents à la maison. Liliane les soupçonnait de s'inquiéter suite aux déploiements constant des soldats alliés dans les rues Londoniennes. Et elle devait constamment leur rappeler que c'était à elle de s'alarmer bien qu'elle se doutât à nouveau qu'ils se tracassaient suite aux répercutions qu'avaient engendrées la venue de son dernier petit Trésor.
Liliane leur rappelait constamment qu'elle avait le droit à de l'aide des services sociaux sorciers. En songeant à cela, elle rêvassa du jeune homme qui l'avait invité à sortir dîner au restaurant, et elle se sentit rougir de plaisir. Cependant, la jeune femme ne devait pas songer à Mike aujourd'hui.
C'était une journée programmée exclusivement dans l'intérêt de ses enfants. Et le jeune sorcier était un sujet fâcheux pour Tom qui se méfiait comme de la peste de l'homme depuis qu'elle le leur avait présenté quelques jours auparavant, en lui expliquant qu'il était désormais en charge de leur dossier d'adoption.
En sortant complètement de ses songes, elle ouvrit la porte et la rouquine se retrouva face à deux adolescentes d'environ treize années. Une petite blonde aux yeux marron qu'elle reconnut comme la petite Haley Selwyn dont elle avait fait la connaissance à la gare et une petite brune au regard également brun dont la lueur espiègle ne lui échappa pas.
En guise d'accueil, elle leur sourit chaleureusement.
- Bonjour, nous sommes un peu en avance, Mlle Evans... Notre moyen de transport avait une heure précise pour... pour le démarrage.
- Ce n'est pas important, je sais que vos moyens de locomotions sont différents des nôtres, les filles. Entrez donc. Tom et Lianna vont arriver, ils ont été faire des petites courses pour moi pendant que je m'occupe de leur petit frère.
Liliane regarda la brune jeter à son amie un étrange regard, mais elle l'ignora. Et continua de sourire avec amabilité.
- Wow, Haley a raison, vous avez de beaux yeux, lâcha cette dernière, mal à l'aise. Ils sont d'un vert très brillant. Pour ma part, je suis Euphemia MacMillan, termina la jeune sorcière en lui tendant la main.
L'adulte éclata franchement de rire en la lui serrant.
- Merci, rougit la rouquine, tu n'as pas besoin d'être aussi formelle ! Enchantée de faire ta connaissance. Moi, c'est Liliane, tout simplement. Ravie que tes parents aient accepté ta venue, lâcha-t-elle à l'adresse de la blonde, et je suis d'autant plus ravie que tu aies amenée une autre de tes camarades.
En ignorant le nouvel échange de regard entre les deux amies, elle s'écarta alors de l'entrée et se mit sur le côté car sa chaise roulante prenait de la place au sein de l'étroit couloir.
Les deux jeunes filles avaient rougi suite à son éclat de rire, mais très vite la rouquine comprendrait que la timidité apparente de la jeune Euphemia allait être remplacée par une vive curiosité sur le milieu moldu dans lequel elle demeurait.
~*~
Liliane leur avait gentiment proposé de s'asseoir dans le salon en attendant Tom et Lianna. D'abord timide, et certainement mal à l'aise, la conversation avait vraiment été entamée quand elle leur eut proposé une tasse de chocolat chaud. Elle avait perçu les deux adolescentes intriguées par l'environnement dans lequel elle vivait et avait pris à cœur de répondre à leurs questions avec patience. Tom avait ordonné à Nagini de ne pas être à la maison en ce jour et de ne revenir qu'en fin de soirée. Visiblement, même chez les sorciers, il était peu commun de posséder un serpent géant en guise d'animal de compagnie. Encore moins d'en parler la langue. Et la professeure aspirait à ce que tout se passent bien pour ses deux Trésors.
Elle souhaitait leur montrer qu'avoir des amis ne pouvaient que leur apporter du bon dans la vie.
- Je suis ravie que vous ayez pu venir à deux. Je sais pertinemment que vous n'êtes pas vraiment des amies, lâcha-t-elle à un moment donné en ayant son nouveau-né dans les bras. Je m'inquiète beaucoup pour Tommy et Lianna, j'ai plus l'impression qu'ils me parlent de vos camarades comme des suiveurs. Même s'ils ne s'en rendent pas compte. Alors qu'ils aient accepté ma requête, ça me donne un peu d'espoir.
Haley et Euphemia se dévisagèrent avec surprise.
- Ne soyez pas étonnée, je sais qu'ils me mentent, je les connais. Mais ils ne sont pas méchants, juste égarés. Je souhaiterais tellement que leur passé soit effacé avec un coup d'une de vos baguettes magiques, mais tout ne marche pas par des claquements de doigts.
- Vous savez ? dit Haley, gênée. Ils vous aiment madam..Liliane, se corrigea l'adolescente alors qu'elle plissait ses iris vertes, pour ça, j'en suis sure. Et ils accordent beaucoup d'importance à vos dires. Ils ne veulent pas vous décevoir. Je suis certaine que vous les aidez beaucoup. J'ai toujours eu l'impression qu'ils avaient beaucoup souffert.
Il y eut un silence lourd de sens et Liliane n'avait pas contredit ces paroles.
- Je les élève en quelque sorte depuis qu'ils sont tout jeunes, je sais comment ils fonctionnent. Ils se renferment facilement et ils ont leur raison. Ce n'est pas à moi de vous en parler, mais j'aimerais qu'ils s'ouvrent aux autres enfants de leur âge. Cela leur ferait du bien. Donc merci de leur offrir cette journée où ils n'auront pas de mauvaises influences autour d'eux. Et je les aime d'autant plus, les rassura-t-elle. Je serai toujours là pour eux, quoi qu'il en advienne.
C'est sous ces dernières paroles qu'elle entendit les clés se fondre dans la serrure de la porte d'entrée et les voix de ses deux enfants qui se faisaient entendre dans le couloir. La rouquine fut contente d'être un professeur et d'avoir congé durant les vacances car cela lui permettait d'avoir un œil constant sur ses enfants.
Leur intérêt et leur bonheur resteraient à jamais sa priorité.
La jeune femme avait toujours ressenti qu'ils avaient bien plus besoin d'attention que les autres bambins.
- Vous êtes une sorte d'ange gardien, lâcha finalement avec respect Euphemia, qui était jusqu'à présent restée plus silencieuse que son amie. Haley à raison, vous semblez trop gentille pour avoir tort, alors, je ne pensais jamais dire ça sur Rid...Tom et Lianna, mais... s'excita-t-elle brusquement en gigotant sur le divan, on va se lancer dans cette mission : leur donner une bonne journée !
~*~
Liliane avait eu peur que quelque chose ne dégénère durant l'ensemble de la journée. Alors quand elle se mit à cuisiner le repas du soir, la professeure se mit à espérer que cela eut un effet positif sur ses deux enfants. Elle les savait d'autant plus en colère depuis son viol et la rouquine n'en dormait toujours pas, mais elle ne pouvait simplement pas leur laisser penser que tous les moldus comme elle étaient à déposer dans le même panier, bien qu'ils lui disent souvent qu'elle était une exception. Elle ne voulait pas qu'ils la mettent sur un piédestal. Tom et Lianna étaient continuellement restés polis et bien éduqués avec leurs camarades. Elle savait que c'était certainement une façade qu'ils croyaient exercer avec les deux autres filles pour la berner, mais quand Liliane entendit un éclat de rire à l'instant même où elle faisait rissoler du riz dans une marmite, son cœur rata un battement de soulagement et de bonheur. Un vrai rire était sorti de la bouche de sa fille et elle ne put s'empêcher de laisser en plan ce qu'elle faisait pour installer sa chaise roulante à l'entrée du salon qui était collée à la cuisine.
- Tu serais vraiment capable de dessiner le professeur Slughorn avec tous les détails comme si il était un morse ? lâcha Euphemia, amusée.
- Oui, je pourrais, répondit sa fille en gloussant. Il y a une sorte de ressemblance, je crois.
- Lianna Sauwer qui se moque du professeur qui l'idolâtre, on aura tout vu, fit Euphemia en essuyant quelques larmes au coin de ses yeux.
- Lianna a une mémoire visuelle et est très douée là-dedans, fit Tom avec un petit sourire. Elle pourrait dessiner ce qu'elle veut sur un parchemin et ou une feuille blanche. Ça lui vient tout seul.
Liliane sourit tendrement face à la scène qui lui faisait face et s'empressa d'aller chercher discrètement l'appareil photo du défunt grand-père William, rangé dans la commode de sa chambre. Assis autour de sa petite table en bois, Tom tenait précieusement Liam dans ses bras, enroulé dans une épaisse couverture. Lianna avait visiblement été chercher dans sa propre chambre son classeur, là où elle rangeait l'ensemble de ses dessins. Nombreux étaient ceux qui étaient exposés sur le meuble. Euphémia jetait curieusement un œil à toutes ses œuvres, et la lueur dans son regard laissait présager qu'elle était impressionnée par son talent. Haley s'attardait sur un en particulier, et du bout des lèvres lâcha après un moment d'observation :
- Tu as vraiment su faire ressortir les iris vertes de ta mère là-dessus, la façon dont tu dessines les finitions et les traits c'est... juste impressionnant.
Visiblement, Lianna en était gênée. Ses mains en tremblaient.
Pour la première fois depuis longtemps elle l'entendit dire peu rassurée :
- Il n'est pas tout à fait terminé, je dois affiner les traits autour de son nez ses oreilles et sa bouche. Je n'ai pas réussi à le finir pour son anniversaire, c'était le 31 octobre. Je voulais lui envoyer de l'école avec un hibou de la volière. Je le lui donnerai à la fin des vacances. J'espère qu'elle l'aimera.
Il y eu un petit silence où tous se retrouvèrent dans leurs pensées. Et Liliane sourit amoureusement suite à l'écoute de ces propos.
- J'en suis certaine. Tu pourrais tirer nos portraits ? s'enquit Haley.
Sa fille la regarda avec surprise.
- Tu veux.... que je dessine ton visage ?
La blonde étira un sourire éclatant.
- J'aimerais beaucoup que la fille avec qui j'ai passé la journée d'aujourd'hui me fasse cet honneur.
Liliane sentit sa vision s'embuer de larmes de bonheur car l'espoir gonflait au sein de sa poitrine. Elle en tira subtilement une photographie moldue, noire et blanche.
Un cliché qui se retrouverait un jour ensevelie sous une épaisse couche de poussière dans les vieilles affaires d'école de Lianna Sauwer et Tom Riddle.
~*~
Novembre 1940, manoir Martins, Yorkshire
POV Anthony Martins
Les bras croisés sur l'appui de la fenêtre, Anthony s'ennuyait ferme. Il n'était pas loin d'une heure du matin, comme le lui avait appris les aiguilles de sa montre ? et, incapable de trouver le sommeil même après avoir lu jusqu'à se faire mal aux yeux et tenté de finir une dissertation de métamorphose pour le professeur Dumbledore à la lueur d'une chandelle, il s'abîmait le regard en observant les lueurs du village, là-bas, au-delà des arbres, au creux de la vallée.
L'envie d'y aller le faucha d'un coup, sans qu'il n'ait pu la préméditer. Ces lumières l'attiraient comme s'il n'était rien de plus qu'un vulgaire papillon de nuit, et la comparaison le fit sourire alors que, résolu, il enfilait ses vêtements de la journée. Lui, Anthony Martins, héritier de la seconde plus grosse fortune sorcière d'Europe, sans plus de lucidité qu'un insecte dès qu'il s'agissait de voguer vers les reflets de la vie.
Se munissant de sa baguette même s'il ne pouvait pas s'en servir, il referma doucement la porte de l'immense chambre qu'il occupait au premier étage du manoir, progressa aussi discrètement qu'une souris dans le couloir et parvint à rejoindre les combles de la bâtisse sans éveiller qui que ce soit. Le contraire aurait été étonnant, de toute façon. Il n'était pas le meilleur ami de Fleamont Potter pour rien. Depuis qu'il s'était lié d'amitié avec le Gryffondor au cours de leur deuxième année, il avait quitté sa salle commune en pleine nuit un nombre incalculable de fois, que ça soit pour une simple exploration nocturne du château, une soirée cuite dans le pub mal famé de Pré-au-Lard ou la mise en place d'une farce de mauvais goût à l'encontre de quelqu'un l'ayant parfaitement mérité.
Glissant en silence sur le parquet toutefois moins bien ciré qu'ailleurs dans le manoir, il finit par s'immobiliser devant le portrait d'un homme d'apparence jeune mais dont le regard était si dur et résigné qu'aucun des enfants Martins n'avait jamais osé affronter ses yeux. Martin de Tinworth. Le tout premier des Martins, parti de rien et parvenu à tout. Respectueux des traditions, c'est sans laisser s'égarer trop haut son regard qu'il passa ses doigts entre le cadre et la toile, poussant cette dernière sans ménagement jusqu'à ce qu'elle révèle une cavité étroite derrière elle. Sans hésiter, Anthony enjamba le cadre et s'y engouffra.
Quand la toile se fut refermée derrière lui, il sentit ses membres s'engourdir et, en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, il se retrouva engoncé dans le tronc creux de l'arbre aux edelweiss, celui planté juste en face du portail imposant de la propriété des Martins. Enfin libre, il partit dans un grand éclat de rire en dévalant la colline de plus en plus vite jusqu'à se retrouver aux abords du village. Il ralentit alors le pas et déboucha sur la place principale, sur laquelle les mêmes caravanes que durant l'été se trouvaient toujours.
Il sourit en les voyant, quoiqu'étonné qu'elles soient toujours là alors qu'une fête foraine était censée aller de village en village. Peut-être est-elle là dès que je le suis également... songea-t-il, avant de rigoler de plus belle face à la stupidité de son raisonnement.
- Mais ça alors ! s'exclama joyeusement une voix dans son dos, teinté d'un accent italien qu'il reconnaîtrait entre mille.
Anthony se retourna d'un bond vers le nouvel arrivant et lui sourit, heureux de le revoir. Forain de son état, il était âgé d'une bonne vingtaine d'années de plus que lui mais Anthony le dépassait sans mal en taille. Là où il était élancé et aussi pâle que faire se peut, lui était trapu et arborait une peau mate qui s'accordait parfaitement à ses yeux d'un noir d'encre.
- Monsieur Cacciavani, le salua-t-il.
- Je t'ai déjà dit de m'appeler Giovanni. Je ne suis qu'un humble forain, qu'aurais-je à faire du respect de quelqu'un de la haute comme toi ?
- Je ne fais pas partie de la haute, monsieur Cacciavani.
- En tout cas tu ne fais pas partie du même monde que moi.
Pour sûr, ricana Anthony en son fort intérieur. Je suis un sorcier et tu n'es qu'un vulgaire moldu diseur de bonne aventure.
- Est-ce vraiment prudent pour un gamin d'errer en pleine nuit dans des coins mal famés ?
Anthony haussa les épaules en se juchant sur un muret.
- C'est chez moi que c'est mal famé, déclara-t-il. Et je ne suis plus un gamin.
- Il est vrai... Quinze ans, n'est-ce pas ?
Le regard de l'adolescent se troubla. Giovanni Cacciavani avait le don de semer le mystère autour de lui. Ses dires n'auraient dû être que des paroles dans le vent, des prédictions sans aucun fondement, et pourtant elles sonnaient toujours curieusement justes...
- Plus ou moins, choisit-il de répondre de manière évasive. Dîtes, vous ne me prédiriez pas quelque chose ?
Il fouilla dans ses poches à la recherche d'une pièce de monnaie moldue, mais comprit vite qu'il n'en avait plus en sa possession.
- Laisse donc ton argent là où il est.
Le prétendu voyant tourna les talons, s'engouffra dans la tente qui lui servait à gagner sa vie et en ressortit quelques secondes plus tard, une boule de cristal à la main. Il la posa dans la paume d'Anthony qui, amusé, resserra ses doigts autour de la matière gelée. Dans le monde des sorciers, elle se serait aussitôt colorée et aurait pris un sens pour quiconque savait la déchiffrer mais, là, elle demeura parfaitement transparente.
- De la porcelaine, déclara Giovanni quand il releva la tête.
Anthony fronça un sourcil, un rictus insolent aux lèvres.
- De la porcelaine ?
- L'aspect de la peau de votre fille. Ce sera de la porcelaine.
L'adolescent éclata de rire, tout en songeant qu'il aimerait bien qu'il ait raison. Pas de garçon, pitié, pas de garçon. Si Edwin continue à être plus passionné par les bouquins que par les filles, pas de garçon et ce sera la fin de cette famille.
Après avoir échangé quelques banalités de plus avec Cacciavani, Anthony prétendit vouloir rentrer et ressortit du village pour aller se promener le long de la rivière. L'endroit l'avait toujours apaisé, le coulis délicat de l'eau sur les cailloux qui peuplaient son fond lui donnant systématiquement envie de fermer les yeux et de se noyer dans cette explosion de nature. L'horloge du village sonnait un coup au loin quand il décida de s'arrêter près du pont, d'ôter ses chaussures et de remonter son pantalon pour plonger ses pieds dans l'eau.
Elle était glacée et lui ravagea la peau comme autant d'aiguilles vengeresses. Mais il ne broncha pas, fit quelques mouvements pour se réchauffer et ses muscles finirent par se détendre. Ses paupières également et il se laissa tomber dans l'herbe humide avec un soupir de contentement.
Il manqua de faire un arrêt cardiaque quelques minutes plus tard en sentant la caresse d'une peau étrangère contre la sienne et se redressa d'un coup, brisant la quiétude des lieux pour découvrir un corps immobile qui flottait à la surface de la rivière, vêtu d'une longue robe blanche et les cheveux bruns détachés picorés de fleurs. Dans un premier temps, il crut sérieusement avoir trouvé un cadavre et s'apprêta à s'enfuir le plus loin possible, mais il vit soudain une des mains gracieuses s'agiter, puis les yeux s'ouvrir.
Il ne fut pas le seul à crier quand ce qu'il s'avérait être le corps d'une jeune fille à peine plus jeune que lui se redressa, faisant s'agiter l'eau autour de lui.
- Mais qu'est-ce que vous fichez là ?! s'exclama-t-il.
Des yeux curieux dont il ne pouvait distinguer la couleur en pleine nuit lui répondirent, interrogateurs.
- Vous allez faire une hypothermie à vous baigner en pleine nuit par cette température !
Le regard ne s'éclaira pas plus.
- Prenez ça, au moins, grommela-t-il en ôtant sa veste pour la tendre à l'inconnue, qui n'esquissa pas le moindre mouvement.
Il resta quelques instants le bras tendu, comme un imbécile, puis repassa sa veste, vexé.
- Non... non capisco, murmura-t-elle alors.
Anthony fronça les sourcils, ne reconnaissant pas la langue veloutée dans laquelle s'exprimait la mystérieuse jeune fille. Celle-ci posa une main délicate sur sa poitrine à peine dessinée et déclara, d'une voix un peu plus ferme cette fois :
- Levanna.
Comprenant qu'elle se présentait, le Serpentard tendit une main en déclinant à son tour son prénom. Et, elle avait beau être froide, la main de Levanna était incroyablement douce, ne put-il s'empêcher de remarquer alors que ses doigts se dérobaient aux siens.