Au nord de l’Écosse, là où les silhouettes rocailleuses des montagnes côtoyaient les vastes étendues herbacées des plaines, le climat girouettait à longueur de temps et rythmait les journées de ses lubies météorologiques, lesquelles pouvaient se révéler fort déconcertantes pour un esprit non averti. Les habitants du petit village de Pré-au-Lard, quant à eux, s’en accommodaient fort bien, pour peu que le monde extérieur les laissât tranquillement vaquer à leurs affaires ; tous avaient fui la vague de ségrégation qui avait frappé l’Occident - lorsque sous l’impulsion de croyances nouvelles, la pratique de ce que d’aucun appelait « magie » était devenue synonyme d’hérésie -, et c’était, poussés par le vent du hasard, qu’ils avaient trouvé refuge dans ces terres reculées, là où les légendes avaient conservé assez d’autorité pour préserver le calme des lieux qu’elles hantaient.
Car non loin de ce petit village, se trouvait une forêt, dont la mauvaise réputation l’avait maintenue à l’écart du tranchant des haches humaines depuis de longues années ; on la disait maudite, si bien que nul n’osait s’en approcher de peur d’encourir la colère de l’Esprit pernicieux, qui, selon les croyances locales, s’y trouvait enchaîné pour l’éternité. On la surnommait la « Forêt Interdite ».
Godric, pour sa part, n’avait jamais été très enclin à suivre les règles, et l’insistance, dont son hôte avait fait preuve tandis qu’il lui contait les nombreux dangers que recelaient les profondeurs de ces bois, ne l’avait rendu que plus désireux d’en franchir le seuil. Aussi, c’était le corps reposé et l’esprit ragaillardi qu’il s’était levé de bon matin, et qu’il avait quitté la maisonnée silencieuse pour se mettre en quête des ruines de l’ancien château, qui, autrefois, surplombait les terres de Pré-au-Lard et de ses environs.
La main droite posée sur le pommeau de son épée, il traversa le village encore endormi d’un pas léger, tout en sifflotant un air de sa composition ; en cette belle matinée de juin, l’air était doux et les nuances rêveuses du ciel, pleines de promesses quant à la ravissante journée à venir.
À l’aube de ses trente-six ans, Godric Gryffondor se considérait lui-même comme un homme accompli : né dans un petit village côtier du Wessex, il avait appris d’instinct à utiliser son don pour se défendre des envahisseurs vikings venus de par la mer, et bien que sa magie eut empêché, plus d’une fois, ces derniers de pénétrer leurs maigres défenses, les villageois n’avaient guère vu d’un bon œil le développement inattendu de ses capacités et s’étaient empressés de le chasser à la première accalmie venue.
Il avait donc quitté les terres qui l’avaient vu naître et s’était dirigé vers le Nord, où malgré son jeune âge, il était parvenu à se faire enrôler dans les rangs du seigneur Killswain ; ce fut alors que Godric comprit que l’art de l’épée lui était aussi naturel que celui de la magie, et qu’il entreprit de développer ces deux compétences auprès de ses compagnons d’arme, qu’il choisit, cependant, de garder dans l’ignorance de ses pouvoirs, de peur qu’ils ne décidassent, à leur tour, de l’expulser des troupes.
Deux décennies passèrent, et lorsque les derniers envahisseurs danois se fussent finalement retirés en Northumbrie, celui qu’on avait surnommé le « Lion écarlate » - car sa férocité au combat, disait-on, n’avait d’égale que l’éclat incandescent des rubis incrustés dans le manche de son épée - décida que le temps était venu pour lui de quitter les champs de bataille et de s’atteler enfin au grand projet qui grandissait en son cœur depuis de longues années. Délaissant ainsi les honneurs qui lui étaient dus, Godric prit la route du Nord et guidé par les légendes qu’on leur prêtait, sillonna monts et vallées à la recherche de ce lieu providentiel qui n’avait cesse d’apparaître dans ses rêves.
Il commençait à perdre espoir, quand, pris de court par une violente tempête, il avait été forcé de chercher refuge dans une petite ferme située à quelques miles au sud de Pré-au-Lard : ce ne fut qu’après leur avoir expliqué qu’il était en quête d’un endroit paisible où s’installer, que ses hôtes avaient fini par lui révéler non sans réticence, la terrible malédiction dont avait été victime le dernier Seigneur des environs.
C’eut été s’attirer le malheur que d’évoquer le nom même de l’homme qui avait causé la ruine de son peuple en frayant avec une Fée, mais son histoire, elle, continuait de se transmettre de génération en génération, afin que nul n’oubliât la méchante nature de ces créatures que les plus anciens appelaient « Aes sidhe », ceux qui habitent le Sidh.
Le lendemain, Godric avait remercié les fermiers de leur accueil, et c’était l’esprit léger qu’il avait entrepris de remonter vers la Forêt Interdite, convaincu qu’il avait enfin trouvé le lieu idéal pour y bâtir son école. La découverte du village de Pré-au-Lard ne l’avait que conforté dans sa décision, et à présent qu’il arpentait la forêt, - malédiction ou non - il lui trouvait un charme tout à fait plaisant. Il évoluait sans mal dans les chemins formés par les passages réguliers des créatures environnantes, et tandis que les rayons du soleil dissipaient peu à peu la brume matinale en réchauffant le sol de leur douce lumière, la forêt semblait s’éveiller devant ses yeux, déployant des trésors de couleurs à mesure qu’il s’enfonçait toujours un peu plus en son sein.
Godric trouva ce qu’il restait du château peu après midi ; il ignorait si l’histoire, qu’on lui avait conté à deux reprises, s’était bel et bien déroulée ainsi que les gens du voisinage semblaient le croire, mais à en juger par les marques qui subsistaient sur les fondations à demi-démolies du château en ruine, il ne faisait nul doute qu’un affrontement violent s’y était bel et bien déroulé.
Le sorcier avait conscience, cependant, que ce qu’il voyait là n’était que de la façade, et que les véritables cicatrices, elles, étaient bien plus profondes, inscrites dans l’essence même de la terre ; la magie qui imprégnait ces lieux n’était que réminiscence, vague écho de ce qu’elle avait été autrefois, mais la puissance qu’elle dégageait aurait suffit à faire reculer n’importe qui d’un tant soit peu sensé.
Godric laissa courir ses doigts gantés sur le pan éventré d’une arche, puis redescendit vers le lac, dont la surface limpide reflétait paisiblement l’agréable caresse du soleil. Tant de haine et de douleur avaient été déversé sur ces terres que le sol lui-même en portait encore les traces ; finalement, peut-être que cette légende avait plus de fond qu’il ne l’aurait cru. Et si cela s’avérait être vrai, alors l’existence de l’épée n’en devenait que plus tangible. Cette pensée fit sourire le sorcier, qui, guidé par les flux de magie ondulant sous ses pieds, s’éloigna de la rive du lac pour franchir à nouveau l’enceinte de la Forêt Interdite.
Godric lui-même n’était jamais tombé amoureux ; bien sûr, il avait eu sa part d’aventures - et certaines l’avaient marqué au point que même un sort d’oubli ne serait pas assez puissant pour effacer la honte cuisante qu’il pouvait encore éprouver, quand ses pensées venaient à s’égarer un peu trop loin dans le passé -, mais il ne s’était jamais perdu pour un regard aux lueurs d’automne, aussi beau fut-il, et en particulier, pour une créature qui n’était pas humaine. Si la légende disait vrai, alors le précédent Seigneur avait été bien inconscient de céder aux avances d’une Fée, ou plutôt, ainsi qu’il le soupçonnait, d’une Vélane.
Les croyances moldues étaient souvent bien différentes de ce que les sorciers concevaient comme la réalité, et là où les moldus décrivaient parfois une créature enchanteresse, les sorciers grimaçaient à l’idée de ce qui en était véritablement. De ce qu’il savait des Vélanes, celles-ci puisaient leur force dans leurs sentiments, et si l’une d’elle s’était mise en tête de séduire un homme, elle se mettait alors à rayonner d’une beauté irrationnelle, à laquelle il était tout bonnement impossible de résister.
Lui-même avait, autrefois, expérimenté cette sensation de fascination absurde, que la vue d’une Vélane pouvait provoquer chez un homme, aussi parlait-il en connaissance de cause lorsqu’il admirait le sang froid qu’il avait fallu au précédent Seigneur pour repousser une telle créature après avoir goûté à la folle ivresse, que ces dernières savaient si bien inspirer aux hommes.
Toutefois, et bien que Godric estimât l’honnêteté plus que quiconque, il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il avait été fort stupide de la part du Seigneur d’avouer à sa belle qu’il ne pouvait lui promettre une vie d’éternel amour, alors qu’il se trouvait à la veille d’un affrontement, dont il n’aurait su sortir vainqueur sans son aide ; mais le sorcier savait qu’il aurait été plus stupide encore de juger un homme, dont l’amour malheureux était la seule chose pour laquelle son histoire perdurait toujours, et ses pensées se recentrèrent sur les ondulations de magie qui faiblissaient à mesure qu’il semblait gagner le cœur de la forêt.
Les heures passaient, et Godric continuait de marcher, entièrement focalisé sur le pistage complexe des réseaux de magie qu’il sentait disparaître, s’entrelacer, puis disparaître à nouveau, comme si quelque chose, dans les environs, les neutralisait, ou plutôt, les annihilait. Quand le sorcier réalisa finalement que ce qu’il avait pris pour un fil d’Ariane ne le mènerait nulle part, et qu’au lieu de se diriger vers l’épée, il se contentait de tourner autour, le ciel s’était déjà paré des couleurs rougeoyantes du soir ; une brise fraîche ondoyait maintenant parmi les hautes silhouettes des pins, déposant de temps à autre quelques vifs baisers sur sa peau découverte.
La Forêt, quant à elle, avait revêtu un manteau aux mille et une ombres, dont les reliefs changeants s’étaient mués en trompe-l’oeil redoutables, pour ne pas dire, meurtriers. De l’accueillant paysage qu’il avait vu lentement s’ouvrir devant lui aux premières lueurs de l’aube, il ne restait à présent plus rien : la tombée de la nuit avait jeté un voile de noirceur sur les bois luxuriants du matin.
Pour autant, Godric n’était pas décidé à s’avouer vaincu, et s’il avait conscience que sa situation était devenue bien plus périlleuse qu’elle ne l’était à midi, celui-ci s’en moquait pas mal : il avait confiance en ses capacités quelles qu’elles fussent, aussi était-il convaincu que s’il venait à mettre sa vie en danger, comme cela avait été souvent le cas autrefois, il s’en sortirait d’une manière ou d’une autre ainsi qu’il l’avait toujours fait.
Un franc sourire se peignit alors sur ses lèvres, tandis qu’il sortait de sa manche gauche, une baguette ciselée en bois de charme. Il ignorait ce qui était à l’origine de cette barrière, mais celle-ci avait été construite d’une manière suffisamment ingénieuse pour le maintenir à l’écart sans qu’il ne s’en rendît compte, ce qui en disait long sur l’habilité de son créateur.
Néanmoins, après avoir psalmodié quelques formules dans sa barbe tout juste taillée, Godric se rendit compte que, contrairement à ce qu’il s’était d’abord imaginé, il n’y avait là ni bouclier, ni construction magique, mais une simple illusion, dont l’entière puissance résidait dans la finesse de son injonction ; cette dernière, en effet, avait pour but d’instiller une légère pointe de confusion dans les esprits à mesure que ceux-ci se rapprochaient de sa « limite », et permettait ainsi d’éloigner les intrus, sans même qu’ils n’en aient conscience.
Il fallait reconnaître que c’était plutôt bien pensé, et malgré l’évidente faiblesse que présentait un tel système de défense, le sorcier s’avoua impressionné ; ce n’était pas le genre d’idée qui lui serait naturellement venue à l’esprit, mais il appréciait l’effort mis en œuvre.
Une fois la « barrière » franchie, il ne lui fallut guère plus de temps pour rejoindre la clairière où, selon la légende, le précédent Seigneur avait trouvé la mort, victime de la malédiction que la Fée avait proférée pour se venger de son refus. Et, tel que les fermiers le lui avaient conté, l’épée était là, sa lame à jamais figée dans son éternel carcan de pierre. Godric n’en croyait pas ses yeux ; c’était à peine s’il sentait l’avertissement silencieux de sa propre épée, dont la poignée s’était mise à frémir dans le creux de sa paume.
En temps normal, c’était un signal qu’il n’aurait jamais manqué de relever - celui-ci lui ayant sauvé la vie plus d’une fois -, et si quelque part, il avait conscience du danger qui le cernait, le sorcier était pourtant incapable de détourner ses pensées de l’épée, dont la lame se tenait fermement plantée dans le roc. Non qu’elle eût quoique ce soit d’exceptionnel - elle semblait d’ailleurs d’une banalité tout à fait ordinaire -, mais il s’en dégageait une telle aura que Godric n’aurait pu l’ignorer même s’il l’avait voulu.
Inexorablement, ses pas le portèrent au pied du promontoire de pierre, dont il aurait sans doute franchi le seuil si deux lianes ne s’étaient pas subitement nouées autour de ses chevilles pour l’en empêcher. Surpris, le sorcier manqua la seule occasion qu’il aurait eu de s’extirper du piège dans lequel il venait de plonger les deux pieds en avant, et en moins de temps qu’il n’en fallait pour dire « Bazar », se retrouva désarmé et immobilisé, comme le dernier des imbéciles.
Un bref instant lui fut nécessaire pour comprendre ce qu’il venait de se passer, et quand enfin, il saisit l’ampleur de la situation dans laquelle il se trouvait, Godric éclata de rire ; cela faisait bien des années qu’il n’était pas tombé dans une chausse-trappe aussi grossière ! Il s’en serait presque senti nostalgique sur le moment...
- Qui que vous soyez, clama-t-il non d’un ton presque amusé, sachez que mes intentions ne sont en rien malfaisantes ! Et si mon comportement, d’une quelque façon, vous a offensé, alors je vous présente mes excuses les plus sincères. Ma volonté n’était pas de mal agir.
- Et quelle était votre volonté, si ce n’était de prendre ce qui ne vous appartient pas ?
Le sorcier marqua un temps de réflexion, tandis que ses yeux sondaient son environnement proche à la recherche de interlocuteur, ou plutôt, de son interlocutrice, car c’était là une voix féminine à ne pas en douter ; probablement une sorcière, à en juger par les lianes qui l’entravaient. Sa réaction avait été trop rapide, pour que seul le déclenchement du piège - si c’en était réellement un - l’eût avertie de sa présence ; elle pouvait, aussi, avoir transplané, mais une telle manifestation de magie ne serait pas passée inaperçue. Elle avait donc attendu le dernier moment avant d’agir ; la question était de savoir depuis quand attendait-elle ?
- L’histoire de cette épée et de ces terres est légendaire, déclara-t-il finalement. Je voulais simplement en vérifier la véracité, afin d’être sûr que celle-ci n’entraverait pas mon projet.
- Quel projet ?
- J’ai l’intention de redonner vie à ces ruines abandonnées en bâtissant, sur ses fondations, une école où l’on y enseignera la magie. Voyez-vous, l’épée en elle-même ne m’intéresse guère et si je me suis aventuré jusqu’ici, c’est uniquement porté par la curiosité, et non par l’appât du gain ; comme vous pouvez le voir, j’ai déjà en ma possession une excellente lame, et je peux vous assurer que je n’ai pas le moindre désir de m’en sép-
Mais tout aussi convaincu - et convaincant - qu’il fut, Godric ne termina pas sa phrase, car sous ses yeux ébahis, une jeune femme venait de se dévoiler à la lueur tombante du soir, telle une ombre au regard d’ambre. Son corps était fin et élancé, tel le bras d’un arc prêt à se tendre en cas de danger, et ne semblait souffrir ni du froid ni de pudeur, car celui-ci était nu comme au premier jour.
Le temps d’une brève seconde, le sorcier songea à détourner la tête devant une telle impudence - tout aussi agréable qu’elle fut -, avant de réaliser que celle qui lui faisait face avait une peau de jade.
Fasciné, Godric la regarda s’approcher à pas lent, en se demandant ce qu’elle pouvait bien être : c’était la première fois qu’il rencontrait une telle créature. D’apparence humaine, elle n’en avait cependant que la silhouette, car il lui apparaissait clair, à présent, que les traits enfantins de son visage dissimulaient bien plus qu’ils ne voulaient en montrer, telle la pointe effilée de ses oreilles qu’il discernait tout juste à travers les mèches ondulées de sa chevelure noisette.
Quant à sa peau, dont la teinte était si particulière, elle n’était assurément pas faite de chair, Godric l’aurait parié : elle avait plutôt l’aspect du bois poli, comme si un sculpteur, après l’avoir taillée dans le cœur tendre d’un arbre, lui avait insufflé la vie. Toutefois, le sorcier savait que derrière chaque rose se cachaient son lot d’épines, et bien que les lianes qui l’entravaient se voulaient plus gênantes que réellement offensives, il ne doutait pas un instant qu’elles pourraient se montrer bien plus dangereuses s’il ne choisissait pas avec soin les prochains mots qu’il devrait prononcer.
- ... D’autres humains vont venir ici ?
Elle avait tenté de dissimuler son trouble, mais Godric avait perçu le frémissement du doute derrière son ton détaché : cette nouvelle n’était visiblement pas pour lui plaire. Il commençait donc les négociations avec un désavantage certain.
- Si, par « ici », vous entendez cette forêt, reprit-il après un court moment de réflexion, je me dois de vous détromper : je n’ai au grand jamais envisagé d’intégrer ce territoire dans l’enceinte de l’école, bien au contraire ! Telle qu’elle est, la forêt représente une très bonne limite naturelle, ainsi qu’un excellent moyen de dissuasion contre les esprits trop curieux.
La créature haussa légèrement les sourcils.
- Et pourtant, vous êtes là.
- Well... je suis un cas particulier, même parmi mes semblables. J’ai un crâne très épais, voyez-vous : il est difficile d’y faire rentrer des choses, mais une fois qu’elles y sont, il est quasiment impossible de les faire ressortir !
Un silence pesant fut la seule réponse qu’il obtînt.
Godric grimaça intérieurement et s’efforça de rattraper sa malheureuse tentative de plaisanterie.
- Du moins, c’est... hum... ce que prétend Helga. Mais assez parler de moi ! Qu’en est-il de vous plutôt ? Un nom pourrait être un bon début !
- Pourquoi devrais-je donner mon nom à celui qui, en plus de violer en toute impunité le seuil d’un lieu sacré, ne s’est pas donné la peine de décliner sa propre identité quand fut venu le moment, pour lui, de reconnaître ses fautes ?
Le sorcier marqua un temps d’hésitation, mais fut forcé de reconnaître qu’il avait, en effet, manqué aux bases essentielles de toute conversation courtoise en omettant de se présenter à son interlocutrice, lorsque l’occasion lui en avait été donnée.
- La vérité ne saurait être plus juste, admit-il à contre cœur, et je vous présente, une nouvelle fois, toutes mes excuses pour l’apparente rudesse de mon comportement : il n’était point dans mes intentions de vous offenser, ma dame. Si je choisis « Gryffondor » comme patronyme lorsque je m’enrôlais sous les ordres du seigneur Killswain, et que suite à mes faits d’armes, l’on vînt à me connaître sous l’appellation du « Lion Écarlate », Godric est toutefois le nom que l’on me donnât à ma naissance, et c’est par ce nom que je me fais appeler.
- ... Je vois, souffla la créature, alors que le guerrier inclinait respectueusement la tête. Il semblerait toutefois que vos exploits ne soient pas parvenus jusqu’ici, Godric Gryffondor, dit le Lion Écarlate.
- Et je ne saurais combler sans tarder cette lacune, s’il vous était agréable de vous les faire conter... ma dame ?
L’interpellée observa un silence songeur, tandis que le sorcier soutenait calmement son regard d’ambre. S’il n’était pas aussi bien versé dans l’art du compromis que pouvait l’être Rowena, il en savait assez cependant pour comprendre qu’un refus ne ferait définitivement pas pencher la balance en sa faveur.
- Je ne suis pas une dame, finit-elle par répondre, mais si cela ne vous indispose pas de me laisser prêter oreille à vos récits, il me serait plaisant d’avoir quelques nouvelles de l’extérieur.
- Tout le plaisir sera le mien ! Mais avant que je ne commence ce qui sera un fort long récit, me permettrez-vous d’entendre enfin votre nom ?
Sa question retomba lourdement dans le silence de plomb qui régnait sur la clairière depuis son arrivée ; et bien que nulle émotion ne fut venue troubler le visage impassible de son interlocutrice, Godric l’avait sentie se raidir comme si elle s’était trouvée à ses côtés, et non à une vingtaine de pas de distance.
L’espace d’un instant, le sorcier crut qu’il avait commis le faux-pas dont il avait si fortement espéré se garder, et ne put s’empêcher de songer en lui-même que Salazar avait peut-être raison en affirmant qu’il n’avait pas plus grand ennemi que lui-même, tant il était incapable de se raisonner face au danger.
Il était à deux doigts d’envisager une pirouette aussi ridicule que maladroite pour se sortir de cet embarras, quand un murmure de concession se fit alors entendre.
- S’il le faut... Vous pouvez m’appeler Siloe.
Un large sourire se peignit aussitôt sur le visage buriné du guerrier qui, fort de ce qu’il considérait sans conteste comme une victoire, s’empressa de se lancer dans le récit mouvementé de sa vie, dont la première des aventures était assurément celle de sa venue au monde dans l’obscurité d’une modeste cabane de pêcheur.
Godric n’était peut-être pas le plus perspicace ni le plus malin, mais il agissait toujours en accord avec ses sentiments, si bien qu’il donnait le meilleur de lui-même dans tout ce qu’il entreprenait. Fermement déterminé à se rapprocher de cette créature dont l’existence lui était jusqu’alors inconnue, il se mit à lui conter en détails tout ce qu’il savait des événements ayant eu lieu ces trente dernières années ; et il se prit tellement au jeu, qu’il ne remarquât même pas que les lianes - qui le retenaient quelques instants auparavant - s’étaient peu à peu dénouées, pour finalement disparaître sans un bruit, comme si elles n’avaient jamais existé.
Car tout ce qui lui importait, pour le moment, était d’entretenir la petite lueur de joie qu’il avait vu naître dans le regard de Siloe, dont les prunelles d’ambre suivaient attentivement ses moindres faits et gestes. Parfois, il lui semblait entendre l’ombre d’un rire ; mais dès qu’il se retournait pour partager ce précieux instant de complicité qui lui était offert, il ne trouvait qu’un visage détaché, dont l’intérêt feint dissimulait un sentiment bien plus profond qu’il ne parvenait pas à identifier.
- ... et c’est en suivant les réseaux de magie, que je sentais émaner du sol, que je finis par trouver cette clairière et l’épée qu’elle abrite. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé ici, mais une chose est sûre : ce fut violent. Extrêmement violent...
Le sorcier observa un silence pensif, tandis qu’il se remémorait les puissants relents de haine, dont les terres du château demeuraient imprégnées. Plus il y réfléchissait, et plus sa théorie lui paraissait aussi absurde que la légende en elle-même : si les Vélanes avaient, en effet, le pouvoir de fasciner quiconque posait les yeux sur elles, il était tout à fait inconcevable que l’une d’elle eût été capable de provoquer une vague de magie si puissante qu’il en demeurait toujours des traces, bien des années plus tard. Delà à envisager qu’une « fée » fut réellement à l’origine de ce drame...
- ... Des milliers de vies ont trouvé la mort ce jour-là, lâcha Siloe d’une voix grave. Aujourd’hui encore, il m’arrive d’entendre leurs voix hurler de douleur, alors que les rayons incandescents des traîtres brûlaient leur chair et consumaient la rage qui noircissait leurs cœurs et dévorait leurs êtres. Nombre de mes sœurs se sont perdues en luttant pour leur avenir... et malgré le calme qui suivit ce jour funeste, tout comme cette épée ne pourra jamais s’échapper de son carcan de pierre, une part de nous-même ne peut aspirer à trouver la paix et demeure là-bas, cernée par le chaos des haches et le rougeoiement des flammes, comme un rappel incessant de la perfidie humaine.
Godric dut retenir un mouvement de recul, lorsque la créature se redressa subitement, le dardant d’un regard sombre qu’il ne lui connaissait pas.
- Repartez d’où vous venez, Lion Écarlate : vous ne trouverez pas ce que vous recherchez ici. Ces lieux ne sont pas faits pour les humains.
- W-Well ! Au risque de vous décevoir, rétorqua l’interpellé avant qu’elle ne bondît du rocher sur lequel elle se tenait assise, je pense, au contraire, que l’endroit est parfait pour bâtir le futur auquel j’aspire pour les jeunes générations à venir. Comme je vous l’ai dit, l’épée ne m’intéresse pas ; quant à la forêt, je n’avais pas l’intention de l’inclure au sein de l’école. Toutefois... je suis prêt à reconsidérer mon projet si vous acceptez de m’en dire plus sur vous et votre peuple.
Siloe fronça les sourcils, mais le guerrier ne lui laissa pas le temps de protester et reprit sur un ton plus assuré :
- Vous protégez cette forêt, car elle-même protège votre peuple. Pour le moment, la mauvaise réputation qui la hante maintient les hommes à l’écart, cependant, de la même manière que les vents changent, les croyances évoluent ; je peux partir aujourd’hui, mais soyez sûre que bientôt, d’autres hommes viendront à la recherche de terres à exploiter. Et même si vous parvenez à les chasser, d’autres viendront, encore et encore, jusqu’à ce que vous n’ayez plus de forces pour les repousser.
- ... C’est une menace ?
- Loin de là !, assura Godric non sans un léger sourire. Comprenez bien que l’école que je compte construire en ces lieux sera réservée à l’apprentissage de la magie. Je souhaite épargner aux nouvelles générations le rejet auquel je fus sujet, et les élever dans le respect des différentes croyances de ce monde ; car la peur peut faire faire bien des choses, et ce n’est pas en grandissant dans la crainte de la lumière, qu’une fleur s’épanouira à la hauteur de son véritable potentiel. Aussi, mes compagnons et moi-même travaillons à la tâche complexe d’établir une protection magique suffisamment puissante pour assurer à nos élèves et à nous même des siècles d’apprentissage en toute tranquillité.
Siloe le dévisagea en silence ; et bien que son visage ne laissât filtrer aucune émotion, Godric avec perçu la faible lueur qui, le temps d’un battement de cil, avait brillé au fond de ses yeux d’ambre. Il avait encore une chance.
- Je suis certain, qu’après leur avoir donné les détails de votre situation, ils ne verront aucun mal à-
- Autrefois, quand cette forêt n’était pas encore l’ombre de ce qu’elle avait été, l’interrompit-elle froidement, ma Reine voulait elle aussi trouver un compromis pour cohabiter avec les humains. Elle brava les interdits, et vécut à leurs côtés dans le but de mieux les comprendre et d’établir au plus vite une solution durable. Mais quand ceux-ci découvrirent sa véritable nature, ils refusèrent de l’écouter et rejetèrent tout ce qu’elle avait tenté de bâtir entre nos deux peuples. Alors vînt un sorcier, dont le désir de destruction était si grand, qu’il profita du malentendu régnant entre nos deux peuples pour nous monter les uns contre les autres, et nous mener à notre propre ruine. Et vous voudriez que nous vous confions nos vies sur de simples paroles ?!
Le sorcier ouvrit la bouche pour répliquer, mais la créature bondit devant lui et continua d'un ton acerbe :
- Comment savoir si vous êtes en quelque façon différent de ce sorcier ? Tout comme lui, le langage du fer vous est aussi naturel que celui de cette magie, dont vous semblez si fier ! Tout comme lui, vos mots semblent de miel et vos intentions ne sont jamais ce qu’elles paraissent être !
- V-Vous pouvez me reprocher bien des choses, ma dame, mais ne m’offensez pas, je vous prie !, répliqua l’interpellé d’une voix vibrante. Je puis vous promettre que je n’ai pas le moindre désir de vous nuire, à vous ou à quiconque habitant cette forêt ! Et si ces paroles ne sauraient trouver valeur à vos yeux, alors je vous prie de me laisser prouver leur véracité de la manière qui vous conviendra !
Siloe le considéra d’un air glacial.
- Oh... vraiment ? Très bien ; si c’est ce que vous souhaitez... ! Suivez-moi.
Prêt à tout pour attester de sa sincérité, Godric obtempéra sans même hésiter - ne fut-ce qu’un instant ! -, et s’enfonça à la suite de la créature au sein de la forêt profonde. Cerné par un voile épais de ténèbres, le sorcier ne parvenait à avancer qu’en imitant les gestes de Siloe, dont la silhouette longiligne évoluait sans peine parmi les ombres de la nuit ; et plus ils avançaient, plus le temps passait, et plus le sorcier avait la sensation de mollir, comme si quelque chose, dans l’air, le drainait petit à petit de ses forces.
Il peinait à récupérer son souffle, quand la créature disparut derrière ce qu’il devinait être le tronc imposant d’un chêne. Jurant entre ses dents, Godric se força à se redresser et accéléra le pas pour la rattraper ; il s’apprêtait à l’appeler pour la prier de l’attendre, mais les mots moururent sur ses lèvres au moment même où il dépassait à son tour l’arbre centenaire.
Glissant sereinement sur les contours polis des roches, une source se tenait là, plus brillante encore qu’un clair de lune ; et bien qu’il n’aurait su expliquer comment, le sorcier comprit qu’il avait là, sous les yeux, l’origine même de la forêt, ce par quoi tout avait commencé, et ce par quoi tout finirait.
- La Source Primordiale, déclara Siloe, est le cœur de cette forêt ; sans Elle, rien de tout cela n’existerait. Elle en est aussi la Gardienne, et c’est à son Jugement que je ferais appel aujourd’hui. C’est Elle qui me dira si vous êtes digne de confiance, Godric Gryffondor.
L’interpellé haussa les sourcils.
- Comment ?
- En buvant de Son eau, vous acceptez de vous soumettre aux Lois de la forêt : vous deviendrez l’un des nôtres. Mais s’il se trouve que vous m’avez menti, et que vous venez à échouer...
- ... je paierai le prix de ma félonie, j’imagine ?, marmonna le guerrier en mettant un genou à terre.
Ce n’était pas la première fois que Godric entendait ce genre de récit ; néanmoins, et il en aurait jeté sa propre baguette au feu, celui-ci n’avait rien des fables que les moldus aimaient parfois à colporter d’un village à l’autre. La menace était bien réelle, et pour peu que cette source décidât que son existence pourrait se révéler potentiellement nuisible pour elle et ses protégés, il y perdrait sans doute l’esprit, si ce n’était ce qu’il restait d’années à vivre.
Pour autant, le guerrier estimait qu’il n’avait guère à craindre, puisqu’étant incapable de se mentir à lui-même, il savait lire en ses sentiments comme dans un livre ouvert ; aussi, recueilla-t-il un peu d’eau dans le creux de sa paume, et sous le regard attentif de la créature, la porta à ses lèvres et l’avala.
Quoiqu’on pût en dire, cependant, de l’eau restait de l’eau, et qu’elle fût véritablement magique ou non, celle-ci n’échappait pas à la règle. Godric secoua sa main d’un geste bref et se releva, en souriant.
- Me jugez digne de votre confiance, à présent ?
Siloe le contempla en silence ; si son expression s’était indubitablement adoucie, il demeurait, dans son regard, quelque chose de confus, comme un vieil écho d’un temps passé qui, malgré la pression des âges, se refusait de mourir tant qu’il lui restait encore un petit soupçon d’espoir.
- ... Ne ressentez donc vous rien ?, murmura-t-elle enfin.
Le sorcier nia d’un signe de la tête ; il allait lui assurer qu’il se portait comme un charme, quand une vague de chaleur le saisit brusquement à la gorge d’une poigne de fer. Le souffle coupé sous la violence de l’attaque, Godric se sentit défaillir et laissa retomber un genou à terre, tandis qu’il se démenait pour respirer.
Mais plus il luttait contre lui-même, et plus le supplice semblait gagner en intensité, comme si à chacune de ses inspirations douloureuses, l’air venait, de son toucher volatile, écorcher toujours un peu plus profondément sa peau meurtrie.
Sa vision se troubla ; et lorsque, dans un dernier effort, il voulut redresser la tête pour tenter de discerner le visage de celle qui avait finalement eu raison de lui, le guerrier céda sous la pression et s’écroula, inerte, au cœur des ténèbres.
*
Quand Godric rouvrit les yeux, les rayons du soleil levant inondait la pièce dans laquelle il se trouvait allongé. Il ne lui fallut guère de temps pour réaliser qu’il se trouvait dans la chambre que son hôte lui avait gentiment prêté le temps de son séjour à Pré-au-Lard, et qu’il était donc tout à fait normal qu’il s’y réveillât. Néanmoins, il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il y avait là quelque chose d’étrange, voire de très étrange, comme s’il ne se trouvait pas à sa juste place.
C’était, en général, une sensation qu’il éprouvait lors de ces lendemains de beuverie, où il se retrouvait avec le corps taillé dans la pierre et la tête engoncée dans une chape de plomb, et pendant lesquels il passait la journée à décuver les tonnes d’alcool qu’il avait ingérées la veille ; or, tout aussi confus qu’il fut, Godric était certain de ne pas avoir vu l’ombre d’une cruche d’hydromel depuis son arrivée au village. Sans compter le fait qu’il n’était plus vêtu que de sa chemise, ce qui confirmait le fait qu’il s’était couché sobre : il n’avait jamais l’esprit de se changer sinon. Autrement dit...
- Ces « compagnons » dont vous parliez... est-ce qu’ils sont comme vous ?
Le guerrier releva péniblement la tête et accrocha le regard d’ambre, qui l’observait depuis le recoin droit de la pièce.
- Si, par « comme moi », vous entendez « beau, charmeur, et particulièrement doué pour survivre », plaisanta-t-il malgré la douleur sourde qui lui vrillait les tempes, je me dois de vous décevoir, ma dame : il n’existe malheureusement qu’un seul et unique Godric Gryffondor, et il se tient devant vous.
- ... Vous m’en voyez ravie.
Bien qu’amusé par l’ironie à peine contenue dans ces mots, Godric s’abstînt de rétorquer quoique ce fut ; il avait l’esprit encore trop embrumé pour se risquer à quelques joutes verbales de si bon matin.
- La Forêt vous a jugé digne de sa confiance, reprit Siloe après avoir marqué un bref silence. Je vous dois donc des excuses, Lion Écarlate.
- Nul besoin de cela !, l’interrompit-il alors qu’elle faisait mine de s’incliner. Votre méfiance était tout à fait légitim-
Le sorcier laissa échapper un grognement de douleur et se hissa contre le dossier du lit ; sa tête lui faisait l’effet d’une cloche. Lourde et bruyante.
- Toutefois, si vous tenez sincèrement à vous absoudre, je vous serais très reconnaissant si vous acceptiez de me conter l’histoire de votre peuple, dont j’ignore tout jusqu’à son propre nom.
- C’est là une bien longue histoire..., songea la créature à voix haute. Êtes-vous certain d’être en mesure de l’entendre ?
Un large sourire se peignit sur le visage buriné du guerrier.
- Je vous suis tout dévoué, ma dame.
- Je ne suis pas une dame, Godric Gryffondor, répliqua Siloe en s’asseyant alors sur le rebord du lit. Je suis ce que vos ancêtres ont longtemps appelé « nymphe », ou plutôt...
Dryade.