L’attente avait encore une fois été interminable. Il y avait bien longtemps qu’Iris n’avait plus peur de monter sur scène, pourtant la dernière heure avant le concert la rendait toujours légèrement fébrile. Fiévreuse, même. Pourtant, il ne s’agissait pas de l’une de ces redoutables crises de trac qui donnaient la nausée, mais plutôt d’une forme d’impatience joyeuse qui faisait bondir sur place comme un trampoline.
-Tu vas arrêter de faire les cent pas, oui ? s’énerva Richie, le guitariste à l’imposante iroquoise verte.
-Pardon, balbutia la jeune femme d’un air vaguement honteux en s’immobilisant.
-Prends donc une clope, ajouta-t-il, ça t’aidera à calmer tes nerfs.
D’un coup de baguette, il fit s’élever son paquet de cigarettes dans les airs et le dirigea vers la jeune femme, qui se servit à contrecœur. Elle n’était pas une grande fumeuse, mais ses camarades de Frank’n’Stone exerçaient parfois sur elle une influence qu’elle aurait cru impossible encore quelques mois plus tôt.
Iris porta la cigarette à sa bouche et l’alluma d’un coup de baguette. Elle tira brièvement dessus, laissa la fumée refroidir dans sa bouche avant de l’avaler et de la recracher presque aussitôt en réprimant une quinte de toux. Décidément, elle n’aimait vraiment pas ça.
-Où est-ce qu’on est, déjà ? demanda-t-elle en se creusant la cervelle dans l’espoir de trouver la réponse d’elle-même.
Ils voyageaient dans un véhicule de tournée modifié à la manière du Magicobus pour transplaner d’un pays à l’autre, abolissant l’idée de frontière au sens moldu du terme, embrouillant passablement la jeune femme par la même occasion.
-Zagreb, répondit Matt.
Il était le chanteur du groupe, l’entertainer, celui qui échangeait avec le public, celui qui n’avait pas le droit de se tromper lorsqu’il s’adressait à lui. De quoi est-ce qu’ils auraient l’air s’il lançait par erreur un « Bonsoir Budapest ! » alors qu’ils se trouvaient dans la capitale croate ?
-Cinq minutes, annonça l’un des technicomages en faisant soudain irruption dans la loge.
Richie tira une dernière fois sur sa cigarette avant de l’écraser d’un geste impitoyable dans le cendrier posé devant lui et Iris l’imita avant de traverser la loge à grandes enjambées.
« Tonight, I'm gonna have myself a real good time ! »
D’une poigne de fer, elle saisit sa guitare basse par le manche – une short scale au corps rouge cerise verni – posée négligemment sur un fauteuil et suivit ses trois acolytes dans le couloir d’une démarche presque bondissante, trépignant littéralement d’excitation.
L’heure était enfin arrivée, et plus rien ni personne ne pourrait l’arrêter.
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À deux milles kilomètres de là, dans son appartement miteux de Leeds, Sirius Black dégustait un dernier whisky Pur Feu, avachi dans son canapé en futon horriblement inconfortable qu’il n’avait pourtant pas encore eu le cœur à remplacer, ses pieds chaussés d’une paire de santiags nonchalamment appuyés sur sa vieille malle d’école cabossée et couverte d’éraflures qui lui servait à présent de table basse.
L’un de ses groupes moldus préférés – un quatuor appelé Queen – venait de sortir un nouveau disque seulement quelques jours plus tôt, et Sirius ne se lassait pas de l’écouter. L’album s’intitulait « Jazz » bien qu’il ne contenait aucun morceau de ce genre musical, et le jeune homme n’en était pas fâché : pour lui, c’était tout rock ou rien. Car Sirius avait compris depuis bien longtemps que le rock – et seulement le rock – avait le pouvoir de guérir toutes les blessures, panser toutes les plaies, même les plus profondes.
Il avait beau détester boire seul, cela lui arrivait de plus en plus fréquemment depuis que James s’était installé avec sa dulcinée. Il aimait bien Evans, cela allait sans dire, mais en tant que célibataire endurci, Sirius avait du mal à supporter la vue de ce couple roucoulant tellement de bonheur que ça le rendait malade, lui rappelant sans le vouloir tout ce qu’il avait lui-même déjà possédé, avant de tout perdre. Ou plutôt, avant de tout envoyer valser.
Sentant ses yeux gris s’embuer à cette sombre pensée, le jeune homme avala le fond de son verre d’une seule traite, l’alcool lui brûlant la gorge d’une agréable façon, puis le déposa d’un geste un peu brusque sur la malle devant lui avant de se lever du canapé.
« I feel alive and the world, I'll turn it inside out, and floating around in ecstasy... »
D’un coup de baguette, il fit venir à lui son blouson en cuir moldu qu’il enfila avant de jeter un dernier coup d’œil dans le miroir, à côté de la porte. Ses cheveux bruns lui tombaient négligemment devant les yeux, il n’avait pas de restes de pizza entre les dents et ses vêtements – un jean à pattes d’eph’ et un simple t-shirt – n’étaient pas trop chiffonnés : il pouvait y aller.
L’heure était enfin arrivée, et plus rien ni personne ne pourrait l’arrêter.
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À Zagreb comme à Leeds
La soirée était sur le point de commencer
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