Ministère de la Magie, Londres. Été 1899.
La première chose à savoir sur moi pour comprendre mon histoire, c’est que malgré mon nom, je n’ai pas grandi en Angleterre, mais en France le pays dont ma mère est originaire. La seconde, c’est que je suis née du mauvais côté des draps. Or, si être illégitime est mal vu chez les moldus, c’est totalement tabou pour la communauté sorcière. Un sorcier qui aurait le mauvais goût de tromper sa femme, devrait avoir la délicatesse de ne pas faire un enfant et encore moins avoir l’outrecuidance de lui transmettre son nom.
Mon père avait cumulé toutes ces tares. Non-content d’avoir été infidèle lors d’un voyage en France, il avait en plus laissé un cadeau à ma mère qui neuf mois plus tard, s’avérerait être moi. Pour ne rien arranger, mon père pris de folie, décida, en voyant ma frimousse pour la toute première et unique fois, de me donner son nom et de me baptiser Séléna en raison d’une obscure coutume familiale qui voulait que les enfants portent des noms célestes.
Autant vous dire que ce fardeau, je l’ai porté tout au long de ma vie. Eh bien que j’aie fait mes études à Beauxbaton et non à Poudlard, où mon nom aurait été traîné dans la boue aussi sûrement qu’un vieux gnome des jardins arthritique, je n’en aie pas moins souffert de cette situation qui était la mienne. C’est la raison qui me poussa, une fois mes ASPIC en poche, à partir pour l’Angleterre afin d’y retrouver mes racines et ce père qui m’avait abandonné il y a 17 ans de cela.
Au commencement de cette histoire, je me retrouvais donc dans le hall du ministère de la magie anglais, la main droite agrippant fermement une vieille bottine usée jusqu’à la corde et la main gauche crispée sur mon estomac fragile. Par la Barbe de Merlin, ce que je pouvais détester, à l’époque, les voyages en portoloin et à plus forte raison les voyages en portoloin international.
Je fermais momentanément les yeux, dans un vain espoir de contrôler ma nausée, lorsqu’une voix criarde me fit sursauter.
« Miss Black ! Vous devez lâcher le portoloin, maintenant. »
Je lâchais, malencontreusement la vieille chaussure rapiécée qui tomba avec lourdeur sur le pied de la pauvre créature qui venait de m’interpeller.
« OH ! Nom d’un hypogriffe ! Je suis véritablement navré. Veuillez, je vous prie, excusez ma maladresse. »
À peine ces paroles s’échappèrent-elles de ma bouche que je vis la créature se décomposer devant mes yeux ébahis. Elle leva vers moi ses grands yeux ronds remplis de larmes et secoua violemment la tête de droite à gauche en gémissant :
« - NON ! NON ! NON ! La miss ne doit surtout pas s’excuser. C’est la faute de Piwi. Piwi n’aurait jamais dû sortir la jeune maîtresse de ses pensées.
- Qui êtes-vous ? Je peux faire quelque chose pour vous ? Vous travaillez ici ?
- Oh non, Miss. Piwi est l’elfe de maison de Mrs Tourdesac. Elle m’a envoyée ici pour vous récupérer. »
Alors c’était donc ça un elfe de maison. Je n’en avais jamais vu, leur usage n’étant pas courant chez moi. Curieuse, j’examinais ce pauvre Piwi du bout de ses orteils crasseux, aux pointes de ses longues oreilles disproportionnées, en passant par ces immenses yeux bleus globuleux. Me rendant brusquement compte de mon impolitesse, je me raclais la gorge gênée.
« Eh bien, allons-y. »
L’elfe me dévisagea de ses gros yeux humide et hocha la tête avec tant de vigueur que je crus l'espace d’un instant qu’elle allait se détacher de son cou et rouler à mes pieds. Je frissonnais devant l’image horrifique, ainsi formée par mon cerveau.
« Oh oui, Miss ! Évidemment miss ! »
Sur ces mots, Piwi attrapa ma main et transplana. La seconde suivante, j'atterrissais à quatre pattes dans l’herbe humide, le cœur au bord des lèvres. Un voyage en portoloin suivi d’un transplanage d’escorte, voilà un dangereux cocktail pour mon estomac fragile. Bien plus que je ne pus en supporter. Je me penchais en avant pour vomir dans les buissons
"Thilda! Je crois que ton invitée est arrivée."
Je fermais les yeux mortifiés, au son de cette voix caustique qui résonna dans mon dos. J’implorais Merlin, pour que la terre s’ouvre sous mes pieds et me fasse disparaître. Malheureusement pour moi, Merlin ne semblait pas de bonne humeur aujourd'hui, puisqu’il ignora mes supplications. Résignée, j’essuyais ma bouche d’un rapide revers de main et me retournais, les jambes encore un peu flageolantes. Mon regard entra en collision avec deux yeux vairons insondables. Le temps sembla se suspendre l’espace d’un instant et la terre s'arrêta de tourner. Je décelais une impression furtive, comme une ombre dans ce regard si semblable à un puits sans fond qui me glaça le sang. Instinctivement, je reculais d’un pas et clignais des yeux. L’ombre avait disparu. Mon esprit, embrouillé par la fatigue, avait-il créé une illusion ? Cette ombre, était-elle réelle ?
"Oh ! Ma chère vous voilà enfin !"
Mes questions s’évanouirent immédiatement à la vue de cette femme à l’âge indéfinissable qui s’approcha de moi et me prit dans ces bras sans autre forme de procès. Je me raidis peu habituée à ce genre de démonstration d’affection et restais les bras ballants, sans savoir quoi faire. Bathilda, car je supposais que c’était elle, se recula afin de m’inspecter sous toutes les coutures. Je crispais les orteils dans mes chaussures et résistais à l’envi de partir loin d’ici.
" Ce que vous pouvez ressembler à votre mère. Dites moi très chère, comment va ma chère amie ? Cela fait si longtemps que je n’ai pas eu de nouvelles. Nos lettres se font moins fréquentes qu’avant je l’avoue bien volontiers."
Je grinçais des dents. Je détestais que l’on mentionne ma ressemblance physique avec ma mère. Non pas, que j’aie véritablement honte de mon héritage, mais ma part vélane hérité de ma grand-mère maternelle avait le don de me mettre mal à l’aise. Cette beauté glaciale, associée à ses pouvoirs de séduction me rendait malade. Je mettais un point d’honneur à ne pas me servir de ces pouvoirs, préférant paraître banale que de sortir du lot. La banalité était le meilleur camouflage du monde, la meilleure façon de passer inaperçu parmi une foule de gens. Pour moi qui avais passé toute mon adolescence à éviter les coups, à me protéger des moqueries de mes camarades, c’était devenu vitale. J’avais, en effet, fini par apprendre à grand coup de brimades et d’humiliations, que moins les gens en sauraient sur moi, plus je serais en sécurité. J'essayais, tant bien que de mal, de faire abstraction de la boule qui obstruait ma gorge et du sentiment de colère qui broyait mon cœur et réussis à dire :
"- Ma mère va très bien. Je suis persuadée que vous lui manquez tout autant. Maintenant sans vouloir paraître impolie, j’aimerais pouvoir me reposer un peu.
- Bien sûr ! Bien sûr ! Ce que je peux être ingrate. Piwi va vous montrer votre chambre, mais avant, je voulais vous montrer mon petit-neveu Gellert Grindelwald, il séjourne lui aussi chez moi."
J’esquissais un bref signe de tête polie au jeune homme blond, qui soit dit en passant, n’avait pas bouger un cil depuis le début de cette conversation, et me dépêchais d'emboîter le pas à l’elfe de maison.
Plus tard cette nuit-là, alors que je fixais le plafond de ma chambre, allongée sur mon lit, je pensais aux possibilités créé par ce voyage en Angleterre. Je listais les choses à faire : travailler avec Bathilda pour son nouveau livre, retrouver mon père, rencontrer ma famille anglaise… La douce litanie agissait sur moi comme une berceuse, si bien que je sentis mes paupières devenir de plus en plus lourdes.
À ce moment précis, alors que le sommeil était sur le point de m’emporter, je n’imaginais pas que ma vie allait bientôt prendre un tournant décisif. Je sombrais dans l'inconscience et toutes mes interrogations, tous mes doutes s’évaporèrent dans la brume du soir.