Abraxas Malefoy et Wladimir Krum s’établirent à la Wildhexe Gasthaus, une auberge tenue d’une main de fer par Wilhelm Brandebourg, également boucher-charcutier de son état.
La nourriture était savoureuse, la compagnie agréable et l’établissement assez calme la nuit, ce qui leur permettait de dormir les soirs où ils le souhaitaient. Dans ce village moitié-sorcier, moitié-moldu, ils pouvaient se déplacer comme bon leur semblait sans avoir à se soucier de ce que leur accoutrement provoquait comme interrogations. Ils pouvaient ainsi se rendre dans les commerces et flânèrent un long moment à la librairie sorcière, sans trouver aucune mention de ce qu’ils recherchaient.
Un autre établissement sorcier se trouvait également à Seebach, un genre de Biergarten qui ouvrait jour et nuit et proposait un large panel de divertissements. Sans être mal famé, il accueillait une clientèle nettement plus délurée et il n’était pas rare que les sorciers de bonne famille du coin viennent s’y encanailler. C’est du moins la description que leur en avaient fait d’autres voyageurs de passage.
Outre la bière, l’ambiance et la musique, le Mümmeleingarten était d’ailleurs connu pour être un lieu de rencontres galantes. Pas qu’il propose les services de prostituées, mais c’était le lieu de toutes les soirées et les deux jeunes hommes choisirent de s’y rendre après une première soirée de recherches infructueuses au Wildhexe Gasthaus. Il faut dire que, si les voyageurs étaient nombreux dans l’auberge, les gens du cru ne s’y rendaient pas beaucoup.
- Je suis sûr que cette fois-ci nous ne ferons pas chou blanc, déclara Abraxas plein d’espoir en franchissant la porte du Mümmeleingarten.
- A quel sens du terme ? Demanda Wladimir qui observait l’enseigne, une jeune femme nue au milieu des nénuphars, d’un air assez sceptique.
Abraxas l’ignora. C’était la fin de l’après-midi et l’établissement était encore assez calme. Ils s’attablèrent un peu à l’écart de la piste de danse, de manière à pouvoir observer les lieux. Les autres clients étaient plus âgés mais ce n’était pas anormal à cette heure de la journée.
Ils n’eurent pas à attendre longtemps cependant. A peine avaient-ils commandé leurs bières que plusieurs jeunes gens entrèrent successivement, d’abord un jeune homme et une jeune femme à l’allure délurée et aux habits dépareillés du plus mauvais goût.
La jeune femme, jeune fille même, était rousse avec des cheveux filasses et ébouriffés, un nez en pointe et des yeux marc de café. Elle portait une robe de sorcière bien trop courte et rapiécée qui laissait apparaître ses bas, un tablier, un gilet d’homme et riait au bras de son compagnon. Celui-ci était un garçon bien bâti, comme un paysan du cru, à la physionomie de bon vivant tempérée par la présence d’une cicatrice. Vestige d’un combat avec un ours ? Un loup ?
Abraxas ne savait pas, mais ce dont il fut sûr en revanche, c’est que ce type-là était un brave. Étrangement, la veste qu’il portait faisait penser à celle d’un genre de garde forestier, ou quelque-chose d’approchant.
- Tu crois que ce sont des sorciers ? Lui chuchota Wlad sur un ton un peu effrayé.
- Au moins la fille, je pense, répondit Abraxas, également à voix basse. Le garçon, je ne sais pas.
- On devrait aller les interroger, ce genre de marginaux sont généralement plus ou moins au courant de tout.
- Seulement si on ne troupe personne d’autre, je ne tiens pas vraiment à me commettre avec ce genre de personnes.
Quelqu’un d’autre entrait alors ils se turent, d’abord par prudence, mais très vite par surprise. En effet, le trio qui venait de pénétrer dans l’estaminet ne présentait pas, mais alors pas du tout, de la même manière.
C’était trois femmes d’une grande beauté, aux cheveux blond vénitien, roux et auburn, vêtues de robes de sorcières de bonne facture à ce qu’Abraxas pouvait en juger et au port royal. Des gens de son monde, sûrement.
Si le couple en entrant s’était contenté de les saluer avant d’aller s’attabler de son côté pour se compter fleurette en bas-allemand, les trois femmes en revanche leur adressèrent des sourires charmeurs et celle qui semblait la plus ouverte leur demanda dans un allemand parfait :
- Pouvons-nous prendre place à vos côtés ?
Abraxas, immédiatement sous le charme, lui sourit aimablement et les invita d’un mouvement de baguette, rajoutant du même coup trois chaises à leurs tables.
Elles s’assirent et la conversation démarra aussitôt.
C’était trois sœurs d’une vieille famille des environs. La plus âgée, une blonde magnifique aux yeux verts qui lançaient des éclairs, répondait au nom de Kuggelblitze. C’était également la plus volubile et elle ne mit que quelques secondes à faire tomber Wlad sous son charme. Bientôt, ils engageaient une conversation à bâtons rompus pendant qu’Abraxas, quoique un peu déçu d’être laissé de côté, faisait connaissance avec les deux autres.
La seconde sœur, aux cheveux roux comme du feu et aux grands yeux noirs très vifs éclairant un visage altier, se nommait Feuersterne. Elle présenta également sa plus jeune sœur, une fille aux cheveux auburn et au visage plus fermé que celui des deux autres, mais tout aussi belle, qui se nommait Gletscher, en référence à ses deux yeux bleus au regard poli mais extrêmement froid.
Même s’il lança plusieurs regards d’envie à Kuggelblitze et quelques-uns intrigués à Gletscher qui ne sortait pas de sa réserve, Abraxas discuta surtout avec Feuersterne ce soir-là car la jeune fille était avenante et le renseignait volontiers sur la région. Il lui raconta son voyage de recherches, ce à quoi elle lui répondit qu’il était malheureusement impossible, à son avis du moins, de remonter plus haut dans son arbre généalogique si celui-ci se rattachait aux Vikings. En effet, les généalogies sorcières de ce peuple restaient très brouillées à sa connaissance.
- C’est vrai, répondit Abraxas. Mais je souhaite toutefois utiliser ce temps qui m’est donné pour élargir mes connaissances.
- C’est très noble de votre part, fit remarquer Feuersterne en lui lançant un regard à faire fondre la roche. Vous semblez sincèrement passionné par ce que vous étudiez, contrairement à de nombreux jeunes gens effectuant aussi des voyages d’étude... simplement pour avoir un prétexte afin de prendre du bon temps.
Elle semblait éprouver, tout en prononçant ces mots, comme un genre de déception qui se lisait nettement dans son regard et Abraxas lui répondit avec douceur :
- C’est vrai, et nous les Anglais ne sommes pas les derniers dans ce domaine. Mais, pour excuser un peu mes compagnons, ils sont souvent sous l’épée de Damoclès d’un futur mariage, ce qui les angoisse au plus haut point. Alors ils choisissent de brûler leur jeunesse avant qu’il ne soit trop tard et… Personne n’est dupe au fond, c’est un peu comme un genre de rituel de passage dans le monde des chefs de familles. De quoi se faire de doux souvenirs qui permettent ensuite de garder son équilibre…
- N’avez-vous pas la même épée de Damoclès au dessus de la tête ? Répondit Feuersterne. Un homme comme vous n’est-il donc pas également promis à ce genre de mariage ?
- Disons que, de mon côté, je suis plutôt chanceux. Et puis, de toute manière, j’ai toujours porté davantage d’intérêt à l’étude qu’aux amusements de toutes sortes. Chacun trouve son plaisir où il le peut…
Cette fois-ci, c’était clair, Feuersterne semblait un peu déçue et Abraxas se sentit soudain honteux de passer pour un intellectuel insipide à ses yeux. Désireux de remonter dans son estime, il raconta les différentes péripéties de leur voyage et finit même par lui parler de l’étrange brèche qu’ils avaient aperçue dans la muraille de Nurmengard.
Là, Feuersterne s’effraya :
- Vous êtes allé à Nurmengard ? Dit-elle horrifiée. Mais vous êtes fou ?
- Un peu, oui, sûrement, répondit Abraxas emporté par son élan, mais aussi un peu par sa troisième bière. Et nous avons même failli être dévorés par un gros lézard volant !
- Vous avez vu une viverne…
La voix de la jeune femme n’était plus qu’un souffle, Abraxas essaya de prendre un ton rassurant à son adresse :
- Oui, à première vue. D’ailleurs il paraît que ces créatures viennent de la région et ce qu’on raconte sur elles, notamment à Nurmengard, nous a beaucoup intrigués.
- Il y a de quoi, répliqua sèchement Feuersterne avant de jeter soudain un regard à la montre à gousset qu’elle venait de sortir de sa poche.
Elle la consulta et s’adressa à ses compagnes :
- Il est l’heure, dit-elle. Nous devons y aller.
- Qu’est-ce que tu racontes ? Demanda Kuggelblitze. Nous avons encore bien…
- J’ai dit qu’il était l’heure, nous y allons.
Le ton était insistant, non, sans réplique. Les trois femmes se levèrent, payèrent leurs consommations et sortirent sans un mot de plus. Abraxas sentit son cœur se briser. Wladimir, à côté de lui, fixait la porte d’un air tristement hébété.
Qu’avait-il pu dire de si vexant pour que ces trois merveilles prennent la fuite ?
- Reprenez-vous, dit soudain une voix à côté d’eux.
Ils se retournèrent, surpris et d’un même mouvement. La jeune sorcière rousse aux habits dépareillés se trouvait juste derrière eux à présent et leur secouait vigoureusement l’épaule. Abraxas fut le premier à reprendre totalement ses esprits et la fixa d’un regard condescendant qu’elle soutint sans ciller.
Quelques instants plus tard, Wladimir émergeait à son tour et lui renvoyait une exclamation horrifiée :
- Vous n’êtes pas du coin, dit doucement la jeune fille, et il n’y a pas qu’à votre allemand approximatif et à votre accent que cela se voit. C’est folie d’évoquer les vivernes d’une telle manière ! Surtout face aux filles de Wallenstein.
- Qui êtes-vous ? Lui demanda Abraxas, profondément agacé.
La jeune fille fit signe à son compagnon de la rejoindre et désigna une chaise du regard :
- Puis-je ? Demanda t-elle.
- Bien-sûr, répondit Wladimir, encore sous le choc mais visiblement décidé à se montrer poli.
Elle s’assit et son compagnon l’imita. Comme Abraxas la regardait avec insistance, elle se présenta :
- Je me nomme Anna Klein, je suis née à quelques pas d’ici, dans la forêt et j’y habite toujours. Et voici Burghart Walter, mon compagnon.
- Vous êtes des moldus, fit remarquer Wladimir.
- Burghart seulement, répondit Anna. Moi, je suis une sorcière et, si vous voulez visiter la région, je pourrais fort bien vous servir de guide. Mais trêves de discussion. Avez-vous compris avec qui vous venez de partager un verre ?
Abraxas pâlit un peu, et Wladimir demanda dans un souffle :
- Était-ce des Ondines ?
Anna acquiesça :
- Oui, c’était des Ondines.
- J’aurais cru que c’était des sorcières de bonne famille, grommela Abraxas.
- Des « sorciers de bonne famille », répliqua Anna. Il n’y en a pas des masses ici, du moins pas en foret. Si vous en cherchez, il vaut mieux aller dans les villes, là où ils vivent. Ici, vous ne trouverez pratiquement que des personnes dans mon genre, plus quelques vieilles mégères revenues sur les lieux de leur enfance.
- Tout de même, dit-il. Ces femmes n’avaient aucune ressemblance avec des êtres de l’eau.
- Les ondines sont métamorphomages Monsieur, elles imitent l’image humaine et généralement de manière très séduisante comme c’était le cas ce soir. D’ailleurs vous auriez certainement passé une très bonne soirée si Monsieur que voici n’avait pas abordé de sujets qui fâchent.
Ses paroles auraient pu paraître mutines, si seulement elle n’avait pas eu l’air aussi grave :
- De sujet qui fâchent ? Demanda Wladimir inquiet.
- Oui, d’ailleurs si vous comptez rester entiers, je vous conseille à l’avenir d’éviter de parler de vivernes et de Nurmengard ici. Il y a beaucoup de ressentiment sur ce territoire et toutes les plaies ne sont pas cicatrisées… Croyez-moi, j’en sais quelque-chose…
Sa voix n’était plus qu’un souffle. Elle se tut d’ailleurs et c’est son compagnon Burghart qui poursuivit :
- Il faut également être beaucoup plus prudents que cela face aux Ondines. Je sais qu’elles sont très réputées pour leur charme et que nombre de voyageurs viennent ici pour les voir. Mais je dois vous avertir, Messieurs… Ces trois-là sont extrêmement dangereuses et les côtoyer n’est pas un jeu.
- Pourquoi donc ? Demanda Abraxas ouvertement dubitatif.
Anna répondit :
- Kuggelblitze, Feuersterne et Gletscher sont les trois filles du roi Wallenstein, dont le palais se trouve au Mummelsee, un lac de montagne. Il dirige tous les Ondins de la Forêt Noire et son influence s’étend même sur une partie des affluents du Danube. Côtoyer ses filles est dangereux pour n’importe qui, du moins n’importe qui de sexe masculin. S’il soupçonnait que l’une d’elle s’attache à l’un de vous, il n’hésiterait pas à vous supprimer car c’est un fanatique de la pureté du sang.
C’était complètement fou, elle se moquait forcément d’eux :
- Mais cette créature n’est même pas humaine ! Protesta Abraxas.
- Il n’y a pas besoin d’être un sorcier, ou même un humain pour avoir des idées affreuses sur les races, Monsieur. Et dans la Forêt Noire, la plupart des sorciers sont hybrides, j’en suis d’ailleurs. C’est pour cela qu’il craint tant que ses filles ne dérogent.
- Il les laisse courir les bars, fit remarquer Abraxas.
Anna le regarda avec gravité et répondit :
- Que savez-vous des Ondins exactement ?
- C’est des créatures très anciennes, si je ne me trompe pas… Répondit Abraxas en jetant à la dérobée des regards à Wladimir.
Celui-ci soupira et consentit à prendre le relais :
- Nous savons que ce sont des êtres de l’eau, qu’ils ont des pouvoirs très importants et que leurs femelles fraient volontiers avec les humains, mais sans que cela n’entraîne des relations durables.
- En général, du moins, répondit doucement Anna. Je crois cependant qu’il y a quelques subtilités que vous ne saisissez pas.
- C’est à dire ? Demanda Abraxas
.
- Les Ondins forment un peuple lacustre et peuplent des régions comme la Forêt Noire depuis des millénaires. Mais là où le bas blesse, c’est que ce sont des créatures qui ont été créées à la base par des mages noirs.
- Herpô l’Infame, c’est cela ?
- La légende le dit en tout cas, mais il n’est peut-être pas le seul et, en réalité, leurs origines sont très floues. Sans aller jusqu’à dire que les Ondins sont tous mauvais, je vous mets en garde : ce sont des créatures qui ont une relation antagoniste aux humains, c’est dans leur nature. Même si ces trois ondines vous ont parues charmantes, leurs ancêtres ont été créés dans un but : garder des territoires contre d’éventuels pillards. Leurs femelles servent d’appâts et de leurres, leurs mâles d’assassins…
Abraxas voulait bien la croire, mais il y avait tous de même un hic :
- Et vous, dans tout cela ? Vous nous disiez justement être hybride. Comment cela se peut-il alors ?
- Je ne vous répondrai pas précisément, mais je vais vous montrer ce que cela implique.
Anna saisit dans sa poche un petit couteau et Burghart grimaça :
- Nein… Grommela t-il sans qu’elle ne l’écoute.
Saisissant le couteau, elle traça d’un geste sec une entaille sur son bras et le sang se mit à couler abondamment. Abraxas poussa un cri effaré mais elle lui sourit :
- Ce n’est rien, dit-elle doucement, tandis qu’à la surprise des deux hommes la plaie se refermait.
- Impressionnant… Souffla Abraxas.
- Dans la région, répondit Anna, on calcule souvent le degrés de métissage en fonction de la vitesse de cicatrisation des plaies. Le mien est estimé à « hybride deuxième génération ». On considère généralement que si une plaie de cette taille met moins de quarante-huit heures à disparaître totalement, la personne a du sang d’ondin dans les veines. Et cela concernerait environs deux tiers des sorciers de Forêt Noire.
- Mais comment cela est-il possible si, comme vous le dites, les ondins sont antagonistes aux hommes ? Demanda Wladimir dubitatif.
- Certaines Ondines dérogent parfois, d’ailleurs certains Ondins aussi même si cela est plus rare et qu’ils restent stériles. Chaque génération connaît quelques unions de ce genre…
Elle ajouta à voix plus basse :
- Cependant la majorité de ces histoires finissent mal, les crimes d’honneur sont nombreux…
- Vous en savez personnellement quelque-chose ?
- Oui, répondit Anna. Et je ne suis pas la seule d’ailleurs, j’ai une petite sœur, Maria, qui étudie à Poudlard… Je l’ai envoyée là-bas pour qu’elle soit en sécurité.
Abraxas l’observa de haut en bas, persuadé qu’elle mentait, et répondit :
- Vous avez envoyé votre sœur à Poudlard ? Depuis l’Allemagne ?
- Oui, répondit Anna sans perdre une once de calme. Elle s’appelle Maria Klein et elle est à Poufsouffle.
Comme il étouffait un ricanement, elle lui renvoya un regard agacé et poursuivit :
- Bref, il vaut mieux que vous gardiez vos distances avec ces trois-là.
Elle se leva à son tour et son compagnon la suivit. Ils sortirent après avoir salué l’assistance. Alors seulement Abraxas remarqua la carte de visite qu’elle avait laissée sur leur table et la saisit avec des gestes fébriles.
Une viverne dessinée sur fond bleu… Et de l’autre côté : « Ruf mich ».
« Appelez-moi ».
Il empocha la carte avant que Wladimir ne la voit à son tour.