Lisa inspira calmement. Elle fit un pas en avant, un pas en arrière, puis encore un autre. Elle tourna sur elle-même pour admirer les motifs floraux de sa robe, qui écloraient, fleurissaient. Elle l’avait cousue elle-même et se sentait vraiment bien dedans. Elle glissa une main dans l’une des poches du vêtement et tâtonna le baladeur mp3 dernier cri : un RIO PMP300, sorti l’année dernière. L’appareil, une espèce de gros boîtier gris, qui vrombissait, chauffait et agonisait presque, à cause de la magie. Lisa le prenait comme un défi : bientôt, cet appareil fonctionnerait parfaitement, et ce, dans tous les lieux, même ceux où la magie était puissante, et omniprésente. Des lieux comme le Ministère de la magie, où elle se tenait à l’instant même.
Elle s’arrêta : est-ce qu’elle avait donné à manger à Colombe ce matin ? Elle essaya de se rappeler, et geignit en réalisant qu’elle avait négligé son chat … Elle s’en voulut immédiatement, avant de se reprendre, et de se concentrer :
- Du calme, Lisa. Tout va bien. Tu déchires. T’es trop forte. T’es géniale. Ton projet est top. Mieux que ça : il va révolutionner le monde.
Hermione Granger l’avait tout de suite approuvé. Ça voulait bien dire quelque chose, non ? Elle peignit sur son visage un immense sourire, qu’elle admira dans son petit miroir de poche. Elle recoiffa quelques mèches châtains, un peu rebelles, repositionna ses lunettes, et se rapprocha du miroir pour inspecter ses dents. Elle essuya sur ses dents du bonheur une trace de rouge-à-lèvres quand la porte s’ouvrit. Elle se redressa, lâcha son miroir, qui se brisa au sol et sans se défaire de son sourire tendit son dossier :
- Bonjour Monsieur Nott ! Ça va bien ?
Elle se gifla mentalement. « Monsieur Nott » ? Sérieusement ? Théodore avait exactement le même âge qu’elle. Et « ça va bien » ? Vraiment ? Lisa savait qu’il avait perdu son père l’année dernière. Elle tourna la langue sept fois dans sa bouche, et se prépara à réciter le petit discours qu’elle avait appris par cœur et récité à tous les membres du Magenmagot qu’elle avait rencontrés jusqu’ici. Elle bredouilla, en ramenant son dossier vers elle comme un bouclier :
- Je viens afin de te présenter mon projet. Le Magenmagot se prononcera fin décembre au sujet des bourses de recherches et …
Théodore Nott n’avait pas prononcé un mot ou effectué le moindre geste. Il regardait Lisa, parfaitement immobile, le visage neutre, les yeux cernés et la cravate droite et parfaitement nouée.
Il avait été nommé au Magenmagot après la mort de son père. Il travaillait depuis seulement six mois au Ministère de la magie, quand une place s’était libérée. Théodore Nott avait été choisi pour ses compétences, après un examen minutieux de ses aptitudes par des membres du Ministère.
Cette nomination avait fait couler énormément d’encre. Personne n’ignorait que les Nott étaient des partisans du Seigneur des Ténèbres. Toutefois, la participation active de Théodore Nott, dans l’un ou l’autre des camps qui s’étaient affrontés, n’avait jamais été prouvée : il avait été établi qu’il n’était dès lors, qu’un adolescent comme les autres. Beaucoup s'étaient opposés à sa nomination.
Lisa pensait que le siège de Théodore Nott ne lui avait été attribué que pour calmer les sorciers conservateurs, qui avaient peur pour leur place. Nommer un noble, un sang-pur au nom hautement respecté, leur démontrait que le Ministère de la Magie n’était pas contre eux.
Un vent de révolution s’était levé au Ministère de la Magie, après la guerre : le système politique avait été remis en cause, certains voulaient plus de démocratie, pour éviter les travers des nominations arbitraires d’une assemblée, de politiciens facilement corruptibles. D’autres voulaient plus de droits, des procès, des punitions pour les sangs-purs qui avaient tant de privilèges, de fait, au sein de la communauté magique… Lisa avait suivi ces débats de près tout en restant discrète : elle n’avait aucun goût pour la politique, tout cela l’angoissait. Les tensions de la guerre étaient toujours palpables, et les débats n’étaient rien de plus à ses yeux, que des duels de mots qui ne nécessitaient pas que l’on fasse usage de la magie.
Théodore Nott, en face d’elle, attendit qu’elle termine sa phrase. Lisa en avait elle-même oublié le début.
- En quelques mots, il faut que tu saches que c’est un projet validé par…
- Le dossier est-il complet ? La coupa-t-il en observant sa montre.
- Oui, je l’ai relu trois fois.
- Donc il est inutile de me parler de ce projet. Je le lirai prochainement.
Il tendit légèrement sa main et elle écarquilla les yeux, avant de comprendre, et de lui donner le dossier. Elle lui sourit mais il ne le remarqua pas : il était déjà parti. Lisa resta plantée devant le bureau de Théodore un long moment, le cœur battant, évacuant tout le stress qu’elle avait accumulé, sans se défaire de son sourire, et franchement soulagée. Elle répara le miroir d’un coup de baguette. Les poings sur les hanches, le torse bombé elle se félicita :
- T’as géré Lisa ! T’es une championne ! T’es une battante ! T’es trop cool !
Elle se félicita et se dirigea vers le prochain bureau sur sa liste, avec un nouveau dossier dans les bras. Les gens dans les couloirs la regardèrent curieusement, comme d’habitude. Le pas léger, presque sautillant, elle salua tout le monde de son éternel sourire amical, qu’on lui rendait à chaque fois. Elle poursuivit sa tournée, jusqu’au dernier bureau, dans lequel elle brandit devant son occupant le dernier exemplaire de son dossier :
- Voyez-vous Monsieur Ogden, je pense sincèrement qu’il s’agit de l’avenir, et que nous ne pouvons pas nous permettre de négliger toute cette culture, toutes ces avancées, et ces technologies qui nous faciliteraient la vie et nous rapprocheraient en outre, des moldus. Sans parler de l’insertion des nés-moldus ! Ce serait tout aussi utile pour les sangs-mêlés qui naviguent dans ces deux cultures, qui n’ont pas à être aussi étanches l’une envers l’autre.
Le vieil homme haussa un sourcil broussailleux. Lisa pensa à Padma, qui se serait déjà emparée d’une pince à épiler pour rendre tout ça un peu plus « symétrique » et moins « sauvage ».
- Remettez-vous en question le secret magique ? l’interrogea-t-il.
- Oh non pas du tout ! s’exclama Lisa en agitant ses mains. Étanches, dans une moindre mesure cela va de soit !
Tiberius Ogden éclata de rire et tapota l’épaule de la jeune femme, qui se détendit immédiatement. Les contacts physiques fonctionnaient toujours merveilleusement bien sur elle. Wayne disait d’elle qu’elle était un peu comme ces chats attachés à leur petite mamie préférée, qui se laissaient berner par des gratouilles derrière les oreilles et un bol de lait. Lisa acceptait la comparaison avec plaisir.
- Je vous fais marcher, Miss Turpin. Pour être tout à fait transparent, j’ai déjà prévu de voter en faveur de ce projet et espère qu’il débloquera un maximum de fonds. Vos recherches me paraissent essentielles.
Lisa se retint de lui sauter dans les bras. Son amie Susan la qualifiait de « personne parfois trop spontanée ». Elle se contrôla. Mais sautilla tout de même un peu sur place.
- Je suis ravie de vous l’entendre dire !
- Cependant Miss Turpin, je ne vous cache pas que plusieurs sorciers ne sont guère emballés par votre projet. Alors qu’importe ce qui se décidera le 31 décembre prochain : ne vous laissez pas abattre !
Elle hocha fermement la tête et son sourire s’élargit davantage. Décembre lui paraissait loin : septembre pointait à peine le bout de son nez.
- Je ne suis pas du genre à me laisser abattre, Monsieur Ogden ! Je vous promets de faire de mon mieux !
Le vieil homme sourit à son tour : l’optimisme de Lisa était contagieux en prenant le dossier. Il sourcilla.
- Miss Turpin…
- Oui ?
- Reprenez donc ça.
Il lui retourna la première page et les joues de Lisa s’empourprèrent. Il s’agissait de la lettre qu’elle devait envoyer à Adrian …
- Je suis confuse Monsieur, vraiment, je suis désolée…
- J’ai eu dix-neuf ans, moi aussi, s’amusa-t-il.
- Oh non, c’est un ami, enfin je sais pas trop, c’est compliqué, sûrement parce qu’il a du mal à communiquer et qu’il est pas très en phase avec ses sentiments, ce qui provient probablement du départ de son père du domicile familial, enfin j’extrapole, c’est de la psychologie à deux mornilles, Adrian est super mais il est… Enfin vous voyez, et là, plus je vous parle, plus je me dis que cette situation est très embarrassante et que je devrais probablement me taire, grimaça-t-elle en fermant les yeux.
Ogden ne fit aucune remarque et saisit le dossier avant de le coincer sous son bras. Lisa lui serra la main et se dépêcha de prendre la fuite, non sans s’excuser un nombre incalculable de fois. Elle longea le couloir, jusqu’à trouver les bureaux administratifs du département de la justice magique, où Susan travaillait. Son amie était plongée dans sa lecture et ne remarqua pas sa présence, jusqu’à ce qu’elle s’écrie :
- JE SUIS LA MEILLEURE !
La pile de papiers posée à côté de la blonde s'envola, déstabilisée par le bond qu'avait effectuée celle-ci sous le coup de la surprise.
- Merlin, Lisa ! Soupira-t-elle, une main portée sur son cœur.
- J’ai distribué mon projet à tous les membres du Magenmagot en temps et en heure !
- Génial, Lisa.
En ce moment, Susan ne plaçait pas plus de deux mots dans la même phrase. Elle s’épargnait les sujets, les compléments et parfois même les verbes. Le sourire de Lisa diminua un peu et son cœur se serra. Susan était fatiguée et ses yeux étaient rougis. Elle avait sûrement pleuré. Hier, sa famille s’était réunie sur la tombe de sa tante Amelia, pour célébrer son anniversaire. Lisa n’avait jamais jugé cette tradition de la famille Bones, de se réunir pour chaque anniversaire des membres de leur famille décédés. Elle trouvait ça même touchant, qu’ils continuent tous de célébrer ainsi leurs vies, malgré leurs morts tragiques. Mais chaque fois qu’elle en revenait, Susan se plongeait dans une profonde mélancolie, qui ne la quittait pas avant un bon mois. Elle voulut la cajoler, la prendre dans ses bras et l’emmener loin d’ici.
Aussi, Lisa laissa sa déception de côté, constatant que son amie ne se réjouirait pas davantage de son succès.
- Tu as le temps de prendre un verre au Chaudron Baveur ? Suggéra-t-elle.
- Bien sûr !
D’un coup de baguette, Lisa rangea les feuilles qui s’étaient éparpillées par terre. Elle accrocha son coude à celui de Susan. Lisa aurait voulu absorber sa peine, sa souffrance et la faire rire. Elle respecta son mutisme et parla pour deux, jusqu’à ce que la mine de son amie se fasse moins grave et plus légère.