Parvati était, une fois de plus, dans le brouillard.
Padma se tenait devant elle pour la première fois après bientôt un an. Sa sœur jumelle, qu’elle n’avait pas vue depuis si longtemps, à qui elle ne parlait plus vraiment, était enfin là, et Parvati sentait son cœur brisé se remplir d’amour et d’une joie douce-amère à sa vue. A ces sentiments se mêlaient la rancœur et une sensation d’abandon tenace, et surtout la plus grande des confusions.
Car Padma lui parlait et Parvati ne comprenait pas ce qu’elle lui disait.
« Parvati… fit sa sœur. C’est Papa… »
Parvati sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine, puis se figer, et un froid glacial envahit ses veines. Les deux sœurs s’étaient toujours comprises mieux que personne, et elle put deviner les mots qu’allait prononcer Padma avant que ceux-ci ne sortent de ses lèvres.
« Papa est mort. »
Et Padma lui tomba dans les bras.
Pour la première fois depuis des mois, Parvati serrait enfin sa sœur adorée dans ses bras, et cela aurait dû l'emplir de joie – mais elle venait d’apprendre la nouvelle la plus dévastatrice qu’il lui eut été donné d’entendre, et il lui semblait que son monde s’écroulait.
Prasad Patil était mort. Papa était mort. Parvati avait définitivement perdu son père, sans être sûre d’avoir retrouvé sa sœur. Le brouillard qu’elle s’évertuait patiemment à chasser depuis des années venait de faire un grand retour assourdissant, à cause de quelques mots prononcés par une sœur endeuillée.
* * *
Après, tout se passa très vite. Lavande fit entrer Padma chez elle, et amena les deux sœurs jusqu’au salon où elle resservit du thé. Elle les laissa entre elles et se rendit dans la cuisine – Parvati apprendrait un peu plus tard que son amie avait, en quelques minutes, contacté Seamus, son mari, pour lui annoncer son départ, réservé un Portoloin international, appelé son travail pour poser des congés, et fait de même avec celui de Parvati. Celle-ci lui en fut très reconnaissante ; elle aurait été bien incapable d’organiser quoi que ce soit dans l’état dans lequel elle se trouvait.
Le thé servi, Padma leur raconta : l'état de Mr Patil avait soudainement empiré deux nuits plus tôt, lorsqu'il avait été pris de très fortes fièvres. Le médicomage de famille l'avait examiné, avant d’annoncer à sa femme qu'il ne passerait sans doute pas la nuit. Celle-ci n'avait pas osé appeler ses filles tout de suite. Padma devait être très occupée avec Priya, sa première-née. Et après la façon dont Parvati avait quitté la maison deux semaines avant...
En entendant cela, Parvati sortit sa léthargie, le temps de se sentir extrêmement coupable. Puis elle cacha cette culpabilité très, très, très profond, au milieu du brouillard. Mieux valait ne pas y penser maintenant.
Le lendemain à 11 heures, les trois jeunes femmes se trouvaient au terminal des Portoloins internationaux, d’où elles se rendraient à Jaipur. Mrs Patil était déjà en route avec l’oncle Ashok : ils accompagnaient le corps de Mr Patil, transporté jusqu’en Inde grâce aux Pompes funèbres magiques internationales.
Le portoloin de Parvati, Padma et Lavande partit à 11h30. Quelques instants plus tard, les trois sorcières se matérialisèrent au terminal de Jaipur, 15h35 heure locale. À 16h40, Parvati passait le pas de la porte de la maison familiale, et tombait dans les bras de sa grand-mère paternelle.
* * *
Parvati se tenait devant l’entrée du salon de sa grand-mère, hésitante. Elle effleura machinalement les broderies de sa longue kurta blanche. Elle vérifia, par réflexe, que l’étui de sa baguette était bien accroché à sa taille. Elle pouvait imaginer le regard réprobateur de ses tantes si elles s’apercevaient de la manière dont Parvati portait sa baguette – mais peu importait, la sensation du saule le long de sa hanche la rassurait.
Elle n’osait pas passer la porte. Elle n’avait pas vu le corps de son père depuis son arrivée à Jaipur, la veille. Il avait été déposé pour la veillée funéraire dans cette grande pièce, dans laquelle elle hésitait à entrer. Le brahmane devait arriver plus tard dans la journée, et la mère de Parvati avait demandé à ses filles de l’aider pour la toilette funéraire.
Mais Parvati ne savait pas comment trouver le courage de rentrer.
Elle sentit une main chaude se glisser dans la sienne, et releva les yeux. Padma lui adressa un sourire triste, et serra sa main dans un geste réconfortant.
« Je ne l’ai pas vu non plus, pas encore. »
Parvati sourit malgré elle – même après tout ce temps, sa sœur parvenait toujours à savoir à quoi elle pensait.
« Même pas à Sainte-Mangouste ?
- Non. Je suis arrivée après qu’il est… Et je n’ai pas réussi à rentrer dans la pièce. Pauvre maman… Je l’ai laissée toute seule. »
Parvati serra la main de sa sœur à son tour. « Elle n’était pas seule. Il y avait Ashok avec elle… Elle ne sera plus seule maintenant. »
Les deux sœurs échangèrent un regard et prirent une grande inspiration en même temps. Padma ouvrit la porte et rentra dans la pièce, suivie par Parvati.
Le corps de leur père avait été déposé sur un petit lit recouvert d’un drap blanc. Leur mère était déjà là, agenouillée à ses côtés. Derrière elle, la tante Alisha rangeait un rasoir et une paire de ciseau.
Parvati sentit son cœur s’arrêter un petit instant. Son père paraissait si… petit. Lui qui avait toujours été plutôt corpulent, avait dû perdre beaucoup de poids depuis la dernière fois qu’elle l’avait vu. Sa tête était déjà rasée, disparue sa belle chevelure noire, ce qui amincissait encore son visage pâli par la mort.
Les deux sœurs s’avancèrent, se tenant toujours la main, et s’agenouillèrent de l’autre côté du lit, face à leur mère. Celle-ci leur adressa un sourire triste. « Meri beti… Merci d’être là, il faut que nous préparions votre papa avant l’arrivée du brahmane... »
La suite se passa comme dans un rêve. Parvati et Padma suivaient les indications d’Alisha. Elles déposèrent des cendres sur le front de leur père, puis quelques gouttes d’eau, et placèrent des feuilles de basilic sur sa bouche. Leur mère attira d’un Accio un cadre contenant une image du dieu Ganesh, qu’elle déposa à côté de son mari. Alisha agita sa baguette à son tour, et une bougie vint flotter dans l’air au-dessus de la tête de Prasad.
Pendant plusieurs heures, les quatre femmes s’affairèrent jusqu’à l’arrivée du prêtre, puis furent rejointes par le reste de la famille pour les rituels religieux et magiques, qui permettraient à l’âme du défunt de s’élever. Padma et Parvati restèrent tout ce temps auprès de leur mère, deux piliers pour la soutenir dans sa douleur.
L’incinération eut lieu le surlendemain, sur la place centrale d’un village sorcier près de Jaipur, d’où la famille Patil était originaire. A travers le brouillard qui enveloppait ses sens, Parvati fut surprise de constater le nombre de gens très différents qui s’étaient déplacés pour les funérailles de son père. Des cousins éloignés qu’elle n’avait jamais vus, des voisins et des sorciers de la communauté qui connaissaient ses grands-parents, et même quelques sorcières et sorcier britanniques qui firent le déplacement pour l’occasion.
Le mage qui présidait la cérémonie était un brahmane également, dont la tunique blanche était brodée de fils argentés qui brillaient sous le soleil. On avait revêtu Prasad Patil d’une kurta jaune, de sorte que son corps allongé sur le bûcher funéraire se détachait parmi la foule vêtue de blanc. Parvati portait un ghagra choli, tandis que sa mère et sa sœur étaient habillées des saris réservés aux femmes mariées.
Alors que le mage commençait son office, Parvati se retourna pour croiser le regard rassurant de Lavande. Elle avait insisté pour que celle-ci se tienne près d’elle, juste derrière le premier rang familial. Lavande lui adressa un clin d’œil et un petit sourire, auquel Parvati répondit. Padma lui donna un léger coup de coude, et Parvati se retourna. Elle observa le brahmane lever sa baguette, suivi par son oncle et ses cousins. De leurs baguettes sortirent des filaments dorés, qui entourèrent le corps de son père posé sur le bûcher.
Elle sentait les larmes monter doucement, mais elle ne pleura pas. Elle ne pleura plus, pendant tout le temps que dura la cérémonie funéraire. Elle gardait en elle, comme un Patronus pour lutter contre la tristesse qui l’envahissait, le souvenir du sourire de son père, les mots doux que sa grand-mère lui avait murmurés, la sensation de la main de Padma qui frôlait la sienne, et la présence confortable de sa meilleure amie. Elle se concentrait sur toutes ces belles choses, essayant de ne pas se laisser envahir par la vision du corps sans vie de son père, par l’atmosphère chargé de magie, par les filaments qui se changeaient en flammes, par le bûcher qui s’embrasait et l’air rougeoyant.
Le soir, couchée dans son lit, Parvati resta longtemps éveillée. La journée avait été longue et remplie, de repas et de rencontres familiales et d’hommages à son père. Tout lui échappait déjà. Elle revoyait le bûcher immense, les flammes rouges dressées, et les cendres de Prasad Patil qui s’élevaient vers le ciel.
Elle s’endormit doucement, bercée par la lente respiration de Lavande allongée à côté d’elle.
* * *
Parvati devait rester au moins un mois en Inde. Elle réalisa rapidement qu’elle ne pourrait pas rester aussi longtemps chez sa grand-mère. Il en allait de sa santé mentale.
Les premiers jours, malgré la tristesse, furent relativement agréables. Elle discuta longuement avec Padma, et les deux sœurs entamèrent une lente mais certaine réconciliation. Il leur restait beaucoup à dire, tout n’était pas pardonné, et leur relation ne serait peut-être jamais comme avant...
« Mais vous avez changé, Parv’, beaucoup changé ! C’est normal que tout ne soit plus « comme avant », lui fit remarquer Lavande quand elle en discuta avec elle. Notre relation non plus n’est pas « comme avant », ta relation avec Dean encore moins… On grandit et on évolue et c’est normal que tout ne reste pas pareil.
- Oui, tu as raison… C’est juste que… Revenir ici, dans la maison où on a passé tellement de vacances, enfants, ça me renvoie un peu à « Parvati et Padma ». On était « les jumelles », inséparables et complémentaires. Et maintenant ; regarde-nous… Il aura fallu que notre père crève pour qu’on se reparle enfin pour de vrai !
- Mais vous vous reparlez, vous vous êtes retrouvées, et c’est ça le plus important, Parvati ! Tu ne crois pas que ton père serait heureux en voyant ça ?
- Hmm… J’ai envie de croire que si… Mais, tu sais, mon père et moi, on ne se connaissait plus vraiment...
- Cela n’empêche que malgré vos désaccords, vos incompréhensions, tu restais sa fille et il t’aimait. Je suis sûre qu’il serait heureux de voir que toi et Padma êtes proches à nouveau !
- On se reparle, mais est-ce qu’on est proches…
- Il ne tient qu’à vous de passer du temps ensemble et d’entretenir cette proximité. »
Encouragées par Lavande, Parvati et Padma passèrent donc beaucoup de temps ensemble. Elles allèrent se balader en ville, dans la campagne alentour, ou s’assirent dans le jardin des après-midi entier pour rattraper leurs vies respectives. Parvati apprit également à connaître sa nièce, Priya, qu’elle n’avait vu qu’à quatre reprises, sa naissance et le dernier Noël compris. La petite avait un an, et elle était déjà le portrait craché de sa mère et sa tante, ce sur quoi s’extasiait toute la famille. Parfois, Padma laissait leur fille avec Raj, son mari, pour profiter de sa sœur seule à seule. Elles étaient souvent rejointes par leur mère, ou accompagnaient leur grand-mère dans sa vie quotidienne, et Parvati avait alors presque l’impression qu’elles vivaient de nouveau leur vie d’enfants.
Cela faisait dix jours que les trois femmes étaient à Jaipur, quand Lavande annonça à son amie qu’elle avait réservé un portoloin international, départ prévu trois jours plus tard. Il était temps qu’elle reprenne le travail et retrouve sa famille.
Parvati et Padma entreprirent alors de construire un programme « complet » de choses à faire et à voir avant le départ de Lavande. Les trois femmes furent très occupées pendant trois jours. La veille du départ, la famille proche se réunit dans la grande salle à manger de Mrs Patil, pour un dîner d’au-revoir à leur hôte.
Ce soir-là, le cirque commença. Alors qu’elle avait à peine adressé la parole à Lavande jusque là, la cousine Nandini se tourna vers la jeune femme dès qu’elle eut terminé son plat.
« Alors, Lavande, tu rentres à Londres pour t’occuper de ta fille, n’est-ce pas ?
- Euh, oui, enfin je rentre surtout car je ne pouvais pas m’absenter plus longtemps du travail… », répondit Lavande d’un ton hésitant. Elle jeta un regard inquiet vers Parvati, qui lui avait déjà parlé de Nandini – celle-ci se contenta de hausser les épaules avec un air résigné. Elle savait où menait cette conversation et s’étonnait même qu’elle n’ait pas eu lieu plus tôt.
« Donc tu es mariée, bien sûr ? continua Nandini, ne relevant pas la réponse de Lavande.
- Oui, depuis trois ans. Mon mari était à Poudlard avec nous…
- Qu’est-ce qu’il fait comme métier ?
- Il est Auror, mais pour l’instant il est en congé pour s’occuper de notre fille…
- Et Lavande est l’une des plus jeunes cheffes de service du premier hebdomadaire britannique ! intervint Padma. Elle a une brillante carrière devant elle.
- Merci, Padma, répondit la concernée. »
Nandini regarda les deux jeunes femmes, plissant les yeux, puis se tourna vers Parvati.
« Tu vois, Parvati ! Un mari, un enfant, une belle carrière… Tu devrais prendre exemple sur ton amie, et sur ta sœur ! »
Parvati soupira intérieurement. C’est parti.
« C’est vrai que nous sommes inquiets, Pati », intervint l’oncle Parmesh. « Tu n’es plus si jeune, et d’après ce que me disait ta mère…. » Parvati baissa la tête vers son assiette, et étouffa volontairement les mots qu’émettaient les membres de sa famille. Elle le savait. Elle s’y attendait.
A vingt-sept ans, Parvati était célibataire, sans enfant, et sans perspective de carrière sérieuse. Voilà qui était tout à fait suffisant pour inquiéter sa famille, surtout l’oncle Parmesh qui avait toujours été plus conservateur que son frère Prasad.
Les parents de Parvati l’avaient longtemps laissée tranquille. Ils avaient accepté il y a bien longtemps que leurs deux filles avaient des personnalités différentes, et que Parvati ne ferait pas forcément comme - « aussi bien que » - Padma. Ils avaient accepté, même s’ils ne le comprenaient pas tout à fait, que Parvati n’avait pas de rêves de carrière grandioses ; ils avaient accepté, même s’ils ne l’avoueraient jamais à la famille, que Parvati ne se marierait peut-être pas avec un indien. Mais Mr et Mrs Patil avaient tout de même des espoirs pour leur fille : si elle ne faisait pas un beau mariage indien, au moins épouserait-elle un jeune sorcier britannique de bonne famille ? Ou l’un des ces résistants à la lignée moins noble, mais qui avaient la reconnaissance de la société magique ? Et même sans carrière grandiose, peut-être trouverait-elle un métier stable, et s’épanouirait-elle plus facilement dans la vie de famille ?
Parvati sentit son cœur se serrer en pensant à tout cela. Elle était résolue à ne pas le montrer devant Pramesh et Nandini et les autres, mais les critiques et les propos de sa famille la touchaient.
Surtout, l’inquiétude de ses parents – bien réelle celle-ci, elle le savait – était l’objet principal de la dernière conversation qu’elle avait eu avec son père. Celle qui s’était terminé par son départ en furie, claquant la porte et transplanant avant que sa mère n’ait eu le temps de la rattraper. Elle avait correspondu avec eux ensuite, et avait même eu son père par cheminette, mais les discussions étaient restées tendues. Il y avait quelque chose de non résolu. Et qui ne le serait jamais, maintenant que Prasad était mort.
Laissant son oncle et sa cousine, parfois rejoints par sa tante, parler, Parvati risqua un regard vers sa mère. Celle-ci gardait les yeux obstinément baissés sur son assiette. Quelle humiliation cela devait-il être, pour elle ! De voir sa belle famille juger ainsi la vie de sa fille. Nul doute que maintenant que Prasad n’était plus, Neeta serait tenue seule responsable des errements de Parvati.
Parvati échangea un regard avec sa sœur, assise en face d’elle, qui lui adressa une grimace. D’un petit signe de tête, elle lui fit comprendre qu’elle s’inquiétait pour leur mère. Padma eut tôt fait de reprendre le fil de la discussion :
« Dis-moi Nandini, est-ce que tu as eu des nouvelles des Rajkumar récemment ? Il paraît que le fils de Leela serait peut-être un Cracmol… »
Nandini adorait les potins, et Padma le savait. Leur cousine s’empressa de leur raconter tout ce qu’elle savait sur les anciens voisins de leur grand-mère, qui vivaient désormais à Delhi comme elle, et dont non seulement le fils cadet était peut-être un Cracmol, mais en plus l’aîné avait failli se faire renvoyer de son école de sorcellerie privée… La diversion avait fonctionné, et Parvati vit sa mère se détendre. Elle sentit son propre souffle passer plus tranquillement. A côté d’elle, Lavande posa la main sur son genou, dans un geste réconfortant. La diversion avait fonctionné. Pour l’instant.
* * *
Dès que Lavande et Parvati furent seules dans la chambre ce soir-là, son amie s’empressa de s’excuser.
« Je suis vraiment désolée, Parv’, je trouvais ça bizarre toutes ces questions – et franchement un peu malpoli – mais je ne pensais pas qu’en répondant la vérité elle l’utiliserait pour t’attaquer… »
Parvati soupira, et passa son bras sur l’épaule de son amie dans un geste qui se voulait désinvolte et rassurant – mais qui était encore un peu tendu.
« Ne t’en fais pas, Lav’. Je t’avais déjà parlé de Nandini – je savais qu’elle allait aborder le sujet tôt ou tard, elle attendait juste que les cérémonies soient passées. On ne s’est jamais vraiment appréciées, elle et moi…
- Mais vous êtes cousines…
- Oui, mais on a pas grand-chose en commun, et mon père est… était le « préféré » de sa mère, ce qui a toujours créé une sorte de jalousie de la part de Parmesh, qui s’est répercutée sur ses enfants… Avec Padma, comme elle a réussi selon tous les critères ou presque – il lui manque juste un fils – Nandini ne peut pas être mauvaise, alors elle lui lèche les bottes. Mais avec moi… Elle adore pouvoir rappeler que je ne suis ni mariée, ni avec un beau métier. Par contre elle fait la gueule quand ma grand-mère ou ma tante Priya rappellent que je suis une « héroïne de guerre »... »
Lavande éclata de rire. Parvati sourit également, mais de manière un peu plus forcée. Même si elle avait l’habitude du comportement de sa cousine et de son oncle, ce genre de confrontation n’étaient jamais agréables, et c’était exactement pour cela qu’elle se tenait à l’écart d’une partie de sa famille.
Elle s’assit sur l’un des deux fauteuils qui faisaient face à la fenêtre en soupirant. Voyant cela, Lavande s’arrêta de rire et vint s’asseoir en face d’elle.
« Est-ce que… est-ce que ça va aller, après mon départ ? »
Parvati soupira de nouveau, et attendit un instant avant de répondre.
« Honnêtement… Je ne sais pas. Il y a Padma, donc je ne suis pas toute seule, mais elle va bien devoir reprendre le travail aussi. Moi, je n’ai pas vraiment de raison de repartir, ils savent tous que je ne fais pas un travail assez « important »… Et de fait, la saison est terminée donc le théâtre est fermé pour l’été !
- Et tu as déjà essayé de leur dire que tout cela ne t’intéressait pas, de leur demander de te laisser tranquille ? demanda Lavande timidement.
- Le problème, c’est ma mère… Si je me rebelle, si je m’énerve, ce sera de sa faute.
- Quoi ? Mais ce n’est pas juste ! En plus, ta mère est plutôt d’accord avec eux, non ? »
Parvati grimaça. « C’est plus compliqué que ça. En gros… Bon, je t’ai déjà raconté la rencontre de mes parents ?
- Oui, enfin… Je sais que ton père est venu pour les affaires en Angleterre, qu’il a rencontré ta mère à la coopération magique internationale… Et tu m’as dit que la famille de ta mère venait d’un autre état dans le sud du pays ?
- Le Karnataka. C’est ça. En fait, la famille de ma mère est un peu différente de celle de mon père. Ses parents étaient plus « libéraux ». Ils sont venus en Grand-Bretagne quand elle était jeune, elle a fait ses études à Poudlard. La famille est ensuite rentrée en Inde, mais elle est revenue dès qu’elle a pu parce qu’elle avait ses amies anglaises, et qu’elle se sentait bien en Grand-Bretagne… Et du coup, quand elle a rencontré mon père, ils ont vite décidé qu’après leur mariage, ils resteraient là. D’autant que ma mère avait des cousins, des oncles en Angleterre, donc ils n’étaient pas sans ressources… »
Lavande fronça les sourcils. « Mais qu’est-ce que cela a à voir avec toi ?
- J’y viens… Donc mes parent se sont mariés, se sont installés à Londres, et ça n’a pas plu à une partie de la famille de mon père. Il était supposé se marier avec une sorcière d’ici, d’une famille de Jaipur… Et faire sa vie en Inde. En plus, c’était le petit dernier de sa fratrie, un peu le chouchou de sa mère… Et mon grand-père n’a pas été très content. De ce que je sais, lui et ma tante Alisha, que tu connais, ont très mal accueilli ma mère au début…
- Oh la la, pauvre Neeta…
- Oui… En vérité, mes parents ont eu de la chance : ils sont issus de castes et de milieux sociaux équivalents, ma mère est de culture hindoue – le fait qu’elle soit d’une ethnie kannada ET qu’elle « entraîne » mon père en Angleterre a posé problème, mais au moins ils ont pu se marier… Mais bref, toujours est-il que, pour mon grand-père quand il était vivant, et pour Parmesh et sa famille aujourd’hui, quand Padma réussit, c’est parce que c’est la fille de son père, mais quand moi je me foire, c’est parce que je suis la fille de ma mère… Et encore, tout ce qu’ils ont à me reprocher c’est ma carrière et mon célibat… S’ils savaient que j’aime les femmes autant que les hommes, je n’ose pas imaginer… » termina Parvati d’un ton amer.
Les deux amies restèrent silencieuses un moment, chacune perdue dans ses pensées. Puis Parvati reprit : « Tu vois, c’est pour ça que tous ces trucs de sorciers Sang-pur, de bonne famille etc, ça me gonfle. Je vois bien ce que ça a fait à ma mère, alors même qu’elle a « la chance » de venir d’une famille qui est beaucoup moins comme ça…
- Cette famille, c’est celle de ton oncle Ashok ? Celui qui a accompagné ta mère ici ?
- Oui, Ashok vit en Grand-Bretagne. En fait c’est mon grand-oncle, c’est l’oncle de ma mère mais comme il est plus proche d’elle en âge, et qu’il n’a pas eu d’enfants, c’est plus un frère pour ma mère et un oncle pour moi… Il reste indien et de « sang-pur » hein, mais il est moins chiant que Parmesh…
- Et le reste de ta famille maternelle ? Ton autre grand-mère qu’on a vue hier, elle n’était pas du Karnataka ?
- En fait, sa famille paternelle était de Jaipur aussi ! Pour le coup, elle était enchantée quand ma mère a rencontré mon père… Et à la mort de son mari, mon autre grand-père, elle a préféré venir ici, dans la maison de son père, avec son frère…
- Ton grand-père maternel, il est venu en Angleterre n’est-ce pas ? C'est lui qu'on avait vu ?
- Oui, en 2000 ! Je l'adorais, mon grand-père... Lui et ma grand-mère vivaient près de Hampi, au Karnataka. On y allait souvent quand on était petites, j’aimais bien Hampi…
- Pourquoi tu n’y retournes pas ? demanda Lavande.
- Je ne sais pas… Je n’ai pas vraiment eu l’occasion ? Il y reste une tante, et des cousins près de Bangalore aussi, plus au sud, mais je ne les connais pas bien... »
Parvati se tut, et les deux jeunes femmes restèrent silencieuses un moment, pensives.
« Tu ne crois pas que… commença Lavande.
- Oui ?
- Que ça pourrait te faire du bien, de retourner au Karnataka ? Si ça te manque… Ou alors de voyager ailleurs, peu importe. Mais tu dis toujours que tu ne sens pas chez toi en Inde, que ce n’est pas vraiment ton pays… Et je comprends ! Mais en même temps tu as l’air d’y avoir plein de souvenirs agréables et ces derniers jours, je t’ai trouvée assez à l’aise dans plein de moments. Peut-être que, ce qui te retient, c’est plutôt ta famille ? Enfin, la pression ?
- Ah oui, oui, c’est sûr que ça joue…
- Mais justement, si tu vas te balader un peu, voir d’autres endroits, le reste de ta famille, te faire des amis… Cela peut te faire du bien, non ? Comme de toute façon tu ne retournes pas au théâtre avant septembre…
- Oui… C’est vrai… Clairement, il faut que je parte d’ici. Mais je n’ai pas très envie de rentrer à Londres maintenant… Oui, c’est une bonne idée, Lavande ! » s’écria finalement Parvati.
Plus elle y pensait, plus partir lui semblait être la bonne chose à faire. Elle pouvait commencer par suivre Padma à Mumbai… Puis elle descendrait, elle irait voir la famille, elle irait peut-être à Goa, on lui avait toujours dit que c’était beau… Peut-être que sa mère voudrait se joindre à elle ? Il fallait qu’elle retourne discuter avec sa Nani… Elle enverrait aussi un hibou à Luna Lovegood, qui devait se rendre au Kerala en août…
Parvati sentit l’enthousiasme qui précédait un projet de voyage l’envahir. Elle qui avait si peur du départ de Lavande, elle se projetait maintenant quelques jours en avant, elle y voyait un peu plus clair.
Elle fut tirée de ses pensées par un petit rire que laissa échapper son amie. Elle releva les yeux vers elle : Lavande la regardait d’un air attendri.
« Qu’est-ce qu’il y a ?
- Rien, haha, mais tu as l’air très excitée et enthousiaste soudainement, et ça se voit sur ton visage, et ça fait plaisir à voir. »
Parvati laissa échapper un petit rire. « Cela change de d’habitude, sûrement…
- Parvati ! s’écria son amie. Pourquoi tu dis ça ?
- Ben… Je sais que je n’ai pas été de meilleure compagnie, ces derniers temps.
- Euh… Tu viens de perdre ton père, tu as le droit d’être triste hein !
- Je sais ! Mais je parle même d’avant… Je ne suis pas très joyeuse en ce moment, et je sais que tu étais très prise avec Brooke, et tu as dû souvent m’écouter me plaindre et… Bref, désolée d’avoir été une amie un peu nulle ces derniers temps.
- Mon chat, déclara Lavande en passant un bras autour des épaules de Parvati, si je devais partir en courant à chaque fois que tu es de mauvaise humeur, on n’aurait pas dépassé le premier trimestre à Poudlard !
- Eh, c’est pas très gentil ça… », protesta mollement Parvati. Lavande rit de nouveau, puis repris un air sérieux.
« Je plaisante, bien sûr… Mais bref, je sais que c’est dur pour toi en ce moment, et je suis désolée aussi de ne pas toujours avoir le temps d’être là comme avant…
- Non mais c’est normal, Lav’…
- Quand même. Je sais que c’est dur, même si je ne dis rien, et je compatis, et j’espère que tu sais que tu peux toujours – toujours – te confier à moi. Mais voilà, peut-être que, malgré le deuil de ton père, les complications avec ta famille… Peut-être que ce séjour peut te faire du bien ?
- Oui, peut-être… On verra bien ! En tout cas, je suis heureuse que tu aies été là ces derniers jours. Je t’aime fort.
- Moi aussi Parv, moi aussi. Je t’aime très fort », répondit doucement Lavande, resserrant son étreinte.
Ce soir-là, Parvati et Lavande s’endormirent dans les bras l’une de l’autre, bercée par le murmure de la ville et le chant de la fontaine qui leur parvenaient par la fenêtre restée ouverte. Avant de laisser le sommeil l’envahir, Parvati sourit en pensant que, quoi qu’il arrive, la pensée de Lavande auprès d’elle serait toujours comme un talisman ancré dans son coeur.