Bonjour à toutes et à tous ! Cette fiction est une participation au concours de Violety, Portraits de jeunes sorcières en feu. Le trope classique de la fanfiction est Enemies to lover. Bonne lecture !
Lavande était une image de conte pour enfant. Une princesse qui attendait son prince en soupirant exagérément, impatiente de remplir sa vie de couleurs. Oh, elle avait bien quelques fantaisies, comme cette passion grotesque pour la voyance mais elle restait lisse, engoncée dans une féminité froufroutante et tapageuse. Du rose, sur les joues et les lèvres. Des cils peignés. Des paupières irisées. Une chevelure domptée. Une peau sans imperfection. Un ventre plat. Lavande contrôlait son apparence et imitait les plus âgées en raccourcissant ses jupes et en lançant des regards aux garçons qui lui plaisaient.
Je la méprisais bruyamment pour cela. Moi, la fille qui n’arrivais à se lier d’amitié qu’avec des garçons et qui effaçais méthodiquement toute forme de féminité. Ce mépris n’était probablement qu’un moyen maladroit d’accentuer nos dissemblance. Et d’éluder cette obsession improbable. Je me figurais deux caricatures sans relief : l’une se plongeait hargneusement dans les études et dédaignait toute forme de coquetterie, l’autre contemplait longuement son reflet dans le miroir et rejetait brusquement les manuels au fond de son sac. L’élève studieuse contre la désinvolte. La féminité affirmée contre la fille qui n’assumait pas les apparats de son sexe.
Il y avait quelque chose d’enfantin dans cette dichotomie forcée. Je savais qu’il existait de multiples manières d’être femme et qu’aucune n’était mauvaise, ma mère me l’avait suffisamment répété. J’assumais ma mauvaise foi. Lavande était plus que cette maladroite photo volée. C’était une amie fidèle, du genre à porter sa loyauté en étendard. Elle avait prouvé à maintes reprises son hardiesse et sa combativité. Et, surtout, elle assumait sans fard ses passions, se moquant du ridicule. L’école l’ennuyait, elle préférait découvrir des messages cachés dans les grains de thé, au fond de sa tasse. Lire les cartes avec le sérieux d'un pape. Analyser ses rêves et les écrire dans son grand carnet en velours. Puis, elle avait cette lueur qui dansait au fond de ses yeux clairs. Une ombre joyeuse, presque joueuse, brillante et iridescente.
Quand je glissais mon regard dans celui de Lavande, je sentais la pieuvre s’agiter dans mon ventre. Les tentacules s’animaient, me plongeant dans une torpeur moite. J’avais déjà eu cette drôle de sensation quand je m’étais perdue dans les bras de Viktor. Pourtant, je n’aimais pas les filles. Les accidents de cheminettes, les maladies mortelles, les passions involontaires : cela n’arrivait qu’aux autres. Je devinais la société sorcière scandaleusement conservatrice sur le sujet. J’avais eu beau chercher dans les archives : nul Mouvement de Libération des Femmes, ni de révolution sexuelle. La première vague du féminisme sorcier n’était pas advenue et je pressentais que l’homosexualité ou la bisexualité était une rumeur pleine de vulgarité. Il était plus aisé d’afficher un mépris farouche et sanglant envers ma colocataire de chambrée qu’assumer une autre bizarrerie. J’étais déjà trop différente. Puis, ce brasier dans mon bas ventre finirait bien par s’éteindre, comme pour Viktor.
Un soir de victoire, Ron déposa maladroitement ses lèvres sur celles de Lavande. Ron ! Le monstre qui s’agitait dans mon ventre se réveilla avec fureur. Il y avait quelque chose d’obscène dans cette étreinte publique. Je m’en fus avec fracas, me moquant de ce qu’ils pouvaient penser. Ils pensèrent mal, évidemment. Convaincus de ma jalousie hardante et de mon amour éperdu pour Ron. Même Harry s’y prit. Je les confortais de mon ombrage. Les voir me rendait si malade que je me plongeais ardemment dans les études et délaissais la Salle Commune et la Grande Salle. Je mangeais seule et m’enfermais au fond de la bibliothèque. La nuit, je m’entortillais dans mes draps, écœurée à l’idée que Ron puisse me dérober cette lueur. Comme si elle m’avait un jour appartenue. La pieuvre s’ébrouait de rage dans mon estomac brulant.
Voir leur amour balayé par des contingences pathétiques de l’adolescence fut une grande et honteuse satisfaction que je n’avoua jamais. L’épisode de l’infirmerie marqua un tournant. Ron, encore ! Lavande s’enfonça dans une hostilité sournoise. Une ombre glaciale ondoyait dans sa pupille lorsqu’elle me regardait. Il y avait quelque chose de si douloureux dans cet échange que je regretta rapidement le temps de l’indifférence joueuse.
La guerre arriva et emporta tout. La mort de Dumbledore. Le sort d’oubli jeté sur mes parents. Le Mariage de Bill et Fleur. La fuite. Les horcruxes. Une quête pleine d’embruns glacés, d’attente et de solitude. Je me sentais gelée de l’intérieur. Lors de mes tours de garde nocturnes, je me réchauffais en pensant à Lavande. Pellicules de moments volés dans notre dortoir. Lavande qui appliquait son baume, Lavande et son rituel suranné. J’appris bien plus tard que Lavande ne prenait plus ce temps là. Que la guerre lui avait dérobé cette coquetterie que je trouvais jadis si vaine. La nuit, elle rodait dans les couloirs, tagguait des messages de la résistance et délivrait les élèves enfermés dans les cachots.
Nous nous retrouvâmes dans la Salle sur Demande, le soir de la Grande Bataille, surjouant une hostilité précieuse. La nuit changea tout, évidemment. J’entendis avant de voir. Le feulement du loup, les gémissements de douleur de Lavande. Le sang qui inondait jusqu’à la pupille. Le monstre pour enfants ne pouvait s’empêcher de vouloir dévorer cette idole blonde, évidement. Il s’amusait à détruire sans candeur, fascinée par la beauté de sa victime. Je le tuais d’un coup de baguette verdâtre. Un sort interdit pour sauver Lavande des griffes du grand méchant loup. Elle s’effondra ensuite si vertement qu’un instant je la crus morte.
L’après guerre fut un ravage. Poudlard était un cimetière à ciel ouvert. Un gouffre de peine et de tristesse. La société sorcière voulait oublier sa lâcheté. On s’enthousiasma un instant du courage de ces enfants combattants avant de les reléguer aux annexes des livres d’histoire. Désormais, il fallait vivre, s’amuser, prendre du plaisir. La guerre devint rapidement une rumeur grinçante que personne n’osait plus évoquer. Il suffisait pourtant de visiter les couloirs de Saint Manguste pour comprendre que la guerre était loin d’être achevée.
La convalescence de Lavande fut interminable. Elle resta des semaines plongée dans un sommeil perturbé. Son corps était enrubanné de mètres de papiers stérilisés. Je devinais que j’étais arrivée trop tard. Est-ce que l’on pouvait se remettre d’un tel corps à corps ? Je l’ignorais moi même, ayant du mal à me défaire de cette cicatrice qui ornait mon bras et dont les souvenirs obscurcissaient mes nuits. Les gens murmuraient que, sa beauté dérobée, il ne lui restait plus grand chose. Que la mort pouvait parfois être préférable à cette vie de marginale qui ne pouvait que l’attendre. Son visage portait trop crument les stigmates de la guerre pour que cela leur soit supportable. Il y avait quelque chose d’odieux dans ces ragots d’après guerre, qui me rendaient folle de rage. Sans surprise, Lavande refusa de voir le monde. Elle s’enferma dans sa chambre, effrayée par son propre reflet. Les infirmières cancanaient sur le nombre de miroir ayant éclaté sur le sol. Je m’autorisai à demander une entrevue qui fut acceptée contre toute attente.
La chambre était silencieuse et Lavande, prostrée dans son lit, semblait dormir. J’osais toquer à la porte et rentrer. Je m’installais sur le petit fauteuil proche du couchage. Le visage de Lavande était traversé de longues cicatrices brunâtres. L’ensemble formait une figure pittoresque quoique toujours émouvante. Un tableau emprunt de surréalisme. Je ne cillais pas. L’essentiel n’était pas dans cet amas de sang séché et ces griffures. Un frôlement de cils et Lavande découvrit ses prunelles bluettes. L’ombre était toujours là, tapie au fond de la pupille. Il y restait l’effroi de l’affrontement final. L’interrogation de la vie. Il y avait tant à dire de ce regard là. Je me refusais à parler. Tout était dans cet échange ineffable entre deux femmes ayant vécu la guerre. Sa main glissa dans la mienne, avant que les larmes ne dévalent sur nos visages. Rien n’avait jamais été aussi bouleversant que cette étreinte timide dans une chambre d’hôpital.
Une drôle de relation se noua alors, sans nom. L’hostilité s’éroda. Nous parlions doucement contre le plafond blanc, murmurions des secrets enfouis, des souvenirs de la guerre, de l’enfance, de nos adolescences volées. Nous redécouvrions les événements par le regard de l’autre. C’était tendre comme de la guimauve et amer comme la liqueur de bière. Nous nous collions les doigts de sucre et pourtant, je n’espérais rien d’autre que de l’amitié. Je chérissais cette nouvelle relation sans rien attendre. Lavande aimait les garçons, les dés étaient déjà jetés. Je saurais me contenter d’étreintes platoniques, me rendant gourde aux palpitations du poulpe.
Lorsque Lavande fut considérée rétablie, nous nous retrouvâmes dans un cottage perdu dans la campagne anglaise. Nous passions des heures en cuisine, nous nous épuisions à marcher des kilomètres dans des forêts ombragées et lisions devant le feu. C’était domestique et confortable. Je sentais mon coeur gonfler dans ma poitrine. Cela ne ressemblait à rien que je pus connaitre. Cette franche intimité, cette complicité, cette confiance. Parfois, je surprenais le regard de Lavande sur moi. Elle m’épiait. Je sentais ses yeux glisser sur moi, sans vraiment savoir quoi en dire. Nous nous nourrissions de confidences à la nuit tombée et du doux frôlement de nos corps l’un contre l’autre. Je percevais de manière diffuse que Lavande, quoi que notre relation fut, n’était pas prête. Il lui fallait s’approprier ce nouveau visage et cette nouvelle vie, avant d’aimer, qui que cela soit. Elle recevait des lettre de Seamus, les posait sur sa commode sans les lire. L’ensemble formait une pile instable qui manquait de s’effondrer lorsque l’on ouvrait la fenêtre le matin. Une boule grossissait impitoyablement au fond de ma gorge lorsque mes yeux tombaient dessus.
Un soir, Lavande se confronta à son ancienne cérémonie. Elle se posta devant la petite coiffeuse et se heurta à son nouveau visage. Puis doucement, elle se brossa les cheveux et y dessina une natte. Elle s’empara de ses crèmes, s’enivra des odeurs capiteuses et osa finalement glisser ses mains sur son visage bigarré. Allongée entre les draps frais, je la dévorais des yeux. Lavande croisa mon regard au travers du miroir. J’ignore ce qu’elle y vit mais un sourire se dévoila. Elle se leva, laissa la lumière allumée et s’approcha de moi. Sa main caressa ma chevelure brunâtre, l’ossature de mon visage, ma nuque. Elle n’alla pas plus loin, me laissant le temps de réagir. Je l’embrassais. Je me sentais tout à fait extérieure à moi-même. Ce n’était pas mes lèvres contre les siennes, je devais fabuler, forcement. Pourtant, c’était bien sa langue dans ma bouche et son corps qui était pressé contre le mien.
Ses yeux brillaient. Elle souriait. Je la trouvais belle. Elle murmura qu’elle avait envie de moi. Je m’arrêtais, confuse. Son assurance m’ébranlait. Je jetais un coup d’oeil sur la petite commode : elle était vide. Nulle trace de ces lettres orphelines qui gisaient depuis des semaines. Lavande me caressa les paupières avant de replonger sur ma bouche. Lentement, nous découvrîmes l’amour entre deux femmes. C’était inédit, irradiant. Des caresses que seule une femme pouvait prodiguer à une autre femme. Ce corps ressemblait au mien. Ce n’était pas un territoire inconnu à découvrir à tâtons. Il y avait quelque chose de plus secret, une expérience singulière. Je savais où glisser mes doigts, comme si toutes ses nuits en solitaire m’avaient entrainé à écouter ses soupirs et les interpréter. Nous prenions notre temps.
Presser un corps contre le mien n’avait jamais été aussi évident. Dans des bras de mon précédent amant, j’avais eu le sentiment ineffable de ne pas être à sa place. Je me disais silencieuse et me convainquais que les frémissements de plaisir qui rendaient fous n’étaient pas pour moi. N’étais-je pas une femme de tête ? Puis, cela venait avec l’expérience, non ? Ces nuits renversèrent tout. Le plaisir déferla. C’était brulant. Intime et animal. Il y avait quelque chose de radical dans cette soudaine égalité. Je me sentais libre, forte. Et belle. Désirable d’une manière tout à fait inédite.
Lavande retrouva progressivement cette lueur brillante dans son regard. Elle était mâtinée d’ombre mais irradiait contre la pupille. J’ignorais que mon propre regard répliquait cette même lueur que Lavande apprenait à déceler. Nous nous guérissions de cette guerre en douceur, dans la pénombre de cette chambre à coucher que nous partagions chaque nuit. L’amour était devenu notre nouvelle arme de combat tandis que le plaisir entre nos jambes s’affirmait comme un sursaut de vitalité.
Nous avions survécu à l’horreur et à la terreur, il fallait désormais réapprendre à vivre et à aimer.
Avec l’Autre Fille.