Chapitre 1 — Je suis...
La tempête avait tout ravagé. Elle avait duré toute la nuit et avait gardé de nombreuses personnes éveillées. Le vent avait sifflé et le ciel avait grondé, il avait plu toute la nuit. Le sol était encore mouillé au petit matin, mais surtout, la tempête avait laissé des traces. La tempête avait éveillé des soupçons.
Pour Adam Petersen, qui avait travaillé toute la semaine sur un chantier de réhabilitation qui venait d’être détruit, cette journée commençait très mal.
— La tempête a détruit le chantier.
Adam observa son frère aîné, Xavier, s'attraper les cheveux en jurant avec violence tandis qu'Adam fermait la porte de la voiture et le rejoignait sur le trottoir. Adam ne répondit rien, s’avançant dans les débris d’une maison qu’ils avaient commencé à réhabiliter cette semaine. Il ne restait plus rien de la maison, dont les pierres s’étaient écroulées sur elles-mêmes, faisant un énorme amas de décombres.
Il ne parvenait pas à comprendre comment la tempête avait pu autant détruire l’édifice. Autour d’eux, aucune autre maison n’avait subi de tels dégâts, elles étaient toutes intactes. Sauf celle en face d'eux. Elle s'était comme écroulée sur elle-même, ce qui surprenait fortement Adam qui savait que la construction en pierre du bâtiment était d'une excellente solidité.
— Ca règle au moins le problème du système électrique inexistant, dit Adam avec une positivité qui amusa presque son frère.
Adam se souvenait de leur réaction quand ils avaient découvert qu’il n’y avait ni système électrique, ni système hydraulique de chauffage. Pourtant, le voisinage et la mairie avaient confirmé qu’elle avait été habitée jusqu’à deux mois plus tôt, avant qu’une autre tempête ne ravage la maison. Comment ses occupants avaient-ils pu y vivre sans électricité ni chauffage, c'était la grande question.
— Une semaine de travail foutue en l’air, souffla Xavier en attrapant une pierre qui s’était fracassée en trois morceaux pour la rejeter au sol.
— Comme toujours quand c’est la mairie qui nous envoie sur des chantiers pourris, rigola Adam, heureusement qu’ils nous paient quand même.
Adam et Xavier échangèrent un regard amusé. La mairie avait demandé à Petersen & Fils, l’entreprise familiale de maçonnerie d’Adam et ses deux frères aînés, Xavier et Dorian, de réhabiliter cette maison. Ils étaient régulièrement mobilisés par la mairie sur des chantier de réhabilitation, et jamais avaient-ils connu une maison aussi étrange.
Adam passa une main dans ses cheveux longs, qu’il avait récemment coupés au niveau des épaules. Une tempête avait déjà, deux mois plus tôt, ravagé une partie de la maison qui n’était plus habitable. C’était la seule maison de la ville qui avait été touchée par cette tempête. Comme la veille.
— Il va falloir tout ramasser maintenant, se lamenta Xavier.
— Une partie de plaisir ! s’amusa Aam.
— Ne t’en réjouis pas trop, se moqua son frère, ou tu t’en occuperas tout seul.
Adam haussa les épaules, un sourire détendu sur les lèvres. Ce n’était pas un problème pour lui. D’une carrure solide et imposante, Adam ne se fatiguait pas facilement dans l’effort physique. Son état d’esprit suivait son physique, Adam aimait se dépenser. Lui et ses quatre frères étaient d’un gabarit assez similaire, même si au niveau du caractère, ils n’avaient rien en commun. Absolument rien en commun. Adam, lui, était un grand enthousiaste. Il aimait voir les belles choses, et pour lui tout l’était dans ce monde.
— Va chercher les clés du camion auprès de Dorian, lui dit Xavier, on va finalement en avoir besoin.
— Tu vas appeler la mairie ? demanda Adam.
Son frère hocha la tête, passant une main dans ses courts cheveux bruns tout en soufflant. Il était exaspéré et Adam lui fit une tape sur l’épaule d’encouragement avant de se diriger vers la voiture.
Xavier n’aimait pas les imprévus, qu’il voyait comme des épreuves insurmontables avant qu’on ne le raisonne. Adam, de son côté, voyait le bon côté de cette histoire. Le chantier qui leur avait été attribué était impossible à réhabiliter d’une belle façon. C’était comme si la maison elle-même refusait de se modifier pour avoir un meilleur aspect. Et Adam n’aimait pas le travail mal fait. Alors comme ça, il pourrait se concentrer sur des chantiers plus intéressants.
Positivité. C’était le mot d’ordre d’Adam. Il ne se fiait qu’aux événements qu’il voyait autour de lui, et non aux sentiments qui gravitaient autour. Il avait un caractère inébranlable et il le savait bien. C’était d’ailleurs ce que tout son entourage lui avait dit lorsqu’il avait fêté ses vingt-cinq ans la semaine dernière. Adam eut un sourire à cette pensée. Ses frères avaient réussi à réunir quarante personnes à l’Atelier pour lui faire une surprise, et Adam n’avait jamais réalisé être autant entouré avant de voir autant de personnes réunies pour lui, pour son anniversaire.
Adam gara la voiture devant l’Atelier, probablement le bar le plus apprécié de tout le comté d’Essex et y pénétra d’un pas rapide. La luminosité de l’établissement était plus forte qu’à son habitude, et l’espace y était bien plus vide que lorsqu’il était ouvert. Durant les horaires d’ouverture, il était impossible de voir le bar aussi vide. A droite, la dizaine de canapés et fauteuils avait été replacée après avoir été déplacée toute la soirée dernière par les consommateurs. L’estrade un peu plus loin avait été vidée pour les prochains musiciens qui installeraient leurs affaires. Quant au bar sur la gauche qui longeait tout un mur, il avait été nettoyé de fond en comble.
C’était un grand espace qu’Adam adorait. Il se dirigea vers une porte au fond du bar, tapant un code pour que celle-ci s’ouvre. C’était un réel atelier qui se trouvait dans l’arrière-salle de l’Atelier, que louaient les frères Petersen depuis plusieurs années. Ils y stockaient leurs outils et une grande partie de leurs affaires.
Un frère d’Adam s’y trouvait, Dorian qui s’occupait de l’administratif de la société, même s’il aidait parfois Xavier et Adam sur des chantiers. Comme ses frères, Dorian avait une stature imposante, mais contrairement à Adam, il pouvait avoir un regard sévère qui n’était pas toujours rassurant.
— Qu’est-ce que tu fais ici ? lui demanda Dorian en fermant une mallette d’outils.
— Le chantier a été détruit, lui signifia Adam dans un sourire.
— Aucune surprise, répondit son frère, cette maison était une épave.
Adam rigola légèrement, toute la famille était d'accord pour le dire. Pour des spécialistes du bâtiment, ça avait été l'incompréhension la plus totale lorsqu'ils avaient découvert que la maison n'était équipée ni d'un système électrique, ni d'un réseau hydraulique de chauffage. Si le chantier n’avait pas été administré par la mairie, les frères l’auraient refusé. Et pourtant, il était rare qu’ils soient unanimes sur un sujet.
Adam n'avait jamais pensé qu'il travaillerait dans l'entreprise familiale. Quelques années plus tôt, il avait eu d’autres projets qui n’avaient pas vu le jour et qui auraient pu détruire Adam s’il n’avait pas choisi de voir ces événements d’un œil positif. Et il avait rejoint Xavier et Dorian dans leur aventure.
Ce n’était pas tous les jours facile de travailler avec sa famille, mais Adam s’y était bien habitué. Il était d'une nature tranquille et flegmatique, et il connaissait très bien ses frères. Il connaissait leurs qualités et leurs défauts. S'il y réfléchissait, il saurait que son caractère optimiste avait assaini les relations familiales depuis qu'il avait intégré l'entreprise.
— Au fait, lui dit Dorian, Mélia est passée te voir.
Adam resta impassible, passant une main dans ses cheveux qu'il avait détachés en arrivant. Il s'était douté que Mélia ferait un crochet par l'atelier avant d'aller travailler, c'était bien pour ça qu'il était allé dès que possible sur le chantier.
— Je l'appellerai plus tard, répondit Adam avec un léger sourire tandis qu'il attrapait les clés du camion benne posées sur la table.
— Qu'est-ce qu'il vous arrive, à vous deux ? demanda Dorian à son petit frère avec scepticisme.
— La vie, mon frère, s'exclama Adam d'une voix forte à moitié rieuse, la vie !
Sur ces mots, Adam fit un signe de la main à son frère et s'en alla, refusant de laisser des pensées négatives lui obstruer l'esprit.
Plusieurs heures plus tard, Adam ramassait les débris de la maison avec un bras de pelleteuse. Xavier était parti rencontrer un agent du maire pour lui montrer l'état de la maison en photos, et Adam avait décidé de ne pas attendre l'autorisation de la mairie. La maison était de toute façon en ruines, qu'allaient-ils en faire ?
Le vent s’était de nouveau levé, d'une force qui rappela à Adam la tempête de la veille. Un orage menaçait de gronder depuis une bonne heure et il se surprit à surveiller le ciel avec inquiétude. Depuis quelques mois, ils avaient l'impression que les saisons n'existaient plus. Des orages éclataient très souvent et les informations montraient très souvent des destructions isolées, comme ce pouvait être le cas pour cette maison. Mais ça n’avait aucun sens, aucune force naturelle ne pouvait pas détruire avec une telle précision.
Beaucoup de choses étonnaient Adam, mais il n’avait pas de réponse à apporter à ses questions alors il ne laissait pas ces sujets le préoccuper trop longtemps.
Adam actionna la manette de la machine dont le bras se déplaça jusqu’à la benne du camion. Lorsqu’il se trouva au-dessus de celle-ci, les crochets s’ouvrirent pour y faire tomber les décombres.
Parmi le vacarme du fracas, Adam entendit un bruit métallique, plus discret mais qui résonna, un bruit d’un objet en contact avec quelque chose de solide. Ce n’était pas normal, il ne devait y avoir rien d’autre que des décombres de pierres.
Il choisit de monter dans la benne, où il vit parmi les montagnes de pierre, un objet brillant, en métal. Adam s’approcha et s’accroupit pour observer l’objet. C’était une sculpture en métal, en forme d’aigle royal, dont la construction était si délicate qu'Adam eut une seconde d'hésitation, se demandant si le toucher ne briserait pas l'objet.
Adam n’avait aucune idée de comment l’objet avait atterri dans sa benne. Cela faisait une semaine qu’ils travaillaient sur ce chantier. Tout avait été enlevé de la maison lorsqu’ils avaient commencé le chantier, les affaires avaient… disparu, leur avait dit la mairie. Personne ne doutait que des cambrioleurs étaient passés par là. La tempête avait peut-être fait voler cet objet jusqu’ici mais Adam n’arrivait pas à comprendre comment cela avait pu arriver.
Adam, qui souhaitait voir l'objet d'un meilleur œil, l'attrapa dans sa main. Et c’est à cet instant que tout changea.
Autour d’Adam, l’environnement devint flou. La benne du camion autour de lui s’effaça progressivement pour laisser place à un décor plus nature. De la verdure, tout autour de lui. De grandes étendues prirent forme devant lui, et Adam sentit son estomac se retourner.
Malgré sa carrure imposante et ses appuis solides, Adam se sentait transporté telle une plume dans l'air. Il n'avait aucun contrôle sur ce qu'il se passait et il commençait à sentir la panique monter en lui.
Quand ses pieds touchèrent de nouveau un sol, Adam inspira grandement en reprenant appui sur ses jambes. Son estomac était légèrement retourné et ses bras lui semblaient incroyablement lourds. Quant à sa tête, elle bourdonnait. Mais Adam ne perdait pas le nord. Enfin, il croyait.
Il regarda autour de lui. Il reconnut le St James’s Park, de Londres, et à cette réalisation, Adam sentit une vague de panique remonter en lui. Comment avait-il fini dans cet endroit ?
— Adam ? demanda une voix douce qui sonna comme un chant aux oreilles d'Adam.
Ce dernier se retourna sur lui-même pour voir la personne qui venait de le héler. La vision qui se présenta devant Adam le surprit bien plus que la réalisation qu'il ne se trouvait pas au même endroit que quelques secondes plus tôt.
La jeune femme devant lui avait laissé ses cheveux pousser jusqu'au bas de son dos depuis la dernière fois qu'il l'avait vue. Un corps svelte d'une taille moyenne, son visage avait conservé la douceur qu'il lui avait toujours connue, même si son sourire montrait une assurance nouvelle d'une jeune femme qui savait qui elle était. Et dans ses bras, un tissu bleu clair dans lequel était drapé un bébé.
Adam sentit une vague de douceur le parcourir quand il reconnut cette personne qu'il avait un jour tant affectionnée.
— Lily ? demanda-t-il avec surprise, Lily Evans c’est bien toi ?