Et, lorsqu’il vit de près les vivernes pour la première fois, Abraxas fut très franchement impressionné.
Ce n’était pas des dragons comme il l’avait cru au premier abord. Cela volait, ça volait même extrêmement bien…
Et il ne souhaitait pas vérifier si ça crachait du feu même si Maria lui jurait que la plupart de ces bestioles-là n’en avaient pas la possibilité.
La plupart ? Ah oui, environ un quart en étaient capables quand-même, les mâles plus que les femelles à première vue. Mais plus que tout, voir les sorcières présentes effectuer loopings, vols en piqué et autres figures de haute voltige avait quelque-chose de complètement hypnotique.
Si les circonstances n’avaient pas été aussi graves, Abraxas aurait probablement profité avec plaisir de sa visite du Blocksberg : à la fois base d’entraînement et quartier général des sorciers de la Forêt Noire.
Le problème, c’est précisément que les circonstances étaient graves, très graves même. Emilia Backer, la chef des vivernières, le leur avait confirmé à présent et elle savait même des choses qu’ils ignoraient avant de venir la trouver.
En cette fin de matinée d’hiver, tout en admirant les prouesses des jeunes vivernières présentes en compagnie d’Anna, Abraxas se remémorait l’enchaînement d’événements qui l’avaient conduit là.
Tout avait commencé chez Anna et Maria Klein, juste après le chocolat chaud. Alors qu’ils achevaient de se remettre de leurs émotions de la veille, assis autour de la table, Anna avait écouté le récit de leur escapade à Nurmengard tandis que sa sœur jouait avec une plume de corbeau laissée par lui lorsqu’il s’était pris une poutre en plein vol.
Burghart le compagnon d’Anna, venait juste de rentrer et Abraxas ainsi que Wladimir avaient appris, non sans surprise, qu’il assurait plusieurs enseignements aux petites sorcières de la région bien que lui-même soit moldu.
Comment lui et Anna s’étaient-ils rencontrés ? Compagnons d’infortune à première vue et on n’en saurait pas plus. La discussion avait démarré sur un ton assez léger, comme si les deux allemands cherchaient à ménager leurs hôtes et à dédramatiser la situation bien qu’ils exigent de connaître la vérité.
Mais lorsque Abraxas avait confirmé devant elle la présence d’une viverne à Nurmengard, Anna était soudainement devenue toute pâle, s’était complètement affolée puis l’avait supplié de la suivre dans cette base qu’il visitait à présent.
Wladimir, de son côté, était resté avec Burghart à la maison et s’employait à vérifier les charmes de protection autour de celle-ci sur les conseils d’Anton Backer, un vieux sorcier du village qu’Anna avait contacté en catastrophe.
Selon Anna et Anton en effet, il n’y aurait jamais du y avoir de vivernière au dessus de la prison de Gellert Grindelwald. C’était un parfait non-sens et personne n’avait le droit de survoler cette prison.
- Une vraie folie ! S’était emporté le vieil homme.
- Mais, ne sont-elles pas chargées de garder la forteresse ? s’était étonné Abraxas pour qui la chose paraissait une évidence.
- Non pas du tout, avait répondu le vieux sorcier. Cela n’a jamais été leur affaire… En plus le château ne se trouve pas sur notre territoire.
- Dans ce cas, était intervenu Wladimir. Je comprends que le récit de mon ami vous paraisse étrange, mais pourquoi vous affoler à ce point ?
Anton Backer l’avait considéré avec inquiétude, presque avec méfiance, avant de répondre d’une voix mesurée :
- Il y a quelques années, Rumpel Schwarzenberg, une criminelle assez connue de la région possédait elle aussi une viverne : un mâle noir capable de cracher du feu qui a semé la terreur dans la région. Et nous craignons qu’il ne s’agisse de cette sorcière car, même si nous n’avons plus entendu parler d’elle depuis 1943, nous n’avons jamais eu la confirmation de sa mort.
Anna avait rajouté sombrement :
- Or cette femme est l’une des sorcières les plus puissantes de la région. Il s’agit d’une Wetterhexe et elle a toujours été partisane de Gellert Grindelwald.
- Une Wetterhexe ? Avait demandé Abraxas intrigué.
- Oui, avait répondu Anna. Une Wetterhexe chez nous est une sorcière spécialisée dans les charmes météorologiques. Et pour vous donner une idée, Rumpel Schwarzenberg était suffisamment puissante pour envoyer de la grêle sur toute la Forêt Noire.
- Impressionnant, confirma Abraxas. Et de quoi s’est-elle rendue coupable.
Anna le lui expliqua sur le même ton grave :
- Rumpel Schwarzenberg faisait partie de la faction la plus anti-moldue de l’Assemblée des Maléfices, le Parlement de note région. Et jusqu’en 1923, elle y était extrêmement influente et a posé de très nombreuses difficultés aux moldus de la région, n’hésitant pas à en assassiner certains. Cela a duré des années.
- Et ensuite ? Demanda Wladimir.
- Après la défaite totale de sa faction en 1923 et la disparition de plusieurs de ses alliés, elle a férocement pourchassé les sorciers et les sorcières de la région dans une sorte de Vendetta. Mes parents par exemple en ont fait les frais car ma mère avait osé… S’affranchir de sa tutelle lorsqu’elle était jeune. Rumpel a tué plusieurs sorciers, dont certains parmi les plus puissants de la région, et en a capturé d’autres pour le compte de Gellert Grindelwald. Celui-ci les utilisait ensuite comme otages...
Wladimir qui écoutait ce récit totalement atterré demanda soudain franchement :
- Elle vous en veut particulièrement Anna. Ce n’est pas vrai ?
La jeune femme baissa la tête et répondit :
- Elle en veut probablement à toute ma famille ainsi qu’à plusieurs de mes proches. C’est en effet pour cela que sa réapparition me soulève l’estomac.
- Pour quelle raison précisément ? Demanda Abraxas.
- Les parents d’Anna et Maria, répondit le vieil homme à sa place. Ont combattu très activement Gellert Grindelwald et ses partisans dans la région. Ils ont littéralement traqué les membres de cette faction en Forêt Noire et se sont par conséquent fréquemment affronté avec la sorcière Rumpel.
Wladimir acquiesça et aurait sans doute volontiers posé une autre question. Mais le vieil homme ne voulait visiblement pas s’étendre sur le sujet car il poursuivit sans lui en laisser le temps :
- Pour revenir à notre problème cependant, il faudrait que vous accompagniez Anna dans notre QG au Blocksberg et que vous livriez votre récit à Emilia Backer, notre commandante actuelle. Car elle doit absolument être mise au courant et il serait judicieux de lui fournir un récit de première main.
Abraxas, espérant surtout en savoir plus, avait accepté mais il avait conditionné son aide au fait qu’Anna réponde à certaines de ses questions, ainsi qu’à celles de Wladimir :
- Pour commencer, attaqua directement celui-ci. Comment se fait-il que vous possédiez une carte portoloin alors que vous vivez en marginale ?
Anna lui répondit par un regard outré et répliqua aussitôt :
- Oh ! mais je ne suis pas une marginale, mon petit monsieur ! Ne vous a t-on jamais dit que l’habit ne faisait pas le moine ?
- Vous vivez en pleine forêt, lui fit-il remarquer.
- C’est normal, répliqua Anna. Je vis dans la maison de ma mère qui était en effet ce que vous appelez une marginale au départ… Elle a été orpheline très jeune et s’est installée ici. Mais cela, c’était avant qu’elle ne prenne une part active à la lutte contre Gellert Grindelwald.
Abraxas, pressentant une révélation d’ampleur, demanda des précisions :
- De qui s’agissait-il précisément ?
- Ma mère était une enchanteresse puissante, connue sous le nom de guerre « Capitaine Klein », cela ne vous dit rien à vous les Anglais ? Et à vous les Russes non plus ?
Elle avait l’air de quelqu’un qui énonce une évidence. Wladimir hocha aussitôt la tête vigoureusement, Abraxas mit deux secondes de plus à faire le rapprochement et n’en fut que plus troublé :
- J’ai entendu parler de lui en effet, mais n’était-ce pas plutôt un homme ? Finit-il par demander, à la fois sceptique et intrigué.
Anna Klein pris le temps de peser ses mots avant de répondre posément :
- Le capitaine Klein était bien une femme, ma mère pour être plus précise et l’enchanteresse la plus puissante de la région. Mon père était aussi un sorcier et c’était également un des seuls viverniers homme qui n’ait jamais existé, mais il est mort lorsque Maria était bébé. Un des sbires de Grindelwald l’a tué pendant une bataille aérienne. La carte que je vous ai fournie me vient de lui. Il s’en était fait faire à Freudenstadt pour pouvoir être contacté par ses amis plus facilement puisqu’il était toujours par monts et par vaux.
- Je croyais vraiment que le capitaine Klein était un homme, répondit Abraxas en soupirant.
- Que savez-vous de lui au juste ? Répliqua alors Maria qui n’avait pratiquement rien dit jusque là. Soyez honnête.
Wladimir lui répondit d’une voix douce :
- Rien, c’est vrai. De l’extérieur il n’était qu’un nom. Un nom qui a surtout fait parler de lui à sa mort en 1943 dans l’attaque-suicide de la forteresse de Nurmengard.
Le visage de Maria se tendit comme si la phrase l’avait profondément vexée, mais sa sœur resta de marbre. Abraxas leur renvoya un regard d’excuse.
- Exactement, répliqua Anna Klein sans en tenir compte. Ma mère a disparu en 1943 sous les murs de Nurmengard, dans une attaque qu’elle dirigeait… Et, puisque c’est la brèche ouverte dans les murs qui vous a intrigués au point de venir ici, sachez qu’elle en est l’auteur.
A présent elle les fixait comme si elle les mettait au défi de répéter le mot « suicide ». Il n’en fallut pas beaucoup plus à Abraxas pour accepter de suivre Anna jusqu’au Blocksberg : ce malaise qui venait de s’installer entre eux devait impérativement être dissipé.
- Bien, dit-il. Comment se rend t-on dans votre QG ?
Pour toute réponse, Anna s’avança vers un bol de poudre posé au dessus de la cheminée de sa maison. Elle en saisit une pleine poignée et adressa à Abraxas un geste d’invite.
- Par là, dit-elle tandis qu’il prenait lui aussi une poignée de poudre et qu’elle se plaçait au centre de l’âtre dans lequel elle avait jeté sa propre poignée. Blocksberg !
Elle s’évanouit dans une gerbe de flammes vertes et Abraxas s’empressa de l’imiter en faisant très attention de bien articuler le mot « Blocksberg ».
Quelques instants plus tard, il atterrissait dans une bâtisse pourvue d’une haute et large cheminée heureusement vide à cette heure de la journée, agencée comme celle d’une cuisine ancienne, mais qui empestait la charcuterie locale à plein nez.
Abraxas se rebella aussitôt, car il détestait cette odeur :
- Quel est cet endroit ? Demanda t-il un peu décontenancé et le nez offensé.
- C’est notre fumoir à jambon, répliqua Anna sans se formaliser de l’odeur une seule seconde.
- Vous possédez un fumoir à Jambon dans votre QG ?
- Nous sommes en Forêt Noire, mon bon Monsieur, répliqua t-elle sur un ton un peu supérieur. Bon, je dois avouer que celui-ci est adapté pour servir de lieu d’atterrissage pour nos partisans… Et qu’il ne sert pas qu’à fumer que du jambon d’ailleurs. Les potionnistes et les herboristes l’utilisent très fréquemment en été et en automne. Mais en hiver, il sert surtout pour les spécialités charcutières.
Devant son air pas franchement convaincu, elle ajouta :
- Il faut bien nourrir nos vivernières. Et la charcuterie bien conditionnée est un produit qui se conserve.
- Vous les nourrissez à base de charcuterie ?
Comme Abraxas, un peu offusqué, s’avançait vers la porte, Anna l’arrêta d’un geste ferme :
- Attention, c’est protégé par magie, dit-elle. Et pour ce qui est de la charcuterie, cela fait en effet partie des incontournables… Après, en ce moment nous essayons de moderniser un peu les rations en y introduisant des conserves stérilisées.
S’avançant vers la porte, elle dit à voix haute un mot en allemand qu’Abraxas ne comprit pas, le battant s’ouvrit aussitôt et ils débouchèrent dans une cour vaste, entourée d’une rangée de conifères et semée de quelques bâtiments, dont un plus majestueux que les autres qui ressemblait un peu à une église. Il était pourvu d’une magnifique charpente en bois.
En fait, ils avaient tous des charpentes en bois et étaient tous de belle facture mais c’est vers ce grand bâtiment qu’Anna dirigea ses pas :
- Qu’est-ce que c’est ? Lui demanda Abraxas.
- La Aula, répondit la jeune fille. C’est le cœur de notre QG et c’est là que vous allez rencontrer Emilia Backer, notre chef.
- C’est votre chef depuis longtemps ?
Anna se retourna et lui lança un regard extrêmement sérieux :
- Depuis la mort de ma mère, répondit-elle. Et laissez-moi vous dire qu’elle ne me porte pas forcément dans son cœur, surtout depuis que je me suis portée candidate pour l’épreuve du grimoire.
- Pourquoi donc ? Demanda Abraxas.
Anna hésita un peu et répondit doucement :
- Je préfère ne pas répondre. C’est assez personnel…
Ils ne purent en dire plus, car déjà la porte de la Aula se trouvait devant eux et Anna répéta le mot de passe :
- Aschwinderin !
Cette fois-ci, Abraxas l’avait distinctement entendu, mais il ne comprenait toujours pas.
- De quoi s’agit-il ? Demanda t-il.
- Des créatures magiques, répondit la jeune fille. Elles sont assez communes mais très dangereuses dans cette région où les maisons sont souvent fabriquées en bois, car elles sont capables de mettre le feu partout. C’est une vraie plaie pour les familles de la région.
- Vous parlez des Serpentcendres ?
Pour un mot de passe, c’était un mot de passe.
- Je crois qu’il s’agit en effet du nom que vous leur donnez, répondit Anna. Et ils causent pas mal d’accidents. Maintenant entrons.
Sur ces mots, elle passa la porte de la Aula le visage plein d’appréhension et l’expression farouche, comme une enfant qui se serait apprêtée à affronter une figure autoritaire quelconque.
Et autoritaire, Emilia Backer l’était. Abraxas le comprit dès l’instant où il entra dans la salle.
Debout face à une carte, les poings plaqués contre une table qui occupait le centre de la salle, elle observait le territoire d’un visage dur et aucun d’eux n’osa l’interrompre avant qu’elle-même ne lève la tête :
- Voyons ça, dit-elle au bout de quelques secondes, en fixant sur Anna un regard sévère et presque carnassier. Qui me ramènes tu donc ?
Espérant ménager la jeune fille, Abraxas répondit aussitôt :
- Je me nomme Abraxas Malefoy Madame. Je suis un sorcier anglais.
- Un Malefoy, répondit Emilia Backer. Issu d’une famille aussi richissime qu’influente donc. Et, si mes renseignements sont exacts, c’est à ton sujet que le roi des Ondins m’a contactée hier soir… Totalement furieux.
Abraxas déglutit tout en s’étonnant, mais déjà la sorcière s’avançait dans leur direction. C’était une femme blonde aux yeux d’un bleu de glace dont le visage fin commençait à peine à se rider. Grande, un peu large d’épaules mais fine et sculptée par l’exercice physique, elle portait une épée sur la hanche droite, ce qui semblait bien indiquer une combattante gauchère.
Elle écarta sans ménagement Anna qui avait tenté de s’interposer et se plaça directement en face d’Abraxas :
- Le roi Wallenstein est notre allié de longue date, lui dit-elle d’une voix menaçante. Et il me serait particulièrement désagréable que cela change à cause d’un petit impertinent qui se croirait au dessus de tout.
Abraxas sentait bien qu’elle en avait après lui. Pourtant, en définir la raison lui restait difficile, aussi il répondit :
- Pourquoi me dîtes-vous cela ?
Emilia Backer le toisa de toute sa hauteur et il eut de la peine à soutenir son regard :
- Toi et ton ami, dit elle. Vous avez abordé ses trois filles au Mummeleingarten hier soir, et vous vous êtes montrés avec elles d’une familiarité plutôt… Insistante.
- Ce n’est pas vrai, répondit vivement Abraxas, que ce mensonge révoltait. Ce n’est pas ce qui s’est passé hier !
- Vous niez avoir passé une bonne partie de la soirée avec Kuggelblitze, Feuersteine et Gletscher, les filles du roi Wallenstein ?
Son regard était nettement ironique mais Abraxas ne se démonta pas :
- Je nie, et en bloc, le fait de les avoir abordées, répondit-il. Je me suis assis dans cet estaminet avec mon ami afin de boire une bière, et ces trois femmes en rentrant après nous sont venues d’elles-mêmes et sans sollicitation de notre part, discuter avec nous à la même table. Quant-à de la familiarité, il ne me semble pas m’être montré irrespectueux ou même impoli envers elles.
- Cela est vrai, ajouta Anna à l’adresse d’Emilia Backer. J’étais là, c’est moi qui ai alerté ces deux jeunes hommes une fois qu’elles sont parties. Ils ignoraient presque tout de leur nature et ne savaient même pas que c’était des ondines.
- Comment est-ce possible ? Répliqua Emilia.
Anna expliqua d’une voix aussi posée que possible, mais on sentait la panique assez proche :
- Abraxas et son ami sont étrangers et ne connaissent pas vraiment les us et coutumes de cette région. Quant-aux sœurs Wallenstein, elles s’étaient vêtues comme les sorcières de haute famille que l’on peut trouver à Stuttgart ou Freudenstadt… Abraxas et Wladimir sont simplement et complètement tombés dans leur piège.
Depuis qu’elle avait commencé à parler, Emilia Backer fixait Anna d’un regard méprisant probablement destiné à l’intimider. Cependant la jeune fille ne se démontait pas et poursuivait.
- Les trois sœurs semblaient en avoir après eux en particulier, je l’ai vu de mes propres yeux et Burghart peut le confirmer. Nous étions là-bas ensembles… Elles sont rentrées comme si elles savaient déjà qui elles étaient venues trouver et ont usé de tous les charmes possibles pour les séduire. Personne n’aurait pu y résister.
Comme elle semblait avoir piqué l’intérêt d’Emilia Backer, elle se permit même de poser une question :
- Mais pourquoi le roi Wallenstein était-il furieux ? Ce n’est pas la première fois que ses filles fraient avec les humains.
- Il a estimé, expliqua Emilia. Que ce jeune homme et son compagnon s’étaient montrés extrêmement entreprenants avec ces filles, expliqua la vivernière. Mais il n’y a pas que cela.
- Quoi alors ? Demanda Abraxas.
- Tu aurais raconté à l’une d’elle avoir pénétré dans l’espace interdit de Nurmengard.
Le regard de la sorcière brillait de fureur et Abraxas, comprenant qu’il s’agissait là d’une faute, avoua :
- Cela est vrai Madame, c’est moi qui y aie entraîné Wladimir et c’est à cause de ce que nous avons vu à ce moment précis qu’Anna a voulu que je vienne ici vous trouver.
- A cause de la viverne ? Lui demanda t-elle sur un ton moqueur.
Elle savait donc, Abraxas sentit sa poitrine se comprimer sous l’effet de l’angoisse :
- Oui, répondit alors Anna. J’étais au Mummeleingarten quand je l’ai entendu en parler. Au début, j’ai cru qu’il s’agissait d’une vantardise pour briller devant les sœurs Wallenstein. Mais ce matin, après avoir reçu Abraxas et Wladimir chez moi, il m’a fallu me rendre à l’évidence. C’était vrai.
- La situation est grave, observa Emilia Backer, sans se départir de son regard méprisant envers Anna. Vous avez enfreint le Code magique en allant là-bas et cela serait déjà passible d’emprisonnement. Là dessus, vous revenez avec une information qui a tout lieu de nous inquiéter...
- Donc, dit Abraxas. Une ancienne partisane de Grindelwald a survécu, s’est cachée et vous soupçonnez qu’elle rôde autour de Nurmengard ?
- Exactement, répondit Emilia Backer. Mais, plus préoccupant encore est le fait que les filles de Wallenstein vous aient directement abordés à votre arrivée au village. Cela, je ne le savais pas...
- Quel rapport ? Demanda Abraxas.
Ce fut Anna qui répondit :
- Wallenstein, du moins nous le soupçonnons sans jamais avoir pu le prouver, était à un moment donné un partisan de Gellert Grindelwald. Or, jamais encore nous n’avions vu ses trois filles concentrer ainsi leur pouvoir sur des sorciers. Aussi, avec Burghart, nous avons directement fait le lien lorsque nous avons entendu votre récit.
- Entre Wallenstein, ses filles, Gellert Grindelwald et potentiellement la Wetterhexe, dit plus doucement Emilia Backer. Cela fait beaucoup de monde impliqué.
- Je croyais que le roi Wallenstein était votre allié, fit remarquer Abraxas.
Le récit des deux femmes lui semblait à cet instant assez incohérent :
- Aujourd’hui oui, répondit Emilia Backer. Mais, du temps de la mère d’Anna, ce n’était pas du tout le cas car il soupçonnait qu’il s’agissait d’une sorcière hybridée, ce qu’il ne pouvait supporter. Lorsque le Capitaine Klein a disparu dans la bataille de Nurmengard et que j’ai pris sa suite, nous avons en revanche pu négocier.
Elle ajouta tout en jetant à Anna un regard réprobateur :
- Je ne pense pas qu’il ait jamais été allié à Grindelwald, mais il en a fait le jeu à plusieurs reprise lorsque celui-ci a tenté de renverser l’Assemblée du Blocksberg. Pour lui, une assemblée dirigée par une hybride était quelque-chose d’insoutenable, pour la simple et bonne raison que le Capitaine Klein risquait de lui faire de l’ombre, voire d’obtenir un ascendant sur une partie des Ondins, notamment ceux qui avaient dérogé, leurs descendants et leur famille.
- Entre eux, cela a viré à la lutte de pouvoir, compléta Anna. Mais depuis la disparition de ma mère, Wallenstein ne faisait guère parler de lui dans le monde de la surface.
- Disons, expliqua Emilia Backer. Que j’ai négocié avec lui un plan de sauvegarde de nos intérêts conjoints et un pacte de non-agression. Après la capture du mage noir, nos relations sont même devenues plutôt cordiales.
- Et ce pacte tient en peu de mots, compléta Anna : Pas de mélange, pas d’agression mutuelle.
- D’où la gravité de ce qui s’est passé hier soir, insista Emilia Backer.
Abraxas en avait compris l’essentiel mais demanda tout de même :
- Puisqu’on parle de ce souverain, pourquoi laisser ses filles se mêler aux humains s’il ne veut pas de mélange ?
- Personne n’y peut rien, répondit Emilia. Il est dans la nature d’une ondine de frayer avec la surface et… Disons qu’elles agissent en éclaireuses pour lui.
- En espionnes vous voulez dire ?
La vivernière acquiesça :
- On peut dire cela oui, aussi, mais ce n’est pas particulièrement correct. Évitez d’employer ce terme.
Le son d’un cor retentit au dehors et, contournant la table, Emilia leur fit comprendre d’un geste que l’audience était terminée. Anna entraîna aussitôt Abraxas dehors et ne souffla qu’une fois parvenue sur le perron.
Le sorcier, lui, resta longuement émerveillé en sortant de la Aula :
L’entraînement des vivernières avait commencé et une dizaine d’entre-elles venaient de s’élancer dans les airs, arpentant le ciel à grande vitesse. Debout sur le perron de la Aula, il resta longtemps pensif à les observer, jusqu’à ce qu’il remarque que le regard d’Anna était triste :
- Quelque-chose ne va pas ? Lui demanda t-il.
Anna observait toujours les vivernes, comme si elle aurait tout donné pour pouvoir les rejoindre. Elle resta plusieurs secondes sans lui répondre, et puis soudain se décida :
- Ma sœur étudie à Poudlard car Albus Dumbledore, un grand ami de ma mère, l’a faite inscrire. Il aurait pu en être de même pour moi mais à l’époque j’ai refusé.
Comme elle avait dit cela en fixant les vivernes, toujours avec le même regard attristé, Abraxas devina :
- Vous vouliez devenir vivernière.
- J’étais vivernière, le corrigea t-elle. La viverne de mon père était venue vers moi à sa mort et j’étais capable de monter dessus depuis ce temps, Quartz était même devenu un véritable ami.
- était ? Demanda Abraxas.
- En 1943, Maria a été capturée par Grindelwald comme beaucoup d’autres jeunes sorcières et ma mère qui n’était pas vivernière pourtant a exigé de mener l’attaque contre Nurmengard. Elle m’a demandé de voler pour elle afin qu’elle puisse se rapprocher du bas de la forteresse et lancer son attaque.
- Son attaque ?
Abraxas craignait de comprendre et Anna le lui confirma aussitôt :
- Elle voulait faire exploser la muraille par le bas tout en occupant les défenses du château sur le haut, le principe de la diversion. Son plan a presque marché comme prévu mais, en pleine bataille, un sortilège de la mort à atteint Quartz et l’a tué. Nous nous sommes écrasées avec lui et même si elle était trop loin pour avoir une chance de faire effondrer la muraille, ma mère a déclenché la déflagration comme prévu. Seule une brèche s’est ouverte, suffisant pour entrer délivrer les prisonniers de Gellert Grindelwald mais pas assez pour pouvoir garantir la réussite d’une évasion massive. Elle a tout de même foncé avec sa troupe et je ne l’ai plus jamais revue comme la plupart des autres. Pourtant, l’entreprise a été un succès, contrairement à ce que beaucoup croient…
- Un succès ? Lui demanda Abraxas d’un air sceptique.
Pour toute réponse, Anna lui montra la dizaine de jeunes vivernières qui s’ébattaient dans le ciel :
- C’était elles les prisonnières, dit-elle doucement. Gellert Grindelwald avait entrepris de neutraliser nos forces vives en capturant la jeune génération. A terme il aurait ainsi muselé la région… Mais nous avons réussi à l’en empêcher, malgré de nombreuses pertes. Il y a aujourd’hui près de deux cent vivernières en Forêt Noire, celles que vous voyez aujourd’hui n’en représentent qu’une toute petite fraction.
- Je vois…
Il hésita un peu avant de lui demander :
- Emilia Backer vous en veut à cause de cette bataille ?
- Oui, répondit Anna. Elle avait supplié ma mère de renoncer et de la laisser commander, ou au pire de monter sur sa propre viverne avec elle… Mais ma mère, aveuglée par la peur que Maria meure, ne lui faisait pas confiance et pensait de toute manière qu’à deux adultes elles seraient trop lourdes.
- Cela n’a pas du être simple.
- Non, répliqua Anna. D’autant que ma mère a mobilisé sa propre troupe pour mener l’attaque du bas de la forteresse, cantonnant les vivernières en haut avec Emilia. Celle-ci m’en veut de ne pas avoir refusé de suivre ce plan, d’avoir mis délibérément ma viverne en danger et d’avoir rompu ainsi le code des viverniers. A présent que mes seize ans arrivent et que je passe l’épreuve du grimoire, cette rancœur ressort de plus belle.
Elle avait prononcé ces mots sur un ton détaché, mais son regard était plein de dureté.
- Et vous, devina Abraxas. Vous en voulez aux Ondins.
- Exact, répondit Anna. Je considère que leur roi est un idiot doublé d’un personnage avide de pouvoir.
- Parce qu’il combattait votre mère ?
- Oui, répondit la jeune fille. Je n’ai jamais connu mes grands-parents et ma mère ne se souvenait pas d’eux non plus. Mais il est très probable que ma grand-mère ait été une ondine. Aussi leur mort prématurée reste à mes yeux suspecte.
- Vous pensez qu’ils ont été tués par des ondins ?
- C’est assez probable en effet, répondit Anna. Mais au-delà de ça, le roi Wallenstein a tout fait pour que ma mère tombe, il a mis en danger son propre territoire et nous a volontairement divisés pour arriver à ses fins. J’ai également de bonnes raisons de croire qu’il a aidé Grindelwald a capturer de nombreuses jeunes sorcières lors de l’épisode de 1943.
- Quelles bonnes raisons ? Demanda Abraxas.
- C’est simple, répondit Anna. La plupart d’entre elles, et notamment Maria, ont disparu à proximité de cours d’eau, dont une grosse partie non loin du Schluchsee lors d’un exercice. Et la vivernière expérimentée qui les encadrait a été tuée. Sa blessure ressemblait énormément à un coup de trident.
Elle s’arracha soudain à la contemplation du spectacle des vivernières et lui dit :
- Rentrons maintenant. Et, juste une chose…
- Quoi ? Lui demanda Abraxas.
- Jusqu’à ce que tout cela soit réglé, évitez à tout prix les rivières et les lacs ! Leur proximité pourrait vous exposer à des attaques.