Il n’y avait pas de temps plus singulier à Poudlard que celui-ci ; la fin de l’été. Le silence régnait partout, à peine Peeves parvenait-il à le briser d’un éclat de rire et d’un vacarme de ferraille lorsqu’il répétait ses gammes sur les armures du hall avant de retrouver ses victimes préférées : les jeunes élèves…
Minerva McGonagall était une femme pragmatique. Elle savait s’accommoder des différentes périodes de l’année. Au fond, elle aimait tellement Poudlard que tout ce qu’elle y avait toujours vécu lui semblait teinté de bonheur. Elle ne regrettait rien… Les examens les plus difficiles, les professeurs les plus exigents, mais aussi depuis qu’elle-même était devenue enseignante, les élèves les plus récalcitrants à la Métamorphose et les piles de copies à corriger ! Tout concourrait à la rendre fière et enthousiaste. Elle n’aurait presque rien pu désirer de plus pour être comblée…
Ce matin d’août 1979, elle descendit les marches vers le parc et patienta devant les portes de l’école. Rusard balayait distraitement le perron et interrompit son perpétuel marmonnement pour sursauter au moment où, dans un pop significatif, le Directeur fit son apparition à quelques pas de lui…
Tous trois, avec la compagnie des fantômes qui hantaient le château, avaient passé l’été sur place, s’absentant seulement pour de très courtes visites à leurs familles et amis ou pour quelque obligation… Mais ce jour-là, l’ensemble du personnel faisait son retour pour investir les lieux avant la rentrée des élèves.
— Comme j’aime savoir qu’une nouvelle année scolaire s’étend, intacte devant nous ! se réjouit à haute-voix Dumbledore.
Rusard bougonna quelque chose à l’adresse de Miss Teigne mais Minerva, elle, ne pouvait qu’acquiescer. Elle avait pris un plaisir un peu coupable à aligner par ordre de niveaux les manuels sur l’étagère de sa salle de classe. Une collection de nouvelles plumes soigneusement aiguisées avaient pris place dans son tiroir et elle avait accordé toute une journée à la réorganisation complète de son bureau ! Elle se sentait prête, armée. Quelles que soient les difficultés que son poste lui réservait cette année, elle saurait faire face !
— Il me tarde de retrouver nos chers collègues… dit encore le Directeur en se tournant cette fois vers McGonagall comme s’il attendait une réponse.
Cette-dernière sourit, mais le regard bleu de son interlocuteur l’engageait clairement à parler à son tour.
— Oui, Albus… lâcha-t-elle enfin. Bien sûr.
Dumbledore joignit ses mains longues et fines devant lui, les manches de sa robe de sorcier lie-de-vin se soulevant et le rendant plus impressionnant encore.
— Vous vous souvenez que nous accueillons un nouveau professeur… fit-il avec bonne humeur, mais sans détacher son regard perçant des yeux de Minerva.
Elle s’efforça de ne manifester aucun signe d’hostilité ou de dérision, mais ses lèvres se pincèrent d’elles-mêmes, si bien qu’elle eut du mal à articuler un oui.
— J’aurais souhaité que Sibylle Trelawney arrive un peu plus tôt, expliqua le Directeur. Malheureusement, c’était impossible. Une histoire de…constellation du scorpion, je crois…
Il fit un petit geste de la main qui indiquait qu’il n’accordait pas beaucoup d’importance aux arguments que lui avait opposés sa nouvelle recrue. Et pour cause ! songea Minerva qui avait toujours manifesté une méfiance empreinte de dégoût pour la Divination… Pour sa part, elle était ravie que Trelawney ne soit pas venue plus tôt que les autres à Poudlard : elle aurait détesté la croiser dans les couloirs déserts, devoir répondre à ses questions saugrenues et partager avec elle la table des professeurs trois fois par jour ! Il faudrait déjà la supporter toute cette année ! Mais elle garderait toujours de sages distances avec qui que ce soit qui se sentirait capable de démêler l’avenir dans des résidus de feuilles de thé !
— Quoiqu’il en soit, reprit Dumbledore d’un ton badin mais néanmoins ferme, me voici sur le point de vous demander un précieux service, ma chère Minerva…
A ces mots, McGonagall se figea. Il lui semblait qu’une main glaciale venait de se resserrer sans préavis sur sa gorge ! Elle tourna ses yeux perçants vers le visage serein de Dumbledore, bien consciente qu’elle ne serait certainement pas en mesure de refuser la mission qu’il s’apprêtait à lui confier… De manière générale, s’il était parfois difficile de comprendre le Directeur, il était tout aussi compliqué de lui refuser quoi que ce soit !
— De quoi s’agit-il… ? s’aventura bravement Minerva, en essayant de dissimuler sa fébrilité.
Et à l’instant où Dumbledore rouvrait la bouche pour annoncer ce qu’il attendait d’elle, elle eut une drôle d'intuition. Un frisson, un doute, une peur, une adrénaline monta en elle. Elle sut qu’il s’agissait de Sibylle Trelawney. Elle le sut de la même façon qu’elle sut que c’était à cette seconde que sa vie changeait…
Le recrutement de Sibylle Trelawney que Dumbledore avait annoncé quelques semaines auparavant avait pris tout le monde au dépourvu ! On racontait que le Directeur ne s’était jamais beaucoup fié à la Divination. Mais surtout, d’après de nombreux enseignants, quiconque d’un tant soit peu sérieux avait de bonnes raisons d’émettre des doutes concernant les compétences de la nouvelle recrue ! Binns, le professeur d’Histoire de la magie, affirmait que l’arrière-grand-mère de Trelawney avait en effet formulé des prédictions qui s’étaient réalisées… Mais on n’avait aucun moyen de savoir si ces dons étaient héréditaires. Quant à Septima Vector, la professeure d’Arithmancie, elle avait éclaté d’un rire glacial en entendant ça ! Pour elle, Sibylle Trelawney était promise à un brillant avenir de comédienne et il y avait fort à parier que ce qu’on racontait au sujet de son aïeule était un tissu d’âneries montées en mayonnaise grâce à de minables tours de passe-passe, trucages et jeux de miroirs ! Finalement, Minerva s’était persuadée qu’Albus Dumbledore n'était pas dupe mais avait ses raisons de nommer Sibylle Trelawney et elle avait sagement décidé de réserver son jugement en attendant les premiers cours de la nouvelle venue…
Mais en quelques minutes, les choses devinrent plus précises… Pour une raison qu’il ne lui indiqua pas, Dumbledore souhaitait que Minerva accorde à Sibylle Trelawney une attention particulière. Elle n’était pas bien sûre de comprendre s’il s’agissait de protection, de surveillance ou d’un véritable espionnage. Mais ce qui était clair, c’est que Dumbledore avait besoin d’une personne de confiance et elle comptait bien se montrer à la hauteur de la situation… Minerva accepta sans faire de commentaire la mission que le destin plaçait sur son chemin...
En pénétrant, le soir venu, dans la grande salle presque entièrement vide, Sibylle Trelawney se demanda si c’était bien là qu’elle était arrivée des années plus tôt, qu’elle s’était assise avec ses camarades de Serdaigle jours après jours… Puis, tandis qu’elle suivait le Directeur escorté des autres membres du personnel vers la table du fond, elle retrouva l’atmosphère familière de ses années d’études. C’était comme une odeur du passé, une vieille photographie qui s’animait. Tout, maintenant, semblait lui confirmer qu’elle avait bien connu ces lieux…
Quand tout le monde eut pris place, Sibylle tourna les yeux vers la dernière chaise inoccupée et constata avec un mélange de surprise et d’indifférence qu’une petite étiquette portant son nom lévitait au-dessus de l’emplacement libre.
Dumbledore lui adressa un aimable signe de la tête pour l’engager à bien vouloir rejoindre sa place afin que le diner puisse être servi… Elle n’écouta que d’une oreille le bref discours dans lequel se lança alors le Directeur. En effet, un bourdonnement sans doute causé par un joncheruine parasitait le reste de son audition. Si bien que lorsque la sorcière assise à sa droite engagea la conversation, Sibylle ne s’en aperçut pas. Elle continua de remuer sa fourchette dans la purée d’artichauds à laquelle elle n’osait pas goûter et il fallut l’intervention du maître des Sortilèges pour qu’elle accorde un regard à sa voisine…
Sibylle constata que la sorcière qui avait voulu s’adresser à elle ne semblait plus du tout avoir envie de lui parler ! C’était une femme d’apparence sévère, avec une paire de lunettes du plus mauvais effet et un chignon de cheveux noirs, ce qui n’attirait pas les bons présages… Une aura pitoyable se dégageait de son corps long et étroit, rigide et vraisemblablement glacé. De plus, ses yeux trahissaient une humeur sombre et belliqueuse...
— Mais vous êtes Minerva McGonagall ! constata finalement Sibylle.
Elle ne se souvenait pas comment elle avait obtenu cette information (sans doute en rêve ou dans une de ses visions) mais Sibylle était certaine de connaître cette femme qu’elle rencontrait pourtant pour la première fois ! Son interlocutrice leva un sourcil et pinça les lèvres.
— C’est ce que je viens de vous dire… répliqua-t-elle immédiatement. Mais vous ne m’écoutiez pas.
Trelawney trouva donc de bon ton d’expliquer à toute la tablée qu’il était inutile de se présenter à elle car la plupart du temps, elle devinait toute seule l’identité de ses interlocuteurs…. Les autres professeurs ne firent aucun commentaire, mais il était clair que cette déclaration n’avait convaincu personne… Minerva McGonagall afficha quant à elle une mine irritée et ne lui accorda plus un regard.
Le reste du diner se passa dans une agréable cordialité et Minerva eut plaisir à écouter les récits de vacances de Pomona Chourave et de Madame Pomfresh. Rolanda Bibine s’étonnait de la nouvelle composition de l’équipe d’Angleterre de quidditch et une discussion s’engagea sur le sujet… Malgré sa passion pour ce sport, Minerva dut rapidement renoncer à prendre part au débat. En effet, avant que le dessert ne soit servi, Trelawney toussota, vida son verre de vin et déclara qu’elle voulait aller se coucher… Les conversations s’interrompirent et Minerva ressentit une brève satisfaction à l’idée de voir sa nouvelle collègue s’éclipser ! Mais l’instant d’après, elle croisa le regard de Dumbledore qui, silencieux et le visage impassible, semblait pourtant la rappeler à son engagement…
— Permettez-moi de vous accompagner, professeure Trelawney… suggéra-t-elle à contre-cœur.
Sibylle inclina la tête vers la gauche, les yeux grands ouverts, comme si on venait de s’adresser à elle en fourchelangue ! Elle se leva sans prendre la peine de répondre plongeant son interlocutrice dans un profond malaise et adressa un petit sourire au Directeur avant de se diriger d’un pas mal assuré vers le couloir du rez-de-chaussée…
Minerva n’avait pas d’autre choix que de la suivre. Elle ne se retourna pas une fois, refusant de faire face à ses collègues tellement cette situation lui paraissait humiliante ! Elle se demanda furtivement si Trelawney était bien consciente qu’elle la traitait avec une parfaite grossièreté... Mais même un troll aurait compris que ce n’était pas une manière de se comporter avec une personne digne de respect !
Parvenues dans le couloir, les deux femmes se mirent à marcher côte à côte. Minerva s’efforça de caler son pas sur celui de sa collègue mais ce n’était pas une mince affaire ! A n’importe quel moment, Sibylle s’arrêtait pour observer une brique du mur ou une pierre du dallage, sans que Minerva puisse déterminer en quoi celle-ci en particulier se différenciait des autres… A d’autres moments, Trelawney accélérait comme si elle venait de se souvenir qu’un incendie s’était déclaré dans son bureau ! Elles arrivèrent tant bien que mal au pied de l’escalier en colimaçon de la tour Nord, et Minerva se reprocha de n’être toujours pas parvenue à tenir la moindre conversation avec la jeune femme. Elle rassembla son courage :
— Eh bien, êtes-vous satisfaite de votre nomination ? demanda-t-elle, à court d’idée, en levant les yeux vers le sommet de la tour.
Etrangement, Sibylle s’était recroquevillée sur elle-même. A présent qu’elles n’étaient plus que toutes les deux, dans l’ombre de l’escalier de pierre, elle avait l’air encore plus frêle que dans la grande Salle. Ses lunettes aux verres épais lui dévoraient le visage et elle remuait les lèvres sans parvenir à articuler un mot !
Minerva sentit la gêne l’envahir et avant de pouvoir s’en défendre, son cœur se serra dans sa poitrine. Elle se souvenait trop bien de l’angoisse qu’elle avait elle-même ressentie quelques jours avant sa première rentrée de professeure ! C’était bien au-delà de toutes les appréhensions qu’elle avait jamais connues…
— Tout ira bien… assura-t-elle en essayant de ne pas fixer sa jeune collègue. Il faut que vous preniez vos marques.
Sibylle quant à elle, ne parvenait visiblement pas à lâcher son interlocutrice des yeux. Elle la considérait au contraire avec autant d’attention qu’elle l’avait ignorée toute la soirée ! On aurait dit que quelque chose la tenait captive de son regard, comme un insecte dans le halot d’une lumière… Il y avait dans l’enveloppe charnelle de Minerva McGonagall un trésor que personne n’avait encore découvert. Sibylle en eut la conviction. C’était enfoui dans son âme, caché... Peut-être même que McGonagall l’ignorait elle-même, ou refusait de le savoir.
Comme le silence s’installait, Minerva proposa encore d’aider Sibylle à porter ses valises, mais celle-ci refusa avec un petit mouvement de menton tout à fait exaspérant !
— Bien, alors je vous souhaite une bonne nuit… se résigna Minerva.
Elle s’en retourna vers l’angle du couloir mais avant de disparaitre, elle fit volte-face. Trelawney était restée plantée là, les bras ballants, semblant se demander ce qu’elle devait faire… A cet instant, on devinait aisément pourquoi Dumbledore avait absolument tenu à ce qu’une personne raisonnable, une sorcière sage et digne de confiance, veille sur elle !
— …si vous avez besoin d’aide, lança Minerva, ou de n’importe quoi d’autre, sollicitez-moi.
Mais une nouvelle fois, Trelawney changea de physionomie. Elle se redressa en faisant tinter sa ribambelle de bracelets, lui adressa un regard hautain et renvoya ses épaules en arrière pour adopter ce qui se voulait être une posture pleine de dignité :
— Je n’ai pas besoin d’aide, répliqua-t-elle avec orgueil. Bonne nuit, professeure.
Mais les derniers mots de Trelawney ne devaient pas être sincères… Car cette nuit-là fut longue, blanche et particulièrement chaude. Minerva comprit qu’elle ne pourrait pas trouver le sommeil dans l’état dans lequel son échange avec Trelawney l’avait laissée. Comment croire qu’elle s’était levée de si bonne humeur quelques heures plus tôt et qu’elle se trouvait dans une situation aussi déplaisante maintenant que la nuit était là ?!
Elle avait dû accepter une responsabilité supplémentaire qui venait s’ajouter à tout ce qu’elle aurait déjà à faire cette année ! Mais Minerva n’était pas du genre à rechigner à la tâche. Non, le vrai malheur, c’était que cela consiste à veiller sur la sorcière la plus bizarre, la plus désagréable et la plus incompréhensible du château !
Elle se débarrassa de ses vêtements, mais même nue, la chaleur était insupportable. Le sang battait à ses tempes. Son cœur frappait dans sa poitrine. Et plus elle avait chaud, moins elle tenait en place ! Et plus elle bougeait, plus elle avait chaud ! A bout d’un énième tour de lit, elle ouvrit grand la fenêtre et décida de se métamorphoser…
Être un animagus présentait de nombreux avantages, comme celui de pouvoir échapper à certaines caractéristiques proprement humaines. En se glissant dans la peau d’un chat on abaissait par exemple de plusieurs degrés la température de son corps… Fière de son idée, Minerva s’assit sur le lit et ferma les yeux pour se concentrer. Elle guetta les premiers changements : la sensation de rétrécissement, l’apparition du pelage, des oreilles, et la modification de ses perceptions… Mais lorsqu’elle se décida à regarder de nouveau la pièce, elle savait déjà que son entreprise avait échoué ! Pourquoi n’était-elle pas parvenue à faire ce qu’elle faisait sans effort depuis l’enfance ?!
Légèrement ébranlée, elle se concentra plus intensément encore et dirigea toute son attention, toute sa volonté vers son objectif… La chaleur dans son corps demeura intacte et elle constata en regardant ses bras, ses jambes et l’ensemble de son corps, qu’il était toujours couvert d’une peau lisse et rose… La panique chassa l’agacement ! Que se passait-il ?! Minerva porta une main à sa bouche et le miroir dans l’angle de la chambre lui renvoya la sidération qu’exprimait ses yeux ronds !
Calme-toi, se murmura-t-elle en éteignant toutes les bougies pour ne plus rien voir du tout… Ce n’est qu’un peu de fatigue et d’énervement. C’est bien normal. Il faut dormir. Demain, tout redeviendra comme avant…