-Ne paniquons pas, dit Bill autant pour lui-même que pour Leïla. Il y a sûrement un moyen de sortir d’ici. On pourrait… essayer un sort de Lévitation, par exemple ? suggéra-t-il d’un ton aussi peu convaincu que convaincant.
-Ça vaut la peine d’essayer, acquiesça néanmoins Leïla. Vas-y, je suis prête.
Estomaqué, Billy ouvrit la bouche mais la jeune femme ne lui laissa pas le temps de protester.
-Je suis moins lourde que toi, fit-elle remarquer en le toisant de la tête aux pieds d’un air agacé.
À ces mots, Bill hocha la tête et leva sa baguette.
-Wingardium Leviosa !
La jolie Égyptienne sentit ses pieds quitter aussitôt le sol et s’éleva lentement dans les airs, sa baguette allumée éclairant les parois du puit. Bill la regardait s’éloigner avec appréhension tout en essayant de rester concentré sur son sortilège : s’il flanchait, les conséquences pourraient s’avérer dramatiques ! Leïla s’envolait toujours plus haut lorsqu’un bruit étrange semblable à celui d’un essaim d’insectes se fit soudain entendre.
-Qu’est-ce que c’est ? demanda Bill d’une voix anxieuse tout en stabilisant Leïla plusieurs mètres au-dessus de sa tête.
-Chut ! répondit-elle vivement, et le jeune homme obéit.
Le bourdonnement se faisait de plus en plus intense et Bill sentit son cœur battre à tout rompre contre ses côtes.
-Fais-moi descendre tout de suite ! hurla Leïla d’une voix aiguë, trahissant sa terreur.
Réprimant un mouvement de panique, Bill abaissa lentement sa baguette et se concentra de toutes ses forces pour faire atterrir la jeune femme le plus doucement possible. Mais avant qu’elle n’ait touché le sol, le corps frêle de Leïla fut violemment propulsé contre celui de Bill par un gigantesque nuage de sable, qui les plaqua tous les deux à terre. Ils restèrent un long moment allongés à plat ventre l’un contre l’autre, les paupières et la bouche étroitement clos pour ne pas avaler de poussière, jusqu’à ce que le bruit d’essaim se soit enfin volatilisé. Ne sachant plus guère s’il était vivant ou mort, Bill ouvrit alors prudemment les yeux.
L’air autour d’eux était chargé de particules de sable, lui piquant désagréablement les yeux, et le jeune britannique ne put réprimer une violente quinte de toux tandis qu’il se redressait. Aucun doute, il était bien vivant – tout du moins, pour l’instant.
-De la brume de sable, commenta Leïla d’une voix étouffée par le foulard qu’elle se tenait plaqué devant la bouche. À mon avis, elle n’est pas naturelle, ça doit être le résultat d’un autre maléfice pour nous empêcher de sortir et ça va être impossible de nous en débarrasser dans cet espace confiné, commenta-t-elle. Il va falloir qu’on fasse avec, tu penses que tu vas pouvoir tenir ? lui demanda-t-elle encore avec sollicitude.
Bill, qui l’avait imitée et recouvert le bas de son visage d’un mouchoir aux initiales brodées des mains de sa mère, se sentir rougir. Si l’un d’entre eux avait dû s’inquiéter de l’autre, ça aurait dû être lui ! Il hocha cependant la tête, n’osant répondre avec des mots de peur de se mettre à nouveau à cracher ses poumons.
Les rayons du soleil en provenance de la surface peinaient à traverser l’opaque brume poussiéreuse mais les deux jeunes gens parvenaient encore à apercevoir l’ouverture par laquelle ils étaient entré quelques minutes auparavant.
-J’imagine que tu ne tiens pas à réessayer ? supposa Bill en jetant à sa collègue un regard interrogateur.
Avant que Leïla n’ait le temps de répondre quoi que ce soit, un point brillant traversa soudain le minuscule puit de lumière à la surface, passant de la couleur jaune de l’or pur à celle rouge du sang, avant de disparaître subitement, ne laissant derrière lui que le noir le plus complet.
-Lumos maxima, murmura Leïla dans l’espoir de chasser un peu les ténèbres qui les entouraient.
-Qu’est-ce que c’était ? questionna Bill d’un ton hésitant. Une éclipse de soleil ?
-J’en doute, répondit-elle, sceptique. Ce genre de phénomène est toujours annoncé dans la presse.
Elle se tut un moment et tendit sa baguette en direction du tunnel qui s’étendait, invisible, devant eux, et Bill l’imita. Il se sentait étrangement fatigué, tout à coup, mais cela venait peut-être simplement de l’air saturé de particules de sable qui enflammait ses iris.
Les murs étaient gravés de cartouches et de logogrammes magiques, et Bill vit Leïla froncer les sourcils en s’approchant de l’un des bas-reliefs qui représentait une clepsydre dont l’eau semblait remonter dans le premier récipient et s’enfuir à la fois comme dans une boucle sans fin, avant de tirer d’un geste vif sur la chaîne dorée qui pendait à son cou gracile.
-Quelle heure dit ta montre ? demanda-t-elle d’un ton pressant.
-Je ne sais pas, répondit Bill, intrigué par son étrange comportement. Il ne doit pas être bien tard. Vers neuf heures du matin, je dirais.
-S’il te plait, William, regarde ta montre ! insista Leïla en sifflant entre ses dents avec impatience.
De plus en plus interloqué, le jeune homme capitula. Il releva la manche de sa chemise et jeta un coup d’œil à la montre que ses parents lui avaient offerte pour son dix-septième anniversaire.
-Il est midi, déclara-t-il alors. Je ne pensais pas qu’il était déjà si tard…
-Tu ne crois pas si bien dire, ironisa la jolie Égyptienne. Il n’est pas midi, comme tu le crois, il est minuit !
-Hein ?
Sa surprise était telle que Bill en laissa tomber le mouchoir qu’il tenait devant sa bouche et avala une bonne quantité de sable qu’il recracha dans un haut-de-cœur. Sa vue se brouillait dangereusement et il dut prendre appui sur le mur pour ne pas tomber. Puis, d’un geste fébrile, il jeta un nouveau coup d’œil à sa montre qui indiquait les phases de la lune et du soleil en fonction de l’heure de la journée. Or, pour le plus grand désarroi de Bill, la montre indiquait bel et bien qu’il faisait nuit.
-Bon, reprit la jolie Égyptienne d’un ton résigné, nous sommes pris dans un sortilège d’Inversion temporelle, voilà pourquoi nous nous sentons soudain si fatigués. Et comme on ne peut pas sortir par là-haut, je suppose qu’on n’a pas d’autre choix que d’avancer.
-Tu penses qu’on trouvera une autre sortie ? s’enquit Bill d’une voix rauque, la gorge toujours irritée par la poussière qu’il avait avalée.
-Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir, fit remarquer la jeune femme d’un air grave.
À ces mots, elle leva un peu plus haut sa baguette en direction des abysses qui dévoraient le tunnel, prit une grande inspiration, et commença à avancer.
Le couloir s’enfonçait sous terre sur une centaine de mètres et déjà Bill et Leïla pouvaient se rendre compte qu’ils n’étaient pas les premiers à s’aventurer dans ce tombeau car le sol était jonché d’ossements à moitiés grignotés par le temps et recouverts de toiles d’araignées. Ils progressaient lentement, répétant tous les quelques mètres la panoplie de charmes de Détection des pièges qu’on leur avait enseignée pendant leur formation de briseurs de sorts, dans l’espoir de survivre un peu plus longtemps que les cadavres en décomposition qui les entouraient. Pourtant, plus ils avançaient, plus Bill avait la désagréable impression qu’eux non plus n’en ressortiraient peut-être pas vivants. C’était bien la peine de vouloir partir à l’aventure si c’est pour ne pas en revenir, railla une voix désagréable dans un coin de sa tête.
Le jeune homme vit son mauvais pressentiment se renforcer lorsqu’ils arrivèrent à la hauteur du squelette d’une femme pendue par le cou à un crochet. La sorcière portait une robe de coupe assez moderne, ce qui laissait supposer qu’elle s’était retrouvée prise au piège seulement quelques années plus tôt.
-On devrait la fouiller, murmura Leïla.
-Quoi ? s’étrangla Bill, espérant avoir mal entendu.
-Elle pourrait avoir sur elle quelque chose d’utile, insista néanmoins la jeune femme.
Elle haussa les sourcils tout en hochant la tête d’un air encourageant, si bien que Bill n’eût d’autre choix que de serrer les dents et de s’exécuter. Outre sa baguette magique et une bourse remplie d’argent sorcier, l’aventurière gardait dans ses poches une boussole magique ainsi que la photographie animée d’une petite fille d’environ cinq ans, aux cheveux foncés et au visage rappelant assez celui d’un pékinois. Sans trop savoir pourquoi, Bill retourna le cliché d’un simple geste du poignet, et put lire l'inscription notée au dos :
« Ta nièce, Pansy Parkinson, 11 décembre 1985 »
Tandis qu’il lisait ces mots, Bill sentit son sang ne faire qu’un tour. Que penserait sa mère si ce tombeau devait devenir le sien ? Elle n’apprendrait jamais ce qu’il était advenu de lui, tout comme cette fillette ne saurait jamais ce qui était arrivé à sa tante. Molly le croirait-elle vraiment mort ou viendrait-elle le chercher par la peau du cou, comme elle l’avait toujours fait lorsqu’il se mettait dans le pétrin ? Cette pensée le fit vaguement sourire, et le rassura un peu.
-Continuons, dit Leïla, le tirant soudain de sa rêverie.
Ils arrivèrent bientôt au bout du tunnel apparemment sans issue, dont le cul-de-sac était gravé d’un immense scarabée entouré d’une demi-douzaine plus petits.
-C’est là que doit se trouver l’entrée de l’antichambre, déclara la jeune femme en détaillant le bas-relief avec attention.
-Je suppose qu’on ne l’ouvre pas avec un simple Alohomora, soupira alors Bill.
-Tu peux toujours essayer, rétorqua-t-elle, mais je doute que ça marche.
Concentrée sur l’examen de la fresque, elle n’avait même pas tourné la tête vers lui, sans parler de relever le sarcasme dans ses propos. Bill s’accorda encore deux secondes pour scruter son adorable profil avant de se remettre lui aussi au travail. Les petits scarabées placés autour du grand avaient tous une orientation différente : certains avaient la tête vers le haut, d’autre vers le bas, et d’autres encore étaient disposés en diagonale.
-Je me demande si… marmonna-t-il, les sourcils froncés par la concentration.
-William, qu’est-ce que tu fais ? demanda Leïla d’un air horrifié.
Sans tenir compte des protestations de sa collègue, il tendit la main vers le scarabée le plus proche et le fit doucement pivoter. De toute façon, qu’est-ce qu’on a à perdre ? Au point où on en est…
-Qu’est-ce que tu en penses ? demanda-t-il en se tournant vers la jeune femme. Tous dans le même sens ?
-Non, répondit-elle. Laisse-moi faire.
Ayant toute confiance en son jugement, Bill retira ses doigts du poussoir et regarda Leïla le tourner en direction du grand scarabée central. Elle renouvela l’opération avec les cinq autres, de manière à ce qu’ils aient tous la tête orientée vers lui puis, d’un geste lent – hésitant, même – elle posa la paume sur le corps du grand scarabée. Visiblement consciente que son geste scellerait sans doute leur destinée, elle échangea un regard inquiet avec Bill, qui hocha la tête en signe d’encouragement, la gorge trop nouée pour répondre avec des mots.
Une issue ou la mort.
Finalement, Leïla prit une grande inspiration et appuya sur la plaque, qui s’enfonça alors dans un cliquetis mécanique bientôt suivi d’un borborygme assourdissant.
La paroi de pierre se décolla soudain du sol pour disparaître à l’intérieur du plafond, dévoilant l’entrée de l’antichambre.
-Oh ! s’exclama Leïla, qui ne semblait pas en croire ces yeux.
Au moins aussi ébahi qu’elle, Bill se contenta de sourire d’émerveillement à la vue des montagnes d’objets entassés dans la pièce. Leur joie fut cependant de bien courte durée car un grognement à leur donner la chair de goule s’éleva alors du tunnel.
Redoutant ce qu’ils allaient y trouver, Bill et Leïla échangèrent un regard terrifié puis se retournèrent lentement : le squelette de la sorcière pendue venait de se délivrer de son crochet et se dirigeait droit vers eux de sa démarche vacillante, ses orbites vides et sa robe grignotée de part et d’autre flottant autour d’elle lui donnant une allure de Spectre de la Mort.
-ARGH ! hurlèrent-ils d’une seule voix.