Un pied après l’autre, Fleur gravissait l’escalier fait d’un marbre aussi blanc que la neige qui recouvrait habituellement les Pyrénées. Quelques fissures minces, noires, et brillantes, parsemaient çà et là le sol de la banque de Gringotts. C’était un beau bâtiment – Roger ne lui avait pas menti en décrivant l’année passée le faste de la banque sorcière britannique – mais elle lui préférait toujours la Banque Éponine (1). Le boulevard de l’Hôpital, marquant la séparation entre le cinquième et le treizième arrondissement parisien – et du même coup la séparation entre le Paris sorcier et le Paris Moldu – avait tout de même plus de classe que Charing Cross et son vulgaire Chaudron baveur.
Les Anglais étaient décidément bien étranges. Pour accéder aux escaliers, elle avait dû passer une porte, certes monumentale mais en bronze. Pourquoi choisir le bronze plutôt que l’or ou l’argent quand on pouvait se targuer d’être la banque sorcière la plus riche d’Europe ? Lorsqu’elle fut arrivée en haut des escaliers, elle passa enfin une porte toute faite d’argent, et elle eut une petite moue amusée. Peut-être aurait-elle droit à sa porte dorée, finalement ? Mais quand ? Deux gobelins qui encadraient l'entrée du sas pointèrent avec véhémence à l'aide de leur sonde quelque chose au-dessus de sa tête. Un bien beau poème figurait sur la porte d'argent :
Ses yeux parcoururent les gravures avec attention, mais elle secoua la tête avec une petite moue agacée. Ce fut un peu comme si l’avertissement était tombé dans l’oreille d’une sourde. Son niveau d’anglais ne lui permettait pas encore d’en comprendre toutes les subtilités. Les mots de fin de vers étaient ceux qu’elle comprenait le mieux, parce qu’ils ressortaient particulièrement, mais entre deux mots connus se trouvaient souvent un ou deux autres dont le sens lui échappait encore. Elle croyait comprendre entre les lignes qu’il ne faudrait pas qu’elle s’avise de voler quoi que ce soit, et cela tombait bien : elle ne venait pas pour voler, mais pour travailler.
Elle franchit d’un pas vif le sas, tandis que les deux gobelins la toisaient avec méfiance, et pénétra enfin dans le grand hall. Celui-ci était absolument somptueux. Le marbre blanc recouvrait toujours le sol jusqu’au fond de la salle, qu’elle discernait à peine. Mille dorures striaient les murs et le plafond, incrustés de matériaux précieux dont elle parvenait à identifier certains – platine, zinc, quartz, rubis, ou encore diamant – même si c’était la première fois de sa vie qu’elle voyait quelques autres. Quelle était cette pierre splendide faite de différentes nuances de bleus profonds ? Elle secoua la tête, elle aurait tout le temps d’admirer les pierres et les métaux précieux à un autre moment. Son regard s’abaissa, et elle fut momentanément déstabilisée par le nombre de gobelins qui travaillaient le long des comptoirs qui bordaient l’allée centrale sur une bonne centaine de mètres. Elle s'affola. Il y avait bien trop de guichets ! Et bien trop de banquiers ! Avec lequel d’entre eux devrait-elle s’entretenir ? Quelle langue devrait-elle leur parler ? Anglais, français, Gobelbabil ?
« Bonjour, excusez-moi ? »
Elle avait opté pour l'anglais. Son accent était à couper au couteau, mais au moins elle ne contrarierait personne. Les gobelins n'étaient pas réputés pour leur gentillesse, aussi elle ne voulait pas risquer de massacrer par mégarde leur propre langue.
« Excusez-moi ? » répéta-t-elle d'une voix forte.
Un crâne blanc – à moitié dégarni – lui faisait face, et le gobelin auquel elle s’était adressée par deux fois ne daignait visiblement pas lui adresser un regard. Il grattait au contraire un long parchemin rempli de ratures et d’écritures à l'encre rouge. Elle préférait ne pas savoir qui pouvait posséder un compte en banque en si piteux état.
« Vous avez raison de vous excuser. On s’excuse quand on dérange, marmonna le gobelin avec un sourire qui n'était sans doute pas adressé à elle. Enfin, le mieux reste tout de même de ne pas déranger.
— Mais enfin c’est insensé ! s’indigna la demi-Vélane. J’avais rendez-vous !
— Vous ne savez pas lire ? »
Il pointa de son doigt crochu la plaque en fer devant lui : « Gornuk, occupé ».
« Votre nom ?
— Fleur Delacour. Je suis envoyée de France pour…
— Ah, c’est vous… »
Il avait repoussé son parchemin d’un air dégoûté.