« Vous n'auriez pas dû revenir dans la région maître Serpentard »
Salazar ne masquait plus son agacement et son exaspération montait depuis que l'aubergiste lui avait discrètement glissé cette phrase. Son ami Renart, qui en avait assez de faire les frais de sa fureur, se leva pour réclamer plus d'informations. Le baron français commençait à regretter d'avoir voulu visiter cette île pluvieuse. Les prétentions du duc de Normandie n'arrangeaient pas sa situation non plus. [1]
L'aubergiste finit par revenir en apportant aux deux voyageurs un brouet clair au lieu du poulet qu'ils avaient commandé. Ledit poulet se trouvait entre les dents voraces d'une troupe de soldats dont les couleurs ne parlaient que trop bien au sorcier anglais.
« Que s'est-il passé en mon absence ? fulminait Salazar en humant les effluves de la viande grillée.
— Votre frère s'est brouillé avec le duc, lui chuchota l'aubergiste en jetant des regards affolés vers les soldats.
— Et ?
— Il ne faut pas qu'on me voit pas parler avec vous. S'ils apprennent qui vous êtes… ma famille…
— Où est mon frère ?
— Le seigneur Silas a dû fuir vers le nord. Il a essuyé deux défaites qui ont précipité la ruine du domaine Serpentard. »
Maître Renart jura à voix basse. Les relations de Salazar avec son aîné n'étaient déjà pas très cordiales mais à présent les retrouvailles promettaient d'être sanglantes.
« Père l'a renié je suppose ? » demanda Salazar qui réprimait des envies de meurtres.
L'aubergiste se mit à trembler.
« Eh bien ?
— L-lord Sigmund a mis fin à ses jours p-pour éviter le déshonneur, lâcha l'homme.
— Et de voir tomber les terres ancestrales du comté de Serpentard au main d'un chrétien » acheva Salazar d'un ton glacial.
L'aubergiste qui était justement un Moldu bien chrétien n'osa pas répondre. A vrai dire, Salazar ne pensait pas revoir son vieux père en vie. Il était déjà souffrant lors de son départ pour le continent mais la nouvelle fut tout de même un choc.
« Comment a évolué la gestion des terres des Serpentard ? » murmura maître Renart.
Salazar se redressa imperceptiblement. Malgré la souffrance, il se devait d'être attentif. Toute information serait bonne pour obtenir la tête du duc, celle de son frère ainé – ce traître ! – et bien sûr pour récupérer les terres familiales.
« La région a été pillée. Le château le premier, murmura l'aubergiste. Des taxes ont été levées pour bâtir un monastère et rechristianiser cette campagne aux mains des sorciers.
— Le duc s'est bien servi au passage ? demanda Salazar avec mépris.
— Je ne sais pas monseigneur. Les activités marchandes des Serpentard ont été déplacées plus au sud. La région est ruinée.
— Personne n'a résisté ? Pas même notre intendant ?
— Si monseigneur. Sans lui la situation aurait été bien pire. Il a permis aux sorciers de se cacher et de fuir vers l'ouest pour éviter les massacres.
— A-t-il maintenu l'unité des terres de Serpentard ? »
L'aubergiste hésita avant d'admettre qu'il ne le savait pas. Salazar interrogea consciencieusement le Moldu sur le devenir de plusieurs personnages-clefs du fief. A la fin il accorda quelques pièces à l'homme en échange des nouvelles et de son silence.
Renart et Salazar s'accordèrent aussitôt. Il fallait rester discret. Il y avait bien eu quelques regards inquisiteurs sur eux. Le vin était certainement coupé à l'eau mais serait peut-être suffisant pour faire oublier ces deux voyageurs encapuchonnés aux soldats.
Les deux mages ne traînèrent pas. Les bêtes étaient fourbues mais il fallait avancer. Salazar se rendit de mémoire chez un vieil ami guérisseur. Arrivé sur-place il ne put constater que les ruines noircies de sa ferme. Les deux hommes choisirent de dormir à proximité veillant à tour de rôle.
Les jours suivants, Renart fit plusieurs incursions dans les villages sous sa forme animagus. Un goupil attirait moins l'attention. Leurs vagabondages n'étaient malheureusement pas restés discrets bien longtemps et leurs têtes étaient mises à prix pour une coquette somme.
Au terme de plusieurs visites, Salazar parvint à reconstituer une petite équipe formée d'anciennes connaissances fidèles. Un bretteur, un contrebandier, le vieil usurier, le sourcier, deux paysans. Il n'irait pas bien loin avec eux mais c'était toujours ça de pris.
Les ruses et les escarmouches de Renart furent très utiles pour détourner l'attention des soldats du duché. Grâce à lui, la garnison qui retenait l'intendant des terres de Serpentard était en sous-effectif. Salazar put la berner sans difficulté à la nuit tombée. Quelques illusions et un couteau bien aiguisé firent l'affaire.
« Caïus Black ? murmura Salazar en réveillant le vieil intendant.
— Q-qui est là ? bredouilla Black.
— Salazar qui d'autre ? Je suis de retour mon ami.
— Par la Morrigan ! Comment êtes-vous parvenu jusqu'ici ? Les soldats…
— Ne sont pas un problème pour le moment.
— Jeune Salazar je suis navré. J'ai pourtant essayé de convaincre votre père de vous rappeler. J'ai essayé d'empêcher votre frère de faire ces monumentales erreurs. J'ai essayé de limiter les dégâts par la suite. Et j'ai honte d'avouer que j'ai échoué. Lamentablement.
— Pensez-vous qu'il y a une chance de reconquérir nos terres ?
— J'aurais aimé vous répondre positivement mais je me dois d'être honnête. Même en reprenant vos terres, celles-ci sont complètement ruinées.
— Il n'y a aucun espoir ? gémit Salazar.
— Plus ici je le crains. Nous n'avons plus rien. Avez-vous vu nos champs ? Nos jardins ? Il n'y a plus un radis. »
Salazar se tut. Il avait tellement regretté de n'être que le cadet. Rien de tout cela ne serait arrivé.
« Va à l'ouest Salazar. Il n'y a plus rien à faire ici. Je suis sûr que tu es devenu un grand sorcier. Bien plus que ton frère ou moi-même ne l'avons jamais été. J'ai arrangé la fuite de plusieurs sorciers avec une guérisseuse.
— Qui est-ce ? demanda aussitôt Salazar.
— Je ne la connais que par ouï-dire. Elle vit dans une chênaie, le bois de Poufsouffle. Va à l'ouest mon garçon. Un grand destin t'attend. Laisse ces terres et bâtis ta destinée.
— Je le ferai maître Black.
— Les statuts de vassal et de suzerain n'ont plus de sens puisque nous n'avons plus de terres et que je ne reconnais pas ton aîné pour seigneur mais puis-je te demander deux faveurs ?
— Je vous écoute maître Black.
— Voyage où tu le désires, trace ta route mais fais tomber la tête ton frère. En fuyant il a volé le médaillon de ta famille. Tu es le seul Lord Serpentard qui le mérite. Tue Silas !
— Il l'a volé ? Sa mort faisait déjà partie de mes plans. Quelle est l'autre demande ?
— Emmène mes enfants avec toi. Quand tu rebâtiras un domaine, ma fille sera une excellente intendante. Elle est bien meilleure que je ne le suis. Quant à mon fils, il fera un brillant guérisseur si tu acceptes de le former.
— J'accepte maître Black. Maintenant il va falloir quitter ce manoir très vite. La diversion de mon allié français ne nous laisse que peu de temps.
— Laisse-moi ici Salazar. Ma place est sur la terre de mes ancêtres.
— Je ne peux pas accepter cela. Vous êtes mon allié, mon ami, mon premier mentor.
— Va Salazar. Je ne suis plus qu'un vieil homme malade. Je suis heureux de t'avoir revu et de savoir mes enfants à tes côtés.
Des cris et des galops se firent entendre à l'extérieur.
« Ils reviennent, s'affola Black. Va-t'en. »
La porte de la chambre s'ouvrit à la volée sur une jeune fille aux cheveux noirs et aux yeux d'argent. Elle était reconnaissable entre mille.
« Père ! Ils ont des torches et… »
La jeune Black s'effondra sans terminer sa phrase car son père l'avait stupéfixée.
« Elle n'aurait jamais accepté de me laisser, expliqua-t-il avec fierté. Honore ta promesse Salazar et emmène les tous les deux.
— Ainsi soit-il, siffla Serpentard.
— Merci à toi, murmura-t-il soulagé.
— Voici un dernier cadeau maître Black » souffla Salazar à son oreille pour éviter que la jeune fille l'entende.
Le jeune mage posa un petite fiole remplie d'un liquide vert que tous les deux connaissaient parfaitement. C'était le premier poison que Caïus Black lui avait enseigné. Un poison qui endormait en douceur, sans souffrance. C'était toujours mieux qu'un bûcher.
Salazar hissa la jeune fille sur son épaule et quitta la pièce. La chênaie de Poufsouffle les attendait.