24 décembre 1998
Assise devant ma coiffeuse, mon bras suit mollement le mouvement, comme s’il s’agissait d’un geste automatique. Un geste qui n’implique rien. Vide. Qui n’a aucune signification.
De mes doigts fins repliés sur le manche de ma brosse à cheveux, je vais et viens entre mes longues mèches brunes presque noires. Mes iris chocolatés me fixent depuis le reflet du miroir mais je ne me reconnais pas. Je suis là, interdite. Figée. Glacée. Mes yeux sont embrumés de larmes sans que je ne sache pourquoi.
Sans doute était-ce trop violent. Ou trop soudain. En puis, que fichait Drago Malefoy dans la demeure de mes parents, la veille de Noël, en pleine nuit ?!
Tu sais pourquoi Astoria. Tu n’es pas stupide, me rappelle cette malicieuse petite voix à l’intérieur de mon crâne. Elle me tambourine comme un pic vert. Elle tape à chaque fois un peu plus fort et s’impose à moi par des flashs incessants : je revois alors leurs corps nus et transpirants, emboités l’un dans l’autre à gémir la mort.
Alors oui. Je sais pourquoi Drago Malefoy était là.
Cela fait un an et demi que je sors avec mon petit ami, Adrian Pucey. Je sais à présent comment sont les hommes. Ce qu’ils veulent, comment ils les veulent et plus encore, qui ils sont. En l’occurrence ce ne sont que des bêtes sauvages aux pulsions non-modérées. Et nous, les femmes, ne sommes seulement là pour les délivrer de leur mal. Pour les soulager. Ces pauvres petites bêtes…
Tss… Pathétique.
Pathétique que ma sœur continue à écarter les cuisses pour un homme qui ne lui offrira jamais sa main. Pathétique que je ne puisse même pas dénoncer les écarts de mon fiancé. A croire que nous n’aurons jamais le choix. Être mère ou pute.
Je claque ma langue d’agacement et dépose un peu trop violemment la brosse à cheveux sur le meuble dans un tintement sourd. Mon grand-duc au doux plumage d’ébène, niché en haut de son perchoir, sursaute et ouvre un œil curieux, sorti de sa torpeur.
Il est tard, presque minuit passé. La grande horloge du salon a sonné et a fait résonner son tintement qui se répercute sur chacun des murs du Manoir. J’adresse un regard navré à mon compagnon à plumes avant de revenir me concentrer vers le miroir.
Mon intérêt se dépose sur cette trace violacée autour de mon cou, qui n’est plus cachée par mes innombrables couches de fond de teint. Quel idiot. Il a vraiment cru que toucher une Greengrass serait impuni ?!
Mon air s’assombrit à mesure que ma mâchoire se serre. Mon père veut s’assurer de ma descendance avec Adrian Pucey ? Ahah, laissez-moi rire. Je ne mélangerai pas mon sang avec quelqu’un d’aussi… Faible. D’aussi lâche et d’aussi stupide au point de lever la main sur moi.
Révoltée, je fais passer ma longue crinière sombre derrière mes épaules et me lève en un quart de tour. Je n’adresse même pas un regard vers la masse endormie qui se roule entre les draps en satin de mon lit. Je m’empare plutôt de ma baguette magique, fait venir depuis mon dressing une longue robe bleu-marine en velours et une cape noire de sorcière que je m’empresse de nouer autour de mon cou.
Dors tranquillement, mon cher. Tant que tu le peux.
Silencieusement, je m’extirpe de ma chambre à coucher. J'abat la capuche sur ma tête et m’enfonce dans les couloirs sinueux, plongés dans la nuit. Déterminée, je quitte la demeure de mes parents et marche droit vers la forêt qui borde le domaine.
Je me souviens parfaitement des indications prescrites dans mon manuel : Il me faut un paysage froid et sec, tout comme son âme ; Une lune rousse aussi ronde que ses yeux de cocker lorsqu’il découvrira ce que je lui ai fait ; Quelques mèches de cheveux. Et surtout, il me faut du sang. Malheureusement, pas le sien. Non, le sien n’est pas assez pur.
Mon pas pressé s’écrase sur les feuilles séchées recouvertes de gel. Il s’est déposé sur tout le décor hivernal et scintille de mille feux, éclairé par la douce lueur de la nuit. Il illumine mon chemin et grâce à lui, je sais exactement où aller.
Lorsque je me retrouve dans une calme clairière, je diminue enfin la cadence. Les joues rouges et mon souffle s’évaporant depuis ma bouche, je dépose mon regard sombre sur ce vieux puits. Le lierre et la mousse verte ont complètement pris le pas sur le revêtement en pierre. Il est abandonné depuis des années mais il sera parfait pour mon rite.
Aveuglée par la vengeance, je n’attends pas.
— Accio lame d’argent ! pointé-je au-dessus du puits.
Comme la majorité des puits, ils sont réputés pour être des passerelles magiques entre les différents endroits sur Terre et ont la capacité de fournir n’importe quel objet. Du plus banal au plus précieux. Il suffit de savoir formuler sa demande.
Ainsi, je ne suis pas surprise lorsqu’un éclair argenté surgit du trou. Je brandis ma main et très vite, mes doigts se resserrent autour d’un poignard acéré. Satisfaite, je me tourne vers la forêt sombre et broussailleuse.
— Cuniculus !
Mon enchantement se répercute sur tous les léporidés des alentours. Ils sont illuminés un à un par mon sort. Intrigués, ils sortent tous de leur terrier et m’observent avec curiosité, cachés derrières les broussailles. Seules leurs longues oreilles dépassent des amas de branches nues. Alors calmement, très doucement, je me penche. Mes genoux rencontrent le sol froid et dur et je me mets à fredonner une douce mélodie envoutante. Ma main se pose sur le parterre et un courant d’air s’élève dans la nuit et vient abaisser ma capuche pour que le vent puisse venir se mêler à mes longs cheveux bruns.
Attirés par mon magnétisme, mon chant et mon regard qui transpercent la nuit, le plus intrépide d’entre eux s’avance de deux pas. C’est bien mon brave, approche.
Encore deux petits sauts vers moi.
Je ne bouge plus, mes yeux braqués sur la petite boule de poils blanche. Le jeune lièvre devant moi, d’un pelage magnifiquement immaculé, m’observe avec une certaine réserve avant de pencher la tête sur le côté, comme s’il m'évaluait.
J’étire un sourire rassurant et l’incite à s’approcher un peu plus. Je n’ai pas besoin de beaucoup. Juste de quelques centimètres.
Cédant à mon appel, le petit animal réduit une nouvelle fois la distance. Mes doigts se resserrent un peu plus autour de ma baguette et alors qu’il s’apprête à flairer le danger, je l’immobilise à l’aide d’un sortilège. Je cesse aussitôt mon chant, me relève et attrape le mammifère par les oreilles.
Impuissant, je le dépose sur le bord du puits et commence mon rituel.
— De cet homme né, avancé-je en faisant tomber les mèches de cheveux d’Adrian dans le trou sans fond. Je souhaite le destituer.
Pour se faire, je m’empare de mon poignard et d’un coup net et franc, j’égorge le mammifère. Je retire ses parties génitales et les fait tomber dans le fond du précipice.
— Pour ce crime commis, il répondra des siens, continué-je. Puisse la dynastie des Pucey s’effriter aussi vite que leur âme.
A cela, je m’entaille la paume et viens faire couler quelques gouttes dans le puits. Satisfaite, j’achève mon maléfice :
— Incendio !
Un puissant geyser de flammes surgit et illumine la forêt, me faisant sursauter. Il s’élève de la terre jusqu’au ciel, réchauffant de quelques degrés l’air ambiant. Puis dès qu’il s’éteint, un cri affreux mêlé de douleur et de souffrance transperce la nuit. Je fais volte face et observe, les mains ensanglantées et tremblantes, la lumière qui vient de s’allumer depuis la bâtisse du Manoir Greengrass. Il s’agit de ma chambre.
Je déglutis avec difficulté, presque apeurée par ce que je viens de faire.
Qu’ai-je fait, d’ailleurs ?!
Mon palpitant s’accélère et mes yeux commencent à être gagnés par l’émotion. Au moment où je jette un dernier coup d’œil affolé vers le puits, je rencontre deux grandes iris jaunes.
— AH !
— Hey ! N’ai pas peur ma jolie !
Je trébuche et tombe au sol sur les fesses. J’écarquille les yeux lorsque je détaille la silhouette noire qui s’élève depuis le trou béant. Elle voltige tel un cerf-volant avant de s’enrouler autour du vieux seau en bois pourri qui pend dans le vide. Elle s’étire jusqu’à moi alors que je me fige de peur.
L’ombre n’est pas humaine. Elle n’est même pas palpable. C’est une fumée noire, immatérielle, maléfique. Elle me fixe depuis son sourire blanc et sournois avant de tendre une main aux longs doigts fins et sinueux.
— Allons chérie, ne tremble pas comme une feuille, susurre la voix. Une sorcière de ce standing ne se laisse pas atteindre par une forme comme la mienne.
— Qui êtes-vous ? osé-je demander.
— Je suis l’ombre du puits voyons, s’étire la fumée en s’élevant dans les airs. Tu ne pensais quand même pas que ce lieu était inhabité j’espère ?
J’avale ma salive tant bien que mal et me relève. Je fais face avec méfiance à la forme noire et immatérielle.
— Que voulez-vous ?
Ma question reste en suspens. Seul le sourire sordide de la figure s’accentue, ne m’annonçant rien qui vaille. Je renforce la prise sur ma baguette magique bien que me doutant que la magie ne me sera d’aucun secours. Comment, je l’ignore. Mais je crois deviner que je ne dois pas fâcher cette… Créature.
— Ce que je veux ? Oh rien de bien méchant, ricane l’ombre. Tu t’es aidée de mes pouvoirs pour lancer ce maléfice, petite sorcière. Maintenant, tu vas devoir en payer le prix.
— Quoi ?! Mais je…
— Tu ne savais pas ? Oh… Comme c’est dommage. Mais maintenant tu sais : toute magie a un prix.
Avant même que je n’ai le temps de faire le moindre mouvement, le démon du puits se jette sur moi et s’empare de mon poignet gauche. Son index se transforme et devient aussi long et pointu qu’une aiguille. Il se plante dans ma peau et je sens un liquide douloureux se répandre dans mon sang.
Prise d’horreur je pousse un cri d’épouvante avant de m'effondrer sur le sol. Inconsciente.