Décembre 2003
La semaine passa rapidement. Susan avait reçu une nouvelle commande d’histoires de la part de Mon premier grimoire et, la fin de l’année approchant, de nombreuses personnes venaient solliciter les écrivains publics. Elle avait même vu débarquer des enfants qui voulaient de l'aide pour écrire leur lettre à Merlin pour les fêtes.
Le vendredi arriva, et la soirée chez Parvati et Hannah avec lui. C’était le dernier week-end de novembre. Le froid s’était définitivement installé dans le pays, le brouillard perdurait de plus en plus tard chaque matin - et tombait chaque soir plus tôt.
Susan et Alicia arrivèrent une vingtaine de minutes après l’heure prévue – raisonnablement en retard, pour ne pas être les premières – deux bouteilles de vin des Elfes avec elles. Elles furent accueillie par une Hannah visiblement très joyeuse. Elle avait probablement quelques verres d’avance, en témoignaient ses joues rosies.
« Susie ! Alicia ! Bienvenue, bienvenue, entrez dans notre humble demeure… », s’écria-t-elle tout en les gratifiant d’une chaleureuse étreinte.
Les deux jeunes femmes laissèrent leurs capes et leurs bouteilles entre les mains de leur hôte, et s’avancèrent dans un étroit couloir jusqu’au grand salon qui hébergeait la soirée. Parvati et Hermione Granger étaient plongées dans une discussion sur l’un des canapés, plusieurs livres à la main. Lavande Brown était assise devant elles, sur des coussins, et regardait avec Ginny Weasley des photos apportées par Luna. Sur le sofa d’en face, Leanne Mingus racontait une histoire en faisant de grands gestes. Elle était entourée de deux amies américaines d’Hannah dont Susan était presque sûre qu’elles s’appelait Kelsie et Joyce, et de…
« Katie ! » s’exclama Alicia en voyant son ancienne coéquipière de Gryffondor, Katie Bell. Les deux femmes tombèrent dans les bras l’une de l’autre. Elles étaient restées très amies après Poudlard, mais elles se voyaient peu. Katie vivait en grande partie en France, et ne rentrait qu’occasionnellement au Royaume-uni. Elle avait décidé au dernier moment de venir ce week-end-là, mais Hannah avait proposé à Susan de faire la surprise à Alicia. A en juger sa réaction, c’était réussi.
« Tu veux une bièraubeurre, Susie ? » Susan fut tirée de ses pensées par Hannah qui revenait vraisemblablement de la cuisine, et faisait flotter devant elle un plateau rempli de chopes. Susan en attrapa une en remerciant son amie, et alla saluer Parvati et Hermione. Elle venait de s’asseoir à côté d’elles et de commencer à parcourir leur pile de livre, quand on sonna de nouveau. Parvati se leva à son tour pour aller ouvrir : « Normalement, ce sont les dernières ! »
Susan sentit un grand sourire étirer ses lèvres quand elle vit qui étaient « les dernières ». Il s’agissait de Megan Jones, l’une de ses camarades de dortoir et amie d’enfance. Elle était accompagnée de son amie, ou petite amie selon les moments, Leila Meadowes. Megan se jeta sur Susan dès qu’elle l’aperçut. Les deux amies ne s’étaient pas vues depuis un moment. Megan était souvent en vadrouille et il leur était difficile de se croiser durablement.
Une fois que toutes les jeunes femmes furent installées sur l’un des deux sofa ou sur les coussins, chacune un verre à la main, Hannah et Parvati se levèrent. Susan sourit ; son amie avait toujours eu le goût de la mise en scène, et elle avait trouvé une alliée en Parvati pour ce genre de moments. Hannah agita sa baguette, et un tas de plaids colorés vint se poser à côté du canapé. Des petites lampes de papiers colorés vinrent flotter dans les airs, tandis que des plats de douceurs sucrées et salées arrivaient de la cuisine, sous les applaudissement des présentes. La jeune femme s’exclaircit la voix :
« Hum, hum… Comme vous le savez toutes, ou presque, voici la deuxième édition de la réunion de sorcières la plus stylée de Grande-Bretagne, annonça-t-elle, déclenchant des éclats de rire. L’an dernier, la première édition a été un franc succès, et a permis de belles révélations et de nouvelles amitiés. Parvati et moi sommes donc très heureuses de vous accueillir de nouveau pour cette soirée placée sous le signe de l’amitié. A la vôtre ! »
Les filles applaudirent avec force « bravo » et cris d’encouragement. D’un coup de baguette, Parvati alluma un gramophone posé dans un coin, et une musique entraînante, un peu rock, s’éleva dans la pièce, en fond sonore des conversations.
Susan se retourna vers Megan et Leila, qui s’étaient assises sur un gros fauteuil juste à côté du canapé sur lequel elle se trouvait. Les deux filles lui racontèrent ce qu’elles avaient fait des six derniers mois, et Susan fit de même. Elles furent bientôt rejointes par Hannah, qui se baladait entre les convives avec une bouteille de bièraubeurre à la main.
Une trentaine de minutes plus tard, Megan se leva pour aller aux toilettes, et Leila alla rejoindre les quelques filles qui fumaient à la fenêtre. Susan se retourna vers la pièce et observa ses amies. La majeure partie des anciennes Gryffondor était plongée dans une conversation apparemment intense, dont des éclats de rire s’échappaient parfois. Katie racontait quelque chose à Alicia avec énergie, sous le regard mi-attendri, mi-moqueur de Leanne. A côté, Joyce feuilletait des exemplaires du Chicaneur sous les conseils de Luna, qui s’était enroulée dans un plaid multicolore. Hannah intercepta Megan qui revenait dans le salon, et se lança dans une histoire dont elle avait le secret, à grands renfort de gestes et d’exclamation.
Soudain, la musique changea et Parvati poussa un cri d’excitation. Elle se leva brusquement, s’écarta du petit groupe de Gryffondor et, attrapant Lavande par la main, l’entraîna au centre de la pièce où les deux ex-Gryffondor improvisèrent une piste de danse. Hannah réagit au quart de tour, marmonnant un sort pour écarter les meubles et les coussins, puis rejoignit sa colocataire sur la piste, suivie de Megan.
Susan croisa le regard d’Alicia, qui lui sourit joyeusement. Ce morceau des Bizarr’ Sisters jouait lorsqu’elles s’étaient reparlées vraiment pour la première fois après la guerre, à une soirée chez Lee Jordan. Susan y avait été entraînée par Hannah, elle-même invitée par Neville et Parvati. Elle avait eu peur de ne se retrouver qu’avec des Gryffondor plus âgés, mais un bon nombre d’ancien et d’anciennes de l’Armée de Dumbledore était présent. C’était d’ailleurs après cette soirée que leurs réunions festives étaient devenus plus fréquentes.
Perdue dans ses pensées, Susan se rendit compte au dernier moment qu’Alicia s’était levée, elle aussi, et se trouvait devant elle. Son amoureuse lui tendit la main sans un mot et les deux femmes rejoignirent leurs amies sur la piste de danse improvisée.
La soirée fut joyeuse et amusante jusqu’au bout. Susan but beaucoup, à tel point qu’elle fut prise d’un fou rire avec Hannah, qui dura une vingtaine de minutes, sans que les deux amies ne sachent plus pourquoi il avait commencé. Vers la fin de la soirée, alors que plusieurs des invitées étaient parties, Susan se retrouva près de la fenêtre ouverte, heureuse de sentir l’air froid de l’extérieur sur ses joues rougies par l’alcool et la chaleur. Lavande était là également, et lui adressa un beau sourire.
« Lavande ! Tu tombes bien ! », s’exclama Susan avec enthousiasme, sous les rires de l’autre sorcière. « Ha, ha, désolée, j’ai un peu trop bu… Je ne devrais pas parler de ça maintenant d’ailleurs, mais Luna m’a parlé de ta nouvelle rubrique, à Sorcière Hebdo, et elle m’a dit que peut-être… Mes textes… Enfin, il paraît que vous cherchez des jeunes plumes et…
- Oui ! Luna m’a dit », lui répondit Lavande avec presque autant d’enthousiasme, mais un peu moins d’alcool dans la voix. « Ce n’est clairement pas le lieu et l’heure pour en parler, mais ça m’intéresserait beaucoup de voir ce que tu écris, et si on peut bosser ensemble… Ecoute, est-ce que tu aurais le temps pour un déjeuner, la semaine prochaine ? Tu peux venir vers nos bureaux, on est près du Chemin de Traverse…
- Oh oui, avec plaisir, faisons ça !
- Super, je t’envoie un hibou lundi pour qu’on se mette d’accord ! Je vais aller me coucher là, je pense, mais j’ai hâte qu’on reparle de tout ça », termina-t-elle en gratifiant Susan d’une simple bise. Lavande s’éloigna, et Susan resta un moment sur place, un peu hébétée. Elle était heureuse de cette potentielle opportunité d’écrire plus… Et un peu embarrassée, aussi – elle avait toujours eu un petit crush sur Lavande Brown, ce n’était un secret pour aucune de ses amies.
« J’ai tout vu », murmura malicieusement Alicia à son oreille, avant d’éclater de rire quand Susan sursauta, portant sa main à son coeur. Le crush de Susan sur Lavande était une blague récurrente entre les deux femmes. « Tu es prête à partir ? Les autres s’en vont aussi, et je pense qu’il est temps que tu ailles dormir », fit remarquer Alicia avec un regard affectueux. Susan lui attrapa le bras et hocha la tête, marmonnant son assentiment. Les deux filles prirent congé d’Hannah et Parvati, et rentrèrent chez elles en transplanant.
Susan se réveilla le lendemain avec les bras d’Alicia autour d’elle, un mal de tête encombrant et un sourire aux lèvres. Elle n’avait pas eu de gueule de bois de cette envergure depuis longtemps, mais l’occasion valait le coup. Il était rare que la bande de copines puisse se réunir ainsi. Et ce d’autant plus que toutes n’étaient pas aussi proches les unes des autre. La colocation entre Parvati et Hannah avait permis de rassembler un petit groupe de sorcières soudées. Si au début, elles partagaient principalement des souvenirs d’école et de la guerre, la relation de Susan avec chacune d’entre elle avait le potentiel de mener à plus, elle en était certaine.
La sorcière se tourna vers Alicia, qui commençait à remuer. Les rayons du soleil qui passaient à travers les rideaux de leur chambre illuminaient sa peau brune, créant ces teintes cuivrées que Susan adorait. Elle déposa de légers baisers sur les épaules de sa compagne, et bientôt les yeux de celle-ci commencèrent à papillonner, jusqu’à s’ouvrir complètement.
« Madame Bones, vous me semblez bien trop réveillée pour quelqu’un qui a tant bu hier... », parvint à articuler Alicia dans un grognement. Susan éclata de rire.
Après un réveil particulièrement agréable, suivi d’une douche commune tout aussi agréable, Susan et Alicia prirent un long brunch. Elles passèrent le reste de la journée entre leur lit et le canapé. Après avoir débriefé les anecdotes et les potins de la soirée de la veille, elles discutèrent de leurs projets pour les fêtes de fin d’année. Décembre commençait le lendemain, et Susan savait qu’Alicia adorait cette période de l’année. Les amoureuses profitèrent largement du reste de leur weekend – c’était la première fois depuis plusieurs semaines qu’elles avaient toutes les deux du temps – et le terminèrent aussi bien qu’elles avaient commencé.
Lavande tint sa promesse et envoya un hibou le dimanche, et les deux sorcières convinrent de se retrouver pour déjeuner le mercredi. La veille du rendez-vous, Susan s’assit à son bureau et ressortit son fameux dossier « Divers » afin de voir s’il y avait des choses qu’elle pouvait montrer à Lavande. Elle retint dix parchemins, et nota quelques idées en plus dans le carnet qu’elle gardait toujours près d’elle.
« Susan ! » L’intéressée se retourna en entendant crier son nom. Quelques mètres plus loin, Lavande lui faisait de grands signes par dessus la foule de Moldus qui se pressaient sur Oxford Street. Lavande lui avait donné rendez-vous dans un quartier moldu, non loin du Chemin de Traverse et des bureaux de Sorcière Hebdo. Susan fendit la foule pour se retrouver face à l’autre sorcière, qui lui adressa un sourire chaleureux. Les deux femmes eurent un moment d’hésitation, ne sachant vraiment comment se saluer, puis Lavande se pencha vers Susan pour une étreinte rapide. « Viens, c’est par là », s’écria-t-elle après l’avoir relâchée.
Elles se frayèrent un chemin au milieu des travailleurs en pause déjeuner et des touristes en plein shopping. Cinq minutes plus tard, elles étaient attablées dans un petit restaurant italien moldu, qui sentait bon l’origan et le fromage fondu. Sur les conseils de Lavande, Susan commanda une pizza aux légumes, tandis que la journaliste hésitait entre des gnocchis au potiron et des penne all’arrabiata.
« Tu viens souvent déjeuner côté moldu ? demanda Susan une fois que le serveur fut reparti avec leurs commandes.
- Oui, quasiment tout le temps à vrai dire ! Enfin, non, en général j’apporte mon propre déjeuner au bureau, il y a une salle où nous pouvons nous retrouver. Mais si je veux manger dehors, je préfère venir côté moldu… Sur le Chemin de traverse, on n’est jamais tranquille, on croise toujours des gens que l’on connaît, avec qui on est obligé de faire la conversation… »
Susan sourit. Elle ne pouvait pas nier que c’était une description fidèle du Chemin de Traverse - c’était particulièrement vrai aux heures de déjeuner.
« … Et puis, continua Lavande, tant qu’un sorcier ou une sorcière italienne n’ouvriront pas de restaurant sur le Chemin, je continuerai à venir chez les Moldus pour manger une bonne pizza ou des vraies pâtes ! »
Cette fois, Susan éclata franchement de rire et acquiesça. Les deux sorcières échangèrent des nouvelles et discutèrent de la soirée du vendredi jusqu’à l’arrivée de leurs plats.
Lavande entra finalement dans le vif du sujet au milieu de ses penne.
« Alors, je crois que Luna t’a parlé de ma nouvelle rubrique chez Sorcière Hebdo…
- Oui, enfin, elle ne m’a pas donné de détails, elle m’a juste dit que ta cheffe essayait de moderniser un peu la ligne du journal pour rajeunir le lectorat, et que vous cherchiez aussi des non-journalistes…
- Oui, c’est un peu ça. Notre nouvelle rédactrice en chef, Gloria Cottin, est américaine. C’est elle qui a dirigé la relance de Nimüe, l’un des plus gros magazines féminins américains, en 1995. Le journal était en perte de vitesse depuis plusieurs années, et a trouvé un nouveau souffle avec sa nouvelle formule…
- Et tes patrons ont fait venir Gloria Cottin pour faire pareil avec Sorcière Hebdo, devina Susan.
- Tout à fait. Je crois que Mrs Envers, notre big boss, l’avait déjà contactée peu après le succès de Nimüe, mais Gloria est sang-mêlée et s’inspire des médias moldus, donc…
- … C’était pas le bon moment avec la guerre, termina Susan avec une grimace.
- Voilà. Et même sans ça, ça aurait été difficile à faire accepter aux actionnaires du journal, qui venaient de « vieilles » familles sorcières. Mais plusieurs d’entre eux ont perdu de l’argent après la déchéance des Mangemorts, continua Lavande avec un sourire féroce, et depuis la composition du CA a pas mal bougé… Et ils ont pu embaucher Gloria. Elle est arrivée l’an dernier, et il se trouve qu’on s’entend très bien. J’avais un peu peur qu’elle soit comme mon ancienne cheffe, Christine, qui franchement était une chieuse prête à écraser tout le monde pour son propre profit. Mais pas du tout ! Elle est très directe, quand on foire elle le dit clairement, mais elle est aussi très juste et de bon conseils, et elle s’intéresse particulièrement aux « jeunes »…
- C’est chouette, tout ça !
- Oui, c’est très agréable de bosser avec elle ! Pour l’instant son arrivée ne s’est pas encore vue, sauf peut-être dans la ligne éditoriale, un peu. Mais – tu gardes ça pour toi – on prépare une nouvelle version du magazine, qui sortira au printemps. Et je vais superviser une des nouvelles rubriques de cette formule, ajouta Lavande avec un petit sourire.
- Félicitations !
- Merci », répondit la sorcière avec un gracieux signe de tête.
Susan se sentir rougir malgré elle. Elle avait toujours admiré sa camarade de Gryffondor. Plus qu’une « simple » beauté, celle-ci dégageait depuis leurs quinze ans une confiance en elle qui l’impressionnait un peu. C’était d’autant plus impressionnant aujourd’hui : Lavande avait été très durement touchée par la guerre, aussi bien physiquement que mentalement, et Susan savait qu’elle avait traversé une période très sombre dans les mois qui avaient suivi la bataille. Mais elle avait tenu bon. La Lavande d’aujourd’hui était tout ce que Susan aurait imaginé pour elle à Poudlard – une lueur triste dans le regard, et quelques cicatrices, qu’elle arborait désormais fièrement, certaines recouvertes de tatouages, en plus. Ce n’était pas une surprise si elle avait obtenu si tôt une promotion importante : Susan savait que Lavande était une excellente journaliste, et elle ferait sans doute une très bonne cheffe de rubrique.
Susan se concentra de nouveau sur ce que racontait Lavande :
« L’idée de cette rubrique est de s’ouvrir à d’autres formats que ceux que nous utilisons habituellement dans Sorcière Hebdo. Donc pas de reportages, d’interview ou d’articles d’actualité. Enfin, il pourra y avoir des reportages, mais il faut que ce soit avec une qualité littéraire en plus. Gloria aime beaucoup la non-fiction, c’est un genre qui est très populaire chez les moldus…
- Oui, je vois ce que c’est. Le Chicaneur en fait déjà un peu, non ?
- Oui, tout à fait ! Honnêtement, Le Chicaneur s’en sort bien mieux que nous actuellement, et depuis que l’équipe a été rajeunie on est à peu près sûres que certaines de nos lectrices se tournent vers là… Enfin bon, donc cette rubrique n’a pas encore de nom, on y réfléchit, mais je serai en charge. On n’y publiera pas d’articles factuels, ni de fiction pure et dure, mais ça peut être tout ce qui tombe entre les deux : des essais, des enquêtes un peu longues et incarnées, des articles d’opinion, des récits de voyage, des journaux « intimes », des témoignages… On n’est pas les seules à avoir l’idée, je suis à peu près sûre que Lee veut introduire le même types de textes dans sa revue. Mais ce n’est pas grave, on n’a pas tout à fait la même ligne éditoriale, ni le même public…
- Et donc, ce serait quoi ta ligne ?
- Moi, ce que je veux, c’est donner la parole aux sorcières, déclara Lavande avec passion, une étincelle dans les yeux. Dans nos médias, l’opinion est encore trop dictée par des vieux sorciers plein de privilèges, qui se sont à peine mouillés pendant la guerre et qui ne voient pas que notre société avance. Même chez Sorcière Hebdo, jusqu’à récemment nos actionnaires étaient tous des vieux sang-pur et des femmes complices qui voulaient dicter ce que devait être une « bonne » sorcière… Honnêtement, je m’y suis laissée prendre aussi, j’ai passé mon adolescence à essayer de me conformer à ce que je pensais qu’on attendait de moi. Mais on n’est plus des ados, on a traversé des choses que tous ces gens n’imaginent même pas, et j’ai envie qu’on donne d’autres exemples aux futurs jeunes sorcières – et sorciers, s’ils sont prêts à les entendre. Donc l’idée, c’est que tout ces types de textes dont je te parlais, on en publiera un par semaine, peut-être plus si ça marche, et pour l’instant j’ai prévu de faire écrire des femmes en priorité – on ne le dit pas comme ça aux chefs, mais Gloria est d’accord. J’ai envie que ce soit un lieu de partage d’expériences, d’émotions… Que des sorcières de tout âge, tout horizon nous racontent comment elles voient le monde, les expériences qu’elles vivent, et tout ça sans le filtre du journaliste qui retranscrit leur témoignage – même si c’est aussi important d’en avoir. Qu’est-ce que tu en penses ?
- C’est… C’est une idée fantastique », répondit Susan en s’éclaircissant la gorge.
Elle était un peu émue par les propos de Lavande et la passion qui se dégageait d’elle. Celle-ci ne parut pas s’en formaliser, et lui répondit par un grand sourire.
« Tu as apporté des textes, non ? Tu veux me montrer ?
- Euh, oui, oui… Mais par contre ce n’est rien de construit, je ne suis pas du tout sûre d’avoir le niveau pour un tel projet… C’est juste que… Euh, je fais pas mal d’écriture automatique en ce moment, je me suis mise un peu à… Exorciser ? Certains moments, certaines angoisses… Donc bon, ce n’est pas très joyeux, mais voilà… »
Rougissant de plus belle, Susan se pencha vers son sac pour attraper le dossier de parchemin, qu’elle tendit à Lavande. Celle-ci souriait toujours, et commença à parcourir les parchemins, les sourcils froncés et l’air concentré. Susan, un peu gênée comme toujours quand quelqu’un lisait sa prose devant elle, bredouilla une excuse et se leva pour aller aux toilettes.
Elle revint cinq minutes plus tard, et trouva Lavande toujours en pleine lecture. Elle avait réparti les parchemins en deux piles, et celui sur lequel elle était penchée était le dernier du dossier.
Susan se rassit lentement. Un serveur avait dû passer, leurs assiettes avaient été débarrassées et la carte des desserts se trouvait désormais devant elle. Elle l’ouvrit pour s’occuper pendant que Lavande finissait sa lecture. Elle se décida pour une mousse aux trois chocolats qui lui donnait très envie.
« Oh, il y a des desserts ? Je vais me laisser tenter je pense ! », annonça Lavande d’un air satisfait après avoir reposé le dernier parchemin sur la pile de gauche. Le serveur – Steve, indiquait son badge – réapparut et les deux sorcières commandèrent leur dessert. Susan prit une grande inspiration et releva timidement les yeux vers Lavande. Celle-ci la regardait avec un sourire enthousiaste, les mains croisées devant elle sur la table.
« Susan Bones, je sens que nous allons faire de belles choses toutes les deux ! »
Quand elle rentra chez elle dans l’après-midi, Susan trouva la chouette du club d’Alicia qui l’attendait sur le rebord de la fenêtre de la cuisine. Elfrida était une chouette hulotte qui, avec son frère Wronski, servait aux joueurs et joueuses du club à communiquer avec leurs proches ou avec l’extérieur.
Susan ouvrit la fenêtre et laissa la chouette atterrir sur la table de la cuisine. Elle prit quelques biscuits dans la boîte de Miamhibou de sa propre chouette, et les apporta à Elfrida. Celle-ci se laissa caresser un moment, avant de se détourner avec impatience pour se concentrer sur ses friandises, abandonnant son chargement.
Ce n’était pas un morceau de parchemin, comme Susan l’avait d’abord cru, mais un bout de tissu qui ressemblait beaucoup aux chiffons qu’Alicia utilisait pour entretenir son balai. Susan le déplia : sur le tissu en question s’étalaient quelques mots. Les lettres étaient plus maladroites que d’habitudes, et l’encre avait un peu bavé, mais il s’agissait bien de l’écriture reconnaissable de son amoureuse.
« Rupture parchemin. Réunion tard. Ne m’attends pas dîner. »
Susan éclata de rire ; le secrétaire du club, Ivan, était un sorcier efficace dans les situations de crise, et excellent en comptabilité. Il suivait précisément les demandes de matériel, le calendrier du club et le courrier des coachs. Mais il oubliait fréquemment de commander des fournitures pour son propre bureau. Toutefois, c’était d’habitude plutôt de l’encre qui manquait : Susan avait ainsi déjà reçu des messages d’Alicia écrits au rouge à lèvres ou au crayon pour les yeux. Une rupture de parchemin était une grande première, mais elle devait avouer qu’Alicia avait fait preuve d’inventivité.
Susan posa le bout de chiffon dans le panier à courrier, vérifia que les chouettes se portaient bien, et se prépara une tasse de thé. Elle alla ensuite dans le salon, et s’assit dans son sofa préféré – un confortable meuble jaune moutarde qu’elle avait placé à côté de la fenêtre. Juste au-dessus, des petites étagères supportaient des plantes grasses et une plante grimpante. C’était son « coin Poufsouffle », selon Hannah et Alicia.
Elle laissa son regard dériver vers l’extérieur. Dans la rue, les passants vaquaient à leurs occupations. Deux enfants semblaient se courir après, tandis qu’une vieille dame noire promenait un tout petit chien engoncé dans un « vêtement » violet, assorti au tailleur de sa maîtresse.
Susan but une gorgée de sa tasse, et repensa à son déjeuner avec Lavande. Elle avait été soulagée de la voir si enthousiaste après la lecture de ses textes, il fallait l’avouer. Le projet avait l’air passionnant, et Susan trouvait formidable qu’un hebdomadaire si influent auprès des sorcières de tout âge fasse des efforts dans une direction plus responsable que celle qu’il avait suivi jusque là. Elle se souvenait encore des ragots que Sorcière Hebdo rapportait lorsqu’elle était à Poudlard, et que ses amies dévoraient au petit déjeuner. Sa tante Amelia lui avait toujours dit de se méfier de certains journalistes – et de multiplier ses sources d'information. Mais tout le monde n’avait pas la chance d’avoir la grande Amelia Bones comme tante… Et certaines de ses camarades avalaient tout cru ce que leur racontait Sorcière ou La Gazette. Voldemort et ses partisans l’avaient très bien compris, d’ailleurs.
Elle pensa à Amelia – celle-ci aurait-elle été fière que sa nièce participe à une telle initiative ? Sûrement. Elle pensait souvent à elle dans tout ce qu’elle faisait, en particulier dans son écriture, et il en serait de même pour cette rubrique.
Lavande s’était montrée très intéressée par les textes écrits après certains rêves, et par ceux qui exploraient les sensations et les traumatismes liés à ses souvenirs de la guerre.
« On a beaucoup parlé des conséquences matérielles et politiques de la guerre, et même des blessures physiques – je suis bien placée pour le savoir. Mais tout cela commence à cicatriser, et on ne parle que très peu de ce qui cicatrise plus lentement. Les traces mentales, les trauma, les peurs et les angoisses qui restent ancrées en nous… Nous avions 18 ans, Susan, que dis-je, 16 ou 17 pour certains, et nous nous sommes retrouvés en première ligne d’une guerre que nous n’avions pas choisie. C’est aussi pour ça que je veux donner la parole à notre génération. Nous avons aussi des choses à dire sur le passé. Nous avons des choses à dire sur la santé mentale – le monde sorcier a besoin de se préoccuper de sa santé mentale. »
Les quatre parchemins qu’elle avait déposés sur la pile de droite était des récits à la première personne, dans lesquels Susan évoquait le poids de ses angoisses et de ses souvenirs dans sa vie quotidienne. Lavande les jugeait déjà bien abouti et souhaitait les emmener avec elle pour les faire lire à sa cheffe. Elle enverrait ensuite des suggestions potentielles à Susan par hibou.
La pile de gauche était constituée d’autres textes, parfois plus courts, parfois non.
« Il y a là des choses très intéressantes… J’aime beaucoup ce que tu écris sur le fait d’être une adolescente lesbienne à Poudlard, par exemple. Mais je pense que tu peux retravailler tout ça, les rendre plus consistants, plus précis... Essaye de voir ce que tu peux en faire, et renvoie-les moi. Si tu en as d’autres également, bien sûr ! »
Lavande lui avait également proposé de faire comme les journalistes, en lui envoyant des synopsis des sujets sur lesquels elle pensait écrire, que la cheffe de rubrique validerait, afin d’être sûres que Susan « ne travaille pas pour rien ».
Son ancienne camarade d'école e semblait en tout cas intéressée par des témoignages ou des essais personnels. Susan estimait avoir beaucoup à apprendre sur ce format, mais elle était très enthousiasmée par le projet. En sortant du restaurant, Lavande l’accompagna d’ailleurs dans une librairie moldue et lui montra quelques revues qui publiaient « des textes intéressants qui ont inspiré Gloria ». Susan en acheta trois.
La jeune femme se leva ; sa tasse était vide. Elle alla la remplir puis retourna s’asseoir dans son fauteuil. D’un « Accio » rapide, elle attira son sac à elle, en sortit la première revue et commença sa lecture.