Phineus Black était procédurier, depuis presque toujours. Depuis presque aussi longtemps qu’il s’en souvenait. Ou disons qu’il avait une confiance et un espoir fabuleux dans la justice pour un enfant de la Maison des Black, percluse de ses propres principes si peu stables. Il y avait les choses qu’on pouvait faire et les choses qu’on ne pouvait pas faire. C’était comme ça.
Et lorsqu’il était entré à Poudlard, il avait découvert d’autres droits. D’autres droits à d’autres gens. Il avait découvert la justice, la vraie, celle qui s’appliquait à tout le monde et qui aurait dû s’appliquer de la même manière pour tout le monde.
« Chimène, suis-moi, insista-t-il pour la troisième fois. »
La petite blonde grimaça un peu plus, de plus en plus incertaine et réticente à s’opposer aussi frontalement à l’univers magique et sa justice diabolique. La sorcellerie avait depuis longtemps perdu ce côté magique chez Phineus lorsque Chimène Dubois secoua fébrilement la tête. Il sentit son cœur se briser lorsqu’il accepta de baisser la main qu’il avait tendue vers elle.
« Chimène…
— C’est… ça devient trop dangereux Phineus, souffla-t-elle en enfonçant les mains dans sa robe violette où le M brodé, l’insigne du Magenmagot, brillait. »
Elle ne le regardait plus dans les yeux, elle les gardait fixé sur ses pieds, inquiète, tremblante et tout à fait loin de lui. Il expira à fond. Elle avait seulement peur, comme les fois suivantes. Certes, leur projet de loi était un peu plus ambitieux que les précédents. Certes, il était bien plus explicit et Phineus savait clairement que si son père ne le renierait pas dans l’heure, son aîné Sirius ne se priverait de le brûler de l’Arbre, l’ancestrale arbre généalogique de la Maison des Black. Elle avait peur. Il n’avait qu’à la rassurer à nouveau. Elle ne risquait rien, elle. Personne dans la Maison des Black n’était au courant de leur relation. Personne ne s’en prendrait à elle.
« Tu ne veux plus défendre les droits de ta mère ? demanda-t-il plus doucement en s’approchant d’elle. »
Il glissa sa main sur sa joue pour l’inciter à relever le visage. Il dut aller jusqu’à enfoncer ses doigts dans ses cheveux pour qu’elle ose affronter son regard aux iris presque noirs.
« Tu… Ils vont nous tuer, ils…
— Les Black ne te feront rien. Ils ne prendraient pas le risque de s’intéresser à ma vie personnelle plus longtemps. Ils…
— Je n’en peux plus, avoua-t-elle en se mettant à pleurer. »
Sa main se crispa dans ses cheveux blonds. Elle le sentit puisqu’elle se détacha de lui. Une boule de colère et de frustration glissa dans sa gorge. Elle n’en pouvait plus ? Et que pensait-elle de lui ? Que subissait-il depuis des années dans ce 12, Square Grimmaurd ? Lors de dîners interminablement racistes et condescendants ? Il restait là-bas pour glaner par-ci par-là des informations pour faire tomber le plus de pourris possibles ! Il restait là-bas pour avoir un œil sur l’argent de sa famille, pour ne pas qu’ils nourrissent les partis englués de racisme ! Il se battait pour une société juste !
« Tu n’en peux plus ? demanda-t-il en serrant les dents. Tu… Tu me dis à moi que tu n’en peux plus ? répéta-t-il en serrant de plus en plus les dents.
— Tu ne vis plus que pour te battre ! explosa-t-elle en se mettant à pleurer. Tu… Depuis combien de temps n’avons-nous pas été au restaurant ? Ou même nous promener ? Tu… C’est comme si tu te sentais coupable de ce que sont les Black ! Mais ce n’est pas de ta faute si tu es né dans cette famille tordue !
— Mais ce serait de ma faute si je ne faisais rien contre eux ! s’exclama-t-il hors de lui. Tu… Je n’en reviens pas que toi tu…
— Tu ne risque pas une retenue, une exclusion ou même un blâme, Phin, tu risques de te faire tuer ! cria-t-elle en sanglotant un peu plus.
— Eh bien qu’ils me tuent ! hurla-t-il. Au moins, je mourrais la tête haute, sans avoir à rougir d’une quelconque inaction alors que j’avais la possibilité de changer les choses ! »
Il ne la reconnaissait plus. Il… Alors c’était la raison de son silence de ces dernières semaines ?
« Nous sommes sur le point d’enfin obtenir une véritable avancée pour les droits des Moldus dans notre juridiction, et toi, tu… Argh, suis-moi, Chimène, suis-moi sur ce projet et…
— Je veux vivre, Phin, je ne veux pas seulement me battre, je veux vivre, et ton combat est sans fin. »
Il resta muet dix longues secondes à cligner des yeux, incapable de croire à ce qu’il venait d’entendre.
« Je vais te laisser réfléchir, tu… tu ne peux pas penser que…
— Je sais ce que j’ai dit, Phin, dit-elle en reniflant. »
Elle ne pleurait plus, comme si elle avait enfin dit tout ce qu’elle pensait.
« Renonce à ce projet, et vivons enfin heureux, le pria-t-elle en essayant d’attraper sa main. »
Il se dégagea d’un simple pas en arrière. Elle n’avait pas pu dire cela. Elle n’avait pas pu…
« Si tu sors de cette pièce déterminé à ce projet de loi… je considèrerai que tu as choisi ton combat plutôt que mon amour, murmura-t-elle la voix brisée. »
Les lèvres rouges de sa fiancée tremblaient, mais Phineus avait choisi, et ce depuis longtemps.
Il referma la porte derrière lui avec l’image des yeux bruns de Chimène qui se remplissaient à nouveau de larmes.