Abercych n'est qu'un tout petit village, quelques maisons dispersées le long d'un chemin de terre, entouré de champs. Et au milieu, coule la Cych. Et tant et tant de légendes disent que la rivière qui serpente dans ces vertes vallées est une des entrées pour les autres mondes.
Et tout le Pays de Galles est ainsi. Des petits villages jetés le long de chemins, quelques châteaux, de vertes vallées, des champs entiers, et des forêts. Et au bout, par là-bas, il y a la mer.
Parmi les quelques maisons que compte Abercych, il y a celle des Poufsouffle. Elle ressemble en tout point à ses voisines, si ce n'est qu'il y a quelques années, son jardin était plus fourni, ses légumes en plus grand nombre et plus gros, ses moutons gras, ses vaches imposantes. Alors, cela a commencé à parler dans le village. On a commencé à jalouser les Poufsouffle. Jusqu'à ce qu'étonnamment, l'opulence de cette famille touche ses voisines, et se répande dans toute la vallée. Alors, les langues se sont tues avec la faim.
Helga a fait un long voyage pour retourner chez ses parents. Elle a installé toutes ses affaires dans la charrette, et les quelques meubles qu'elle pouvait transporter, a déposé ses deux enfants sur le matelas de paille, et a attelé ses deux chevaux. Son mari vient de mourir, et elle n'a rien pu faire. Même si depuis la dizaine d'années où elle a vécu à Pum Heol, elle l'a fait en parfaite entente avec ses voisins, Helga n'a pu souffrir de continuer à vivre dans les murs où son mari Aberthol est mort. Alors, elle est partie avec ses enfants, Liam et Aalana sous le bras, et l'opulence de Pum Heol est partie avec eux.
Les voyages sont tellement longs que cela fait des mois qu'elle n'a pas vu sa famille. Et quand la charrette arrive devant la maison des Poufsouffle, Helga a à peine le temps d'en descendre qu'une porte s'ouvre, qu'elle entend un cri, et qu'elle se retrouve enfermée dans les bras de sa mère, Alys. Alors, elle s'autorise ce qu'elle s'était refusée jusqu'à présent, et fond en larmes, pleurant la mort d'Aberthol. La porte grince de nouveau en s'ouvrant et se refermant, et Beli, auréolé par la fumée de sa pipe, sourit puis grimace aux deux enfants qui descendent de la charrette pour embrasser leur grand-père. Il les fait rentrer dans la maison, puis promène son regard autour d'eux, avant de sortir sa baguette et de faire léviter les meubles et les mener jusque dans sa maison. Les deux femmes sont encore embrassées l'une l'autre devant la porte. Alors, Beli invite ses petits enfants à se réchauffer devant la cheminée, et contemple quelques instants les quelques affaires que sa fille a ramené. Il réfléchit, en mâchonnant sa pipe, puis marmonne.
« Vous irez dans la chambre d'Owain. Votre oncle vit plus bas, dans la vallée, avec sa femme... »
Beli fait léviter les meubles qu'il installe dans la chambre, avant de pousser les murs, comme il dit, agrandissant la pièce alors que la maison reste toujours de même taille. Pratique, quand on vit parmi les Moldus. Quand il a fini, il revient dans la pièce de vie où sa femme et sa fille viennent d'entrer. Il serre bien contre lui Helga, puis va s'occuper des chevaux.
Les yeux rouges, tout comme son nez, Helga s'assied sur le banc qui est devant la cheminée et serre contre elle ses deux enfants.
« Aberthol est mort il y a trois semaines. Je ne pouvais pas rester vivre à Pum Heol. Trop de souvenirs. Cela ne te dérange pas, maman ? »
Alys secoue sa tête grisonnante, puis son regard dérive sur les deux enfants qui sont contre leur mère.
« Se sont-ils manifestés, Helga ? »
Helga caresse les têtes châtains de ses enfants.
« Aalana oui, il y a un an déjà. Mais Liam pas encore, il n' a que quatre ans. »
Les yeux bleus d'Alys ne quittent pas les enfants, et alors que la nuit tombe, une cloche se fait entendre, son tintement porté par le vent, de vallon en vallon... La voix d'Alys fuse, chuchotant, comme si elle craignait que quelqu'un ne l'entende.
« Les choses ont changé, par ici, Helga... L'église... »
Sa main se tend vers les cloches qui sonnent encore.
« Les gens comme nous ne sont plus en sécurité, Helga. Leur dieu leur commande de ne pas commercer avec ce qu'ils appellent le diable, le malin. Personne n'a le droit d'utiliser la magie. Ton père et moi, ton frère et sa femme, continuons à le faire, pourtant, parce que c'est ce que nous sommes, Helga. Mais il faut faire attention. »
Un silence pesant vient se déposer dans la pièce, tellement épais qu'il les recouvre comme un manteau trop lourd. Le sifflotement de Beli résonne dans la salle à manger, quand il ouvre la porte et entre. Ses yeux bleus se promènent sur sa famille, et il se tourne vers sa femme.
« Alys, tu leur as dit ? »
Sa femme ne le regarde pas, mais reste fixer sa fille et ses petits enfants.
« Je ne perdrai pas ma famille, Beli. Ces moines ne nous auront pas. »
Helga se lève alors brusquement, quittant à regret l'étreinte de ses enfants qui ouvrent de grands yeux effrayés.
« Allez, venez vous coucher... »
« J'ai préparé la chambre d'Owain, Helga... »
Helga sourit doucement à son père, et accompagne ses deux enfants pour aller les coucher, espérant que les derniers souvenirs de son mari agonisant ou les peurs qu'elle a de ces hommes de l'Eglise la laisseront en paix pour leur raconter une belle histoire.
Une fois les enfants endormis sur le matelas de paille et sous les couvertures de laine, Helga rejoint ses parents devant le feu de cheminée, et son père jette une poignée d'herbes séchées dans la bouilloire qui repose sur le feu.
« Aberthol ? »
Cette simple question fait remonter des souvenirs à l'esprit d'Helga.
« Le feu ardent*... Il y a eu une épidémie dans la région de Pum Heol, qui a bien duré deux mois. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour en sauver le maximum, mais Aberthol a été touché, et est mort en quatre jours, dans des souffrances atroces que je n'ai pas pu soulager. »
Le regard d'Helga se fait lointain.
« Ensuite, il a été enterré, et j'ai fait un grand feu de ses vêtements et de son lit de mort. »
Les deux parents acquiescent de concert. Les Poufsouffle se sont toujours donnés pour mission de faire profiter leurs voisins de leur magie. Ils ont un don avec les plantes, avec les travaux de la ferme, avec la médecine, et ils en font profiter au maximum les Moldus. Mais les temps changent, des moines irlandais parcourent le pays en proférant la bonne parole, comme ils disent, et en mettant au ban de la société Moldue les sorciers qui, pourtant pour certains, y participent en aidant leurs voisins. Dans le discours de ces moines, dans la parole de ces apôtres, de ces saints lointains et depuis longtemps réduits à la poussière, la magie est mauvaise, alors qu'elle leur accorde tant de bienfaits par les sorciers qui ne voient pas les Moldus comme leurs inférieurs.
Beli rallume sa pipe qui embaume toute la pièce. Il tourne ses yeux bleus vers sa fille, un air grave inhabituellement placé sur son visage.
« Les Drake ont disparu. Ils n'ont laissé aucune lettre, n'ont prévenu personne. Leur maison a été réduite en cendres. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé. »
Alys insiste de son côté.
« Nous pensons que nous sommes en danger, Helga. Les temps changent. A la fontaine de la Cych, il n'y a plus d'offrandes pour l'esprit de l'eau mais pour une martyre chrétienne. »
Cela fait froid dans le dos d'Helga. Elle voit les moines irlandais, les chrétiens, comme des cavales sauvages qui détruisent tout sur leur passage. Pour avoir suffisamment batifolé, lavé son linge, puisé de l'eau dans la Cych, Helga sait qu'il y a des Etres qui y vivent, qui ont leur langage, qui se nourrissent des offrandes qui leur sont faites, ce qui apaise leur hostilité. Les habitants d'Abercych ne sont pas prêts à affronter leur courroux. La forêt de Glasfynyd s'étend de loin en loin, jusqu'à la vallée de la Cych. Les conifères sont hauts, cachant le soleil, hiver comme été, et abritent dans leurs branches des créatures furtives, entre leurs troncs des êtres sombres, et sous leurs racines des animaux qu'Helga ose à peine imaginer. Elle a déjà vu un mouton égaré se faire dévorer par un animal invisible. Les Moldus doivent se méfier quand ils retirent leurs offrandes. Parce qu'il y a toujours un prix à payer.
« Avez-vous contacté les Serdaigle ? »
Beli secoue la tête.
« Nous préférons ne pas quitter la maison, nous craignons de la voir réduite en cendres. »
Helga s'emporte alors, réfléchissant à toute vitesse.
« J'irai voir Rowena, avec les enfants, mais pas avant de nous être reposés quelques jours. Les enfants sont fatigués de leurs deux semaines de voyage. »
Une de ses mains quitte le gobelet de tisane qu'elle tenait et elle frotte ses yeux.
« Je pense qu'il est temps pour les sorciers de se regrouper. Que peut-il se passer si des enfants sorciers naissent de Moldus par les temps qui courent ? Je n'ose l'imaginer. »
Helga se lève alors, et va laver sa tasse dans la bassine d'eau. Elle a définitivement besoin de voir son amie de toujours Rowena Serdaigle, qui a le don de double vue qui, pour lui compliquer souvent la vie, l'aide parfois.