Son cœur se serre, comme pris dans un étau, elle peut à peine respirer. Le froid l’envahit, une glaciale angoisse qui la transit toute entière. Et soudain, la douleur. Foudroyante, un feu de peur et de souffrance qui la transperce. Tout s’efface autour d’elle, plus rien d’autre ne compte que ce brasier en elle, le mal qui la dévore, la brûle. Son cœur semble sur le point d’exploser, elle ne voit plus qu’à travers un brouillard de larmes.
Elle crie. Elle hurle. Ses cordes vocales semblent sur le point de se rompre, et pourtant le son qu’elles produisent n’exprime pas la moitié de la douleur qu’elle éprouve.
Que ça s’arrête… que tout s’arrête…
Les fantômes qui l’entourent veulent sa mort, elle les voit, elle en devine la silhouette à travers ses larmes. Son cœur bat à tout rompre, malgré l’étau qui l’enserre. Il résonne à ses oreilles, la peur grandit encore, l’habite jusqu’au plus profond de son être. Elle ne peut plus respirer…
Elle ne peut plus…
***
— … semble reprendre conscience peu à peu. C’est très encourageant.
— Est-elle sortie d’affaire ?
— Je ne peux pas me prononcer.
Ces voix… Katie tenta de bouger, mais son corps ne semblait pas répondre. Elle avait une très vague conscience de ses bras, de ses jambes, mais c’était comme si son esprit s’était réfugié dans un endroit reculé de son cerveau, et refusait de commander quoique ce soit.
Elle tenta d’émettre un son, mais rien ne se produisit. A travers ses paupières closes, elle devinait une forte lumière blanche. L’idée qu’elle fût dans l’au-delà lui traversa l’esprit.
— Notre cheminée est raccordée au réseau de Ste Mangouste, dit la voix féminine. Contactez-nous dès que vous en savez davantage, nous viendrons aussitôt.
— Je reste cette nuit, renchérit une voix masculine. Si elle se réveille, je serai là.
— Chéri, tu es épuisé…
Le lien se fit brusquement dans l’esprit de Katie, comme un flash. Maman… Papa… Elle tenta à nouveau de bouger, de parler, d’ouvrir les yeux, mais c’était peine perdue. La frustration était telle qu’elle sentit son cœur s’emballer, à la fois de colère et de peur. Elle eut vaguement conscience de la panique que cela suscita autour d’elle, avant que quelqu’un parle d’une potion à lui donner, et qu’elle ne sombre à nouveau dans l’oubli.
Are you out there?
Do you know me?
C’est la sensation d’une présence qui la tira des limbes une nouvelle fois. Son esprit semblait sortir peu à peu de l’endroit où il s’était terré, elle le sentait reprendre légèrement possession de son corps. Elle avait conscience de ses bras, de ses jambes. C’était ténu, diffus, mais elle devinait le contact du tissu sur sa peau. Des draps, peut-être un vêtement également.
Mais il n’y avait pas que cela. La présence qu’elle sentait était humaine. Elle se rendit compte qu’elle percevait non seulement sa main, mais également celle de quelqu’un d’autre, posée sur la sienne. La chaleur qui se dégageait de ce contact semblait attirer toute sa conscience, comme un aimant.
— Vous ne pouvez pas rester plus longtemps, dit une voix qui semblait très lointaine.
— Mais les visites ne sont pas terminées…
— Notre liaison cheminée avec Poudlard va bientôt fermer. Il faut que vous retourniez à l’école avant, sans quoi le professeur Chourave ne vous laissera plus revenir.
La main quitta celle de Katie, qui eut envie de tendre le bras pour la retenir. Reste… Reste… Elle se sentait glacée, la gorge serrée comme si on l’abandonnait. Et son corps ne répondait toujours pas. C’était comme être enfermée derrière un miroir sans tain, à faire de grands gestes désespérés, en espérant être enfin remarquée. Mais personne ne la voyait… Et sa mémoire lui faisait défaut, elle n’arrivait pas à reconnaître cette voix, cette présence, à qui elle aurait pourtant voulu hurler de ne pas partir…
Reste… Reste… Reste !
La sensation de décharge qui la traversa toute entière lui coupa le souffle. Ses bras, ses mains, ses jambes, elle en avait à présent si fortement conscience que c’en était douloureux. Sa poitrine semblait écrasée sous une enclume, elle tenta vainement de prendre une inspiration mais c’était peine perdue.
Le bruit caractéristique d’une agitation retentit près d’elle.
— Miss Bell, vous m’entendez ?
Quelqu’un venait d’attraper sa main.
— Serrez ma main si vous m’entendez, miss Bell.
Respirer… Respirer…
Elle sentit un spasme la secouer lorsqu’au prix d’un effort surhumain ses doigts se crispèrent autour de la main inconnue.
— Philtre Calmant, ordonna la voix avec fermeté. Il me faut également un somnifère renforcé en valériane.
Non… Je suis là… Ne me faites pas repartir !
Elle continuait à crisper ses doigts au point que c’en était douloureux. C’était tout ce qu’elle pouvait faire pour manifester sa présence, pour leur montrer qu’elle les entendait, qu’elle pouvait revenir…
— Miss Bell, votre esprit n’est pas encore guéri, dit doucement la voix près d’elle. Il a besoin de temps pour se reconstituer complètement. Vous reviendrez bientôt.
Non ! Je peux revenir, je peux me réveiller…
Le liquide qui se déversa doucement dans sa gorge la prit au dépourvu, et son esprit se focalisa sur cette sensation. Ce fut de courte durée, car un brouillard l’envahit bientôt, et elle sombra à nouveau.
Ses reprises de conscience étaient de plus en plus fréquentes, et de plus en plus longues. Elle sentait peu à peu ses forces revenir, les sensations dans ses membres. Ses yeux demeuraient clos, mais elle identifiait un peu plus chaque jour les voix qui l’entouraient. Ses parents étaient revenus, plusieurs fois. Elle communiquait avec eux par contact, serrant leurs mains pour leur répondre. C’était à chaque fois douloureux, mais de plus en plus facile. Elle n’avait plus la sensation d’être enfermée dans une cage, de hurler sans personne pour l’entendre.
Elle revenait, elle le sentait. Son esprit guérissait, mais de quoi ? Elle n’en avait aucun souvenir. Seule la douleur qu’elle éprouvait à chaque contraction d’un muscle lui rappelait que c’était une souffrance mille fois supérieure qui l’avait mise dans cet état.
Privée de la vue, elle se focalisait sur ses quatre autres sens, son ouïe et son odorat en particulier. Il lui semblait reconnaître le parfum des conifères, ainsi que l’odeur de la neige lorsque l’on ouvrait la fenêtre de sa chambre, et que l’air froid rentrait. Noël approchait… Combien de temps était-elle restée inconsciente ? Combien de temps cela durerait-il encore ?
Can you feel me?
Can you show me?
Ses parents, ses grands-parents, son petit frère vinrent la voir. Elle les reconnaissait désormais, leurs voix lui étaient familières. Ils lui parlaient de Poudlard, un nom qui lui évoquait quelque chose de lointain. Ils lui parlaient d’un collier, qui avait failli la tuer. Cela lui rappelait quelque chose, très vaguement. Elle ne se remémorait pas la scène, mais supposait que la douleur dont elle se souvenait y était associée.
Et puis un jour, il y eut une autre personne. Katie s’en aperçut à l’instant où elle franchissait le seuil de sa chambre d’hôpital, car le parfum qui se diffusa dans la pièce la ramena au moment où elle avait pour la première fois pu à nouveau contrôler son corps. C’était cette chaleur sur sa main, ce contact fugace mais si puissant, qui l’avait saisie et avait amorcé sa lente sortie d’inertie…
Alors, lorsque cette personne s’assit à nouveau à côté d’elle, Katie ressentit à nouveau cette force l’envahir. Lorsque la main se posa sur la sienne, elle sentit son cœur se serrer, paniquée à l’idée de se trouver encore une fois prisonnière de ce corps léthargique, de ne pas pouvoir communiquer… Elle sentait sa respiration s’accélérer, essayant désespérément de remettre un visage sur ce contact. Ses souvenirs étaient encore si confus…
— Bonjour Katie.
Cette voix, par Merlin…
Katie sentit un nouveau spasme la secouer toute entière, mais cette fois elle ne fit pas de crise. Cette fois elle sentit le sang affluer dans toutes ses veines, reprendre possession de ses mains, de ses bras, de sa poitrine… jusqu’à son visage, ses yeux, et sa bouche.
Pour la première fois depuis un temps qui lui avait semblé infini, elle ouvrit les yeux.
Et elle put enfin mettre un nom sur le visage penché vers le sien, sur ce regard si familier qu’elle se demanda comment elle avait pu l’oublier. Ses cordes vocales la brûlaient, mais il fallait qu’elle prononce ce nom.
— Leanne…