Assis au bord du lac, maussade, Dean tente de faire des ricochets, avec un succès tout relatif. Tant et si bien que les deuxièmes années assises un peu plus loin finissent par ne plus pouvoir retenir leurs rires. Il n’a même pas l’énergie de leur jeter un regard vexé et laisse tomber ses galets dans l’eau avec une moue fatiguée.

Les rayons du soleil sont encore froids et le vent frais persistant du printemps ne lui fait pas regretter la cape qu’il a jetée sur ses épaules. Sans compter que cela a quelque peu aidé à déserter le parc, et qu’il a bien besoin de solitude.

Seamus ne comprend pas ce qu’il traverse, il n’a jamais eu de copine. Malgré son attirance pour Lavande, il n’a jamais eu le courage de le lui avouer, alors comment pourrait-il savoir ce qu’il vit en ce moment ? Il n’a pas pu l’aider avec ses soucis de couple et il ne peut pas plus l’aider maintenant, alors qu’il vient de se faire larguer pour une raison qu’il trouve ridicule.

— Je peux savoir ce qui a l’air de te faire tant réfléchir ? demande une voix rêveuse dans son dos.

Dean se retourne, son regard peu aimable s’adoucissant aussitôt en tombant sur Luna. Les pieds nus, ses Lorgnospectres sur le nez, elle le regarde la tête penchée sur le côté, comme elle a l’habitude de le faire.

— Comment sais-tu que je réfléchis ?

— Tu as des Joncheruines partout autour de toi, et ils sont attirés par les réflexions intenses.

Le jeune Gryffondor ne peut empêcher un mince sourire d’étirer ses lèvres, le premier vrai sourire depuis sa rupture avec Ginny. Il n’y a que Luna capable d’un tel prodige.

— Verdict ? Les Joncheruines constituent un danger immédiat ?

— Non, mais il faut que tu dormes avec un oignon jaune sous ton oreiller cette nuit pour dissiper le brouillard de ton cerveau.

Il retient son rire, sachant qu’elle est tout ce qu’il y a de plus sérieuse. D’abord effaré par les excentricités de Luna, il a appris à la connaître durant sa relation avec Ginny, et plus les semaines passent plus elle l’amuse. Sa franchise et son honnêteté en font quelqu’un d’unique et de très attachant, quelqu’un qui est devenue peu à peu une amie, ou du moins il l’espère.

Comme en écho à ses pensées, Luna finit par le rejoindre et s’assoit en tailleur à côté de lui. Elle ôte ses Lorgnospectres et les pose sur ses jambes repliées, ses yeux bleus se fixant sur lui avec intensité. Elle a toujours eu cette capacité de lire en lui comme dans un livre ouvert, ou en tout cas  c’est l’impression qu’elle donne. D’abord mal à l’aise, Dean a fini par accepter le sentiment de liberté qu’il ressent en sa présence et face à ces yeux si graves. Libre d’être lui, sans jugement. Car c’est cela le plus important chez Luna, elle ne juge personne, jamais, et porte un regard sur le monde qui est inédit.

C’est ce qu’il trouve captivant chez elle : son naturel. Elle l’est plus que toute personne qu’il a croisée jusque-ici. Elle est brute et sans artifices. C’est ce qui la rend si précieuse dans sa vie aujourd’hui. Il a l’impression qu’elle est une des rares personnes à qui il peut se fier sans arrière-pensées.

— Alors, à quoi est-ce que tu réfléchissais ?

Dean se renfrogne quelque peu et évide son regard. Il pose ses yeux sur les ridules qui ondulent la surface du lac, agité par le vent.

— Ginny a décidé que c’était terminé entre nous. Tout ça parce que je l’ai soi-disant aidé à traverser le passage de notre salle commune et que je suis trop protecteur, alors que je n’ai rien fait du tout.

— Oui, elle m’a dit, répond Luna d’une voix légère, comme si l’information n’était pas si importante. Et c’est à cause de ça que tu es contrarié ?

— Il y a de quoi, non ?

Son ton est plus sec qu’il ne l’aurait voulu, mais il peine à être patient aujourd’hui.

— En temps normal, oui, mais Ginny, tu ne l’aimais pas, pas vrai ?

Etonné par cette réponse, Dean la regarde sans un mot. Il affronte ces yeux bleus qui le confrontent à ses doutes, ses questionnements, ses malaises.

— Je ne sais pas, finit-il par chuchoter du bout des lèvres.

Honteux, il baisse la tête et se captive pour les brins d’herbe qu’il est en train de déchiqueter entre ses doigts.

— Je pensais que c’était le cas, mais je ne me sens pas triste. Alors que je devrais, pas vrai ? Si je l’aimais, je veux dire.

— Chacun vit sa rupture à sa façon, répond Luna du ton le plus raisonnable qu’il lui a jamais entendu.

— Tu ne trouves pas ça bizarre ?

— Je pense que vous ne vous correspondiez pas, c’est tout.

Du coin de l’œil, il la voit hausser ses épaules puis tendre ses jambes au soleil, le visage tourné vers le ciel. Ses bras nus frissonnent sous la caresse du vent, et il se demande pourquoi elle n’a pas au moins pris une écharpe.

— En tout cas, je suis contente que vous vous soyez fréquentés, sinon on ne se serait jamais parlé toi et moi.

Dean sourit, touché par cette honnêteté si caractéristique de Luna. Ça l’a parfois surpris, au début, lorsque Ginny lui parlait dans les couloirs et qu’elle faisait un commentaire sur sa jolie coiffure comme les cernes qu’elle avait sous les yeux, mais il a appris à l’apprécier de plus en plus, jusqu’à ce que cette  franchise devienne naturelle.

— C’est vrai que même avec l’AD, on n’a jamais vraiment discuté.

— On n’avait d’autres soucis, à l’époque.

Sa voix s’est faite un peu plus grave,  et le silence plane entre eux quelques instants, tandis que leurs pensées s’égarent vers cette année plus sombre, marquée par le retour de Voldemort et la présence d’Ombrage entre leurs murs.

— C’est vrai…, murmure Dean.

Il tourne la tête vers elle, et comme il l’a déjà fait plusieurs fois, il ne peut s’empêcher de la comparer avec Ginny. Le soleil et la lune, le feu et la glace. Elles n’ont rien en commun et sont pourtant si soudées. Peut-être parce qu’elles se complètent efficacement. Lui qui a toujours pensé être attiré par la chaleur du feu commence à revoir ses positions. Peut-être s’est-il trompé sur toute la ligne, finalement.

Peut-être que c’est pour cette raison, qu’il n’est pas triste et plutôt soulagé.

— Tu veux continuer d’en parler ?

— De l’AD ?

— Non, de Ginny.

— Je ne vois pas ce que je peux ajouter. Merci d’être là, Luna.

Elle lui adresse un large sourire qui lui réchauffe le cœur. Comme tout ce qu’elle fait, elle se donne toute entière dans ce simple mouvement de lèvres.

— Et tu as raison, merci à Ginny de nous avoir permis de mieux nous connaître.

— J’ai connu beaucoup de gens, grâce à elle, dit Luna d’une voix un peu plus lointaine. Elle connaît beaucoup de monde, Ginny. Pourtant, tu es un des seuls que je peux considérer comme mon ami.

Ces mots le touchent plus qu’il ne l’aurait pensé. Il finit par se relever un peu brusquement, déterminé à cesser de se morfondre. Le moment d’auto-apitoiement est terminé. Ce n’est pas parce qu’il n’est pas triste de sa séparation avec son ex-copine qu’il n’est pas une bonne personne, n’est-ce pas ?

Il tend sa main à Luna, qu’elle saisit après une courte hésitation, sa paume fraîche contre la sienne. Une fois qu’elle est redressée, il plante son regard dans le sien. Prunelles brunes contre prunelles bleues.

— A notre amitié, dit-il avec chaleur.

Le sourire de Luna est tout ce qu’il lui faut aujourd’hui pour lui remonter définitivement le moral.