— Moi je le crois.
La voix d’Ernie avait cette capacité de résonnance, qui donnait l’impression parfois qu’il utilisait un « Sonorus », tant elle écrasait toutes les autres. Dans la salle commune des Poufsouffle, à cette heure avancée de la nuit, il ne restait plus grand monde. Au coin du feu, Ernie, Hannah, Leanne et Justin avaient vainement tenté de se concentrer sur leurs devoirs de Défense contre les forces du mal avant que la conversation ne dérive vers Potter et ses propos sur le retour du Seigneur des Ténèbres.
Leanne soupira, et essaya de se replonger dans son manuel, plus ennuyeux encore que celui d’Histoire de la Magie. Elle doutait sérieusement de l’efficacité des enseignements du professeur Ombrage, mais puisqu’il fallait les suivre…
— Moi aussi, Ernie, soupira Hannah, moi aussi. Mais cette réunion… Je ne sais pas, nous sommes préfets toi et moi, nous avons la responsabilité de…
— Au diable cette responsabilité ! s’emporta Ernie. Harry a vu Tu-Sais-Qui revenir, et il faut qu’on apprenne à se défendre. Ce n’est pas avec ces fichus livres qu’on arrivera à quoique ce soit… Les cours de cette Ombrage sont une insulte à Poudlard.
— Je me suis rarement autant ennuyé en classe, confirma Justin. Même les cours de Quirrell en première année étaient plus palpitants.
Leanne acquiesça, et Hannah lui sourit.
— Moi je suis pour qu’on y aille, dit Justin. Juste pour voir au moins. Hermione Granger a dit que ça ne nous engageait à rien. Et la Tête de Sanglier, c’est un endroit sûr, tous les autres seront aux Trois Balais, personne ne risque de nous surprendre là-bas.
Ernie se tourna vers Leanne, l’air si solennel qu’elle en fut presque intimidée.
— Et toi, Leanne, tu seras des nôtres, je suppose ?
— Si… si vous y allez tous…
Elle adressa un regard plein d’espoir à Hannah, qui jouait machinalement avec sa plume.
— C’est bon, j’irai, marmonna la préfète.
— Parfait, dit Ernie. Donc Leanne, nous te comptons parmi nous samedi. Tu ne peux pas refuser, maintenant.
— Il y aura… beaucoup de monde ? demanda-t-elle.
— Probablement pas, dit Justin. Déjà, il n’y aura sûrement aucun Serpentard. Mais il y aura pas mal de Gryffondor, parce que Harry a bonne presse chez eux. Et il y aura au moins nous quatre de Poufsouffle. Ah, Susan aussi compte y aller, et je crois que Zacharias est intéressé.
— Zacharias ? répéta Hannah, l’air abasourdi.
Leanne était tout aussi stupéfaite. Il était le dernier qu’elle aurait imaginé risquer d’enfreindre le règlement pour faire quelque chose d’un peu courageux.
— Je suis aussi surpris que toi, dit Justin. Peut-être que c’est juste de la curiosité…
— Ou qu’il vient espionner pour tout rapporter au crapaud, gronda Hannah. Si jamais elle apprend l’existence de cette réunion, on saura de qui ça vient.
Leanne se garda de renchérir. Elle ne portait pas spécialement Zacharias dans son cœur, mais elle n’aimait pas juger à l’emporte-pièce. Peut-être qu’il avait réellement envie de se révolter avec eux, et que c’était en réalité un premier pas de sa part dans leur direction…
— Il devrait y avoir quelques Serdaigle, reprit Ernie. Lovegood devrait en être, et Chang aussi.
Hannah eut un petit rire.
— Oui, Chang certainement. Ne serait-ce que pour écouter Potter parler. Il lirait un manuel de cuisine qu’elle boirait ses paroles…
Leanne se tortilla un peu sur son fauteuil, mal à l’aise. Hannah était plus que remontée contre Cho Chang, depuis la mort de Cedric, et surtout depuis qu’elle semblait, selon ses observations, s’en être remarquablement remise, du moins suffisamment pour courir à nouveau après Potter. Mais ce n’était pas un crime de vouloir continuer à vivre, non ? Leanne imaginait sans peine que Cho avait dû passer son été à faire son deuil, sans forcément recevoir de soutien, il était injuste de lui reprocher de ne pas continuer à se morfondre et de vouloir se relever…
— Ne sois pas mesquine, Hannah, la morigéna Ernie d’un ton sévère.
— Et toi, arrête de me parler comme si j’étais une enfant, ça commence à devenir très agaçant. Je suis la seule ici à trouver que la mort de Cedric a été bien vite oubliée ?
— Tu es injuste, dit Justin. Tu sais très bien que c’est faux. Mais il y a d’autres préoccupations, et justement, ce sont ces préoccupations qui font que nous allons aller écouter Potter. Parce que si personne ne réagit face à la menace, alors oui, Cedric sera mort pour rien. Cette simple réunion, c’est déjà la marque que personne ne l’a oublié.
Leanne suivit du regard ses deux camarades à mesure qu’ils échangeaient leurs paroles, et s’efforça de cacher son malaise. Elle détestait que des gens se disputent près d’elle, surtout deux personnes qu’elle appréciait autant que Hannah et Justin. Et s’ils finissaient par ne plus du tout s’entendre, et s’ils se fâchaient définitivement ? Elle était suffisamment gênée par le traitement réservé à Zacharias, même s’il ne faisait pas grand-chose pour faire pencher la balance en sa faveur.
— Il y aura beaucoup de gens, donc, murmura-t-elle finalement.
— Oui, c’est vrai qu’en faisant le compte, ça fait du monde, constata Ernie. Mais c’est bon signe justement, ça montre que Poudlard s’engage contre Vous-Savez-Qui, et ça montre aussi que la parole de Potter a du poids. C’est pour ça que nous devons y aller, pour lui montrer notre soutien.
Il fixa alternativement Hannah et Justin, l’air sévère.
— Et pour montrer que Cedric n’est pas oublié. Il aurait cru Potter lui, et il aurait participé à cette réunion.
— Si Cedric n’était pas mort, cette réunion n’aurait pas lieu d’être, puisque ça voudrait dire que le Seigneur des Ténèbres n’est pas revenu, dit une voix calme derrière eux.
Leanne se retourna, et aperçut Zacharias, adossé à un mur dans l’ombre, les bras nonchalamment croisés.
— Depuis combien de temps nous écoutes-tu ? demanda Hannah d’une voix agressive.
— Je viens juste de descendre du dortoir. Je n’ai pas l’habitude d’arriver dans la salle commune en faisant résonner un concert de casseroles…
— C’est certain, cette façon de faire aurait plus sa place dans les dortoirs du côté des cachots… gronda-t-elle.
Zacharias haussa les épaules. Pour autant qu’elle s’en souvienne, Leanne avait toujours entendu des Poufsouffle sous-entendre qu’il n’avait pas sa place chez eux, et il avait toujours botté en touche.
— Ne te sens pas obligé de rester, reprit Hannah, a priori ce dont nous discutons ne t’intéresse pas.
Zacharias lui jeta un regard plus que méprisant, et sortit de l’ombre pour venir s’asseoir sur le canapé, près de Leanne qui lui adressa un sourire mal à l’aise auquel il répondit par un bref hochement de tête. De la part de Zacharias, cela équivalait à une révérence…
— Je te trouve bien peu charitable Hannah, pour quelqu’un qui prend plaisir à me rappeler régulièrement que le Choixpeau m’a envoyé dans la mauvaise maison…
— C’est vrai que le Choixpeau lui-même dit dans sa chanson qu’à Poufsouffle on recueille ceux dont personne ne veut nulle part, siffla Hannah.
— Arrêtez tous les deux ! s’exclama Ernie en adoptant ce que Leanne appelait sa « posture de Préfet », les mains sur les hanches et le menton relevé.
Hannah et Zacharias semblaient sur le point de se sauter à la gorge, mais ils se contentèrent de s’éloigner le plus possible l’un de l’autre sur le canapé, au point que Leanne se trouva un peu serrée contre l’accoudoir lorsque Zacharias la força à se décaler sans ménagement.
Il y eut un long silence, durant lequel les quatre paires d’yeux convergèrent vers Zacharias. Hannah semblait attendre désespérément qu’il se lève et les laisse, mais il s’était confortablement installé dans le canapé, sans avoir la moindre intention de partir.
— Samedi, donc ? dit-il simplement.
— Samedi, répondit Ernie.
— J’en serai.
— Quoi ?! s’étrangla Hannah. Toi ? Tu as autant ta place là-bas qu’Ombrage elle-même !
Leanne sentit le malaise la gagner de plus en plus. Elle adorait Hannah, qui avait été la première à lui accorder de l’attention en dépit de sa timidité maladive, qui la rendait invisible aux yeux de la plupart des gens. Mais elle pouvait se montrer si vindicative… Comme lorsqu’elle avait ostensiblement affiché son soutien à Cedric lors du Tournoi, en n’hésitant pas à arborer le badge « Vive Cedric Diggory, le vrai champion de Poudlard ».
— Tu lui ressembles de plus en plus, à te montrer aussi mesquine, siffla Zacharias.
— Oh par Merlin, ça suffit ! soupira Justin, excédé.
Hannah se leva d’un bond.
— Très bien. Laissez-le venir. Et quand Ombrage saura ce qui se prépare – parce qu’elle l’apprendra, soyez-en sûrs –, nous saurons qui pointer du doigt.
Leanne risqua un regard vers Zacharias qui serrait les poings, la mâchoire crispée. Il ne répondit rien, et Hannah partit vers le dortoir d’un pas vif.
— Ça lui passera, dit Justin. Fais-toi oublier lors de cette réunion, et ça ira.
— Je n’ai aucun compte à lui rendre, asséna Zacharias d’une voix glaciale. A aucun d’entre vous. J’appartiens à cette maison autant que vous.
Sans qu’elle comprenne pourquoi, il se tourna vers Leanne et la désigna d’un vague geste de la main.
— Vous me reprochez de ressembler à un Serpentard, en revanche personne ne lui dit rien sur son côté très clairement Serdaigle, étrangement.
— Serdaigle ? couina Leanne.
— Évidemment. Le nez dans tes bouquins en permanence, à ne jamais décrocher un mot, trop occupée à te poser de grandes questions existentielles.
Leanne rougit jusqu’aux oreilles et baissa les yeux. Elle regretta brusquement que Hannah soit montée se coucher.
— Je ne me pose pas de grandes questions existentielles, murmura-t-elle.
— Ah bon ? Eh bien mêle-toi un peu plus au commun des mortels, alors. Hier encore il y a un Serdaigle de notre année qui m’a demandé comment tu t’appelais.
Leanne ne sut que répondre. Elle qui pensait que s’il y avait bien une personne après qui Zacharias n’avait pas de grief c’était elle, puisqu’elle ne lui avait jamais rien dit de désobligeant, mais ce n’était visiblement pas suffisant.
— Désolée, souffla-t-elle, avant de se lever, son grimoire de Défense contre les Forces du Mal serré contre elle. Je vais dormir.
Elle s’engagea dans les escaliers menant aux dortoirs des fics en courant à moitié, le sang lui battant les oreilles. Hannah discutait avec Susan lorsqu’elle arriva, et elles ne firent pas attention à elle. Leanne s’empressa de se mettre en pyjama et se glissa sous sa couette sans un mot.
— Smith veut y aller, gronda Hannah. Il va nous dénoncer dans l’heure qui suit, c’est évident…
— Laisse-lui une chance, dit Susan d’une voix douce. C’est un Poufsouffle, comme nous. Si on persiste à l’exclure, il a beaucoup plus de risques de se retourner contre nous. Alors qu’en lui tendant la main…
Hannah eut un petit rire.
— Sans lui tendre la main, au moins je ne la lui coincerai pas dans la porte.
Leanne vit le rideau de son lit s’écarter, et le visage de Susan apparut.
— Regarde notre gentille Leanne. Elle ne lui a jamais parlé de travers, résultat il est charmant avec elle.
— Charmant, je n’irais pas jusque-là… marmonna Leanne.
— Il t’a dit quelque chose ? s’enflamma aussitôt Hannah. Répète-moi ses moindres mots, et je vais aller lui faire cracher des limaces à ce Veracrasse !
— Il a juste dit que je ne parlais pas assez aux autres élèves.
Susan s’assit sur l’édredon et sourit.
— Samedi ce sera l’occasion de nouer quelques contacts, il y aura des élèves de toutes les maisons et de toutes les années, de ce que m’a dit Hannah.
Leanne acquiesça, un maigre sourire aux lèvres. Probablement que les gens se demanderaient qui elle était lorsqu’elle entrerait dans la taverne, si jamais ils remarquaient sa présence. Elle connaissait tous les élèves de Poudlard, tous leurs noms, parce qu’au lieu de parler, elle écoutait, et gravait ces détails dans sa mémoire. Mais personne ne la connaissait, elle.
Pour la plupart des élèves, Leanne Lindley était inconnue au bataillon.