Le premier amour de Dominique, il avait des cheveux bleus, un sourire renversant, et il s’appelait Teddy. C’était d’abord une admiration enfantine, qui, au fil des années s’était transformé en un amour innocent. Mais un amour quand même.
Elle s’en fichait bien, Dominique, qu’il fasse tout comme partie de la famille. Teddy, il lui disait qu’il l’adorait, et ça faisait battre son cœur. Teddy, il lui disait qu’il la préférait à Victoire, et c’était tout ce qu’elle voulait. Elle ne réalisait pas, à l’époque, que Teddy mentait. C’était impossible qu’il la préfère à Victoire, alors qu’il était fou amoureux d’elle. Mais comment pouvait-elle le savoir, Dominique ? Elle était jeune, elle était bête.
Teddy, ça avait été son premier confident. Pour tout. C’était avec elle qu’elle avait partagé son excitation, quant à son entrée à Poudlard. Il avait été avec elle quand elle était allée faire ses premières courses pour l’école de sorcellerie. Il avait admiré sa baguette magique, là où Victoire l’avait simplement ignorée.
C’était avec Teddy qu’elle avait partagé pour la toute première fois ses hésitations quant à son genre. C’était Teddy qui l’avait encouragée à explorer. C’était Teddy qui avait utilisé les pronoms qu’elle souhaitait, en secret. C’était Teddy qui n’avait jamais remis en question ce qu’elle ressentait, même à un si jeune âge. C’était Teddy qui était à ses côtés, quand elle avait annoncé à ses parents qu’elle était fluide, qu’elle aimerait utiliser des pronoms à la fois masculins et féminins. C’était Teddy qui s’était battu avec ses parents quand ceux-ci avaient écarté ses propos, disant que Dominique était trop jeune pour savoir ce qu’elle ressentait. C’était Teddy qui l’avait défendue, à chaque fois que c’était nécessaire, jusqu’à ce que ses parents assimilent cette réalité nouvelle pour eux.
C’était une gamine, Dominique, elle aurait dû comprendre que Teddy ne serait jamais amoureux d’elle. C’était bon signe, d’ailleurs, qu’il ne soit pas attiré par une gamine. Mais Dominique était trop jeune, trop bête, elle ne le savait pas, ça, que les adultes ça ne tombait pas amoureux des gamines. Alors Dominique, jeune et bête, elle était amoureuse d’un adulte.
Mais Teddy était déjà amoureux -fou amoureux. Dominique, elle ne voulait pas le voir, elle faisait exprès de l’ignorer, même quand c’était devenu officiel. Elle s’en souvenait très bien d’ailleurs, du jour où elle l’avait appris. Ce fameux jour où James était venu en courant jusqu’à elle, en lui annonçant qu’il venait de voir Teddy embrasser Victoire.
« Teddy ! Tu te rends comptes, Dom ? Il embrasse Victoire ! Ta SŒUR ! Allo ?»
Son cœur -et tout son être d’ailleurs- avait été réduit en bouilli ce jour-là, mais Dominique avait tenu bon. Elle s’était menti à elle-même -après tout elle savait si bien le faire-, elle s’était dit que ce n’était qu’une phase, que ce n’était que temporaire, que ce n’était pas grave, qu’il allait se rendre compte de son erreur. Il ne devait pas connaître le véritable visage de Victoire. Elle, elle la connaissait bien Victoire, mieux que tout le monde. Sa sœur elle était méchante, elle était hautaine, elle n’était pas rigolote.
Dominique et Victoire ne s’étaient jamais véritablement bien entendues, mais cette nouvelle n’avait fait qu’antagoniser encore plus sa sœur à ses yeux. Elle la voyait comme une ennemie à défaire, comme un monstre à affronter. Et pourtant, Victoire était tellement plus belle, tellement plus élégante, tellement plus intelligente. Tout le monde l’aimait, Victoire. Elle ressemblait tellement à sa mère, Victoire.
Et un jour, la nouvelle était tombée.
« On va se marier ! »
Victoire était là, à agiter la bague sous son nez, un sourire immense au visage, que Dominique interprétait comme de la provocation. Impossible à vaincre, la Victoire. Dominique avait quatorze ans, et même si elle pensait que ce stupide amour d’enfance était passé, elle s’était visiblement trompée.
Ou peut-être qu’à ce stade-là ce n’était plus une question d’amour, mais plus une question de compétition avec sa sœur. Après avoir passé sa vie à la défier, ce mariage annonçait la défaite de Dominique. Cette bague, c’était la confirmation qu’elle ne serait jamais à sa hauteur, jamais aussi bien qu’elle. Jamais aussi aimée.
Dominique n’avait pas bien accepté cette annonce. Elle commença à douter d’elle-même, à se reprocher ses erreurs. Elle n’était pas aussi belle que Victoire, ça, tout le monde se l’accordait. Sa sœur, elle était tellement plus élégante, tellement plus classe, tellement plus tout ! Elle cessa de s’alimenter. Continua de prétendre que tout allait bien. Elle ne pouvait pas laisser Victoire apercevoir sa jalousie.
Puis vint la réalisation que ce n’était pas son apparence qui clochait. Il ne s’intéressait pas plus à elle, Teddy. Il était toujours aussi amoureux de cette stupide Victoire. Dominique comprit que le problème, c’était elle. Elle n’était juste pas assez bien. Elle ne convenait pas. Ni à Teddy, ni à personne.
Elle avait constamment faim, constamment froid. Elle se faisait régulièrement du mal, Dominique, dans l’espoir peut-être qu’ainsi les autres ne pourraient pas lui faire ressentir de douleur. La veille du mariage, son corps n’en put plus. Alors qu’elle assistait aux essayages de Victoire, elle s’évanouit. Quand elle se réveilla au centre de Médicomagie, sa famille à son chevet était en pleurs. Même Teddy. Même Victoire.
Victoire l’avait prise dans ses bras, l’avait serrée fort, si fort.
« Je suis désolée Dom, je suis tellement désolée, si tu savais comme je t’aime. »
Dominique l’avait serrée en retour.
***
« D’abord… Il y a eu Teddy ! sourit Dominique.
- Teddy… Teddy papa ? demanda Astrée, un air choqué au visage.
- Beurk ! s’écria Lux.
- Ça veut dire… que tu aurais pu être mon parent ? le questionna à nouveau Astrée, les yeux écarquillés.
- Impossible ! s’exclama Victoire. Il n’y a que moi pour donner naissance à une enfant aussi parfaite que toi ! »
La famille rit. Victoire souleva sa fille et la posa sur ses genoux, avant de l’embrasser tendrement sur la joue. La jeune fille rigola, d’un rire cristallin.
Le regard des deux sœurs se croisa, et elles échangèrent un sourire. Certaines histoires ne valaient pas la peine d’être contées. Dominique, d’un geste machinal, se frotta les avant-bras avant de poursuivre, d’un ton guilleret :
« Alors, maintenant je vais vous raconter comment j’ai séduit la plus belle fille de l’école… »