****POV SIRIUS BLACK***
— Excusez-moi, cette place est libre ?
Je soupire et lève les yeux à contrecœur. Une sorcière au visage avenant se tient debout devant moi. Elle porte une robe à fleurs trop voyante, ainsi qu'un chapeau pointu. Son maquillage est prononcé, notamment autour des yeux. Des bijoux agrémentent le tout.
Je me contente de hausser les épaules. Elle doit prendre cela pour une invitation car elle tire une chaise, s’assoit près de moi et, les mains jointes sur les genoux, prend un air soucieux.
— Puis-je me permettre de vous poser une question ?
Je porte ma chope à mes lèvres et termine ma bière d'un trait. J'en suis déjà à mon troisième verre. J'observe distraitement les autres clients du bar, quand mon regard s'arrête sur une jeune femme blonde, au comptoir. Sa silhouette est élancée et son allure élégante. Ses longs cheveux ondulés tombent en cascade sur ses épaules. Je me surprends à fixer son dos en espérant qu'elle tourne la tête dans ma direction. Son visage est-il aussi attrayant que le reste ?
Mon silence ne décourage pas l'inconnue assise à ma table. Elle se penche dans ma direction, m'offrant une vue imprenable sur son décolleté. Je détourne immédiatement le regard ; cette femme a probablement le double de mon âge.
— Pourquoi un jeune homme aussi séduisant est-il triste un soir de fête ?
Je me tourne vers la sorcière en arquant un sourcil étonné.
— Un soir de fête ?
— Sortez le nez de votre verre et regardez un peu autour de vous ! s'exclame-t-elle soudain, en levant les yeux au ciel.
J'obéis sans grand enthousiasme et me rend brusquement compte de l'effervescence qui m'entoure ; les clients rient, chantent, parlent fort... sûrement en raison d'un match de Quidditch.
Je hausse de nouveau les épaules. La sorcière me considère d'un air peiné. Elle a dû être d'une rare beauté, mais à présent son visage ovale est lourd et strié de profondes rides autour des yeux.
— Rupture difficile, hein ? Je suis passée par là, moi aussi. Cinq fois.
J'esquisse un sourire qui finit en rictus ; un de ces sourires fugaces qui n'ont le temps d'éclairer ni le regard ni les traits du visage.
— Vous n'y êtes pas du tout, madame.
— Mademoiselle, rectifie-t-elle immédiatement en m'adressant un sourire qui se veut charmeur.
— Mon meilleur ami va se marier, je lâche de but en blanc.
Voilà que je me confie à une parfaite étrangère. Je lève mon verre, avant de me rendre compte qu'il est vide. Je me redresse sur ma chaise, le dos droit contre le dossier. Il faut que je me reprenne ! Je n'aime pas être dans cet état, c'est désagréable. Et déprimant.
— Et vous êtes amoureux de la future mariée, c'est ça ?
Je fronce les sourcils. Moi, amoureux de Lily ?
— Non. Absolument pas.
— Du futur marié, alors ? suppose la sorcière d'un air à la fois curieux et déçu.
J'éclate de rire, bien que mon cœur se serre un peu. Dire que je m'attendais à cette annonce serait mentir ; la nouvelle m'a fait l'effet d'une bombe. C'est pourtant dans l'ordre des choses que James et Lily veulent se marier et même fonder une famille, mais je ne pensais pas que cela arriverait si... rapidement. Je devrais être heureux, me réjouir de leur bonheur, cependant... une part de moi a du mal à accepter la situation. Je considère James comme mon frère, ma seule famille. Quelle place aurai-je dans sa nouvelle vie ?
Ai-je peur de la solitude, de me retrouver face à face avec mes démons ? La réponse est oui. Et c'est sans doute pour cette raison que je bois un peu trop souvent et que je m'abrutis dans des occupations sans intérêt, jusqu'à ce que je ne ressente plus cette impression. Même lorsque je partage mon lit avec une femme, il n'y a ni intimité, ni joie, ni passion dans l'acte mais simplement le besoin d'oublier ma vie réelle qui est insignifiante et vide de sens.
— J'habite pas loin. Vous voulez venir boire un verre chez moi et me conter vos malheurs ?
— Non, merci.
Ma réponse serait sans doute différente si cette proposition avait été faite par une ravissante jeune femme. Mon regard se tourne à nouveau vers la sorcière blonde, au comptoir. Je l'observe à la dérobée. Elle est vêtue d'un tailleur gris clair, une jupe étroite qui met en valeur ses jambes et porte des talons hauts. Il ne m'en faut pas plus. Bien que je n'ai pas encore eu le loisir d'apercevoir son visage, je cherche déjà un moyen pour pouvoir l'aborder.
« Tu peux me dire ce que ces relations sans lendemains t’apportent, Sirius ? Concrètement ? » m'a demandé sans détour Lily, la dernière fois qu'on s'est vus. Je me suis contenté de hausser les sourcils à plusieurs reprises d'un air suggestif. Que pouvais-je lui répondre ? Que je déteste me retrouver seul dans ma propre maison ? Que la simple idée d'y mettre les pieds me donne envie de me pendre ?
— Te fous pas de moi, Miller ! s'emporte la blonde qui me plaît, pour je ne sais quelle raison.
La jeune femme fait face à un homme très grand. Les poings sur les hanches, elle se plante devant lui pour l'empêcher de passer.
— Mais puisque je te dis que je ne l'ai pas vu, tu entends ? PAS VU ! s'emporte à son tour le sorcier.
La blonde se penche pour lui chuchoter quelque chose à l'oreille. Il devient livide.
— … et je te ferai passer l'envie de me mentir, pigé ? s'égosille-t-elle, attirant le regard de quelques curieux.
Son tempérament de feu m'émoustille. J'esquisse un sourire, de plus en plus intéressé. Cette demoiselle ne sera peut-être pas aussi facile à séduire que les autres, et cela me réjouit d'avance. Ça tombe bien, je commençais à m'ennuyer.
Je m'excuse auprès de ma voisine (dont j'ignore toujours le nom) et me lève de table. Cette dernière semble légèrement désappointée ; je sens son regard posé sur moi tandis que je me dirige vers le comptoir.
Je m'arrête à seulement quelques mètres de la jeune femme blonde. Je distingue son profil ; ses pommettes sont hautes et son nez est légèrement retroussé. Elle passe une main dans ses cheveux dorés pour les discipliner un peu. Ce geste m'est familier ; je la reconnais immédiatement. Ma bouche s'entrouvre sous le choc.
Je m'avance lentement, comme dans un état second.
— Marlène ? Marlène McKinnon ? fais-je à voix haute, médusé.
— La seule et l'unique, répond la concernée sans même m'accorder un regard. Qu'est-ce que vous me voulez ?
Je souris. C'est bien elle. Lorsque ses yeux bleu-gris se posent enfin sur moi, ils se plissent un instant avant de s'ouvrir en grand.
— Sirius Black ? souffle-t-elle, l'air aussi surprise que moi.
— Le seul et l'unique, je rétorque sur le même ton.
Il y a un moment de flottement pendant lequel personne ne sait vraiment quelle attitude adopter. Doit-on se serrer la main ? S'étreindre ? Un ange passe.
Finalement, je reprends la parole :
— Je suis surpris de tomber sur toi ici. Combien de temps ça fait ? Trois mois ?
Marlène me considère longuement, la tête penchée sur le côté. Un sourire mi-moqueur, mi-sceptique se joue sur ses lèvres.
— Presque un an en réalité.
Oh. Je crois que je n'ai plus vraiment la notion du temps. Depuis que j'ai quitté Poudlard, tous les jours se suivent et se ressemblent. Ils sont pluvieux, tristes et ennuyants.
Marlène continue de me dévisager d'un œil étrange. Elle n'a plus rien de l'adolescente gauche et gaffeuse que j'ai connue autrefois. Elle est devenue très belle et (jamais je n'aurais pensé cela un jour) distinguée. Je suis légèrement intimidé par sa beauté. Non pas que je la trouvais laide avant, disons juste que... elle est différente. Et très féminine, ce qui est assez déstabilisant. Cette fille était un véritable garçon manqué lorsque nous étions à Poudlard.
Je fourre mes mains dans mes poches de blouson pour me donner une contenance.
— Alors...qu'est-ce que tu deviens ? James m'a dit que tu suivais une formation d'Auror ?
Quelques têtes se tournent dans notre direction. Marlène m'adresse aussitôt un regard noir.
— Quoi ? Non, je ne suis pas Auror ! Je suis herboriste, moi. Herboriste !
— Herboriste ? je répète, sans pouvoir m'empêcher de rire.
— Oui, confirme-t-elle en souriant. Les plantes m'ont toujours fascinée...
Je m’appuie contre le comptoir et la dévisage à mon tour.
— Si je me souviens bien, tu séchais les cours de botanique, non ?
La blonde soulève puis repose violemment son verre, m'éclaboussant la main de bièraubeure. Son regard me vrille de la tête aux pieds. Elle rougit légèrement, mais ne se détourne pas. Je meurs d'envie de m'asseoir sur le tabouret de libre à sa gauche, afin de rattraper le temps perdu.
— Bon et toi, Patmoche, qu'est-ce que tu deviens ? lance-t-elle brusquement, me prenant au dépourvu.
Le surnom dont elle m'affuble me fait me sentir étrange. L'espace d'une seconde, j'ai l'impression de redevenir l'adolescent que j'étais, inconscient et insouciant. Malheureusement, ce n'est plus le cas. On me répète assez souvent comme ça que je suis un adulte. Et que font les adultes ? Ils travaillent.
— Sirius, je corrige machinalement. Je suis... dans l'immobilier.
Mon mensonge est ridicule, j'en ai conscience. La vérité, c'est que je suis un adulte complètement paumé qui n'a aucune idée de quoi faire de sa vie. Je n'ai aucun projet, aucun but. Et le pire, c'est que je suis trop fier pour l'admettre ouvertement. Alors à l'occasion, je m'invente un job. Une carrière professionnelle, même.
Les yeux de Marlène s'illuminent soudain comme un sapin de Noël.
— Chouette ! Ça tombe bien, je suis à la recherche d'un appartement: un cinq pièces avec un balcon, une jolie vue et une place à balai pour un loyer mensuel n’excédant pas cinquante Gallions. Tu penses pouvoir me trouver quelque chose ?
— Parfaitement, je réponds, amusé par son enthousiasme débordant.
— Vraiment, où ça ?
— Dans une charmante benne à ordure, juste au coin de la rue. Jamais tu ne trouveras un appartement à ce prix-là, Marlène ! je reprends sérieusement, si ce n'est dans les quartiers mal famés...
Elle fait la moue, l'air de réfléchir.
— Tu ne penses pas sérieusement t'installer dans l'un de ces quartiers ?
— Tu n'es pas un très bon agent immobilier, tu sais ? rétorque la blonde en esquissant un sourire railleur.
Je me penche vers elle pour mieux la contempler. Mon regard glisse sur ses lèvres peintes en rose vif.
— Et toi, tu n'es pas herboriste, je souffle près de son oreille.
Je me recule ensuite pour guetter sa réaction.
Ça m'amusait beaucoup lorsque nous étions à l'école ; il suffisait que je m'approche un peu pour qu'elle devienne cramoisie. Au départ, ce n'était qu'un jeu, mais je suis bien vite devenu prisonnier de la force de mes sentiments. Marlène McKinnon m'a blessé comme jamais aucune femme ne l'a fait. Je ne lui en tiens cependant pas rigueur car une relation entre nous aurait été vouée à l'échec. J'étais trop têtu, possessif et égoïste. Je le suis toujours, d'ailleurs.
Nous nous sommes perdus de vue il y a bien longtemps. J'ai tout simplement cessé de lui parler, et n'ai plus donné de nouvelles. C'était trop difficile d'être seulement son ami.
La grande blonde m'observe en haussant les sourcils, pour signifier son agacement, j'imagine. Aujourd'hui, elle semble moins troublée par ma présence. Je ne sais pas si c'est une bonne chose ou non.
— J'ai été ravie de te revoir, vraiment, conclut-elle sur un ton sec et cassant. Mais j'attends un ami alors si tu pouvais mettre les voiles, ce serait sympa.
Sans plus de cérémonie, elle se détourne de moi et pivote sur son tabouret pour regarder par la baie vitrée. Comme si Merlin l'avait entendue, un homme imposant aux cheveux mi-longs entre alors dans le bar. Il balaye du regard la salle, et quand ses yeux s'arrêtent sur Marlène, il se passe aussitôt quelque chose d'étrange : le sorcier s'immobilise en la voyant, marche à reculons vers la porte, avant de quitter le bar, l'air totalement paniqué.
Je fronce les sourcils, tandis que Marlène laisse échapper un soupir de frustration. Elle se tourne brusquement dans ma direction pour me décocher un regard noir.
— Mon ami a pris peur à cause de toi, c'est malin !
— Tu plaisantes ? Il a fait demi-tour à la seconde même où il t'a aperçue ! Tu es sûre que c’était un ami à toi ?
— Je sais encore qui sont mes amis ! s'indigne la jeune femme en levant fièrement le menton.
Son regard s'assombrit légèrement et je crois voir passer dans ses yeux une lueur de tristesse mêlée à la déception. Je devrais sans doute m'excuser d'avoir en quelque sorte couper les ponts juste après Poudlard, mais les mots me manquent.
— Tu n'es donc pas censée ignorer que Lily et James vont se marier ?
J'esquisse un sourire crispé qui ne fait pas vraiment illusion. Les yeux de Marlène s'ouvrent comme des soucoupes. Je fais signe au barman ; j'ai besoin d'un autre verre.
— Tu ne devrais pas tarder à recevoir leur joli petit carton d'invitation...
— Woah, c'est... un peu précipité, non ?
— Pas vraiment, je soupire. Ils sortent ensemble depuis le collège.
Marlène garde le silence un moment. Je baisse les yeux dans sa direction et constate que son regard est vague, comme égaré. Puis soudain, elle cligne des yeux et s'exclame en se redressant :
— Je suis très heureuse pour eux ! Ils vont être des parents géniaux.
— Des parents ? Lily n'est pas enceinte.
Pourquoi tout le monde suppose cela ? Parce qu'ils sont trop jeunes pour se marier ?
— Non, bien sûr que non ! se reprend immédiatement la blonde, l'air un peu mal à l'aise. Je disais ça comme ça, dans le futur...
La chope remplie que m'apporte le serveur est plus que bienvenue. Je bois une longue gorgée, avant de rétorquer en riant :
— Tu es toujours aussi bizarre. Ça m'a fait plaisir de te revoir, Marlène.
Il faut que je m'en aille avant de commettre une terrible erreur ; celle de tenter de la séduire. Marlène se lève d'un bond, et me décoche un sourire étrange que je ne parviens pas à interpréter.
— Oui, moi aussi. Salue les autres Maraudeurs et Lily de ma part.
La jeune femme m'adresse un dernier sourire avant de me tourner le dos et de s'éloigner de moi. Je le regarde avec la soudaine envie de crier. Mais quoi ? La supplier de revenir ? Lui interdire de s'en aller ?
— Marlène, attend ! je m'entends hurler, malgré moi.
La blonde se retourne, l'air interrogateur.
— On se rejoint ici presque chaque vendredi soir avec Lily, James, Remus et Peter. Tu pourrais passer nous... les voir, à l'occasion ? Je suis sûr que ça leur ferait plaisir.
Elle fronce les sourcils comme si elle était face à un balai et qu'elle n'était pas tout à fait certaine de vouloir l'acheter.
— Je suis très occupée, Sirius.
La déception doit se lire sur mes traits, car elle ajoute immédiatement :
— Mais je suppose que l'on se verra tous au mariage.
— Quoi ? fais-je, interloqué.
— De Lily et James.
— Ah, oui. Le mariage.
La simple prononciation de ce mot me rend irritable. Je ravale mon amertume, mon envie de la garder près de moi et lui souhaite une bonne soirée. Marlène ne s'en va pas. Elle s'approche de quelques pas et pose une main sur mon épaule, me dévisageant d'un air inquiet.
— Tu es sûr que tout va bien ? me demande-t-elle d'une voix anormalement douce.
— Pourquoi, tu ne me trouves pas en forme ? je rétorque, la gratifiant d'un sourire lascif. Ressers-moi, Tom !
— Tout de suite, répond ce dernier en faisant glisser sur le comptoir une nouvelle chope.
Je tends la main pour l'attraper mais Marlène me devance, saisissant mon verre avec agilité.
— Je crois que tu as assez bu comme ça.
Son ton réprobateur me fait arquer un sourcil dédaigneux. En quoi ça la regarde ? Qu'elle se mêle de ses affaires. Et qu'elle s'en aille puisqu'elle est si occupée !
— Rends-moi mon verre, j'ordonne sèchement.
— Non.
— Si !
— Non !
Nous tirons la chope chacun de notre côté, jusqu'à ce que se produise l'inévitable : le contenu se déverse presque entièrement sur Marlène.
— Tu as vu ce que tu as fait ?! nous nous écrions d'une même voix, parfaitement synchrone.
Marlène McKinnon, trempée de whisky Pur Feu. Ne serait-ce pas un vieux rêve d'adolescent qui se réalise ?
— De quoi ai-je l'air moi, maintenant ? ronchonne cette dernière.
— Une serviette, mademoiselle ? s'enquiert un jeune homme, apparaissant comme par enchantement à sa droite.
— Merci, répond-t-elle, sans prendre la peine de lever les yeux vers lui.
— Bob Rendson, se présente le sorcier en souriant de toutes ses dents. N’hésitez pas, si vous avez besoin d'un coup de main...
Je le considère en arquant un sourcil méprisant. Ma main se referme sur mon verre. Le sang afflue dans mes veines comme un torrent incontrôlable. Je m’apprête à envoyer paître l'intrus avec sa technique de drague à deux noises, mais encore une fois Marlène me devance : elle fait face au séducteur de pacotille, affiche un joli sourire hypocrite que je reconnais sans mal pour y avoir eu droit un nombre incalculable de fois lorsque nous étions à Poudlard, puis rétorque sèchement :
— Si tu ne veux pas que je te brise les deux mains, je te conseille de retourner gentiment à ta place.
Le sourire du type s'efface lentement ; il lève aussitôt les bras en signe de reddition.
« Gros lourd. » marmonne Marlène, une fois le client parti. Elle fronce les sourcils lorsqu'elle capte mon regard qui est dirigé beaucoup trop au sud, là où son chemisier colle à sa peau, laissant apparaître la forme de sa poitrine. La chaleur qui m'envahit tempère ma colère. La jolie blonde toussote pour attirer mon attention. Je relève les yeux vers son visage. Elle prend une mine outrée et semble avoir du mal à contenir sa rage.
Eh bien, je n'ai pas pu m'en empêcher. Et je ne m'en sens pas coupable.
— Ça ira ou tu as besoin que quelqu'un te transplane chez toi ? me demande-t-elle, presque à contre-cœur.
Elle ne cesse de regarder sa montre comme si on l’attendait ailleurs. A-t-elle un fiancé ? Non, quelle drôle d'idée ! Marlène ne peut pas avoir de fiancé, elle est bien trop... indépendante. Un petit ami, alors ? Un homme d'un ennui mortel, qui l'attend sagement à la maison ? Cette idée me révulse et me retourne l'estomac.
— Oh là ! fais-je en prétextant le tournis.
Marlène me saisit immédiatement par le bras et me fait asseoir sur un tabouret.
— Ça ne va pas ?
— Je crois que tu as raison, il vaut mieux qu'on me ramène chez moi...
Elle lâche un long soupir, comme si cela contrariait affreusement son emploi du temps.
— Tom ! Tu pourras raccompagner Sirius Black chez lui, s'il te plaît ? Il n'est pas en état de rentrer seul.
— Ouais, aucun problème ! Je le ramène à la fermeture, répond le concerné en haussant le ton pour se faire entendre parmi le brouhaha.
— Problème réglé, dit Marlène à mon attention. Je dois vraiment y aller, maintenant. A un de ces quatre, Black.
Ce n'est plus « Sirius » ? Sans que je ne comprenne vraiment pourquoi, une peur panique s'empare de moi. Je la retiens par le bras comme on s'accroche à une bouée de sauvetage.
— Je commence à avoir la nausée, Lily.
Elle baisse les yeux vers moi, m'observant avec scepticisme.
— Moi, c'est Marlène.
— Tu n'es plus rousse ?
J'entremêle mes doigts dans ses mèches, jouant le rôle de l'homme saoul à la perfection. Fort heureusement, j'ai la chance d'avoir un bon métabolisme : je tiens très bien l'alcool.
— C'est pas vrai ! grogne la jeune femme, avant d’interpeller à nouveau le barman. Laisse tomber, Tom ! Je vais m'occuper de Black.
— Tu ne serais pas la première ! ricane ce dernier.
« Sans déconner ? » grommelle en retour Marlène, avec humeur. Je jette un regard assassin au barman ; il ne pouvait pas fermer son clapet ?
— Sortons de là, je n'arrive pas à transplaner quand il y a trop de bruit.
Marlène m'aide à me lever, je m'appuie sur elle jusqu'à la porte et me débrouille tant bien que mal pour garder mes mains dans les poches. Une fois à l’extérieur, je respire un grand bol d'air frais. La nuit est un peu fraîche mais agréable.
— Alors, tu as finalement réussi à avoir ton permis ? dis-je pour briser le silence.
— Ouais, à la vingtième tentative ! râle la blonde en réajustant la veste de son tailleur.
Je ris à gorge déployée. J'avais presque oublié à quel point il était agréable de me moquer -gentiment, bien sûr - de Marlène McKinnon.
— Ça me surprend que tu n'aies pas essayé de soudoyer ton moniteur...
— Qui te dit que je n'ai pas essayé ? Je suis malheureusement tombée sur le plus honnête des moniteurs. Prend ma main.
— Quoi ?
— Pour transplaner, explique-t-elle avec impatience.
— Tu ne veux pas connaître mon adresse avant ?
— Si, bien sûr. J'allais justement te poser la question, assure-t-elle en prenant un air hautain.
— 12, square Grimmaurd, j'annonce d'un air morne.
La grande blonde arque un sourcil, me toisant soudain avec une attention toute particulière.
— Je te trouve plutôt cohérent pour quelqu'un qui est censé avoir trop bu, fait-elle remarquer, sans me lâcher un seul instant du regard.
Je sens mes joues virer à l'écarlate. C'est assez étrange car en règle général, je rougis uniquement lorsque je suis en colère.
— Oui, hum... l'air frais m'a fait du bien.
La blonde saisit ma main sans plus tergiverser. Sa chaleur irradie ma paume. Je n'ai pas le temps d'apprécier cette sensation qu'elle la relâche brusquement. Je regarde autour de moi écarquille les yeux ; nous nous trouvons dans une ruelle sombre au pavé humide.
— Où est-ce qu'on est ? j’interroge, ne reconnaissant pas l'endroit.
Ses sourcils se froncent de contrariété.
— Je n'en sais rien. J'ai pensé à quelqu'un et notre destination a changé.
— Tu as pensé à quelqu'un ? je m'entends répéter d'une voix que j'ai du mal à reconnaître.
Il ne manquerait plus que je sois jaloux ! C'est bon, j'ai assez donné de ces sentiments mielleux à Poudlard. Une chose est sûre : je ne retomberai pas amoureux de Marlène McKinnon. Je m'y refuse catégoriquement.
Je reviens à la réalité lorsqu'un petit bonhomme sort d'une maison en ruine, envahie par la végétation. Le sorcier remonte la ruelle à toute vitesse sans ralentir ou se retourner. A côté de moi, Marlène affiche un sourire radieux.
— C'est parfait, je vais faire d'une pierre deux coups ! Attends-moi ici.
Elle m'abandonne pour aller suivre l'homme. Je marche sur ses talons, accélérant le pas. Après trois bifurcations, je découvre que le chemin se termine en impasse, au bout de laquelle se trouve un mur grillagé.
— Bonsoir, Travis ! chantonne Marlène, aussi joyeuse que si elle venait de gagner trois cent chocogrenouilles.
Pour une raison qui m'échappe, le petit sorcier tente de s'échapper en escaladant le mur. Il finit par glisser et tomber au sol. La blonde secoue la tête de droite à gauche en soupirant.
— Un autre ami à toi, je présume ? je lui souffle à l'oreille, sarcastique.
Marlène ne semble pas surprise de me voir juste à côté d'elle. Elle esquisse un rictus narquois.
— Comment t'as deviné ?
— N'approchez pas, je suis armé ! s'écrit le sorcier en se relevant difficilement.
Il braque sa baguette dans notre direction en essayant de prendre un air menaçant qui ne trompe personne. Les poings sur les hanches, Marlène le foudroie du regard.
— J'ai quelques questions à te poser, Travis. Tu vas m'accompagner au poste sans faire d'histoires, c'est compris ? Sois gentil, maintenant : donne-moi ta baguette.
— J'irais nulle part avec vous, je ne suis pas fou !
— Permets-moi d'en douter, riposte la blonde en faisant quelques pas dans sa direction.
Je tente de la retenir en sifflant un « Marlène ! » qui n'a pas le moindre effet sur elle. Je dégaine aussitôt ma baguette, mais cela ne fait qu'angoisser le sorcier davantage, qui commence à suer à grosses gouttes.
— Écoute, Travis... poursuit calmement l'Auror, je peux utiliser la manière douce ou la manière forte. A toi de choisir.
En guise de réponse, le sorcier ouvre la bouche pour lui lancer un sortilège. Je n'ai pas le temps de riposter que Marlène s'empare d'une planche qui traîne là pour l’assommer d'un énorme coup à la tête.
L'homme s'étale de tout son long sur le sol mouillé.
— La manière forte, donc.
Je respire lentement pour faire redescendre la pression qui fait méchamment battre mon cœur dans ma poitrine. Je ressens du soulagement en même temps qu'une colère absolue. Je n'arrive pas à croire que Marlène, soi-disant Auror, ait interpellé un homme sans même avoir recours à sa baguette magique ! Non, mais qu'est-ce qu'on leur apprend à leur formation ? A se jeter dans la gueule du dragon sans réfléchir ?!
— Tu peux m'expliquer ? je tonne, la main encore tremblante.
Marlène ramasse la baguette de l'homme, avant de me répondre :
— Travis a rendu un service à un Mangemort : Gordon Wilkes. Ce nom te dit quelque chose ?
— Évidemment, ce crétin était dans notre classe à Poudlard, je crache littéralement.
— Tout juste, dit la blonde en frottant l'amulette autour de son cou. On peut y aller, une brigade sera là dans moins d'une minute.
« Pff, je vais encore avoir des problèmes, moi. Je n'ai pas le droit d'interpeller qui que ce soit tant je suis en formation... » grommelle-t-elle dans sa barbe.
Elle m’emboîte le pas avec sa nonchalance et sa légèreté, comme si tout cela était parfaitement anodin. Je suis incapable de bouger, ni de trouver les mots susceptibles de traduire l'impuissance que je ressens. En cet instant, je me sens inutile et pathétique. Même si Marlène avait semble-t-il le contrôle de la situation, j'aurais moi aussi dû faire quelque chose, n'importe quoi !
Voyant que je reste immobile, la blonde revient sur ses pas.
— Sirius ?
— Tout compte fait, je pense que je vais pouvoir rentrer seul.
Ma voix est neutre, dénuée d'émotion. Je ne dis rien d'autre. Marlène me couve d'un regard emprunt de sollicitude, ne faisant qu'accentuer ma colère et mon malaise.
— Tu es sûr ?
— Oui. Te voir assommer cet homme m'a fait reprendre mes esprits.
Je tente un sourire qui doit davantage ressembler à une grimace. Marlène se plante devant moi, le visage contracté en une expression confuse.
— Pardon ! Je.. c'est ma faute. Un Auror n'est pas censé emmener des civils avec lui en patrouille. Je n'avais pas du tout prévu de t'embarquer là-dedans, crois-moi.
Son air désolé me laisse croire qu'elle ne m'en veut pas et que j'ai réagi comme il le fallait. Alors pourquoi ma colère ne désemplit pas ?
— Je suis un civil ? je ne peux m'empêcher de vociférer à mi-voix.
Marlène m'adresse son habituel sourire moqueur.
— Tu préfères le terme d'agent immobilier ? Je sais que tu n'en es pas un. Pourquoi m'as-tu menti ?
— Tu as bien prétexté être herboriste, je grince entre mes dents.
— C'est ma couverture. Et toi, quelle est ton excuse ?
« Vouloir t'impressionner » Ce qui est totalement ridicule à présent, je me rends compte. Je connais suffisamment Marlène McKinnon pour savoir qu'il lui en faut bien plus pour être impressionnée.
J'élude sa question par une autre :
— Pourquoi on ne te voit plus au Chaudron Baveur ? Je t'y croisais souvent, à une époque.
— Parce que je suis très...
— Occupée, je termine pour elle.
Je m'avance jusqu'à la dominer de toute ma hauteur. Elle n'esquisse aucun mouvement de recul. Son regard est cependant plus scrutateur, il réfléchit. Je laisse mes yeux vagabonder impunément sur son corps, appréciant chaque courbe. Elle est si près que je pourrais la toucher. Je n'en fais rien. Je me contente de l'admirer, en silence.
Après de longues secondes, je murmure faiblement :
— Qui aurait pu croire que Marlène McKinnon puisse devenir si importante un jour, hein ? Et pourtant, regarde-toi : une Auror...
Mon regard descend le long de ses jambes interminables, jusqu'à ses chevilles.
— En talons aiguilles, qui plus est, j'ajoute sur un ton moqueur.
Une pointe de jalousie est très clairement perceptible dans le timbre de ma voix. A côté d'elle, j'ai l'impression d'avoir raté ma vie, de n'avoir aucune issue... aucun moyen de revenir en arrière pour prendre les bonnes décisions.
— C'est par obligation et non par choix, réplique froidement la blonde. Je te ramène chez toi, oui ou non ?
Marlène relève le menton dans une attitude de défi. Ainsi, nous faisons à peu près la même taille. Elle rayonne de passion et d'intensité, et je n'arrive pas à m'empêcher de l'imaginer dans mon lit. C'est une pensée bien trop attirante – et bien trop dangereuse. Je secoue la tête pour me reprendre.
— Je peux très bien me débrouiller tout seul, merci ! je cingle.
Marlène a toujours exacerbé ma fierté mal placée. Elle se moquait de moi à Poudlard, remettant constamment en cause ma virilité rien que pour épater la galerie. Cela a dû laisser quelques traces...
— Parfait, je ne te retiens pas !
— Bien !
— Bien ! répète-t-elle, rien que pour avoir le dernier mot.
Je rebrousse chemin, en proie à une immense déception. Ce n'est pas comme ça que j'imaginais nos retrouvailles. Peut-être que j'ai romancé l'affaire durant toutes ces années, mais je pensais que la scène serait beaucoup plus forte. Je l'imaginais bien plus émue, et non l'air presque... indifférente.
Quel idiot je fais. Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même.
— Attends, Sirius !
Je me fige net. Elle me rattrape en quelques enjambées. Je suis traversé par des sentiments contraires. Une partie de moi souhaite qu'elle reste à mes côtés, que son besoin d'être avec moi soit plus fort que tout, tandis que l'autre partie veut qu'elle s'en aille, qu'elle disparaisse de ma vue et de mon cœur, devenu trop faible par sa faute.
Marlène ne sourit pas, mais me dévisage d'un air bienveillant. Son visage a quelque chose de solennel.
— Je n'ai pas le droit de te laisser partir, désolée.
— Tu plaisantes, j’espère ? je proteste vivement.
Pour qui me prend-t-elle au juste, un gamin de douze ans ?
— Face à la crise actuelle, tout civil ayant assisté à une scène de violence ou de meurtre doit être escorté jusqu'à son domicile par un Auror assermenté. Mesure de sécurité. Je te raccompagne chez toi, décrète-t-elle sur un ton autoritaire.
Je me contente de la dévisager, totalement abasourdi. Je pourrais répondre qu'elle n'est pas un Auror "assermenté" puisqu'elle est toujours en formation, mais mon souffle se bloque dans ma gorge et m'empêche de prononcer le moindre mot.
Décidément, Marlène McKinnon a bien changé.