Autour du feu crépitant, les enfants les plus jeunes babillaient, inconscients de l’ambiance régnant dans la salle. Les fêtes de Noël de cette année avaient été ternies par la mort de Molly Weasley, qui avait rejoint son très cher Arthur dans la tombe. Si le décès avait eu lieu quelques mois plus tôt, il s’agissait des premières festivités se déroulant sans son organisation et son autorité légendaire. Audrey avait bien tenté de reproduire son fameux ragoût de citrouilles et de poisson-chat, et il n’avait d’ailleurs pas été mauvais, mais il manquait quelque chose.
Oui, il manquait quelque chose à cette fête de Noël. La conversation était difficile à mettre en marche, les débats étaient moins animés, les réjouissances limitées. Tout ne semblait être qu’une pâle imitation des festivités d’antan. Pourtant, les adultes essayaient. Ils ne voulaient pas gâcher Noël à leurs enfants. Alors ils discutaient, demandaient des nouvelles du travail, la recette d’une recette, parlaient des actualités politiques, du dernier concert de Hollow Goblins.
C’est après le dessert qu’ils étaient allés s’installer dans le salon, autour du feu. Lucy était allée allumer la vieille radio, et la voix de Celestina Moldubec commença à s’élever, toujours aussi nasillarde et grinçante. Des larmes vinrent aux yeux de plusieurs personnes attablées.
« Oh, excusez-moi, j’éteins tout de suite, s’empressa Lucy.
- Non, Lucy, ma chérie, laisse, je t’en prie, lui répondit Ron d’un sourire triste. S’il te plaît. »
Ils se turent pour écouter la nostalgique chanteuse. Les plus âgés se souvinrent du désespoir de Molly Weasley le jour où elle apprit la mort de l’artiste. C’était comme si on lui avait enlevé une partie de son âme, comme si on lui avait ravi un de ses biens les plus précieux. Quand la chanson se termina, les conversations ne revinrent pas. Les adultes ne savaient plus quoi dire. Certains n’avaient même pas essuyé leurs larmes.
Cependant, les enfants et les jeunes adolescents considérèrent comme leur rôle de réinvestir la salle d’une ambiance plus joyeuse. Ils commencèrent donc à lancer des conversations pour remplir la pièce. Albe, la fille de Molly et de son compagnon Homère, annonça du haut de ses huit ans qu’elle avait un « amoureux ».
« Moi j’en ai trois ! », annonça Erèbe, le fils de Louis.
Le père manqua de s’étouffer.
« Ah oui, vraiment ?, demanda-t-il, un sourire figé aux lèvres.
- C’est bien un Delacour ! », s’exclama James en rigolant.
La famille éclata de rire, hormis Fleur et Victoire. Les deux se tournèrent vers James, l’air indigné.
« Qu’est-ce que ça veut dire ?, demanda Fleur, visiblement offensée.
- Oui, ça veut dire quoi ça, exactement ? », renchérit Victoire.
Les deux femmes avaient toujours mis un point d’honneur à souligner qu’elles avaient trouvé leur partenaire immédiatement ; leurs mariages se portaient toujours à merveille, « comme au premier jour », aimaient-elles à dire, d’ailleurs souvent à l’unisson. James leva les mains en l’air.
« Hé, hé, ne le prenez pas mal ! Je ne parlais pas de vous !
- De qui parlais-tu alors ? », demanda Victoire, toujours grincheuse.
Le regard de James dévia lentement vers Dominique. Celle-ci, si elle observait auparavant la scène avec amusement, écarquilla les yeux quand tous les regards se dirigèrent vers elle. Cependant, la réputation sulfureuse de Dominique n’avait rien de nouveau pour sa famille, qui hochèrent la tête.
« Ah oui, c’est vrai, acquiesça Victoire.
- Incapable de se trouver quelqu’un ! renchérit Fleur.
- C’est pas vrai ! s’écria Dominique. Je peux trouver quelqu’un ! J’ai-
- C’est vrai d’ailleurs, ma chérie, qu’est-il arrivé à cette gentille jeune femme que tu nous avais présenté… Myrtille ? Mirabelle ? s’enquit Bill.
- Pomme, papa, c’était Pomme ! C’était il y a deux ans je te rappelle !
- Ah oui, c’est vrai, Pomme… Et donc, qu’est-il arrivé… ?
- Ça n’a pas marché papa, c’est comme ça…
- Vraiment, Dominique, je ne comprends pas ce qui ne va pas avec toi ! s’exclama Fleur. Tu as vingt-sept ans, comment n’as-tu toujours pas trouvé quelqu’un à ton pied ?
- Maman, soupira Louis, laisse-la, tout le monde n’a pas envie de se caser aussi tôt, c’est tout à fait normal.
- Oui, c’est vrai, acquiesça Fleur. D’ailleurs, Dominique, je te dois des excuses. »
Dominique, qui s’était jusque-là caché le visage dans ses mains, releva la tête.
« Ah ?, demanda-t-elle, agréablement surprise.
- Oui, ce n’est pas impossible pour toi de trouver quelqu’un, c’est plutôt le contraire ! Tu en trouves trop ! Tu les enchaînes, tu les enchaînes, im-po-ssible de t’arrêter ! Ça ne m’étonne pas, tu as mon sang après tout, mais là c’est trop ! »
Dominique râla et replongea son visage dans ses mains, alors que les membres de sa famille éclatèrent de rire. La famille Weasley-Delacour était relativement conservatrice ; il était normal d’avoir des enfants très tôt, et souvent avec des amis d’enfance. Cependant, Fleur était particulièrement accrochée à cette idée d’amour unique et sincère.
Alors qu’elle releva la tête, Dominique croisa le regard écarquillé d’Erèbe -non, pas écarquillé : admiratif. Pour être plus exacte, il semblait regarder son idole. D’ailleurs, à bien y regarder, Erèbe n’était pas le seul enfant à la regarder ainsi. Maggie, Astrée, Lux… Ils s’étaient tous regroupés autour d’elle, et certains s’agrippaient à son pantalon.
« C’est vrai, Dom, c’est vrai ? demanda une Astrée empressée.
- T’as eu pleins d’amoureux ? Et d’amoureuses ? demanda Erèbe.
- Pleins, pleins, je ne dirais pas ç-, commença Dominique.
- Ah oui, il en a eu pleins, pleins, pleins ! », l’interrompit James, hilare. « D’ailleurs, vous devriez lui demander de vous raconter, ça devrait être fun. »
Dominique le fusilla du regard. Cependant, les enfants semblaient ravis de cette proposition et commencèrent à piailler, le suppliant de lui raconter l’histoire de ses amoureuses et de ses amoureux.
« On en aura jusqu’à l’année prochaine, grommela Fleur.
- Moi je dois avouer, déclara Bill, que j’aimerais bien savoir aussi. Tu as toujours été très mystérieuse sur ta vie sentimentale. Myrtille…
- Pomme !
- Oui, Pomme… tu ne nous l’as présentée que parce que nous nous étions croisés en ville… »
Des murmures d’approbation s’ensuivirent. Dominique observa sa famille d’un air ahuri ; tous semblaient curieux -si ce n’est James, son meilleur ami de toujours, qui avait toujours été au courant de sa vie sentimentale et qui souriait d’un air satisfait. Les Weasley avaient toujours eu cette terrible tradition de tout se dire. Impossible de cacher quoique ce soit, ça finissait toujours par se savoir. Alors voilà, la vie amoureuse que Dominique avait soigneusement entrepris de cacher toutes ces années était finalement sujet de curiosité. Ça n’avait jamais été un secret en soi ; Dominique n’était simplement pas le type de personne à s’ouvrir sur sa vie personnelle. Il ne pensait d’ailleurs pas que ça pourrait intéresser grand monde. Visiblement, si. Il poussa un soupir.
« Ça vous intéresse vraiment ?, demanda-t-il, dépité.
- Oui ! s’exclamèrent les enfants, suivis d’une approbation plus contenue des adultes.
- Très bien… grommela-t-il. Je vais vous raconter. »
Les enfants s’étaient assis à ses pieds, la tête levée vers lui, les yeux brillants et les oreilles grandes ouvertes. Dominique prit une profonde inspiration à commença à raconter l’histoire de sa vie sentimentale.