Narcissa ne sortait plus qu'en utilisant du polynectar, et de préférence en utilisant la cheminée de sa demeure qui ne fonctionnait que dans un sens. C'était la seule manière qu'elle avait trouvé pour essayer d'échapper à la sensation qu'elle avait d'être épiée et surveillée.
Mine de rien, l'entrevue avec Nott et Lucius l'avait énormément affectée et c'est avec non sans crainte qu'elle envisageait la suite. Mais sortir pour mener ses affaires lui était nécessaire, vital même puisqu'elle se rendait à présent régulièrement dans la demeure des Black, celle de la branche aînée, pour tenter de mettre fin aux puissants maléfices qui l'avaient contaminée.
Il n'y avait qu'à cette condition qu'elle pourrait espérer la transmettre à Eris ou à Drago sans que cela ne les mette en danger.
C'est ainsi que, ce matin-là, une vieille femme à la teinture rousse un peu passée (non, extrêmement passée) transplanna directement sur le perron de la demeure des Black et y entra sans bruit.
Narcissa Malefoy reprit cependant sa véritable apparence dès l'instant où elle eut refermé la porte de la demeure et vérifié d'un charme que personne n'était là.
Elle avait emprunté le réseau de cheminées jusqu'au chaudron baveur, puis avait transplanné directement. Et à présent, elle attendait une personne bien précise.
Un sorcier qui, elle l'espérait, pourrait l'aider avec quelques mystères magiques assez encombrants qui peuplaient cette demeure. Un sorcier qu'elle avait d'ailleurs également rencontré ici, à l'improviste quelques années plutôt.
Si le souvenir était désagréable, il n'en était pas moins la source de cette rencontre d'aujourd'hui.
Car à la demande de Narcissa, son cousin Sirius avait accepté de venir ici et c'est au bas du hall qu'ils se retrouvèrent quelques minutes plus tard et se serrèrent la main.
Pour tout dire, Narcissa se sentait plutôt nerveuse.
- Quelle bonne surprise ! Ironisa de son côté Sirius comme si cela devait la mettre à l'aise.
- Cela n'en est pas une, répliqua Narcissa, si tendue qu'elle n'appréciait pas du tout cet humour. Nous savions tous les deux que nous nous retrouverions ici. D'ailleurs, ce n'est pas la première fois que je te vois ces dernières semaines.
- J'avais remarqué oui, répondit Sirius avec un sourire espiègle qui la surprit par la fraîcheur qu'il dégageait. Je ne savais pas que tu faisais les manifs d'ailleurs...
- Je peux en dire de même, répliqua Narcissa. Même si de mon côté je ne peux pas prétendre être étonnée. Et si je ne m'abuse, c'était avec la bénédiction du Ministère ?
- Bénédiction relative, murmura sombrement Sirius. Mais enfin, pour mon retour en Angleterre je ne pouvais manquer cet hommage.
- Ton retour ? S'étonna Narcissa. Tu étais donc parti ?
Sirius la jaugea du regard, entre l'hésitation et l'ironie et Narcissa put même percevoir une petite dose de crainte. C'était comme s'il avait soudain craint d'être pris en faute.
- Nous sommes partis tous les deux, ces derniers mois... Lui répliqua t-il.
- Certes, répondit Narcissa en faisant un effort pour ne pas le prendre mal.
Il n'y avait pas à dire : son insupportable cousin avait vieilli même si son visage semblait un peu moins marqué que juste après la guerre. Sachant qu'il avait dans les quarante-cinq ans cela n'aurait du étonner personne, mais le constater si soudainement troublait Narcissa.
- Que deviens-tu d'ailleurs ? Lui demanda t-elle, surtout pour dissiper son malaise mais également pour tenter de reprendre le contrôle de la conversation.
- Disons que je voyage, répondit Sirius sur un ton quelque-peu évasif. J'ai fais la France, les Pays-Bas, La Belgique, le Luxembourg et l'Allemagne ces derniers mois... Cela m'occupe.
« Et cela t'évite de trop penser à ta vie » songea intérieurement Narcissa.
Mais était-ce bien le moment de regarder Sirius Black de haut ? Elle comprenait le désarroi de ce cousin qu'elle avait pourtant si peu côtoyé durant sa jeunesse. Elle savait même exactement à quel point sa vie pouvait être abîmée après tout ce qu'il avait vécu et ce qu'il pouvait ressentir.
Après son évasion, s'occuper de loin de Potter lui avait redonné un semblant d'existence, une raison de vivre... Il avait également profité de sa réhabilitation pour s'investir à Poudlard aux côtés de Dumbledore puis était directement repassé dans la clandestinité après la mort du vieil homme.
Sous le règne de Voldemort, il avait servi de leurre pour diriger vers lui les mangemorts et fausser les pistes afin de les entraver dans la traque de Potter. Il avait également aidé de nombreux nés-moldus à fuir ou à se cacher...
Enfin, il avait participé à la Bataille de Poudlard où son dernier ami proche, Remus Lupin, avait trouvé la mort. Ainsi la victoire lui était restée terriblement amère.
Tout cela, Andromeda ne le lui avait pas caché. La mort de Remus avait fait de Nymphadora une femme effondrée durant bien longtemps. Quant-à son cousin Sirius, il errait chez elle comme une âme en peine depuis que Potter avait pris son indépendance en devenant adulte.
« Sirius ne veut être ni un gêneur, ni une charge » avait révélé Andromeda à Narcissa. « Sans compter que Molly Weasley et lui ne sont pas dans les meilleurs termes possibles. Alors il ne s'impose pas chez Harry... Et chez moi il est parfois comme un fantôme ».
Pourtant, songeait Narcissa à présent qu'elle le détaillait, Sirius semblait mieux, beaucoup plus vif que la dernière fois qu'elle l'avait rencontré :
- Tes voyages semblent t'avoir revigoré, fit remarquer la sorcière à son cousin.
A sa grande surprise, le visage de Sirius s'anima un peu et il lui sembla même qu'il rougissait :
- Laisse-moi deviner, souffla t-elle étonnée. Tu as rencontré quelqu'un ?
Elle sourit d'attendrissement en voyant Sirius acquiescer mécaniquement, la gêne empourprant ses joues. Était-il donc en train de reconstruire sa vie, ainsi qu'elle-même s'efforçait de le faire avec la sienne ?
- Et toi ? Répondit soudain Sirius. Que deviens-tu exactement ?
Narcissa fut tellement désarçonnée qu'elle se sentit rougir jusqu'à la racine des cheveux. Elle était soudain si gênée qu'elle balbutia :
- Si nous nous occupions plutôt de cette maison... Veux-tu ?
Sirius ne semblait cependant pas décidé à lâcher prise si facilement. Il s'approcha d'elle et murmura d'une voix pressante :
- Narcissa, je sais exactement de quelle manière ta vie a évolué ces derniers temps. Il ne sert à rien de le cacher... La seule chose que je veux savoir, c'est si tu es en sécurité... C'est surtout pour cela que j'ai accepté de venir en réalité.
Si elle était en sécurité ? Mais que pouvait-elle donc répondre ? Devait-elle confier à Sirius ce sentiment d'être traquée qui l'envahissait un peu plus chaque jour ? Mais si elle le faisait, jusqu'où serait-elle obligée de pousser ses confidences ?
- Narcissa, souffla encore Sirius. Ton cas est pris très au sérieux par le Ministère. Tu dois en avoir conscience... Ne reste pas seule je t'en prie. Pense à ce qui est arrivé à ta belle-mère.
C'en était trop, Narcissa éclata en sanglots au milieu du hall de sa maison familiale, devant un Sirius triste et décontenancé par sa réaction.
Pourquoi fallait-il que ce cousin, autrefois si insupportable, soit le seul qui ait conscience de ce qu'elle vivait aujourd'hui, des risques qu'elle prenait et des difficultés qu'elle connaissait ? Pourquoi fallait-il qu'elle soit si seule pour faire face aux secrets qu'elle portait en elle ?
Mais s'il s'imaginait pouvoir l'aider, Sirius se trompait lourdement puisque se placer sous sa protection aurait rimé à lui confier des secrets bien trop lourds et délicats. Narcissa savait qu'elle ne pouvait faire autrement que se battre seule de ce côté-là.
Comme s'il avait soudain conscience d'être allé trop loin, son cousin changea soudain de sujet :
- Si nous nous occupions de cette maison, ainsi que tu le souhaitais ? Souffla t-il pour tenter de la calmer.
Bon gré mal gré, Narcissa s'efforça de reprendre ses moyens et le suivit. Bientôt, elle ne sanglotait plus mais reniflait par intermittence et c'est sans vraiment se parler qu'ils firent tous les deux le tour de la demeure et des charmes qui y avaient laissé des traces :
- Cela ressemble beaucoup au 12 Square Grimaud, finit par dire Sirius alors qu'ils arrivaient au dernier étage. Des sorts dérangeants, désagréables mais rarement dangereux... Juste tenaces. On ne fera pas grand-chose ici.
- Il reste encore le laboratoire, lui fit remarquer Narcissa qui s'était finalement calmée mais redoutait à présent le départ de son cousin, comme si cette présence humaine lui était devenue soudain essentielle.
Par Merlin, était-elle en train de devenir folle ?
Sirius cependant ne paraissait pas contrarié le moins du monde et il la suivit dans cette partie si délicate de la demeure.
Narcissa avait d'ailleurs visé juste en devinant qu'ils auraient fort à faire ici, car les Chizpurffles envahissaient régulièrement les lieux et, durant plus de deux heures, ils s'employèrent à décrasser chaque recoin du laboratoire afin de les chasser définitivement.
A ce jeu-là d'ailleurs, Sirius était particulièrement efficace :
- Tu t'y connais ? Non ? Lui fit remarquer Narcissa.
- J'ai eu fort à faire au 12 Square Grimaud... Mais pas que là-bas, répondit Sirius. Pendant la guerre, il y avait beaucoup de précipitation dans les bases de l'Ordre, notamment chez la tante Muriel qui s'était lancée dans la fabrication.. . Une véritable catastrophe pour tout dire et on passait souvent derrière pour rattraper les choses avec Molly Weasley.
- Laisse-moi deviner, répliqua Narcissa soudain euphorique. C'était les seuls moments où votre relation devenait cordiale ?
- Tout juste, répondit Sirius en souriant à son tour. Et j'ai gardé l'habitude. A présent si je suis invité chez les Weasley, je me mets au décrassage... Un bon moyen d'avoir la paix.
Narcissa sourit, attendrie encore une fois. Pour que son cousin prenne les choses avec une telle légèreté, il fallait que quelque-chose ait bouleversé positivement sa vie.
En serait-il de même pour elle un jour ?
A vrai dire, elle en doutait et pas seulement pour des raisons de sécurité immédiate. Car elle avait toujours aimé Lucius et malgré sa colère les sentiments qu'elle gardait pour lui restaient désespérément immuables. Jamais elle n'aurait la force de reconstruire autre-chose s'il ne se passait pas une heure sans qu'elle pense à lui.
Que devenait-il à présent, et qui étaient ceux qui prenaient l'ascendant sur lui ? À quel point arriveraient-ils à le corrompre ?
Autant de questions qui torturaient Narcissa.