- Il allait à Francfort, dit-il aux autres en plein repas, le quatrième soir de leur présence. Il a fait étape ici avant de reprendre sa route pour Francfort.
- Cela pourrait être la prochaine étape de notre voyage, observa Abraxas. Mais penses-tu qu’il y soit arrivé ?
- Les dernières nouvelles que nous ayons eu de lui, nous les avons reçues alors qu’il séjournait à Rotterdam. Donc en toute logique, oui, il a du arriver à Francfort.
- Dans ce cas, répondit Abraxas. Nous devons nous aussi aller voir.
- D’autant qu’en ville, dit doucement Anna. Les ondins ne contrôlent pas les fleuves. Vous seriez en sécurité.
Ceci étant dit, le départ fut fixé au lendemain et Anna donna, à Wladimir cette fois, une carte portoloin afin qu’il puisse la contacter en cas de besoin.
Au petit matin, Abraxas et Wladimir chargèrent leurs affaires et utilisèrent un peu de poudre de cheminette afin de se rendre directement au sous-ministère magique qui se trouvait dans la Hesse, en périphérie de la ville.
Ayant réglé les principales formalités assez rapidement, ils s’installèrent dans un hôtel sorcier et, l’après-midi même, commencèrent à éplucher les archives en quête de Piotr Krum.
Il firent chou blanc de la manière la plus fameuse possible et durent se rendre à l’évidence :
- Ton frère n’a pas laissé de traces, dit Abraxas à Wladimir après une semaine de fouilles méticulleuses. Du moins, rien d’officiel.
- Pourtant, répondit le jeune homme désemparé. Il était ici…
Abraxas lui répondit sur un ton apaisant :
- Peut-être qu’en changeant de type de sources, nous pourrons retrouver sa trace.
Le lendemain, ils se mirent donc à faire la tournée des établissements, hôtelleries et boutiques sorcières, armés d’une photo du jeune homme pour tenter d’interroger les commerçants ou les clients. Encore une fois, ils restèrent sans réponse pendant un moment.
Enfin, après deux journées de recherches infructueuses, ils tombèrent finalement sur une piste qui leur semblait sérieuse, juste à la terrasse d’un pub :
- Je pense que je l’ai vu en effet, leur dit une vieille sorcière qui parlait avec un fort accent turc et consommait un café si fort que l’odeur leur piquait le nez. Oui je m’en rappelle, c’était il y a longtemps. Un russe très malpoli. Il a vendu un collier de perles de cendres dans la boutique là-bas.
Elle leur désignait une devanture noire derrière eux et Wladimir tressaillit à sa vue :
- C’est un magasin de magie noire, souffla t-il.
- Pour sûr, répliqua la sorcière. A qui d’autre voulez-vous vendre un truc pareil ? D’ailleurs le marchand lui en a donné un très bon prix malgré ses manières. Il n’y a pas beaucoup de sorciers qui se risquent à côtoyer les ondins dans le coin, et à l’époque c’était encore plus dangereux.
- Quel rapport avec les ondins ? Demanda Abraxas un peu déstabilisé.
La sorcière lui renvoya un regard étonné avant de demander à Wladimir :
- D’où vous le sortez cet anglais ?
Le jeune homme répondit, autant pour expliquer à Abraxas que pour calmer le jeu :
- Ce sont les ondins qui exploitent les perles de cendre. Ils élèvent une catégorie de coquillages d’eau douce qui les produisent, une créature magique qui vit notamment dans les ruisseaux de montagne. Seuls les ondins peuvent, non seulement les approcher, mais également leur faire produire ces perles.
- D’accord, répondit le jeune homme. Je pensais que c’était une huître spéciale mais bon…
- Moi en tout cas, répliqua sentencieusement la vieille sorcière. J’en vois une sacrément belle d’huître spéciale !
Vexé, Abraxas se détourna et entra dans la boutique d’un pas décidé. Wladimir le suivit, assez effrayé et plus hésitant, sa photo toujours à la main.
Il n’y avait personne dans toutes la boutique, cependant celle-ci était extrêmement bien achalandée, d’un point de vue de mage noir bien sûr. Deux mains de gloire étaient conservées dans une vitrine à l’entrée, divers bijoux maléfiques, objets anciens et meubles ensorcelés occupaient tout l’espace.
- C’est très sinistre, murmura Wladimir d’une voix tremblante.
- C’est une boutique qui vend des objets controversés, répliqua Abraxas qui examinait soigneusement tout ce qui se trouvait autour d’eux. Ohé ! Il y a quelqu’un ?
Pas de réponse, aussi les deux jeunes hommes arpentèrent les rayonnages, Abraxas toujours aussi curieux et Wladimir de plus en plus grimaçant. Sur tout un pan de mur, c’était des restes humains envoûtés qui étaient exposés.
- Oh, mon père avait une tête réduite comme ça ! S’écria soudain Abraxas d’une voix amusée en touchant l’objet en question.
Wladimir le regarda avec horreur mais n’eut le temps de rien faire, la tête réduite mordit à pleines dents le doigt d’Abraxas qui poussa un hurlement digne d’une fillette. Il se débattit un bon moment avant de réussir à la forcer à lâcher prise.
- Je ne suis pas une peluche ! Lui dit la tête réduite.
- Mais ça va ! Gronda le jeune homme, vexé une fois de plus. Pas la peine de mutiler les gens pour un truc pareil.
- J’espère, dit doucement Wladimir derrière lui. Que cette chose n’est pas venimeuse.
La tête réduite se tourna vers lui avec un air profondément offensé :
- J’étais un guerrier dans un autre temps, répliqua t-elle. Avec un sens de l’honneur extrêmement développé.
- D’où votre attaque en traître, fit remarquer Abraxas.
- Mon mignon, répliqua la tête réduite. Lorsqu’on a une dignité à protéger, il faut savoir faire des compromis. Mais pour commencer, dîtes-moi ce que vous désirez.
- Pourquoi ? Demanda Abraxas encore rancunier. C’est vous le gérant ici ?
- Je remplace le propriétaire qui s’est absenté pour la journée, répondit la tête réduite. Il y a aussi un autre employé mais… Il est parti faire une course ou deux.
Les deux jeunes hommes cherchèrent en vain quelqu’un dans la boutique. Sachant tout ce qu’elle renfermait d’objets chers, il était vraiment étrange qu’elle soit ainsi vide.
- Le propriétaire n’a pas peur de se faire voler des artefacts ? Demanda Wladimir.
La tête réduite lui adressa un sourire aussi doucereux que menaçant et répondit :
- Si vous volez, vous n’irez pas loin…
Ils frémirent, à présent convaincus que ce n’était pas là de vaines paroles.
- Ce n’est pas notre intention de toute manière, répliqua Abraxas. Mais vous, vous êtes là depuis longtemps ?
- Cent-deux ans au mois d’août, répondit la tête réduite. Pourquoi ?
- Dans ce cas, répondit Abraxas. Pourriez vous nous dire si vous avez vu, il y a quelques années, le jeune homme sur cette photographie venir vendre un objet ?
Disant cela, il avait saisi la photo de Piotr et la tenait devant le visage de la tête réduite qui plissa les yeux un long moment, l’air de réfléchir :
- Oui, dit-elle finalement. Je me souviens de lui. Il a empoché plus de cinq cents gallions contre le collier qui se trouve là-bas.
Elle désignait du regard une vitrine non loin et Wladimir s’en approcha avant de pousser un cri d’horreur :
- Raspoutine ! Il y a de quoi tuer un régiment là-dedans.
- De quoi s’agit-il ? Demanda Abraxas en s’approchant à son tour, curieux de voir quel objet pouvait valoir si cher.
C’était un lourd collier, fait de grosses perles noires irisées d’argent, une arme mortelle à n’en pas douter.
- Curieux non ? Dit la tête réduite avec un sourire. On ne voit pas beaucoup de bijoux qui en portent autant !
- Non, répondit Abraxas tandis que, très pâle, Wladimir reculait. En effet.
- Qu’est-ce que mon frère foutait avec ça ? Soupira t-il.
- Il avait besoin d’argent à première vue, lui répondit la tête réduite. Une histoire de dette à rembourser. En tout cas, le patron a vu deux gobelins rôder autour de la boutique juste après sa venue. Il s’est même demandé s’ils ne cherchaient pas à entrer.
- Bizarre, murmura Wladimir.
- Combien votre patron vend t-il ce collier ? Demanda Abraxas.
- Mille galions, répondit la tête réduite. Enchantements de protection compris.
Le jeune homme en prit note et, après avoir salué la tête réduite sans rancune, entraîna son ami hors de la boutique.
- On rentre à l’hôtel, dit-il.
- Déjà ? Demanda l’autre.
- Oui, répondit Abraxas. Nous devons parler.
Ils attendirent d’être dans la chambre de Wladimir, chambre qu’ils insonorisèrent immédiatement, pour parler franchement :
- Tu en penses quoi ? Demanda Abraxas à son ami.
- Je ne sais pas ce que Piotr aurait pu faire d’un objet de magie noire honnêtement. Je me demande si… Si on ne devrait pas contacter Anna.
- Quel rapport ? Demanda Abraxas.
- Ce collier a été fabriqué par des Ondins, c’est sûr. Aucun sorcier ne peut manier ces perles. Peut-être qu’en Forêt Noire ils sauraient des choses. Je vais lui envoyer un hibou et nous aviserons suivant sa réponse.
Abraxas acquiesçant, ils se séparèrent là dessus et le sorcier profita de sa soirée de libre pour visiter la ville, s’autorisant même à flâner du côté moldu. Elle était en pleine reconstruction cependant et il rentra au bout d’une petite demi-heure.
Quelques jours plus tard, alors qu’ils étaient attablés à leur petit-déjeuner et prévoyait pour la journée une visite de la grande banque des sorciers d’Europe continentale, Abraxas et Wladimir reçurent une lettre qui fut déposée à leur hôtel par une grande chouette effraie.
Avec angoisse, ils reconnurent le sceau du Blocksberg et Abraxas à qui elle était destinée la décacheta avec des gestes tremblants. Qu’avaient-ils donc pu dire à Anna de si sensible pour qu’elle charge le Blocksberg de leur répondre ?
A la lecture du message cependant, son cœur se s’accéléra brusquement et la surprise lui fit l’effet d’un coup de poing dans le ventre :
« Abraxas,
Ici Emilia Backer,
Votre relation avec Kuggelblitze, fille de Wallenstein roi des Ondins, a des conséquences aussi importantes que dangereuses malgré sa brièveté. Et je ne parle pas simplement de vos récents ennuis de santé.
Pour votre sécurité et la nôtre, revenez rapidement en Forêt Noire, contactez Anna et dîtes-lui de vous amener au Blocksberg. Cela doit être réglé dans les plus brefs délais car votre vie et votre réputation sont en danger. Le roi Wallenstein accepte de différer jusqu’à la prochaine lune pour négocier avec vous. Mais passé ce délais, vos actes seront publiés. Je pense que nous savons tous les deux ce que cela signifie pour vous.
En espérant vous voir sous peu et en vie. »