« Mr O’Neill ? »
Une jeune femme s’approcha de lui, un sourire d’excuses aux lèvres.
« Je suis désolée, je ne voulais pas vous surprendre. Le professeur McGonagall m’a dit de vous attendre ici, afin que nous allions nous présenter tous les deux. Moi aussi, je débute. » Ses longs cheveux bruns ondulés, noués derrière la nuque, encadraient un visage ovale au teint mat. Ses yeux d’un vert anis l’observaient avec nervosité, alors qu’elle continuait de parler. « Je vais enseigner la métamorphose, j’ai tellement hâte ! Mais j’espère que ça ira, je sens que je vais me perdre dans le château, il a l’air si grand ! »
Reece comprit immédiatement pourquoi le professeur McGonagall l’avait envoyée l’attendre, près du lac. Elle était intarissable. Curieusement, loin de le crisper, cette femme lui rappelait sa chère tante Satina. Chaque fois qu’elle était stressée, son débit s’accélérait et tous ses filtres disparaissaient les uns après les autres. Chaque fois, son neveu l’écoutait patiemment, puis la rassurait, bien après que Théodora, son autre tante, ait quitté les lieux, exaspérée.
« Oh ! Je suis si impolie, je ne vous ai même pas laissé la possibilité d’en placer une. Le professeur McGonagall m’a dit que vous étiez étudiant ici et que vous allez enseigner l’astronomie, c’est bien ça ?
- Oui. Tu peux m’appeler Reece. Tu n’es pas allée à Poudlard ?
- Non, j’ai fait ma scolarité à Ilvermony. J’ai déménagé en Angleterre, il y a trois ans, pour suivre… enfin… les circonstances ont fait que je suis là aujourd’hui, mais ce serait trop long à raconter. »
Ils marchèrent en direction de l’école. Le jeune homme l’observa à la dérobée alors qu’elle se taisait, certainement rongée par l’anxiété. Il avait été idiot de songer à fuir. Le trac était normal dans des moments charnières comme celui-ci.
La première fois que Reece avait rencontré son père, il était blanc comme un linge, nauséeux. Enfin, s’était-il dit, il allait voir l’homme qui lui avait légué la moitié de son patrimoine génétique. Ses tantes avaient repoussé ce moment le plus longtemps possible. Mais il était déterminé à le rencontrer malgré tout, et pourtant, au dernier moment, il avait hésité. Il avait hésité à pousser ces portes derrière lesquelles se trouvaient les réponses à ses questions. L’infirmière de son père l’avait reconnu à ce moment-là et l’avait poussé à entrer, mettant fin à ses tervigersations. Et à présent, la même appréhension l’avait envahi et encore une fois, une inconnue le forçait à avancer, à ne pas laisser sa panique prendre le dessus.
Ses yeux, en particulier, le troublaient profondément. Il n’avait jamais vu une teinte d’un vert aussi clair auparavant, il s’en serait souvenu. Quelques minutes plus tard, alors qu’ils traversaient le hall, elle surprit son regard et détourna rapidement les yeux, rougissante. Il devait l’avoir embarrassée. Reece s’aperçut alors qu’il ne connaissait pas son nom. Il se força à reprendre la parole, décidant à contrecoeur de rompre le silence gênant qui s’installait entre eux.
« Je suis désolé, ton nom m’échappe.
- Oh ! C’est vrai, je ne te l’ai pas dit. Je m’appelle Cassiopeia Kowalski. Mais tu peux m’appeler Cassie, comme tout le monde. »
Le coeur du jeune homme rata un battement. A cet instant précis, Reece sut. Une nouvelle constellation venait d’apparaître dans sa vie.
Reece ajusta une dernière fois sa robe de sorcier et lissa un pli inexistant. Devant lui, son miroir renvoyait l’image d’un bel homme aux cheveux blonds ondulés et soyeux, avec de grands yeux bleu marine. Mais cela, il ne vit pas. Il nota seulement le teint très pâle, légèrement verdâtre et le léger tremblement des doigts qu’il porta à sa joue. Dans quelques instants, les premiers étudiants allaient envahir sa salle de classe, pour ce qui serait son baptême du feu.
La tour d’astronomie avait été soigneusement préparée pour assurer son premier cours de l’année. La nuit, exceptionnellement dégagée, était tombée depuis une bonne heure à présent. Une carte du ciel était affichée sur un large pan de mur, entre deux fenêtres, devant lequel il avait placé son bureau. De là, il pourrait superviser les jeunes, dont les tables étaient alignées contre les murs arrondis de la tour.
Il jeta un coup d’oeil à la liste des élèves pour la trentième fois, la nervosité formant une boule das sa gorge. Les noms de Potter et Weasley attiraient inexorablement son regard. Comme tout le monde, il connaissait bien leur rôle dans la guerre qu’ils avaient menée contre le plus puissant mage noir de tous les temps. Mais il savait aussi qu’ils étaient ceux qui avaient démasqué son propre père et - accidentellement - provoqué son amnésie dont il ne guérirait plus jamais. Il ne leur en voulait pas. Il savait ce qu’il s’était passé. Satina lui avait tout raconté, un soir d’insomnie, sans fard, ni détour. Elle ne portait pas particulièrement son frère dans son coeur, tout comme Théodora. D’ailleurs, elles avaient attendu des années avant d’aller lui rendre visite pour la première fois et ce, uniquement sous l’insistance d’un jeune Reece.
Ce dernier fut interrompu dans sa réflexion par des bruits de pas dans les escaliers. Vingt-trois heures. Le moment était venu de plonger dans le grand bain.
« Alors, comment s’est passée ta première soirée de cours ? »
Reece leva rapidement les yeux, surpris de reconnaître sa voix. Cassie était entrée dans sa classe alors qu’il terminait de ranger son matériel, le dos tourné à la porte, et elle s’était confortablement assise sur une table, contre l’arcade d’une fenêtre.
« Pour te dire la vérité, je ne sais pas trop…
- Allez, je suis sûre que tout s’est bien passé ! Tu as eu quelle classe ? »
Sans attendre de réponse, elle bondit sur le sol et cueilla la liste posée sur le bureau. Un sifflement sonore s’échappa de ses lèvres.
« Les deuxième année ! Ils sont pas faciles ceux-là. Je les ai eu aussi aujourd’hui, cours commun Gryffondor-Serpentard. Le petit Malefoy, il faudra que je le tienne à l’oeil. » Elle jeta un regard circulaire autour d’elle. « Mais ta classe n’a pas explosé, alors tout va bien. »
Le clin d’oeil de Cassie provoqua des soubresauts dans l’estomac de Reece. Il se sentait déjà beaucoup mieux. L’heure précédente lui avait paru si… étrange. On aurait dit que personne ne l’écoutait vraiment. Les jeunes préadolescentes semblaient boire ses paroles, rougissant dés qu’il posait le regard sur l’une d’elles. Ceux qui ne tombaient pas en pâmoison ne prenaient même pas la peine de feindre un intérêt poli. Potter et Malefoy s’étaient lancé dans une grande discussion à voix basse dés le début de la séance, observant à peine les étoiles. Et Reece n’avait pas su intervenir, trop occupé à garder la tête hors de l’eau. Quelqu’un l’avait-il vraiment écouté ? Il en doutait.
« Je suppose qu’on peut voir les choses ainsi.
- Nous sommes des êtres humains. Parfois nous sommes préoccupés, pas dans notre assiette et nous avons l’impression que tout va mal. Mais en réalité, notre perception est biaisée. Je suis sûre que ce n’était pas si terrible. »
Reece haussa les épaules. Même s’il n’était pas convaincu d’avoir une perception aussi biaisée qu’elle le disait, Cassie avait peut-être raison. Mais pour le moment, tout ce qu’il voulait, c’était de penser à autre chose, repousser le moment de la réflexion et de la remise en question au lendemain. Il saisit son sac, un petit cartable que Théodora avait choisi pour lui dans une boutique moldue spécialisée dans les sacs en cuir. Il se souvenait encore des larmes d’émotion qui avaient coulé sur les joues de sa tante lorsqu’il l’avait chaleureusement remerciée pour cette attention.
« Un petit remontant te ferait du bien. »
Cassiopeia fit apparaître deux verres et versa un liquide ambré d’une bouteille sortie de nulle part. Enfin, elle y ajouta des glaçons. Le verre lévita jusqu’à Reece qui posa finalement son cartable, un sourire amusé sur les lèvres.
« J’ai l’air si perturbé que ça ?
- Tu n’as pas idée », répliqua-t-elle avec un clin d’oeil entendu.
Dans quel pétrin Reece s’était-il fourré ? Il soupira et passa une main dans son épaisse chevelure blonde. Et s’il laissait tomber ? Alexander n’en saurait jamais rien, n’est-ce pas ? Il lui dirait qu’il avait fait chou blanc, qu’il avait été humilié. Cela lui couperait définitivement l’envie de lui lancer de tels défis. Mais non. Son ami avait raison. Il ne pouvait pas passer sa vie à se dérober. Son coeur s’accéléra à cette pensée.
« Attends un peu », l’avait interrompu Alexander d’une voix incrédule. « Tu es en train de nous dire que ça fait des mois que tu nous parles de cette fille, et tu ne lui as jamais dit qu’elle te plaisait ?
- Je… C’est compliqué. C’est une collègue et… », avait bégayé Reece, rouge comme une pivoine. « D’ailleurs, qu’est-ce qui te dit qu’elle me plaît vraiment ? Je n’ai jamais rien dit de tel. »
Alexander avait roulé des yeux, sous les éclats de rire de Morgane et Jude. Reece les avait fusillé du regard.
« Comme si on allait te croire… Dans tes lettres c’est Cassiopeia par ci, Cassiopeia par là. Et ces longs discours sur la perfection de ses yeux, sa gentillesse, les sorties que vous vous faites tous les deux… On t’aime Reece, on t’a laissé tranquille. Mais on pensait que vous étiez déjà ensemble ! », était intervenue Morgane, un sourire narquois aux lèvres.
L’air subitement très sérieux, Alexander se pencha vers lui, comme pour partager une confidence.
« Si tu ne lui dis rien, tu le regretteras un jour. Et plus le temps passe, plus ce jour arrivera rapidement. De quoi as-tu peur ? »
Reece avait étouffé un ricanement, enhardi par le verre de Whisky pur feu qu’il remua lentement. Dans son esprit, les interrogations et les doutes lui donnaient le tournis. Et s’il se trompait sur ses sentiments ? Et s’il avait mal interprété les signes ? Et s’il ne lui plaisait pas ? Est-ce que cela valait le coup de tout gâcher ?
« Tu n’en es pas capable », avait simplement commenté Alex, d’un ton provocateur.
« Bien sûr que si », avait-il répondu du tac au tac, prenant la mouche.
Un sourire s’était dessiné au coin des lèvres d’Alex.
« Prouve-le moi. Dis-lui. Lundi prochain, à ton retour à Poudlard, dis-lui. »
L’anxiété et l’excitation l’habitaient, alors qu’il attendait Cassie au sommet de la tour d’astronomie. Il l’avait simplement invitée à observer les étoiles de là-haut, et la jeune femme n’avait fait aucune remarque. Au contraire, elle semblait ravie et il lui sembla bien qu’elle avait rougi.
Il était encore temps de décommander. Il pouvait quitter sa salle de classe et prétendre avoir oublié le rendez-vous… Des bruits de pas l’interrompirent dans ses pensées. Et elle apparut, sur le seuil de la porte, belle comme jamais. Ses longs cheveux bruns était dénoués pour une fois, et ses grands yeux, d’un vert anis irréel, l’observaient avec nervosité.
Alex avait raison. Il ne devait pas repousser indéfiniment ce moment. Ce soir, il lui dirait la vérité.
« Reece ? Est-ce que tout va bien ? »
Le jeune homme réalisa soudain qu’il l’observait en silence depuis trente bonnes secondes. Voilà une belle manière de commencer la soirée… Il secoua la tête et lui adressa un sourire éblouissant, masquant sa gêne.
« Oui, excuse-moi Cassie, j’étais perdu dans mes pensées. » Il hésita, puis il ajouta, le regard narquois d’Alexander en tête. « Tu… euh… Tu n’es pas mal. »
Quel idiot ! Ne pouvait-il rien trouver de mieux à dire ? Il n’avait définitivement pas hérité du gène de la séduction de son père. Mais Cassie ne sembla pas s’en offusquer. Au contraire, elle rayonna et s’approcha de lui. Pour une fois, elle semblait à court de mots et il fut suffisamment proche pour voir ses joues se colorer d’un rose délicat. Ils restèrent quelques secondes supplémentaires à se regarder dans les yeux. Reece fut le premier à se détourner.
« Merci euh… d’être venue. La nuit est très dégagée ce soir, c’est idéal pour l’observation. » Il lui fit signe de le suivre jusqu’au grand télescope posé contre une fenêtre de la tour. « Je voulais te faire une petite surprise… Rien de fantastique ! », s’empressa-t-il d’ajouter, effrayé par le regard pétillant de Cassie. « Juste euh… Regarde. »
Cassie, toujours muette, lui lança un regard espiègle et ne se fit pas prier. Elle observa avec attention dans la lunette du télescope, tandis que Reece tentait de rassembler tout son courage. Il ne parvenait pas à se défaire du doute ancré en lui, qui le commandait de se taire. Que se passerait-il si ses sentiments n’étaient pas réciproques ? Certes, il attirait les regards féminins, tel un aimant, mais il ne s’était jamais lancé, toujours persuadé de ne pas être assez bien, pas assez intéressant. Juste un beau visage avec une cervelle vide. Comme son père.
Et pourtant, ces yeux vert anis le hantaient, chaque fois qu’il se trouvait au bord du sommeil, l’accompagnant dans les bras de Morphée. Combien de temps était-il censé penser à elle avec une telle constance, sans ne jamais rien lui avouer ? Ses amis lui avaient expliqué qu’il ne se débarrasserait jamais de ce doute. Même la personne la plus sûre d’elle au monde, aurait toujours un doute au moment de se dévoiler, une peur insidieuse du rejet. A les entendre, même son père avait eu ce doute avant d’entraîner sa mère, une étudiante de septième année, dans son lit. Il avait mis du temps à accepter cette idée. Cela contredisait tout ce que ses tantes disaient de lui. Pourtant, Alexander, son meilleur ami, le lui avait affirmé. Et il avait confiance en Alex. C’est ce qui finit par décider Reece.
« C’est ma constellation préférée », commença-t-il, des trémolos dans la voix. Il se tut un instant.
« Est-ce que c’est bien celle en forme de W ? », l’encouragea Cassie, l’oeil toujours vissé dans l’objectif, vers le ciel.
« Oui, elle est composée de cinq étoiles majeures. » Le jeune homme s’avançait en terrain connu et sa voix gagna en enthousiasme. « Sa pointe au centre est dirigée vers l’étoile polaire, dans la Grande Ourse, qu’on appelle aussi casserole parce qu’elle a une forme…
- De casserole ? », termina la brunette, plantant ses prunelles dans les siennes. Pour une fois, elle ne rit pas.
Reece fit de son mieux pour ne pas perdre contenance. Il était vraiment mordu.
« Et comment s’appelle-t-elle cette constellation ? », lui demanda-t-elle, retournant à son observation.
« Cassiopeia », murmura-t-il pour toute réponse, les joues rouges et le souffle court.
« Oh. »
Cassiopeia se figea. Il n’osa pas regarder dans sa direction, préférant observer ses ongles avec une grande attention. Dans sa poitrine, son coeur battait la chamade, si fort que ses oreilles en bourdonnaient.
« Et pourquoi donc est-ce ta préférée ? » Elle non plus n’osait pas le regarder, très absorbée par l’observation de la voûte étoilée.
Le froid s’insinua dans son estomac. Ses peurs affluèrent à la surface, et il lui fallut quelques secondes pour ne pas perdre pied. Non, cela ne voulait rien dire.
« Je crois que tu as très bien compris pourquoi », finit-il par répondre d’une voix blanche. Il n’y a plus de retour en arrière possible.
La jeune femme se redressa, un peu incertaine. Le coeur de Reece cessa aussitôt de battre, coulant comme une pierre dans son estomac. Game over. Mais elle ne s’éloigna pas, se contentant de scruter son visage, les sourcils froncés.
« Je ne vois pas bien de quoi tu parles… », lâcha-t-elle, l’observant bégayer, les bras croisés. Puis un grand sourire illumina son visage, mettant fin à son calvaire. « Elle est pas mal en effet. »
Traîtresse. Aucune autre pensée n’eut le temps de se former dans l’esprit de Reece, puisqu’elle se rapprocha de lui et posa ses lèvres sur les siennes. Un feu d’artifice explosa aussitôt. Ou du moins, c’est ce qu’il crut jusqu’à ce que Cassiopeia s’éloigne de lui à toute vitesse et fonce vers la porte, qu’elle ouvrit à la volée.
« Ce sera une retenue pour vous, Mr Potter et Mr Finnigan ! », hurla-t-elle, rouge de fureur. « Tous les soirs de cette semaine ! Maintenant retournez vite vous coucher ou ce sera tous les soirs pendant un mois ! »